« Vulnérabilité aux troubles psychiatriques : on estime à 40% la part

« Vulnérabilité aux troubles psychiatriques : on estime à 40% la part des facteurs
génétiques et à 60% les rôle des événements singuliers »
Interview de Jean Cottraux, Psychiatre des hôpitaux, directeur de
l’Unité de traitement de l’anxiété de l’hôpital neurologique Pierre
Wertheimer au CHU de Lyon, chargé de cours à l’université Lyon 1
Entretien réalisé le 24 janvier 2006 par Caroline Januel
En quoi consistent les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ?
Les TCC sont fondées sur les principes de la psychologie scientifique. Elles font référence
aux modèles issus des théories de l’apprentissage (conditionnement, apprentissage
social…). Elles font également référence aux modèles cognitifs fondés sur l’étude du
traitement de l’information, c'est-à-dire aux processus de pensée conscients ou inconscients
organisant la perception des événements qui se déroulent dans l’environnement du patient.
Ces thérapies interviennent à trois niveaux : comportemental, cognitif et émotionnel. Il s’agit
de modifier les facteurs de déclenchement et de maintien des perturbations perçues par le
patient : anxiété, dépression, problèmes relationnels, problèmes sexuels… Les TCC sont en
général assez brèves : 10 à 25 séances pour la plupart des troubles anxieux, de la
dépression ou des problèmes sexuels. Elles sont plus longues pour les troubles de la
personnalité, les personnalités « borderline » par exemple. Les séances sont très
structurées. Le thérapeute est actif, il doit construire avec le patient une relation de
collaboration. Le thérapeute établit avec le patient un modèle du trouble puis les problèmes
sont définis en termes concrets et pratiques, les moyens du traitement sont définis… La
motivation du patient est importante, il doit vouloir changer pour que la thérapie soit efficace.
Quand et comment se sont développées les TCC en France et à Lyon ?
Les origines sont très anciennes mais on peut dire que les TCC ont pris leur forme actuelle à
partir des années 50 grâce à des travaux anglo-saxons. Les Etats-Unis, comme l’Europe
(Angleterre, Hollande) ont participé à son développement. Mais le précurseur français est
incontestablement le psychiatre et psychologue Pierre Janet (1859-1947). Son œuvre vaut le
détour, beaucoup de spécialistes étrangers s’en sont aperçus. P.Janet est sans doute le
prédécesseur aussi bien de la psychanalyse que des TCC. Freud a emprunté beaucoup de
ses idées lors de son passage à la Salpetrière où P.Janet enseignait. Les notions de
subconscient, d’idée fixe (fantasme chez Freud), de traumatisme, de refoulement sont
présentes dans les travaux de Janet. H.F.Ellenberger, psychiatre et historien suisse, a
contribué à réhabiliter le travail de P.Janet par son livre « Histoire de la découverte de
l’inconscient ». La première version française a été publiée à Lyon en 1974. Aujourd’hui, les
livres de P.Janet sont réédités.
En France, le premier travail important recensant les thérapies comportementales est dû à
Jacques Rognant datant de 1970. J’ai été formé en Angleterre dans les années 70 puis j’ai
développé les premières TCC à Lyon en 1975. J’ai publié en 1978 le premier livre français
sur le sujet : « les thérapies comportementales ? Stratégies du changement ». Depuis les
consultations, comme les formations à ces thérapies, n’ont cessé de se développer.
Quels sont pour vous les atouts de l’agglomération en la matière ?
Nous faisons partie des pionniers : la première formation aux TCC est lyonnaise, nous avons
ouvert les consultations à Lyon peu de temps après celles du Pr. Pichot à Saint Anne, nous
sommes à l’origine de 80% du développement en terme de recherche sur les TCC. Nous
avons collaboré avec des équipes anglaises, luxembourgeoises… Nous avons aussi travaillé
avec l’équipe du Pr. Berthoz, professeur au Collège de France, sur l’agoraphobie. Des
recherches très intéressantes ont été menées avec le Pr.Mauguière (Institut fédératif des
neurosciences) sur les pensées obsessionnelles. L’IFN est ouverte et favorable au
développement de travaux de recherches et de passerelles entre nos disciplines.
Considérez-vous que la France soit en retard dans l’acceptation et la pratique de cette
approche cognitivo-comportementale ?
Non, je ne le pense pas. Je n’ai pas rencontré des vives oppositions ou de réels obstacles
lorsque j’ai ouvert les premières consultations. Il est vrai que les années 70 étaient
particulièrement ouvertes et prêtes au changement, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Lorsque
j’ai créé le diplôme universitaire de TCC en 1980, le doyen de l’époque, le Pr. Revillard avait
soutenu mon projet. D’autres villes ont suivi et ont mis en place leurs formations : Paris,
Marseille, Bordeaux, Reims, Lille, Toulouse, Clermont-Ferrand, Nice, Lille…La formation
Lyonnaise a été remaniée en 1990 et 2000 et est devenue un diplôme inter-universitaire
(université Lyon 1 et université de Savoie). Les associations ont également pris de
l’ampleur : l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC) et
l’Association francophone de formation et de recherche en thérapie comportementale et
cognitive (Afforthecc) regroupent à elles deux 1500 personnes environ, dont 900 praticiens.
Les TCC se portent bien !
Mais les TCC ont également leurs opposants…
Les attaques médiatiques, reprenant les critiques de certains psychiatres conservateurs, ne
sont pas le reflet de l’opinion du grand public. Il est vrai que longtemps la psychanalyse a eu
la « main mise » sur la psychiatrie. Les médias ont relayé ces querelles de psychiatres mais
les choses changent. Entre 1993 et 2003, plusieurs études ont montré la valeur des TCC
dans de nombreuses indications, en particulier celles de l’OMS, de l’Association
psychiatrique américaine et du Service national de santé en Angleterre. Le rapport de
l’Inserm, publié en 2004 à la demande de la Direction générale de la santé et de deux
associations de patients, a montré que la TCC était la thérapie la plus efficace dans 15
syndromes psychiques sur les 16 étudiés.
Quelles sont les principales indications et contre-indications des TCC ?
Les TCC sont particulièrement recommandées pour traiter les phobies, les obsessions,
l’anxiété généralisée, les stress post-traumatiques, les sevrages des psychotropes, mais
aussi les dépressions, les troubles de la personnalité, les problèmes psychologiques de
l’enfant et de l’adolescent… Elles ne sont pas indiquées pour traiter les paranoïas, les
dépressions mélancoliques et lorsqu’il est impossible de définir le but du traitement avec le
patient.
Dans l’étude de l’Inserm, trois types de psychothérapies sont comparés : l’approche
psychodynamique ou psychanalytique, l’approche cognitivo-comportementale et
l’approche familiale et de couple. L’expertise portait sur certains troubles mentaux
allant de la dépression et des troubles anxieux à la schizophrénie et l’autisme.
Comment peut-on comparer des thérapies ?
C’est un exercice difficile en effet, les experts se sont basés sur la littérature scientifique
internationale et se sont concentrés sur les troubles les plus documentés. Les patients à
traiter ont des troubles définis par la classification internationale des maladies, troubles
mentaux et troubles du comportement. Cela est possible aussi car des critères d’évaluation
ont été définis : l’amélioration des symptômes dans le cadre d’un trouble, l’amélioration de la
qualité de vie, de l’adaptation sociale du patient.
Ce rapport a été retiré par la suite par le Ministère de la Santé. Une véritable polémique
opposant les partisans de la psychanalyse et les partisans des TCC a éclaté… « Le
livre noir de la psychanalyse » a été édité en septembre 2005. Comment expliquez-
vous tant de scandale ?
Les réactions ont été violentes, en particulier celles des psychiatres du courant lacanien. Le
rapport Inserm montre pourtant que la thérapie psychanalytique brève a des résultats positifs
pour certains troubles de la personnalité. Or, 30% des patients vus en psychiatrie présentent
des troubles de la personnalité. Mais il est vrai que ce rapport démontre surtout les bons
résultats obtenus grâce aux TCC. J’ai participé à l’écriture du « Livre noir de la
psychanalyse » publié en septembre 2005 pour contribuer à lancer un réel débat sur la
validité de la psychanalyse. Le sujet est sensible, l’éditeur de cet ouvrage a d’ailleurs fait
l’objet de pressions. La polémique est même sortie de nos frontières : la revue internationale
« Science » m’a contacté pour écrire sur ce sujet.
Ceci montre qu’une réforme des psychothérapies est nécessaire ?
Oui, toute cette polémique a contribué à une prise de conscience générale. Les discussions
ont reprises en janvier 2006. Un groupe de travail composé d’une soixantaine d’experts, de
tous les courants, travaille sur le sujet et vise à réformer l’article 52 de la loi de Santé
publique du 9 août 2004 portant sur le titre de psychothérapeute. Nous sommes conscients
que les dérives sont possibles, nous devons nous protéger de l’exercice illégal de la
psychothérapie.
Comment le patient peut-il s’y retrouver ?
Le groupe de travail se penche aussi sur cette question et a souhaité clarifier les indications
de telle ou telle thérapie (psychanalytique, cognitivo-comportementale, familiale ou
intégrative) sur des bases scientifiques.
En consultation, le praticien doit informer le patient de toutes les alternatives possibles : les
différentes thérapies adaptées à son trouble, les médicaments à y associer éventuellement,
etc.
A l’heure actuelle, peut-on prévenir le risque de développer des troubles
psychiatriques ?
On estime aujourd’hui qu’il y a une vulnérabilité aux troubles psychiatriques, cette
vulnérabilité s’exprime ou non selon les effets de l’environnement. En général, on estime à
40% la part des facteurs génétiques, à 60% le rôle des événements singuliers. L’éducation
jouerait un rôle mineur. Une étude de 2000 réalisée sur des jumelles univitellines élevées
ensemble (donc à génétique et cadre familial équivalents) montre un risque plus élevé de
développer des troubles psychopathologiques à l’âge adulte lorsque des violences sexuelles
ont été subies enfants. Il y avait une corrélation entre l’intensité de violences subies et celle
des troubles, à génétique et éducation égales. Cette corrélation ne peut être expliquée par
les facteurs génétiques ou familiaux. Elle souligne le rôle important des événements
singuliers dans la genèse des perturbations psychiques et aussi le rôle des interventions
psychologiques : les TCC, comme toutes les thérapies, s’occupent de ces événements
singuliers qui façonnent nos vies pour le meilleur et parfois pour le pire.
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