
La barrière au traitement comme facteur de sévérité de dépression S315
Plusieurs patients résistent au traitement biologique et
psychothérapeutique de la dépression. Cette résistance se
traduit par une amélioration partielle des symptômes ou
par des rechutes fréquentes. Alors que des traitements
pharmacologiques ont été bien conduits (avec des posolo-
gies d’antidépresseurs à doses efcaces pendant des durées
sufsantes, la pratique d’ECT, d’une vérication de l’obser-
vance médicamenteuse) le gain thérapeutique reste incom-
plet. Même lorsque l’on a repéré des traits de personnalité
comme l’impulsivité ou la présence de certains mécanis-
mes de défense immatures, cette identication n’aboutit
pas toujours à une amélioration thérapeutique.
Certains facteurs contribuent à créer des impasses thé-
rapeutiques dénies par une phase d’aggravation succé-
dant à de discrètes améliorations ou à des progrès minimes.
Cette situation a été dénommée par Scott [17,18] : la
« barrière au traitement » pour qualier les obstacles au
processus thérapeutique en lien avec les représentations
culturelles de la maladie mentale. Ce concept reste tou-
jours utilisé pour rendre compte d’oppositions au traite-
ment dans des contextes culturels particuliers [14], de
psychiatrie militaire [11], ou des situations pathologiques
particulières comme le cancer.
En matière de dépression sévère, l’idée d’une opposition
à l’amélioration clinique ou au soin réunit des aspects liés au
fonctionnement psychique du patient, des éléments issus de
son histoire antérieure tels que des traumatismes ou des suc-
cessions de thérapies, des éléments directement issus des
symptômes du patient tels le ralentissement et l’angoisse.
Enn, le contexte de l’interaction entre le patient et le thé-
rapeute peut entraîner des réactions thérapeutiques négati-
ves, sources de stagnation et de chronicité. Les classications
actuelles opèrent par dimensions et catégories ; elles laissent
de côté les aspects plus narratifs, contextuels ou imagés, qui
sont souvent utiles dans la compréhension et l’évolution de
certains cas sévères. Parce qu’elles relèvent plus de la méta-
phore, d’un scénario et d’un fonctionnement analogique, ces
approches sont difciles à objectiver et n’ont pas trouvé
place dans le DSM ou la CIM, à l’instar des névroses d’échec
et de destinée. Or, le repérage de ces constellations reste
indispensable pour comprendre des facteurs de résistance et
de chronicité et permettre de les aborder, même si leur trai-
tement demeure difcile, notamment en soin primaire [16].
La barrière thérapeutique liée au patient
« La crypte mélancolique »
Sous le terme de crypte mélancolique, Abraham et Torok [1],
ont décrit des traumatismes anciens, parfois durables, n’ayant
jamais fait l’objet d’une élaboration ou d’une prise en charge.
Ces traumatismes restent enkystés, comme une vésicule, dans
ce qui a été appelé une crypte mélancolique. Le contenu de
ces cryptes renferme souvent des traumatismes sexuels, des
attouchements ou des viols [19]. Il peut s’agir de traumatis-
mes physiques, de sévices, de coups. Enn, des éléments de
culpabilité pour des fautes réelles ou fantasmées, peuvent
également se retrouver. Ces traumatismes sont généralement
liés à des sentiments de honte, des vécus de faute, des per-
ceptions de culpabilité. Dans certains cas, ils ont été efeu-
rés. Le patient les a mentionnés mais de façon incidente, sans
les développer, leur approfondissement n’ayant pas été réa-
lisé. Dans d’autres cas, ils ont été soigneusement cachés, tus.
De manière formelle, on sait que des événements traumati-
ques sévères et cumulatifs favorisent les troubles de la
personnalité, au premier plan desquels les personnalités état-
limite. Lors de la prise en charge, il apparaît indispensable de
reprendre les circonstances des événements traumatiques,
leur vécu et leur retentissement à court et moyen termes.
Certaines cryptes restent si étroitement « défendues » qu’el-
les n’apparaissent que cachées derrière un premier souvenir
écran traumatique.
Gérard a fait la guerre d’Algérie ; il en a très peu parlé.
Lors de la guerre du Golfe, où il assiste aux images de
guerre dans le désert sur sa télévision, il débute une
dépression mélancolique résistant partiellement aux anti-
dépresseurs et à l’électro convulsivothérapie. Parmi les
événements de vie difciles qu’il décrit, on retrouve l’ar-
rachage d’une vigne plantée par son père et le sentiment
d’une culpabilité vis-à-vis de l’image de ce père décédé.
Ce n’est que tardivement que Gérard fera état d’actes de
torture, de sévices physiques qu’il a pu exercer sous ordre
de ses supérieurs quand il était militaire en Algérie et qui
ont parfois entraîné la mort. Il n’en a jamais parlé ; il en a
honte ; des images l’ont hanté. Ce souvenir reste caché
derrière les aspects de relation à son père.
« Le cramponnement à un objet interne »
Lorsque le processus de deuil se bloque, s’enraye, ceci
représente un facteur fréquent de dépression chronique ;
cet aspect a fait l’objet d’une relecture par Gédance [9],
depuis l’article initial de Freud sur le deuil dans la mélanco-
lie [7]. Le deuil concerne à l’origine une personne disparue
et, par un déplacement, une perte de fonction, de position
professionnelle, de richesse. Ces aspects sont source de
tristesse et de souffrance, de par la frustration, la décep-
tion et le sentiment d’abandon voire de rage qu’ils entraî-
nent chez celui qui les a perdus. La tristesse chronique,
l’idée de mort s’expliquent, le sujet ne se sent plus utile,
voire il se considère comme un « rien » en l’absence de ces
éléments. S’il accepte de renoncer à ces objets, au sens
large, il a l’impression d’être vide, creux, inexistant. Ces
liens de cramponnement à l’objet, prennent la place de son
être, de son moi. Ils ont une qualité narcissique qui donne
de l’énergie au sujet et qui domine les qualités propres de
la personne disparue ou de la situation. Ce lien à une per-
sonne qui l’a abandonné en mourant, à l’instar d’images
parentales, d’une relation sentimentale interrompue, d’une
situation professionnelle ou d’un conit, représente des
investissements narcissiques essentiels pour la personne.
Aude est une avocate reconnue dans son métier en
dépression sévère depuis le décès de son père, 3 ans aupa-
ravant. Ce père, pilote durant la guerre, héros de la résis-
tance a été fortement idéalisé. Aude et son frère cohabitent
dans la grande maison du père disparu. La succession
s’avère impossible du fait d’un conit sur le partage de la
maison entre son frère et elle. Ce conit réveille la riva-