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la mobilité est une affaire collective, ne serait-ce
qu’en raison des décisions politiques influant sur
l’urbanisme et, dès lors, sur les possibilités de re-
courir à un mode de transport plutôt qu’à un autre.
Le développement du transport collectif tient une
place de choix dans les orientations politiques
d’aménagement local du territoire. Bien que de
la responsabilité des collectivités territoriales, il
est cependant de plus en plus fréquent que ce
service soit délégué à des entreprises privées, en-
treprises de grande taille spécialisées dans la ré-
ponse aux appels d’offre publics dans le domaine.
La réponse au besoin se construit donc dans une
logique de partenariat public-privé. Ce partena-
riat peut cependant aller plus loin si l’enjeu est
de privilégier les modes de transport considé-
rés comme «doux» car impliquant une moindre
consommation énergétique. Ainsi des initiatives
de «
car sharing
» (auto-partage) se mettent en
place dans un nombre croissant d’aggloméra-
tions, selon des modalités organisationnelles
différentes. Ces initiatives participent du modèle
économique de l’économie de fonctionnalité, en
ce que les usagers ne sont pas propriétaires des
supports physiques leur permettant de répondre
au besoin qu’ils entendent satisfaire.
Parfois, ces initiatives sont le fait du privé, comme
cela a été le cas avec la société «Caisse com-
mune» à Paris. D’autres initiatives sont le fait des
régies de transport public, comme c’est le cas
à Turin, en Italie, avec CarCityClub. En Suisse,
des coopératives locales nées à l’initiative d’une
poignée de particuliers (à Stans, puis à Zurich) ont
fusionné en 1997 au profit d’une coopérative au
champ d’action national, Mobility. Les adhérents
à cette coopérative, bien que pouvant accéder à
une automobile, y ont beaucoup moins recours
que des individus propriétaires de leur véhicule
(un quart de leurs déplacements contre les trois
quarts pour ces derniers). Le recours aux trans-
ports en commun, à la marche à pied ou à la
bicyclette est donc favorisé par l’adhésion à ce
mode d’accès à l’automobile. L’étude menée pour
le compte de l’Office fédéral de l’énergie en 1998
montre que, pour assurer la mobilité de 1.000
personnes, on passe d’un besoin de 430 véhicules
à 280 véhicules. En 2001, un partenariat est signé
entre Mobility, Daimler-Benz et la Compagnie
helvétique des chemins de fer (CFF), avec notam-
ment des avantages financiers pour les membres
de Mobility souhaitant utiliser le train. En 2003,
l’ensemble des villes de 10.000 habitants ou plus
sont desservies par le système. Mobility comptait
environ 80.000 membres fin 2007.
Cet exemple nous apporte plusieurs éléments de
réflexion :
— le succès de Mobility est bien sûr lié à la moti-
vation de départ d’individus ayant l’intention de
changer les façons de répondre à un besoin, mus
à la fois par des considérations économiques et
écologiques. Néanmoins, la coopération entre
acteurs privés et publics a permis l’essor de
l’initiative et en a renforcé la trajectoire institu-
tionnelle (C. Cros, O. Godard, 1996), ce qui en fait
maintenant un pilier au niveau de la conception
nationale des moyens de répondre aux besoins de
mobilité de la population suisse.
— l’économie de fonctionnalité peut tout à fait se
développer en dehors du schéma tel que présenté
en première partie de ce chapitre, à savoir un
modèle d’interaction fondé sur la pure sphère
marchande. Ici, ce sont également les sphères
étatique et autonome qui gardent leur place et
sont importantes pour l’économie de l’ensemble.
— il serait important de comprendre ce que peut
être le poids d’un tel agencement institutionnel,
non seulement sur le basculement de la demande
vers des modes de transport plus doux, mais éga-
lement sur les besoins de mobilité pris de façon
absolue. En d’autres termes, les gains obtenus par
Mobility ne sont-ils pas compensés par l’exigence
individuelle d’une mobilité accrue d’un point de
vue quantitatif ?05 La question des déplacements,
soit pour des raisons professionnelles, soit pour
les loisirs, soit par rapport au tissu de relations
sociales de chacun, risque de demeurer entière si
la façon de concevoir les autres pans de l’activité
humaine n’est pas modifiée.
— bien que les systèmes de
Car Sharing
aient
tendance à s’orienter vers des véhicules automo-
biles moins dommageables que d’autres d’un point
de vue environnemental (des véhicules hybrides
notamment, comme dans le cas de CarCityClub à
Turin), aucun lien n’est encore fait quant à l’impact
plus général du service proposé sur l’environne-
ment et sur les sociétés humaines, notamment
en dehors de Suisse. Qu’en est-il notamment de
la production des véhicules ou de la production
des carburants ? Raisonner à l’aide de l’analyse
de métabolisme pourrait permettre d’établir un
diagnostic plus fiable de l’impact du service à
un niveau plus global et, partant, de susciter de
nouvelles pistes de réflexion pour réduire celui-ci.
Pour donner un exemple dans un autre domaine,
c’est à Zurich que l’on trouve exclusivement des
légumes issus d’agriculture biologique à la vente
dans de nombreuses «superettes» de quartier. Ces
légumes sont cependant emballés à l’unité dans
des films plastiques et leur distribution ne suit
absolument pas le rythme des saisons. Le bilan de
l’affaire, d’un point de vue global, paraît donc plus
que discutable, ce qui est classique sans une vision
systémique de la fonction «alimentation».
D’autres champs d’application ?
À l’instar de ce que nous venons de voir dans le
domaine de la mobilité, des montages institu-
tionnels fondés sur la coopération multi-acteurs
privés et publics peuvent être imaginés pour
répondre à d’autres besoins, de manière moins
dommageable pour la biosphère et pour les
populations d’autres parties du monde. Ainsi, les
grandes entreprises dans le secteur énergétique
se demandent ce qu’il peut en être du passage
d’un certain nombre de leurs activités vers un
modèle d’économie de fonctionnalité. Dans le
logement, cela pourrait consister à ne plus vendre
du kilowatt par heure (c'est-à-dire de l’énergie)
mais à vendre le niveau de confort souhaité par
l’habitant. Dans ce cas, ce n’est plus un produit
qui serait vendu mais la partie de la fonction
habitat liée à l’usage énergétique (principa-
lement le chauffage). La réflexion, pour être
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C’est la question classique
de l’effet rebond.