Chostakovitch à l`épreuve d`Ipsos Choses lues, vues, entendues

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« QUINTETTES AVEC PIANO »
Quatuor Malibran
Tatiana Samouil
Aki Sauliere violons
Tony Nys alto
Justus Grimm-violoncelle
Irina Lankova piano
Programme /
César Franck Quintette avec piano en fa mineur, FWV7
Dimitri Chostakovitch Quintette avec piano en sol mineur, op. 57
Chostakovitch à l’épreuve d’Ipsos
Thématique bien venue….A la suite des quintettes à cordes et piano d’Anton Dvorak et
Johannes Brahms, version 2015, voici ceux de César Franck et de Dimitri Chostakovitch.
A l’issue de ce concert, profitant de la disponibilité de quelques auditeurs retenus par une
soudaine ondée, j’ai poursuivi un interrogatoire commencé sur le parvis de l’église Saint-Luc
avant les trois coups.
Ces impressions spontanées, sans aucune valeur sondagiére, sont néanmoins instructives.
Si la majorité des mélomanes interrogés dit son enthousiasme pour la qualité des
interprétations, le charisme des musiciens, l’acoustique de cet auditorium consacré, d’autres
avouent avoir eu quelques a priori d’avant écoute, la musique de Chostakovitch étant
classée « contemporaine. » Il est vrai que cette œuvre, malgré son écriture entièrement
tonale, d’inspiration (post) romantique, peut rebuter par sa complexité et ses épisodes
« dissonants. »
Mais convaincus par la formidable éloquence du quintette Malibran, certains se dirent
heureux de la découverte d’un compositeur (du moins dans cette œuvre) accessible au plus
grand nombre. Côté « programmateur», voici un motif de fierté. Mission didactique
accomplie. La musique « classique » ne finit pas avec Debussy pas plus que celle « de notre
temps » ne se réduit aux œuvres de Boulez.
Provoquer la curiosité musicale : un sacerdoce peut-être, un devoir certainement.
Le Quintette Malibran, envoûtant
Tatiana Samouil, Aki Soulière, violons, Tony Nys, alto, Justus Grimm, violoncelle, fondent en
2008 le quatuor Malibran du nom de la célébrissime diva du début du 19 éme siècle, sœur
de Pauline Viardot, cantatrice mythique. Cet ensemble bénéficie de la présence d’Irina
Lankova, pianiste quand l’effectif le nécessite.
A cet ensemble, les Musicales du Luberon, doivent l’événement le plus réussi de cette
édition 2016.
Choses lues, vues, entendues.
Les chroniques de Gérard Abrial
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La musique comme catharsis ?
César Franck incarne le modèle absolu du créateur de la fin du 19 éme siècle, probe, digne,
altruiste, un rien compassé, garant des traditions nationales. Autant de vertus qui
contrastent violemment avec son quintette « hors cadre » traversé par de longues houles
sonores et une tension émotionnelle sidérante provoquant une manière d’apnée auditive.
Il se dit que le titulaire des orgues de Sainte-Clotilde, pour faire son deuil des souffrances
liées à une désillusion sentimentale, composa ce quintette.
Faut ‘il que cette rupture fut dévastatrice pour désinhiber un César Franck de nature
empesée et convenue. Au sujet de ce quintette, ce mot de Debussy, pour une fois, pas
acide : « Du paroxysme tout le temps. »
Freud qui ne s’intéressait pas à la musique (*) aurait cependant approuvé cet art comme
« libérateur de parole. » Question ? César Franck se serait-il allongé ?
(*) Passionnant : Schönberg et le temps de l’inconscient
http://revues.mshparisnord.org/filigrane/pdf/194.pdf
César Franck, un homme « hors de lui »
Il est rare qu’une œuvre, à ses toutes premières mesures, soient si dramatiques et
passionnées, à la limite de la saturation sonore, imposant à nos musiciens de se jeter à
corps perdu dans le vif de leur sujet. Hormis un piano parfois un peu submergé par les
cordes, malgré la véhémence et l’exacerbation des propos, la cohérence et l’intelligibilité
de cet ensemble, tout au long des cinq mouvements de cette œuvre, fut exemplaire.
Un des effets hypnotiques du quintette de Franck tient à un procédé de composition qui sera
sa signature : la forme cyclique dont l’équivalent se retrouve chez Wagner et ses leitmotive,
chez Liszt avec ses modifications thématiques ou chez Berlioz avec ses « idées fixes » Ces
répétitions de cellule, parfois subliminales, ont pour effet d’homogénéiser les composantes
du récit, et certainement, de susciter une écoute insinuante (la fameuse sonate en la majeur
de ce point de vue est irrésistible). La noirceur de la partition de Franck, « un combat contre
les ombres » (Jean Gallois)
Chostakovitch en proie à ses démons
S’agissant de Chostakovitch, au risque d’être accusé de divagation, le mot de catharsis me
revient à l’esprit. Si la musique depuis la nuit des temps a pu servir d’exutoire à de nombreux
compositeurs, le musicien soviétique, plus que tout autre, semble nous prendre à témoin de
ses terribles tourments et de sa terreur de tomber sous les balles du tyran.(**)
Une musique presque « verbale » tant elle est expressive.
Ce quintette, de conception particulièrement composite, fait entendre des inspirations
baroques, classiques, romantiques, des accents russes et occidentaux, des insinuations
populaires…tout en maintenant une parfaite cohésion.
Le grain sonore des archets, si dense, si âpre parfois, converse avec un piano aux contrastes
saisissants, accents rageurs d’une part et douces effusions de l’autre.
Concentrés parfois en une seule phrase, on y perçoit des aveux tristes, mélancoliques mais
aussi d’autres, exubérants et euphoriques. Désolation, contemplation, puis soudain, éclats
d’espoir…la musique de Chostakovitch, malgré le joug et la menace, est la plus libre qui soit.
Allusive à divers degrés, sarcastique, parfois dissonante, cette oeuvre témoigne des
obsessions paranoïaques de Chostakovitch. Ses pires ennemis, les « Ubu-rois » du Kremlin
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seront in fine, rejetés dans le cloaque de l’histoire et l’œuvre monumentale de
Chostakovitch sera promise à l’immortalité. Morale sauve.
Tout au long de ces deux œuvres, les Malibran les auront pris au corps, creusant et
restituant le substrat de celles-ci, au prix d’une intense concentration, d’un total
engagement.
Ne pas réinviter cet ensemble en 2017 serait une faute morale. Pétition en cours.
(*) « La mort résout tous les problèmes : pas d’hommes, pas de problèmes. » Joseph Staline
Chronique Littéraire et musicale.
Julian Barnes Le Fracas du temps
Avril 2016
Mercure de France 208 p.
On n’attendait pas le romancier britannique Julian Barnes, auteur de l’admirable Perroquet
de Flaubert (Prix Médicis 1996) biographe de Dmitri Chostakovitch.
Lu avec avidité, à la veille de l’exécution de son Quintette par le quatuor Malibran, cet
ouvrage tombe à point nommé. Cette chronique s’attache à relater les épisodes majeurs de
la vie du compositeur au temps de Staline jusqu’au règne de Brejnev.
Réalisme saisissant.
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