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La musique comme catharsis ?
César Franck incarne le modèle absolu du créateur de la fin du 19 éme siècle, probe, digne,
altruiste, un rien compassé, garant des traditions nationales. Autant de vertus qui
contrastent violemment avec son quintette « hors cadre » traversé par de longues houles
sonores et une tension émotionnelle sidérante provoquant une manière d’apnée auditive.
Il se dit que le titulaire des orgues de Sainte-Clotilde, pour faire son deuil des souffrances
liées à une désillusion sentimentale, composa ce quintette.
Faut ‘il que cette rupture fut dévastatrice pour désinhiber un César Franck de nature
empesée et convenue. Au sujet de ce quintette, ce mot de Debussy, pour une fois, pas
acide : « Du paroxysme tout le temps. »
Freud qui ne s’intéressait pas à la musique (*) aurait cependant approuvé cet art comme
« libérateur de parole. » Question ? César Franck se serait-il allongé ?
(*) Passionnant : Schönberg et le temps de l’inconscient
http://revues.mshparisnord.org/filigrane/pdf/194.pdf
César Franck, un homme « hors de lui »
Il est rare qu’une œuvre, à ses toutes premières mesures, soient si dramatiques et
passionnées, à la limite de la saturation sonore, imposant à nos musiciens de se jeter à
corps perdu dans le vif de leur sujet. Hormis un piano parfois un peu submergé par les
cordes, malgré la véhémence et l’exacerbation des propos, la cohérence et l’intelligibilité
de cet ensemble, tout au long des cinq mouvements de cette œuvre, fut exemplaire.
Un des effets hypnotiques du quintette de Franck tient à un procédé de composition qui sera
sa signature : la forme cyclique dont l’équivalent se retrouve chez Wagner et ses leitmotive,
chez Liszt avec ses modifications thématiques ou chez Berlioz avec ses « idées fixes » Ces
répétitions de cellule, parfois subliminales, ont pour effet d’homogénéiser les composantes
du récit, et certainement, de susciter une écoute insinuante (la fameuse sonate en la majeur
de ce point de vue est irrésistible). La noirceur de la partition de Franck, « un combat contre
les ombres » (Jean Gallois)
Chostakovitch en proie à ses démons
S’agissant de Chostakovitch, au risque d’être accusé de divagation, le mot de catharsis me
revient à l’esprit. Si la musique depuis la nuit des temps a pu servir d’exutoire à de nombreux
compositeurs, le musicien soviétique, plus que tout autre, semble nous prendre à témoin de
ses terribles tourments et de sa terreur de tomber sous les balles du tyran.(**)
Une musique presque « verbale » tant elle est expressive.
Ce quintette, de conception particulièrement composite, fait entendre des inspirations
baroques, classiques, romantiques, des accents russes et occidentaux, des insinuations
populaires…tout en maintenant une parfaite cohésion.
Le grain sonore des archets, si dense, si âpre parfois, converse avec un piano aux contrastes
saisissants, accents rageurs d’une part et douces effusions de l’autre.
Concentrés parfois en une seule phrase, on y perçoit des aveux tristes, mélancoliques mais
aussi d’autres, exubérants et euphoriques. Désolation, contemplation, puis soudain, éclats
d’espoir…la musique de Chostakovitch, malgré le joug et la menace, est la plus libre qui soit.
Allusive à divers degrés, sarcastique, parfois dissonante, cette oeuvre témoigne des
obsessions paranoïaques de Chostakovitch. Ses pires ennemis, les « Ubu-rois » du Kremlin