Transition nutritionnelle Dossier préparé par Dr Maryse Hamelin Raynaud (janvier 2009) 1. Transition nutritionnelle : Caractéristiques La transition nutritionnelle se réfère au passage dʼune alimentation monotone, mais riche en amidon et fibres, faible en gras et dʼune vie physiquement active à une alimentation plus diversifiée mais riche en sucres, en graisses animales saturées et en aliments usinés, faible en fruits, légumes et fibres et à un mode vie sédentaire. Cette étape classiquement décrite comme «occidentalisation» des comportements est propice aux maladies métaboliques de surcharge obésité, hypertension artérielle, dyslipidémies et diabète -, aux maladies cardiovasculaires et à certains cancers. Les spaghettis en Amazonie, complément ou substitut du manioc. Source : E.Katz@IRD Cette phase nʼest probablement quʼintermédiaire, du moins faut-il lʼespérer, dans lʼévolution des modes alimentaires et de vie. Lʼétape ultime sera atteinte avec lʼadoption de comportements plus propices à la santé: alimentation diversifiée, riche en fibres, fruits et légumes, pauvre en gras animal saturé, améliorée en acides gras polyinsaturés et réduite en sel, associée à une activité physique permettant de maintenir le poids (WHO-FAO 2003). En lʼétat actuel et en ne considérant que les seuls pays industrialisés, un tel mode de vie nʼest adopté que par une faible proportion dʼindividus. 1 Le terme de «transition nutritionnelle» est plus volontiers réservé aux changements rapides que connaissent les populations des pays en développement ou les migrants des pays en développement vers les pays développés. Sur le continuum de la transition, toutes les populations et en leur sein les différents groupes nʼen sont pas au même point et ne se déplacent à la même vitesse. Les pays industrialisés ont vécu une transformation de leur mode de vie qui sʼest opérée sur plusieurs générations. La transition nutritionnelle qui touche les pays en développement est fondamentalement différente: elle sʼinstalle à un moment de leur développement encore marqué par la malnutrition due à des carences générales ou spécifiques et elle est poussée par des forces puissantes, la mondialisation et lʼurbanisation. 2. Transition nutritionnelle: Entre transition démographique et transition épidémiologique Barry. M. Popkin a le premier décrit la transition nutritionnelle comme le processus qui lie la transition démographique à la transition épidémiologique (Popkin 1993 - Popkin et al 2002). La transition épidémiologique (Omran 1971) désigne le changement dʼun tableau dominé par les maladies transmissibles à un tableau où prédominent les maladies chroniques non transmissibles. La transition démographique explique partiellement le déplacement du fardeau sanitaire vers les maladies chroniques Avec lʼamélioration des systèmes de santé publique, de lʼhygiène, des conditions de vie, de la production agricole et plus globalement du développement économique, la mortalité infanto-juvénile diminue, les famines disparaissent, les adultes mieux nourris résistent davantage aux infections et lʼespérance de vie augmente. La population vieillit et devient de ce simple fait plus à risque de développer des maladies chroniques dégénératives. Robert Fogel, prix Nobel dʼéconomie, a remarquablement analysé la relation entre lʼévolution séculaire de la stature et du poids et le risque de mortalité dans diverses populations (Fogel 1997). La stature et le poids sont des indicateurs de lʼétat nutritionnel et dʼexcellents révélateurs du développement socio-économique des populations. En France, entre 1705 et 1975, lʼallongement de lʼespérance de vie a été positivement associé à lʼaugmentation de lʼindice de masse corporelle (IMC). Cette augmentation de lʼIMC a été le fait dʼun gain combiné du poids et de la stature. Lʼaugmentation simultanée du poids et de la taille reflète lʼamélioration de la nutrition infantile et des conditions socio-économiques, donc la lutte réussie contre la malnutrition et lʼatteinte dʼun développement physique qui augmente la productivité et protège dʼune mort prématurée. 2 Dans les pays en développement, la transition démographique a débuté au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Lʼespérance de vie y augmente lentement. La mortalité infanto-juvénile comme maternelle reste élevée, les états carentiels et les infections étant mal contrôlés. Robert Fogel a modélisé lʼévolution de lʼIMC dans les pays en développement au cours du XXème siècle à partir de certaines données disponibles et de la tendance qui aurait été observée en Occident si la malnutrition était restée au niveau où elle est actuellement dans le monde en développement. Lʼéconomiste estime quʼen un siècle, lʼIMC moyen a aussi augmenté. Cependant, lʼaugmentation est davantage le fait dʼun gain de poids que dʼun gain de la stature. Lʼatteinte dʼun poids normal sans augmentation conjointe de la stature confère une réduction de la mortalité nettement moins importante que celle qui est observée à IMC égal dans les pays industrialisés (Fogel 1997). Cette dissociation reflète la malnutrition chronique de lʼenfance, laquelle se traduit par un déficit de croissance staturale et témoigne de la faible amélioration des conditions socio-économiques. Dans ces conditions, lʼaugmentation du poids au-delà de la normale potentialisera le risque lié à la petite stature. 3 La transition nutritionnelle touche des populations à un stade différent de la transition démographique Dans les pays industrialisés, le processus de changement dʼalimentation et de mode de vie a débuté il y a plusieurs générations, à un stade déjà avancé de la transition démographique. La clé de la réduction de la mortalité et de la morbidité associées aux maladies chroniques se trouve dans le contrôle des facteurs de surcharge métabolique et principalement le contrôle du poids. Dans les pays en développement, la transition nutritionnelle est un processus récent, datant de moins dʼune génération; elle en en outre extrêmement rapide. Elle touche de plein fouet des populations qui en sont aux premiers stades de la transition démographique. Des populations dʼadultes jeunes qui nʼont pas atteint leur potentiel génétique optimal de croissance sont maintenant confrontées à un profond changement de leurs habitudes alimentaires et de leur mode de vie. On voit donc combien les effets de la transition nutritionnelle sont potentiellement néfastes pour les générations présentes et futures. Deux ennemis sont à combattre simultanément dans une perspective intergénérationnelle: dʼune part, la malnutrition infanto-juvénile et maternelle et de lʼautre, la dysnutrition entraînant une surcharge métabolique. Lutter contre le double fardeau de la nutrition diminuera le fardeau présent des maladies chroniques et augmentera la longévité en santé des générations futures. 3. Mondialisation et urbanisation: Moteurs de la transition nutritionnelle La mondialisation joue un rôle dans l’uniformisation de certaines pratiques alimentaires Elle intensifie la circulation des marchandises, des technologies, du capital et de lʼinformation; les techniques de mise en marché et de distribution se globalisent. Source : www.7sur7.be Dʼaprès Barry. M. Popkin, la transition nutritionnelle débute typiquement par une forte augmentation de la consommation dʼhuile végétale en raison dʼune augmentation importante de la production et dʼune diminution des prix sur le marché mondial. Puis on assiste à une forte augmentation de la consommation de sucre ajouté, notamment dans les boissons gazeuses. 4 La demande en denrées animales (viande, poisson, lait) sʼaccroît sans cesse, ce qui a pour effet de modifier le marché des céréales dont une partie est destinée à lʼélevage lequel contribue à dégrader lʼenvironnement (Popkin 2002). À la fois cause et conséquence de la demande, lʼoffre mondiale se modifie: développement dʼune production agricole intensive, évolution des technologies et biotechnologies alimentaires et restructuration du marché de détail avec apparition des supermarchés et de la restauration rapide (FAO 2004). L’urbanisation est le vecteur de la mondialisation Depuis toujours, la ville est un lieu de concentration, de flux et dʼéchanges humains et économiques ouvert sur le monde. Dans les pays en développement, lʼurbanisation rapide nʼobéit pas au schéma de développement des villes des pays industrialisés. La croissance des villes nʼest plus fonction du développement économique. Flux migratoire dʼorigine rurale incontrôlé, absence dʼinfrastructures pour accompagner la concentration Alimentation de rue (Mexique) humaine exponentielle et manque de Photo : Adriana Zehbrauskas. moyens pour une bonne Source : The New York Times juin 2005 gouvernance urbaine génèrent inégalités et pauvreté. En 2007, plus de 50% de la population mondiale vivait en ville. Le taux annuel dʼurbanisation est estimé globalement à 0,8% et à 1,6% en Afrique subsaharienne. En 2015, une ville comme Lagos au Nigeria aura plus de 20 millions dʼhabitants et les villes de plus de 15 millions dʼhabitants, à lʼexception de New York et de Tokyo, se se trouveront dans les pays en développement. Pour 2020, 46% des habitants dʼAfrique subsaharienne, 46% de ceux de la zone Asie-Pacifique et 81% des habitants dʼ lʼAmérique latine-Caraïbes vivront en ville. Qui plus est, entre 30% et 60% des citadins des pays en développement vivent dans des conditions dʼextrême pauvreté (UN-habitat 2001). Lʼurbanisation, vecteur de la mondialisation, est le principal moteur de lʼévolution des styles alimentaires. Mais parce quʼelle concentre inégalités et pauvreté elle est le terrain propice au développement du double fardeau de la dysnutrition. Typiquement, le citadin des pays en développement est sédentaire. Sa consommation tend vers plus de viande, de sel, de sucre, dʼhuile, de produits laitiers et de produits industriels transformés. Il se détourne des denrées de base traditionnelles et son apport 5 de fibres baisse en conséquence. Les fruits et légumes, qui sont souvent destinés en priorité à lʼexportation, peuvent être coûteux. De nombreux repas sont pris en dehors du domicile. Lʼalimentation de rue est omniprésente en ville. Parfois de qualité nutritionnelle et hygiénique sous-optimale, elle est néanmoins commode et surtout peu chère. Elle répond aux besoins non seulement des citadins qui travaillent, mais aussi des familles pauvres qui faute de système de cuisson ou de conservation dans leur logement y ont souvent recours. Lʼalimentation de rue représente pourtant une source précieuse de revenu pour nombre de femmes. Ce tableau alimentaire est hautement favorable aux maladies de surcharge. On ne peut cependant occulter le fait que malgré tout lʼalimentation urbaine est généralement plus diversifiée que lʼalimentation rurale, grâce à une offre alimentaire variée et à la diffusion des produits et pratiques alimentaires venant de lʼextérieur. Les populations urbaines dépendent quasi-exclusivement de leur pouvoir dʼachat pour se nourrir. En conséquence, une famille pauvre peut ne pas pouvoir accéder à une alimentation variée et diversifiée et à lʼinverse, une famille riche y aura accès au-delà du nécessaire. La transition nutritionnelle ne peut se résumer en un simple mimétisme des habitudes occidentales de consommation Au Bénin, Roger Sodjinou a montré que les habitudes alimentaires traditionnelles se maintiennent en ville, mais que sʼy ajoutent simplement des produits typiquement urbains ou typiquement occidentaux (Sodjinou 2007). Agriculture urbaine à Accra (Ghana) Photo : Monica Rucki. Source CRDI www.idrc.ca/fr Il nʼest pas si irréaliste ni trop tard pour réorienter la transition nutritionnelle en réhabilitant une alimentation traditionnelle améliorée et en renforçant sa diversification. 6 Références • FAO. Globalization of food systems in developing countries: Impact on food security and nutrition. Rome. Food and Nutrtion Paper 83. 2004 • Fogel R W. The global struggle to escape from chronic malnutrition since 1700. Proceedings of the World Food Programme/ United nations University. Rome. Italy 1997. http://www.wfp.org/policies/policy/background/ending/s2.html • Omran A. The epidemiologic transition: A theory of the epidemiology of population change. Milbank Mem Fund Q 1971; 49(4): 509-38 • WHO-FAO. Expert Consultation.The global burden of chronic disease. In: Diet, nutrition and the prevention of chronic diseases. Geneva: WHO Technical Report Series N°916. 2003 • Popkin BM. Nutritional patterns and transitions. Popul Dev Rev 1993; 19: 138-57 • Popkin BM. The shift in changes of the nutrition transition in the developing world differ from past experiences. Pub Health Nut 2002; 5 (Suppl 1A): 205-142002 • Sodjinou R, Agueh V, Fayomi B and Delisle H. Dietary patterns of urban adults in Benin: relationship with overall diet quality and socio-demographic characteristics. Europ J Clin Nutr 2007. Doi: 10.1038/sj.ejcn 1602906 • UN-HABITAT. Cities in a globalizing world. Global Report on Human Settlements. United Nations Center for Human Settlements (Habitat). 2001. Le document complet peut être téléchargé gratuitement à partir du site : http://www.unhabitat.org/pmss/getPage.asp?page=bookView&book=1618 7