Compte rendu du séminaire du FIP du mardi 4 Avril En route vers l’ordinateur quantique ? Denis Vion (CEA Saclay) Rapporteurs : Pons Adeline et Godfroy Quentin La physique quantique recèle de richesses impensables en physique classique, comme l’ « enchevêtrement quantique d'états », ressource qui pourrait être exploitée pour traiter l'information bien plus efficacement qu'avec les méthodes actuelles. L’invention d'algorithmes quantiques a ainsi conduit au rêve d'un ordinateur quantique capable d'effectuer des calculs hors de portée des ordinateurs « classiques » présents et futurs. Malheureusement, la disparition rapide des états enchevêtrés d'un système, ou "décohérence", fait de la réalisation de l'ordinateur quantique un véritable défi. De nombreux groupes de recherche tentent de le relever en utilisant comme éléments mémoires de base, encore appelés « bits quantiques », des atomes, ions ou électrons isolés, des spins nucléaires, ou même des objets solides macroscopiques comme les circuits électriques quantiques développés par les chercheurs du laboratoire de CEA de Saclay. I. De l’ordinateur classique à l’ordinateur quantique : L’ordinateur classique : Un ordinateur classique, est une machine qui en entrée reçoit un signal en bits (composé de 0 et 1) et donne en sortie un autre signal traité à l’aide d’un algorithme (réseau de portes logiques). En 1937, Turing a montré que tout ordinateur pouvait être remplacé par un ordinateur universel moyennant l’ajout de log 2 ( N ) bits ce qui donne un ralentissement polynomial. n=Log2(N) 0 1 0 0 1 1 0 1 T (N états) 0 1 0 0 1 1 001 0 1 01 Turing (1937) U ralentissement poly(n) Mais, cet ordinateur peut entrer dans une boucle infinie qui le fait planter. Pour pallier à ce problème, on rajoute des codes correcteurs comme les bits de parité. Vers l’ordinateur quantique : Grâce à l’interférométrie Mach-Zender d’un photon unique (possible seulement depuis 5 ans), on montre qu’un photon peut parcourir deux chemins différents au sens des interférences. Le photon est dans une superposition de plusieurs états, mais qu’on effectue une mesure, on détruit la cohérence. Unité élémentaire d’information quantique : le qubit ax = 0 mesure projective : |0> avec la probabilité |α|² ou |1> avec la probabilité |β|² θ cos e 2 − iϕ 2 0 + sin θ 2 e + iϕ 2 1 z 0 Un qubit peut être représenté dans la sphère de Bloch. Par contre, la duplication d’un qubit est impossible et la mesure ne donne accès qu’à un seul des coefficients (d’après le théorème de projection). En physique quantique, les portes logiques sont des opérateurs unitaires (composition de rotations). θ ϕ x 1 y Par rapport aux bits classique, le contenu informationnel est le même, mais l’intérêt du qubit repose sur sa capacité à être enchevêtré et donc à faire toutes les opérations en même temps. L’ordinateur quantique : C’est un ensemble de N qubit, ce qui fournit une base de 2 N états. n 010001...1 = p De même, il existe un ordinateur quantique universel qui permet de simuler n’importe quel système à deux niveaux. Ici aussi, on représente les algorithmes par un réseau de portes logiques mais qui s’appliquent à tous les états en même temps. Par contre, cette physique étant régie par un hamiltonien, le nombre d’entrées et de sorties doit être le même afin d’assurer la réversibilité du système. A l’heure actuelle, les théoriciens n’ont trouvé que deux algorithmes viables. L’un d’eux sert à déterminer la période d’une fonction : méthode de Shor (1994). L’algorithme utilise la mécanique quantique pour sélectionner tous les x° tels que f(x°)=f° (f° quelconque). La différence entre deux x° est un multiple de la période qui est alors déterminé par un algorithme classique. L’application principale est la factorisation des grands nombres qui intéresse les cryptographes. En effet, le temps de décryptage avec un ordinateur classique augmente exponentiellement avec la taille de la clef, tandis que avec un ordinateur quantique, il augmente polynomialement. Le gros problème des machines quantiques, est la décohérence : en effet, il est dur de maintenir la superposition des états. Cette décohérence est provoquée par deux phénomènes : - « la mort subite » (projection du système sur un état : ax = 0 ) dû à des effets de découplages et de relaxations - la dérive de phase due à des degrés de liberté que l’on ne maitrise pas iϕ x x reg = ∑ a e x = 0110...010 2 dangers : mort maladie: subite dérive de ϕx II . Réalisation des bits et processeurs quantiques : Deux méthodes sont adoptées, soit on utilise des systèmes déjà quantiques que l’on tente de maitriser (ions, atomes froids, molécules spinales...), soit on fabrique des systèmes quantiques plus gros. La plus belle réussite a été obtenue grâce à une molécule spinale : elle a permis de factoriser 15, le tout en 5 s ! Dans cette méthode, chaque molécule équivaut à un ordinateur quantique. Qubits supraconducteurs : C’est ce qui est étudié à Saclay. Dans un supraconducteur, il se forme des paires d’électrons (paires de Cooper) qui forment un condensat de Bose-Einstein à basse température. A cette température, l’agitation thermique est plus faible que la différence d’énergie entre le fondamental et le premier niveau excité, de telle sorte que le système est peu perturbé par l’extérieur et donc peu sujet à la décohérence. En mettant deux supraconducteurs à proximité, on réalise une jonction Josephson. Quantronium : φ îlot supra. réservoir N̂ Son principe est de faire passer des paires de Cooper d’un supraconducteur à l’autre par le biais de jonctions Josephson soumises à un potentiel, ce qui crée une différence à la neutralité. Ce système est caractérisé par deux paramètres : -N=nombre de paires de Cooper ayant migré. -θ=phase supraconductrice de l’îlot, c’est la variable conjuguée de N. Le système est piloté par : -Φ=le flux magnétique qui traverse la boucle de courant. - N g = le nombre de paires de Cooper en excès imposé par le potentiel U (on ne peut avoir que des nombres entier de paires (N), mais N g n’est pas entier). ˆ = E (N ˆ − N ) 2 − E cosφcosθˆ Le hamiltonien du système vaut : H c g J Le premier terme est assimilable à une énergie cinétique et le deuxième à une énergie potentielle : le système agit comme un gros atome avec un effet Zeeman et un effet Stark grands. Mais ceci ne marche qu’à froid, car les fréquences de transition sont de l’ordre de la dizaine de GHz. Tout ce passe donc comme avec un système atomique, on utilise les méthodes de la physique atomiques : les tensions micro-ondes étant l’analogue des excitations au LASER. La lecture s’effectue par disjonction de seuil. Fabrication du quantronium : Cela se réalise par lithographie électronique sur une double couche de PMMA, l’une dure, l’autre molle, ceci afin de réaliser un masque comme en suspens au dessus du substrat de SiO2 suivie d’un dépôt d’Al par évaporation sous deux angles différents. Les recouvrements servent de jonctions Josephson. Il réagit comme un atome de qualité moyenne. Et grâce à l’interférométrie Ramsey, on a réalisé une porte NOT. En se plaçant au point scelle de cheval de l’énergie de transition, on arrive à augmenter la durée de décohérence jusqu’à 500 ns et éviter la mort subite jusqu’à 2µs. Perspectives : L’ordinateur n’arrivera pas avant longtemps (Steane en 1997 parlait de 20 ans…). Les perspectives réalistes, sont de réaliser une porte SWAP en couplant deux quantriniums.