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Monde chinois, Été 2010, n° 22
D’un point de vue strictement juridique, les
réformes pourraient se présenter sous la forme
de nouvelles catégories nationales de servitudes
d’utilité publique, pour utiliser le jargon du
droit français de l’urbanisme. Comme il existe
de toute évidence, dans la culture architecturale
et urbanistique chinoise, une forte tradition de
scientisme et de fonctionnalisme, il n’est pas à
exclure que des écoles de pensée réussissent à
diffuser, dans les villes et les campagnes, l’idée
qu’il existe des règles de bonne composition
urbaine, auxquelles nul ne saurait déroger. Des
textes pourraient intervenir pour les préciser
et les rendre opposables à tout un chacun.
Nombreuses ont été les communications, lors
du 3e Forum France-Chine à Tianjin, à aller
dans ce sens. L’impression domine aussi que
le droit de l’urbanisme appelé à se mettre en
place va désormais puiser son inspiration
dans le droit de l’aménagement du territoire,
puisqu’il vise essentiellement à résoudre « en
amont » les problèmes du monde rural confronté
au phénomène sans précédent de l’explosion
urbaine.
Tel ou tel orateur, sensible au triste sort
réservé aux paysans sans terre, a ainsi évoqué
la nécessité d’avoir des emplacements réservés
pour l’agriculture urbaine au sein même des
périmètres urbains, ou l’obligation de mettre en
œuvre une politique locale de réserves foncières
en leur faveur. Et tel ou tel autre, sans doute
sensible aux attraits d’une voie d’urbanisation
« à la chinoise » de rappeler le devoir de respect
à l'égard du patrimoine architectural historique
et des modes traditionnels de composition
urbaine, comme les hutong à Pékin – ces ruelles
si pittoresques, en plein cœur des villes et même
à deux pas de la Cité interdite.
Retrouvant précisément notre huron qui errait
dans les parages de ce haut lieu de l’histoire
de l’empire du Milieu, celui-ci nous a donné
l’impression qu’il espérait, à l’instar de son
illustre prédécesseur venu se prosterner face
contre terre dans la cour du Palais-Royal à
Paris, ne pas avoir à regretter, pour employer la
formule jurisprudentielle bien connue, quelque
nouvelle « erreur manifeste d’appréciation »
dans les réformes urbanistiques et foncières à
venir…
1. Jean Rivero, « Le huron au palais royal ou réflexions naïves sur le
recours pour excès de pouvoir », 1962, chron., p. 37.
2. Université du Commerce (Tianjin) - Maison des Sciences de
l’Homme (Paris), "The Third Sino-France Forum - Sustainable
Urbanization and Land Resources", Tianjin, 14-19 septembre 2009.
3. Pour plus de précisions sur le statut et les conditions de
fonctionnement des deux dernières formes de collectivités
territoriales spécifiques, voir dans les Actes du 3e Forum France-
Chine les contributions de Liu Shuangliang : "On economic growth
and economical intensive land utilization of industrial construction
projects in Beijing Economic-Technological Development area",
pp. 152-159 ; et celle de Lin Yunlian & Wang Royan sur "Study on
transition from industrial parks to Eco-Industrial Parks in open
coastal economic area of China", pp. 409-414.
4. L'importance du rôle des acteurs locaux s'inscrit dans une tradition
remontant au début des années 1980. Voir notamment sur ce point
les excellentes remarques de François Gipouloux sur « la délégation
des pouvoirs de l'administration économique à l'échelon local », ou
encore « l'économie de fief » et « le protectionnisme local », dans
son ouvrage La Méditerranée asiatique, Villes portuaires et réseaux
marchands en Chine, Japon et Asie du Sud-Est XVIe-XXIe siècle, CNRS
Éditions, janvier 2009, pp. 340- 351.
5. Sur la détermination du prix des terrains urbains, voir Sun Yu
(Présidente de l’École d’administration publique de l’université du
commerce de Tianjin), Yang Wei et Yao Xiao Dong : "The discussion
about the relationship between land pricing and lay out", in Actes du
3e Forum France-Chine, pp. 81-86.
6. Li Yongjun, "Land management policy implementation : Top-
down Government-led model perspective", in Actes du 3e forum
France-Chine, pp. 426-432. De son côté, François Gipouloux, dans
son étude précédemment citée, n'hésite pas à utiliser l'expression de
« balkanisation juridique » pour évoquer le rôle des acteurs locaux.
Ainsi écrit-il : « gouverner le pays selon la loi [...] est certes un impératif
dont la légitimité est en Chine nettement plus affirmée après trois
décennies de réformes. Mais le protectionnisme juridique, c'est-à-
dire les interférences des autorités locales pour faire obstruction à
l'exécution des lois, a prospéré », op. cit., p. 351.
7. Tout récemment Le Monde a relaté le cas de paysans chinois
qui « se mobilisent en faveur du meurtrier d’un cadre corrompu »,
indiquant que, « en Chine, dans les zones rurales où les émeutes
se multiplient, les villageois n’hésitent plus à contester la toute-
puissance des potentats locaux et de la police », 28 janvier 2010.
8. Pour une présentation générale de cette nouvelle loi sur
l’urbanisme, voir la contribution de Liu Wun et Peng Chong au 3e
Forum France-Chine : "The impact analysis of the Town and Country
Planning Act on the smart growth of Chinese small cities : Case
study of Lianjang town’s master plan", pp. 236-243.
Cet article est paru dans le numéro 144 (mars-avril 2010) de la revue
Études foncières éditée par l'Adef.