Dialogue interdisciplinaire ? De l’intérêt de l’anthropologie sociale et culturelle
dans l’analyse du vieillissement chez les Sénégalais à Marseille.
L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010
Ceci nous conduit à formuler l’hypothèse selon laquelle les Sénégalais
âgés vivant à Marseille sont dans une forme de déconnexion institutionnelle
qui se traduit par un accès limité aux structures de santé. Il semble en
effet que, parmi les Sénégalais qui font le choix de rester en France,
certains d’entre eux vivent dans des conditions acceptables (dans une
maison et sont régulièrement visités par leur famille), tandis que d’autres
se retrouvent en situation d’exclusion sociale ou d’isolement. Ainsi, aux
problèmes liés aux mauvaises conditions de logement (hôtels meublés,
foyers) et au faible niveau de revenus, se superposent d’autres contraintes
exacerbées par le vieillissement à savoir une mauvaise santé et un
isolement dû au détachement du monde du travail. Ainsi que l’écrivait
E. Temine, commentant l’oeuvre d’A. Sayad parlant de la mystication
de la condition d’émigré : « On y échappe [à la mystication] tout
naturellement lorsque l’on s’établit durablement, lorsque se rompent,
les uns après les autres, les liens qui rattachent à la condition d’origine,
lorsque les liens familiaux se distendent, tout cela est bien connu…
on y échappe aussi plus simplement quand on perd cette condition
de travailleur » (Temine 1999 :272). En effet, au l du temps, surtout
au moment de la retraite, les réseaux de solidarité et de sociabilité
s’effritent parce que basés sur la condition de travailleur et un certain
pouvoir économique.
Pour faire face à l’exclusion et à l’isolement, la plupart des Sénégalais
s’investissent dans les associations culturelles et religieuses où
des formes de sociabilités primaires (prise de repas en groupe,
organisation de groupes de prières, etc.) sont encore maintenues.
Cependant, bien que certains soient dans des conditions de vie
difciles en foyer, la plupart des Sénégalais refusent l’idée de
vivre en maison de retraite. En effet, ces dernières sont perçues
comme déshumanisantes et très éloignées de la réalité culturelle
sénégalaise car renforçant l’image négative et l’inutilité du vieux
à écarter de la vie sociale. Cette image négative de la personne
âgée est très éloignée de la perception d’un vieux valorisé,
vivant en famille et bénéciant d’un statut social privilégié du
fait de son âge. Ce statut social privilégié est renforcé dans le
pays d’origine par le pouvoir économique réel ou supposé du
migrant.
En dénitive, les modes de vie des Sénégalais âgés à Marseille sont
marqués par une forme de migration alternative du fait des allers
retours réguliers entre leur pays d’origine et leur société d’accueil.
Ils se situent ainsi dans un double registre de références identitaires
et culturelles : ils sont doublement valorisés au Sénégal par la
migration, signe de réussite sociale et par leur pouvoir économique
mais déclassés et souvent isolés en France.
Références bibliographiques
ATTIAS-DONFUT (C.) 2006, L’enracinement. Enquête sur le
vieillissement des immigrés en France. Armand Colin, Paris, 357 p.
CHAPUIS-LUCCIANI (N.), CRENN (C.), SIGNATÉ (A.), HANE (F.),
MACIA (E.), COUMÉ (M.), SALIBA-SERRE (B.), BOETSCH (G.),
GUEYE (L.) 2008, État de santé et mode de vie des Sénégalais âgés
Comparaison selon leur lieu de vie, rural et urbain au Sénégal, et urbain
en France. Actes du Congrès national des Observatoires régionaux
de la Santé 2008. « Les inégalités de santé. Nouveaux savoirs,
nouveaux enjeux politiques ». www.congresors-inegalitesdesante.fr
TEMINE (E.) 1999, Comprendre l’immigration. Quelques notes en
mémoire d’Abdelmaleek Sayad, un sociologue hors du commun.
Revue du Monde Musulman et de la méditerranée, N°85-87 : 265-
273.
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Fatoumata HANE
Enseignante Chercheure
- UMR 912 SE4S «Sciences économiques et sociales, Sociétés et Santé» (Marseille, Dakar)
IRD/ ANRS
- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; CNRS (France) - Université Cheikh Anta
Diop (Dakar, Sénégal) - CNRST (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako
(Mali)
Assistante à l’Université de Ziguinchor (Sénégal)
L’auteur