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I Présentation
I.1 La grammaire de Construction
Les grammaires de construction s’inscrivent dans le paradigme général de la
Grammaire Cognitive (par ex. L
ANGACKER
, 1987, L
AKOFF
, 1987, C
ROFT
& C
RUSE
, 2004).
Dans cette conception, les unités linguistiques sont essentiellement symboliques ; autrement
dit, les niveaux syntaxiques et sémantiques sont confondus : forme et signification sont
fortement imbriquées. Cette imbrication a surtout été développée par les travaux de F
ILLMORE
& et ali., 1988, puis par ceux de G
OLDBERG
, 1995, qui relèvent que certaines structures sont
dédiées à des types d’emplois particuliers : elles sont donc par elles-mêmes significatives. Un
exemple de K
AY
& F
ILLMORE
, 1999, peut facilement être adopté pour le français :
La structure
WHAT’s X doing Y ?
que l’on a dans
1) What is this scratch doing on the table?
Ou, pour l’équivalent français :
2) Que vient faire cette mouche dans mon assiette ?
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hérite, certes, de constructions plus minimales, mais peut cependant être intégralement
associée à un certain effet de sens : un jugement exprimant l’incongruité de la présence d’un
élément dans un autre, et ce, quelles que soient les unités lexicales qui « remplissent » la
structure. Tous les énoncés de Frantext catégorisé répondant au patron syntaxique de la
configuration (65 énoncés), possèdent cet effet de sens ; par exemple :
3) Que viennent faire ici tous ces gens dont un peut-être sur dix croit à peine en Dieu ? (L.Bloy, Journal T.2,
1907 – Frantext)
4) Que vient faire la politique, l’affreuse politique, au milieu de nos vaccins et de nos sérums ? Que vient faire la
politique dans nos débats qui sont purement scientifiques et humains ? (G. Duhamel, Le combat contre les
ombres, 1939 – Frantext)
5) Que vient faire l'hypocrisie avec tout son dépit amer pour nuire au cœur vraiment choisi, à l'âme exquisément
sincère qui se donne et puis se reprend. (P. Verlaine, Œuvres poétiques complètes, 1896 – Frantext).
On soulignera que ici est 21 fois circonstant dans cette structure ; cette fréquence nous
autorise à parler de collocation forte, et de concevoir la construction que venir faire X ici ? /
que venir faire ici X ? comme une unité phraséologique spécifique, dépendante d’une
construction plus générale que venir faire X [circonstant] ?
On conviendra que le jugement d’incongruité est bien porté par la construction elle-
même, et non par les unités lexicales variables : la structure syntaxique, avec les lexèmes
invariables venir faire se voit dotée d’une interprétation. Ce phénomène permet donc de
définir la notion de construction au sens de GC : une configuration syntaxique possédant une
ou des interprétations conventionnelles. Dans le cas examiné ci-dessus, la construction
comprend des invariants lexicaux ; cependant, des constructions plus abstraites, c’est à dire
dégagées de toute contrainte lexicale, peuvent être identifiées. L’étude d’A. Goldberg portant
sur les constructions ditransitives de l’anglais est un exemple bien connu maintenant.
Le point de départ de Goldberg est une critique de la position lexicaliste en syntaxe.
Cette position (défendue en autres par
PINKER
, 1990, L
EVIN
, 1993) stipule que la
représentation sémantique du verbe est projetée sur la configuration propositionnelle à partir
de règles générales ; autrement dit, le verbe impose sa structure actancielle interne à la
proposition. De ce fait, puisque qu’un verbe est susceptible de posséder des significations
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En français, le verbe venir n’est pas obligatoire, mais est souvent employé.