Le rôle du juge pendant la crise: entre ombre et lumière
R.A.E. – L.E.A. 2012/4776
nombreuses6, en particulier lors d’opérations
utilisant des produits dérivés dont le méca-
nisme de « close out netting » vient en oppo-
sition avec les principes du droit de la faillite.
La plupart des cas a été jugée aux États- Unis7
ou en Grande- Bretagne8. Il en est de même
dans les situations où un investisseur reproche
à son banquier ou son courtier ses investisse-
ments pendant la crise et cherche à faire peser
sur celui- ci les pertes liées à la baisse de va-
leur des actifs. Ici, le rôle du juge est on ne
peut plus simple et classique, et ne mérite pas
plus de s’y attarder.
III. Le juge et la fraude
Toute période de crise apporte son lot de
fraudes, escroqueries et autres abus de
confiance. Il y a bien sûr les cas exception-
nels comme KERVIEL en France, ou ADOBOLI
en Grande- Bretagne ou encore toutes ces en-
quêtes et plaintes pénales aux États- Unis à l’en-
contre de courtiers ou de banques pour avoir
vendus des prêts immobiliers de façon fraudu-
leuse et les nombreuses class actions lancées
aux États- Unis à l’encontre des banques par
des clients ou investisseurs de ces banques9.
Mais on pense surtout à la fraude MADOFF,
véritable escroquerie planétaire. Ici, s’agissant
de droit pénal, le juge retrouve l’entièreté de
ses attributs. Y compris sous l’angle civil de
ces fraudes. Ainsi, s’agissant de l’escroquerie
MADOFF, le juge a dû se prononcer sur la res-
ponsabilité des intermédiaires financiers, éven-
tuellement coupables de négligence dans leurs
processus de sélection des fonds MADOFF,
mais aussi du partage de responsabilité entre
les investisseurs et leurs banques ou courtiers
pour essayer de faire supporter à ceux- ci les
6 Cf. le site « The D & O Diary » qui recense les actions judi-
ciaires en matière de produits dérivés et de subprime : http://www.
dandodiary.com/articles/subprime- litigation/
7 SDNY 20 janvier 2011, LBIH v. Swedbank, Banque & droit,
n° 137, p. 35 ; SDNY 25 janvier 2010, Lehman Brothers Special
Financing Inc v. BNY Corporate Trustee Services Ltd, Banque &
droit, n° 130, p. 45.
8 Cf. par exemple, Kauphting HF v. Kaupthing Singer &
Friedlander Ltd [2012] EWHC 2235 (Ch), Butterworth, JIBFL,
October 2012, p. 588. ; Lomas and others v. JRB Firh Rixson
Inc, High Court of London, 21 décembre 2010, Banque et droit,
n° 135, p. 35 ; BNP Paribas v. Wockhardt [2009] EWHC 3116,
Banque & droit, n° 130, p. 47.
9 Cf. le site de American Bar Association qui recense toutes les
class actions en la matière : http://apps.americanbar.org/litigation/
committees/classactions/news.html
pertes liées à la disparition de plusieurs mil-
liards de dollars10.
Mais il est une autre situation qui a attisé
toutes les critiques, celle du cas de la res-
ponsabilité éventuelle des agences de notation
dans la crise. Dans quelle mesure un investis-
seur qui avait souscrit un titre ou un produit
noté par une agence pouvait- il se retourner
contre cette agence ? Ce n’est pas tant la res-
ponsabilité de l’agence au titre d’un défaut de
prévision de la crise qui est recherchée mais
la responsabilité pour manœuvre frauduleuse
et conflit d’intérêts. La situation est connue11.
Tout comme le fait qu’il a fallu que le législa-
teur, tant aux États- Unis qu’en Europe, modi-
fie les textes en vigueur pour créer un régime
spécial de responsabilité pour les agences de
notation afin de faciliter la mise en cause de
ces agences, protégées jusque- là par des dis-
positions particulières12. Mais, si les conditions
législatives relatives à la responsabilité de ces
agences ont été modifiées, les juges ont fait
preuve d’imagination pour réussir à contourner
les obstacles réglementaires en vigueur jusque-
là. Ainsi du juge australien dans une décision
du 5 novembre 201213 ou du juge américain le
17 août 201214. Quant aux États- Unis, et après
de longs mois de silence, le Département de
la Justice a déposé plainte auprès d’un tribu-
nal de Los Angeles contre une agence pour
son rôle dans la crise financière de 2008. Le
ministère accuse S&P d’avoir sciemment sous-
évalué, au travers de ses notations, les risques
de certains actifs immobiliers à l’origine de la
crise, afin d’accroître ses parts de marché et
de développer son chiffre d’affaires. Plusieurs
États américains se sont joints à cette plainte,
ou ont annoncé leur intention de le faire.
10 Cf. H. DE VAUPLANE, « Madoff : l’étau se resserre auprès des
intermédiaires financiers » : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-
marches/finance- marches/bourse/221163887/madoff- etau- resserre-
autour- intermediaires- fina
11 Cf. le rapport très complet de la SEC au Congrès américain :
http://www.sec.gov/news/studies/2012/939h_credit_rating_standar-
dization.pdf
12 R. C. POZEN and B. CONROY, “Credit Rating Agency Reform in
the US and EU”, Harvard Business School Case, 312-127, April
2012.
13 Bathurst Regional Council v Local Government Financial
Services Pty Ltd (No 5) [2012] FCA 1200
14 Abu Dhabi Commercial Bank and others v. Moody’s, Standard
& Poors and Morgan Stanley, Opinion and Order, SDNY, 17 août
2012 : http://sdnyblog.com/wp- content/uploads/2012/08/08- Civ.-
7508-2012.08.17- Summary- Judgment- Ruling.pdf