xo7 - utN I I I 7 Lrs CnutrRS DU JouRNALtsrvr Pour une meilleure maîtrise collective de la médiatisation Patrick Champagne S oc iologue à l' IN R A et au Centrede sociologie de l'éduc:otionet de la culîure Depuisplusieursannées, les médias,au sens large (presseécrite et presseaudiovisuelle), dans uneplacecroissante nonseulement occupent la vie publiqueet politique- cequi peut paraître normalpuisquela libertéde l'informationest,par liée aux régimespolitiquesde type essence, - maisaussidansla vie culturelle, démocratique - cequi judiciaireet mêmedansla vie scientifique l'est un peu moins dans la mesureoù il s'agit d'universsociauxplus autonomesqui se sont historiquement constitués contre l'opinion commune, et qui,par là, setrouventêtreen marge de l'informationordinairede grandediffusiontelie Le secteur que la produisentles journalistes, scientifique,comme la plupart des milieux savants, ontleurspropresréseaux d'information et de diffusion, leurs revues, leurs comités d'évaiuation et leursexperts. Malaise dansle journalisme Pendantlongtemps,les relationsdu milieu journalistique aveclesmilieuxsavantsfurenttrès réduites.Les institutionsne cherchaient pas à communiquerauprèsdu grand public et les journalistes diffusaientune informationà la fois peu importanteet de type plutôt "édifiant" ou (les découvertes, "hagiographique" les exploits technologiques, etc.).La médiatisation croissante à de nossociétés a conduitnombrede journalistes intervenirde pius en plusdansie fonctionnement mêmedesuniverssavants, soit en vulgarisantet en mettanten valeur les travauxde tel ou tel chercheur, de tel artisteou de tel inteilectuelpour journalistiques, desraisonsessentiellement soitau contraire,en dénonçanttei scandaledont ces ,B PouB u^tEMETLLEURE uaîrBtsrcoLLECnvE DELAuÉotansanor"t (commel'affairedu sangcontaminé milieuxseraient responsables par exemple), ou en prenantla défensede tellepersonnalité estiment quecertainsjournalistes injustementtraitéepar sescollègues(commedansl'affairede la "mémoirede l'eau"qui a opposéJacques Benveniste à sespairs). ni Cettesorted'interventionnisme n'a pasétésanssusciterdesinquiétudes provoquerdescritiquesdont beaucoup, il faut le note{,émanentdesjournaiistes eux-mêmes, ceux-cin'étantpaslesmoinsbienplacéspour connaître lespoints faibles du travail journalistique(superficialité, gorit du sensationnel, etc.) ef pour iavoir que <<on accuse les journalistes de jouer même lorsqu'il n'est pas soumis à la censureun rôle maieur dans la constitution politique,lejournalisme estloin d'êtreuneactivité des ,,problèmes de société,, >> libre qui ne connaîtraitque des contraintes proprementintellectuelles ou professionnelles. La productionjournalistique est prise dans un réseaude contraintesexogènesparticulièrementfortes contraintes économiques, concurrence entremédias,etc.- qui rendentdifficilele travaild'informationet sontentreautresà l'originede ce que l'on appelledes "dérapages". Ainsi, par exemple,dansle domainepolitique,on sait que les journalistes sontenpermanence exposés à êtrelesvictimesplusou moinslucides et consentantes desstratégies de communication desresponsables politiquesqui estimentque l'informationest une chose"trop sérieuse"pour êtrelaisséeaux seulsjournalistes. A cetégard,la couverture médiatique de la Guerredu Golfe, qui a représenté une situationlimite mais non exceptionnelle, a joué un rôle majeurdansla prisede conscience, surtoutpar lesjournalistes de l'audiovisuel, deslimitesde la libertédu travailjournalistique, ceux-cis'étanttrouvésréduits au rôle de "porteparole"officieuxdu Sirpa,organismemilitairede relations publiquesqui fournissaitlesimagespolitiquementet militairement"diffusables" du conflit. Maiscespressions plus ou moinsvisiblesqui s'exercent sur lesjournalistes tendentégalementà s'exercersur les milieux qui sont médiatisés. Nombre d'intellectuels, de scientifiques, d'artistesou même d'hommespolitiquesse plaignentde l'emprisecroissante desmédiasdansleur domained'activité,et notammentdu fait qu'ils doiventde plus en plus se plier aux contraintes qui pèsentsur les médias: les déclarations politiques,la fin d'une négociation ou d'une manifestation mais aussiles arrivéesde coursessportivesdoiventêtre prévuespour passerdansie "20 heures",toutesles prestations médiatiques doiventobéir au soucide la mise en scène(maquillage, cadrage,duréedes interviews),certainssportsdoivent revoir leurs règlementspour être plus "télévisuels", etc.Plusencore, lesjournalistes on accuse de jouerun rôlemajeur dansla constitution des"problèmes de société"en décidant, pour toutle monde, de ce qui est ou non importantou en fabriquantartificiellement desnotoriétés journaux excessives, ouvrantlargementleursmicrosou leurscolonnes de à un (oud'intellectuels petitnombred'intellectuels médiatiques pourmédias)qui sont invitésà donnerleur opinion"de spécialistes" sur touslessujetsquel'actualité ,9 Lrs CmtrBs DLttouRxALtsME xol . tutNI 9?7 fait surgir.Souventcondamnésà traiter superficiellement les sujetsles plus ;:Ti#J:i"t1ilii:ï:'ffiJiÏi:iJ::[,ff tffitï'fr:îti:T:ïL"i::îJ person-nes jugen_t"malheureuse"avec des qui ont eu une expérience -qu'ils journalistes, et qui jurentbienqu'onne lesy reprendraplus,depuislessimples habitantsde citésen difficultédont lesjournalistes rapportent,en lesdéformant, lesproposaveccommeobjectifmoinsde comprendre et de fairecomprendre la vie et les difficultésde ces quartiersque de entre les journalistes, jusqu'aux intellectuelssollicités pour une leurs sources et leur public > interview et dont on cite entre guillemetsdes proposqu'iisn'ont jamaistenusou qu'ils avaient explicitement demandéde ne paspublier,ou encorele casde cespersonnalités invitéessur un plateaude télévisionpour,dansuneémissiondurantplusd'une heure,prendrela parolequelques secondes, le tempsde direquelques banalités... Bref,il existeun indiscutable malaiseentrelesjournalistes, leurssources et leur public. La confianceet la collaborationentre le journalisteet ses informateurs, conditions qui peuventutilementcontribuer à fairela qualitéd'une information,semblentse heurter aux nécessités techniquesactuellesde la fabrication del'information(il fautfaireviteet "à l'économie") maisaussi,et sans douteplus profondément à une sortede suspicion, de la part desjournalistes, suspicionqui estcommeinscritedansiesrapportsquele champjournalistique entretientavecles autresuniverssociaux.Si les intellectuels se méfientdes journaiistes, "surla défensive" cesdernierssontfréquemment dansla mesureoù ils peuventtoujourscraindrede sefaire"instrumentaliser" ou "manipuler"par leurs sources.Les signesdu malaisesuscitépar la puissancecroissante et inquiétante desmédiassontnombreux: lesjournalistes sontmis en accusation, on dénonceles "bavures"de plus en plus nombreuses, les colloquessur l'informationse multiplient,des observatoires des médiassont créés,etc, La réflexionsur la déontologiejournalistiquequi avait été engagée, au début du siècie,aprèsla Première Guerremondialeaveclesexcèsde la censure militaire, étaitunesortede réponseà la véritablecrisede confiance dansla pressequi s'en étaitsuivie.Cen'estsansdoutepasun hasardsi,de nouveau, elleestà l'ordredu jour.La miseà jour descodesde déontologie qui sontélaborés ici ou là dansles rédactions permetdesefaireuneidéedescomportements douteuxou dangereux qui, dans la période récente,ont eu tendanceà se multiplier : publicité rédactionnelle, fauxscllps,atteinteà la vie privée,etc. Quellecritiquedu journalisme? Sinombredejournalistes seveulentdes"professionnels de l'information"et revendiquent leur indépendance à l'égardde tous les pouvoirs,qu'ils soient politiquesou économiques, il resteque cesdiscussions sur le respectde la 60 MEtLLruBru,aîrBsEcoLLECttvEDE LA N4EDtAnsArDN PottB Lt,\tE n'estpastotalement montrentquela réalitédu travailjournalistique déontologie En de l'informationeux-mêmes. lesprofessionnels conformeà cequesouhaitent effet, rappelerles principesde la déontologie,n'est-cepas précisément reconnaître quecesprincipesne vontpas(ouplus)de soiet sonten permanence ? A fortiori,on comprendque ies groupessociaux(ou les transgressés (sousla forme,par qui sontpris commeobjetspar lesjournalistes personnalités) ou d'ouvrage)exprimentleur exemple,d'un compterendu de manifestation insatisfaction et peuventsouventinvoquerde bonnesraisonspour justifierleur non respectde la parole positioncritiqueà l'égarddesmédias(inexactitudes, donnée,interviews "trafiquées"et non soumis à relecture,traitement etc.), approximatif de l'information, Le journalismeestun métierpublic,ou qui, du moins,rendpublicet diffuse des faits ou des idées.Il exercede ce fait des effetsde réalitéou des effets par Il estdonclogiquequecetteactivitésoitsurveiliée politiquestrèspuissants. et nombred'acteurssociaux,et soit, par là, l'objet de critiquesnombreuses et les Pourtant, le dialoguequ'il seraitutiled'établirentrelesjournalistes sévères. autresacteurssociauxn'estpas facileà instaurerparceque les critiquessont Les par unegrandepartiede la profession. souventmal reçuesou malcomprises journalistes, à justetitre,mettenten avantla difficultédu travailjournalistique qui tient, en général,moins aux journalistesen tant qu'individusqu'aux ils sont souventcontraintsde travailler(urgence conditionsdans lesquelles d'un sujetà un autrequi empêchede faireun travailde permanente, passage etc.).Mêmelorsque fond,brièvetédesarticlesou desséquences audiovisuelles, l'informationest contestable voire critiquable("bidonnage"par exemple), certainsjournalistespeuventfaire valoir qu'il s,agitlàdedérapageSinévitables(touteprofession<< a ses'brebisgaleuses", disent-ils), qu'il ne fautpas de la déontologie, n'est-ce pas jeter le bébé avec l'eau du bain que, têT: 1t un rôle reconnaître qu;ils sont transgressés ? >> imparfaite, l'information joue irremplaçable dans la vie socialeet politique.Si, pour prendreun exemple, nombre de journalistespeuventregretteria médiatisationcroissanted'une judiciairequi ne va pasdansle sensde l'indispensable sérénité certaineactualité il restequ'ilspeuventfairevaioir de la justiceet de la présomption d'innocence, sansdoutepaspu aboutir politico-financières n'auraient quenombre"d'affaires" de presse.En d'autrestermes,si la presse sansla pressiondes campagnes intervientdans des domainesoù elle ne devraitpas intervenir,n'est-cepas et quel'on demandeenquelquesorte précisément parcequ'il existedescarences auxmédiasde jouerun rôlequi n'estpasle leur,à savoird'être,pourlessimples citoyens,une sortede tribunald'appel,une instanceà laquelleon s'adresse ? Enfin, lorsquelesvoiesordinaires derecoursou de protestation ont étéépuisées il faut rappelerun dernierargumentqui est parfoisavancépour déplacerle débat.On fait valoir que la profession de journalisteest aussi,danscertaines circonstances, uneprofession à hautsrisques: on sait,en effet,quele recueilde 6l Lrs CnutrRS DLttouRNAusur Nol . Jt)tN1997 l'informationpeutêtreparfoisun travaildangereux, lesjournalistes étantamenés à payer,danslesconflitsarmésenparticulier, un lourdtributà l'information. Que valentquelquesjournalistes indélicatsou incompétents ou maladroitsau regard de ceuxqui sefont tuer pour informer? Undébatrécurrent Pouraiderà uneconfrontation salutaire et à unemiseà platsansconcession, sansqu'il soit pour autantnécessaire d'endosser le rôle un peu trop facilede (ils sontdéjànombreuxet ce n'estpasle rôle des "procureu{'de la profession sociologues), il faut peut-êtrerappelerque ce débatn'est pas nouveau.On n'auraitpasde peineà retrouverle mêmedébataveclesmêmesarguments de part et d'autreau débutdu siècie,iors de l'apparitionde la pressepopulaireà grostiragedont on dénonçait déjàles"dérives"par rapportà la pressepolitique d'opinionqui la précédait et qui étaitdestinée à un publiccultivéplusrestreint. Lesmédiasaudiovisuels suscitentaujourd'huiles mêmesréserves parcequ'ils portent à un plus haut degré encorele conflit qui tend presquetoujoursà s'instaurerentre les champsde productionculturelsrestreints(art, science, littératureet aussi,paradoxalement la politique)et les champsculturelsde grandeproduction(médias de grandediffusion), lesintérêtsdesunsnes'ajustant passpontanément, loin s'enfaut,auxintérêtsdesautres. En préalable auxbrèvesréflexions qui suivent,il n'estsansdoutepasinutile, pour dissiperquelques malentendus d'insistersur deuxpoints.En premierlieu, lorsquele sociologue seproposede fairela "critique"desmédias,cen'estpasau lui a donné: il ne s'agitpas,en effet,de "critiquer les journalistes"mais de mettre au -jour les conditions sociales d'exercice de l'activité et,par là, d'ensaisirleslimites. iournalistique En secondlieu, traiterdes problèmesqui se posentaujourd'hui,dansle risque de renaoyer à un âge d'or de la presse qui n'â jamais îxisté , $:iliî:.o;'1',^iiffii:Ti,il,iïTï:T,in,ffi ",';,l,iJ;T.leHi,ffiiîï:T risquetoujour_s de renvoyerà un mythique"àged'.or"de la pressequi, ';lilii::i",Ë,,x:a:i:i,'ii:iï; f ,Hioi:li"'.ïi'ff f,ilïff ruiff 9nfait,n'a abondanteet plus fiable que par le passé.Le visionnaged'une émission d'informationqui fut, en sontemps,aussiprestigieuse que "Cinq colonnes à la Une" de PierreDesgraupes, PierreLazareffet PierreDumayet,ne résisterait ili:,:]i,ff iil:"ffiffi $'lâltxt;i,1,ff ,i'il: îilÏiiilÉJ;:'Ë:,îiiff choses qui sontcomparables, c'est-à-dire l'informationtélévisuelle desannées 50 ou 60nonpasavecl'informationd'aujourd'huimaisaveccequ'étaitla télévision 62 unîrBtsr coLLECTtvE DE LA tv,tÉomns,tr,otrt PouB UNEMETLLEURE à cetteépoque,le niveaud'instructionde la populationqui la regardait,ses attentes,la maîtrisetechniquedes instrumentspar les journalistes,leur formation,etc.Bref,il faut replacerl'informationdansson contexteet ne pas oublierque si elle est sansdouteplus fiableaujourd'huique par le passé,le ou la niveaud'exigence qui la commentent de la populationou desspécialistes raisons diverses, lui élevé. aussiégalement critiquents'est,pour des Ladoublecontrainte du journalismed'informationgénéraiedansles grandsmédias S'agissant (pour ne pastout confondre, provisoirement de côtéles on laissera audiovisuels de relèvent télévisés de variétés et la écrite spécialisée qui programmes presse logiquesun peu différentes),on peut faire observeren premier lieu, pour et leurssources, lesrelationsqui s'instaurent comprendre entrelesjournalistes que cetteactivitéintellectuellea pour propriétéspécifiquede devoir s'exercer écrite politiqueet/ou économique. Si,initialement,la presse sousfortecontrainte les furent les de contrôle médias audiovisuels marqués tentatives comme par politique(la censurepréalablede la presseécriteau XIX. siècle,le monopole jusqu'en7986), qui économiques d'Etatpour la télévision cesontlescontraintes les de investi moyens Bien que tentatives ont progressivement ces de diffusion. 20 dernières années contrôlepolitiquesoientloin d'avoirdisparu,l'évolutiondes En écrasant descontraintes économiques. estcaractérisée par le poidsdésormais le France,la législation la Deuxième mondiale concernant édictéeaprès Guerre ne faire les de la avait cherché à entreprises de presse secteur presse en sorteque soientpasdesentreprises économiques commeles autres.A la clausede conscience qui avait été introduite dans le statut du journaliste,les est caractérisée par le poids écrasant ordonnances de 7944avaientajoutéune.politiquedes contraintes'économiques >> de subventions d'aidesà la diffusion,de diverses, mesuresvisantà empêcherles concentrations capitalistes afin de favoriserla d'opinion la de la brutale.Prenant presse en préservant concurrence économique à faire exemplesur LeMonde,dessociétés de rédacteurs, destinées qui étaient valoir les droitsdesjournalistes contreceuxdespropriétaires, s'étaientmême multipliées. Ilarrivéedu capitalisme étrangeren France(entreautresl'Anglais Murdochou l'AllemandBertelsmann) et la privatisation de la télévisionont eu pour conséquence de soumettreplus fortementqu'auparavantl'activité journalistique impératifs aux propresà l'économie.A la télévision,dans les 80, manière années s'installede durablece que l'on a appeléle règnede l'audimat,cet instrumentde mesurede l'audiencecommandant les désormais (publicitaires) ressources deschaînes généralistes tandisqu'àla fin desannées 80 apparaissentdes magazinesreposant explicitementsur le marketing rédactionnel, visant,commed'ailleursdansla c'est-à-dire sur destechnologies plupartdesautressecteurs l'économie, de à donnerle primatà la demandesur 61 - JtJtN t',to7 1997 Lrs CnnrRSDLrJorJRNAusut l'offre (auparavant, on produisaitdesbiensque l'on cherchaitensuiteà vendre et alorsqu'aujourd'hui,on chercheà cernerce que veulentles consommateurs l'on produiten conséquence). Mais si lesjournalistes doiventécrireou montrercequele publica enviede lire ou de voir, que reste-t-ilde l'autonomieprofessionnelle ou même de la missionde "servicepublic" (informerles citoyenset mêmeavoir une fonction pédagogique) dont bon nombrede journalistesse sententencoreà juste titre investiset qui avaitdéjàdonnélieu, sousle Front <tej ournatest engagé i:r.:ÎlÏi,iï#l",,'.,ffJî flËllf,iin:H.':1: dans une course aux lecteurs >> grands quotidiensnationaux depuis 1945est symptomatiquede cette évolution.Un journal commeLeMonde,par exemple,qui, sousla directionde HubertBeuve-Méry, son directeur-fondateur, est longtempsrestéun quotidien à la fois austère,sans intellectuelles concessions et cependantéconomiquement prospèreparcequ'il l'entrepriseà étaitd'abordune entrepriseintellectuelle qui avaitsu subordonner sesobjectifs(rédacteurs en nombrerestreint,salairedescollaborateurs peuélevé, ceux-ciétantpayéssurtouten "prestige"et en pouvoird'influence,tiragelimité du journal,etc.),a fait le choixde deveni\ par sonsuccès même,une entreprise économique beaucoupplus importantemaisaussibeaucoupplus fragile(à la suite d'investissements qui se sont révéléshasardeuxet d'une politique jugéeaujourd'huiimprudente). d'embauche et de salaires Le journalestengagé dansunecourseauxlecteursdont le nombredoit êtresanscesse plusimportant pour que le titre puissesurvivre.Cettecourseaprèsles lecteursn'estpassans transformerla fabricationde l'informationet la hiérarchieque le journalétablit entrelesnouvelles(parexemple, l'actualitéinternationale tendà occupermoins - en "l-Jne"tandisquele développement, de place- et par là moinsd'importance danslesannées80, du journalismed'investigationétaitlargementinspirépar le succès querencontrait cetypede journalisme auprèsd'un largepublic). Le poidsde la télévision Mais la transformation la plus importanterésidesansaucundoute dans l'emprisecroissanteque la télévisionexercesur l'ensembledu champ journalistique, cettedominationsetraduisanten fait par une emprisecroissante de l'économie sur l'ensemble de l'activitéjournalistique. Lesgrandesdatesqui marquentl'histoirede la télévisionsonttrèssouventliéesà desdécisions ayant desimplications économiques, qu'il s'agisse de l'introductionde la publicitéen 7970,de la concurrence deschaînes, de l'apparitionde l'audimaten 1980sousla pression despublicitaires et surtoutde la privatisation de TF1en7987.llestsans doute significatifque dansla lutte que se sont livrés deux grandspatronsde FrancisBouygues chaînes, pour TF1et RobertHersantpour La5, pour avoirle Ieadership en matièred'audiovisuel,ce soit le patrondu numéroun mondialdu 64 PouB UNEMETLLELTRE uaîrBtsr coLLECnvEDF LA MEDtATtSATtoN bâtimentet destravauxpublicsqui, avecdesméthodesqui avaientdéjàfait son l'ait emportésur le patronde presse. succès dansle secteuréconomique, nonseuiement par du champjournaiistique La télévision pèsesurl'ensemble contribuant, lescapitauxde la publicitéqu'elledraineaujourd'huimassivement, publicitaires qui alimentaient avecla criseéconomique, à une chutedesrecettes maisaussipar sonpouvoirde diffusionet d'impact, la presseécritequotidienne, de la presse l'ensemble écriteà s'alignersurcemédiaqui fait l'actualité obligeant La presseécrite,danssessujetset danssesformats, et fabriquelesévénements. copie la télévision: les articlessont de plus en plus courts,les rubriques etc. à la télévision,et à ceuxqui la font, de plus en plus nombreuses, consacrées et symboliques C'estsansdoute la télévision,par les profits économiques de Ia qu'elle permet d'obtenir,qui a contribuéle plus à l'accélération médiatisable, c'est médiatisation du mondesocial.Si tout est potentiellement parceque,commele déclareun hommede télévisionqui saitde quoiil parle,tout ce qui passeà la télévisionpeut être sourcede retombées.La presseécrite maisindirectement entantqu'ellealimentelesrédactions participeà ceprocessus des journauxtélévisés.L affairedu sang contaminédont la télévisions'est de la presseécrite. spécialisée par unejournaliste emparéeavaitétédécouverte Mais c'est la télévisionqui a largementcontribuéà en faire une affaire victimes par l'émotionqu'ellea crééedansle grandpublic(jeunes considérable La télévision innocentes contaminées par les produitsmêmesde la science). qui est,sinonnouveau, un pouvoird'ordresymbolique confèreauxjournalistes du moinsplus puissant: ils ont, en effet,un quasimonopolede sélectionde l'informationdignede passerà la télévision,cemonopolede diffusionétanten fait pouvoir de faire exister,travail de mise en forme, voire processusde consécration. du paysage Les premiersà avoir été touchéspar les transformations médiatiquefurentles acteursdu champpolitiquedansla mesureoù lesmédias constituentun instrumentmajeurdu travail politique. Lespremièresréactions des hommespolitiquesconfrontésaux journalistesdes grands médias ont préfigurécellesde nombred'acteurssociauxpar la suite,à savoirle sentiment d'avoir été piégés.C'estque, mêmesi l'on exclutla manipulationpurement le passage dansce politique,manipulationqui n'estjamaistotalementabsente, du journalismegrandpublic. type de médiasporteà l'extrêmelescontradictions Les journalistespeuvent-ilsaccepterd'être de simples faire-valoir des qui acceptentde qu'ils invitent ? Inversement, les personnalités personnalités venir à la télévisionpeuvent-elles en attendreautrechoseque d'en tirer des avantages? Si les journalistesde ces médiasde grandediffusion se sont à passerà hommespolitiqueségalement, ceux-ciapprenant professionnalisés,les desconseilsde la télévision, à déjouerlespiègesdesjournalistes, et s'assurant intégré en communication. Bref,les politiquesont progressivement spécialistes lesmédiasà la vie politique. Desprocessus analogues qu'il seraittrop long d'analyserici en détailont 6' No7 - JutNI 997 Lrs CauttRSDUtouRNALtsut l'évolutiondes relationsentrele champjournalistiqueet la plupart caractérisé des autreschampssociaux(culturel,judiciaire,scientifique,etc.).Dans le et les domaineéconomique, par exemple,lesrelationsentreleschefsd'entreprise journalistessontégalementmarquéespar l'ambiguïté: si d'un coté,les patrons accordentà la pressed'avoir fait accepterà l'opinion publiquel'entreprise,de l'autre, ils dénoncentles méthodescourammentutiliséespar les médias (informationsinexactes, volontéde créerdesévénements, non respectdu secret de l'instruction,droit de réponseinopérant,etc.).Les années80 ont vu le la médiatisation développement de la presseéconomique, excessive de certains de développement. Mais patronsqui avaientintégréla presseà leursstratégies parcequel'informationa ététrop centréesur leshommes(surles "gagneurs")et les médiasse sont retournésaussirapidement pas assezsur les entreprises, lorsquecertainsd'entreôuxfurentmis enexamen,brûlantcequ'ilsavaièntadoré (le cas de BernardTapie est à cet égard exemplaire)commepour se faire pardonnerleur zèleantérieur. Définirde nouvellesrelations La puissancedes médias,leur omniprésence dansla vie sociale,les effets considérables qu'ilspeuventproduiredansdessociétés devenues de plusenplus complexes et fragiles(il suffit,pour s'enconvaincre, de prendrel'exemplerécent de la "vachefolle" dont la couverturemédiatiquea fait chuterde 30% la consommationde bæuf) donnent désormaisaux journalistesde nouvelles responsabilités et à leurs partenairesréguliers(ou d'occasion,ou encore involontaires)le devoir d'accepter,dans certaineslimites, les contraintes spécifiquesqui pèsentsur l'exercicede cette profession.Nombre d'acteurs économiques, sansdouteparcequelesenjeuxsontconsidérables danscesecteur (un seularticle,vrai ou non, peut déstabiliser une entreprise), ont déjàmodifié leurs relations avec les journalistes : les entreprisesfont moins de communication, au moins en ce qui concerneleurs dirigeantsou la création d'événements de presse.Par contre,la "communicationde crise" tend à se développerafin de permettreune meilleuregestion,par les entreprises, des situationsou desévénements imprévusqui peuventsurgiret lesdéstabiliser. Les relationsaveclesjournalistes par des"dircoms",on peut étantmoinsmédiatisées journalistes espérerqu'en retourles ne se montrerontplus seulementintéressés par lesscandales et par cequi sort de l'ordinaire,maisaussipar desreportages de fond sur le fonctionnement desentreprises. Les intérêtsdes journalistesne sont pas les mêmesque ceux des chefs d'entreprises ou,plusgénéralement, desintellectuels. Celanesignifiepasqu'il ne soitpaspossibled'instaurerunesortede codede bonneconduiteréciproquequi tiennecomptedesintérêtsdesuns et desautres.Il est anormalque la pratique des interviewssoit bien souventsansrègles,que les personnesinterviewées n'aientpasun droit de relectureen ce qui concerneau moinsles proposqu'on 66 PouB LJNt'MLUtEURFuniratsr cot tLCTrvtDF LA MEDtAnsAnotr les fautes leur prête,qu'il n'existepas un vrai droit de réponsequi sanctionne professionnelles desjournalistes, que la compétence de nombred'entreeux sur lesdomainesqu'ils couvrentsoit trèsinsuffisante(entraînantdeserreursde fait importantes). ou d'interprétation De même,intellectuelset journalistesappartiennent à desuniversdont les lois de fonctionnement sonttrèsdifférentes. C'estpour celaquelesprofesseurs sont longtempsrestéshostilesaux médiasde grandediffusion,et pas toujours raisons. Lesjournalistes, pourde mauvaises quantà eux,ne sesontpasprivésde leur refusde dénoncerle narcissisme de certainsintellectuels, leursexigences, prendre en compte,lorsqu'ils étaient sollicités,la spécificitédes médias et confondaientcoursmagistralet prestationtélévisée.Pour peu que ce mépris structuralréciproquesoit surmontéet quelesuns et lesautresréfléchissent aux contraintesacceptablespar tous, ce qui implique que les intellectuels comprennentles nécessitésdu travail journalistiquemais aussi que les journalistes respectent cellesdu travailintellectuel, unecollaboration estpossible - et les intellectuelsdoivent et mêmesouhaitable. Tout n'est pas médiatisable savoirrefuserlorsqu'ille faut- maisrien ne doit êtrea prioriexcludèslorsquele contratentrejournalistes et intellectuels estclairet respecté par lesdeuxparties. Le mondeintellectuelne peut ignorerle mondedesmédiasparceque,de toute façon,le mondedesmédiass'occupera, qu'il le veuilleou non,tôt ou tard,du mondeintellectuel. réciproquepassepeut-êtreprioritairementpar une Cette compréhension compréhension, de la part desjournalistes, de ce qu'ils peuventattendrede la sociologiedes médias.Ils ne doivent pas en attendredes révélations croustillantes sur le fonctionnement ou la vie des médiaset cela pour deux raisons.La première < l'enquête sociologique ne doit pas résidebanalement dansle fait quelesmédiassont être confondue aT)ecl'enquête de devenusdes.enjeuxde pouvoir tef, tu'1]1 ou l,enquête journalistique > ::^l police ' placéssous la haute surveillanced'un nombre considérable d'acteursdont, notamment,les journalistes d'investigation. Sans doute faut-il faire le tri entreles informationsde complaisance, cellesqui sont fabriquéespour alimenterla chroniquedes stars du petit écran et les informationsréellesou stratégiques qui sont utilespour l'analyse.Mais il faut bienconstaterquela littératurejournalistique, techniqueet scientifique est,en ce domaine,suffisamment abondantepour que la probabilité,pour un sociologue, de découvrirune informationimportantequi soit restéejusqu'alorscachéeest faible,pour ne pasdire nulle.Maiss'il ne faut pasattendredu sociologue qu'il fassedes révélations, c'estsurtoutpour une autreraison,plus fondamentale encore,à savoirquecen'estpasla vocationscientifique de cettediscipline.C'est là un desmalentendus fréquents dansle dialoguequejournalistes et sociologues essayentd'établir entre eux, certainsjournalistesattendantdes enquêtes sociologiquesdes scoopsinédits. L enquêtesociologiquene doit pas être confondueavecl'enquêtede police ou l'enquêtejournalistique.Si une bonne 67 Ls CaurcRsDUtouRNAusue N"1 - JLttNI 997 connaissance par le sociologue de l'universqu'il étudieest bien évidemment - et les nombreuxouvragesd'investigationsur les médias indispensable - il restequecetteconnaissance constituent uneaideprécieuse n'estpasle but et la fin en soi du travailsociologique. La tâchespécifiquedu sociologue consisteà construireun modèle explicatif qui permettede comprendrele plus complètementpossibleles acteurssociauxet de rendre compte de leurs comportements. Au risquede décevoir,je voudraisdoncconclureen insistantsur le fait que la sociologiea pour vocationde construireet de valider des systèmes d'hypothèses patiemmentélaborés.Aussi, doit-elles'accommoder, sansétat d'âme,de l'accusation injuste,et mêmeparfoismalveillante, selonlaquelle"elle enfoncerait desportesouvertes". U air estconnu.Déjà,danslesannées60,pour prendreune autre branchede la sociologietout aussichargéede valeurset d'intérêtsquela sociologie desmédias,certainspouvaientdire,à la lecturedes premierstravaux de sociologiede l'éducationqui établissaientde manière irréfutableunerelationentreréussitescolaireet originesociale, quetout celaétait évidentalorsque non seulement, celane l'était pasau point de rendreobsolète "l'idéologiedu don" qui, aujourd'huiencore,est loin d'avoir disparu,mais surtoutqu'il ne suffitpasde trouvercela"évident"(l'inversel'étanttout autant pour ceux qui ont envie de croirel'inverse).L apport spécifiquedes sciences sociales estd'établirméthodiquement, selondesprocédures vérifiables, lesfaits en vue d'en tirer touteslesconséquences théoriques(ici,cellesqui peuventêtre attachées à la notion si fécondede "capitalculturel",ou dans le domaine journalistique, les apportsmajeursdu conceptde "champ").La sociologie qui reste encoreà faire sur les médiasest intellectuellement et passionnante politiquement urgenteI 6B