La définition comme procédé stratégique

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La définition comme procédé
stratégique
2015/2
no.2015/6
Paperno.
WorkingPaper
Working
Stefan Goltzberg
La définition comme procédé stratégique1
Stefan Goltzberg
Chargé de Recherches au Fonds National de la Recherche Scientifique,
Centre Perelman de philosophie du droit, Université Libre de Bruxelles
Publié initialement dans Lefebvre (dir.), DICODEX. Réflexions sur les définitions juridiques codifiées,
Imaginez quelqu’un qui est poursuivi pour s’être produit nu dans l’espace publique. Il
invoquerait pour sa défense la définition légale de la nudité : « Est nu, aux fins du présent article,
quiconque est vêtu de façon à offenser la décence ou l’ordre public. » À présent, admettons que
l’auteur des faits dise que comme il était nu, totalement nu, son état ne tombe pas sous la définition
de la nudité, puisque est nu « quiconque est vêtu de façon à offenser la décence ou l’ordre public ».
Plusieurs réactions sont envisageables face à une telle argumentation. Premièrement, vous pourriez
vous dire que ce cas est une pure fiction – à tort, puisque ce cas est directement inspiré d’un cas
réel, l’arrêt R. contre Verrette, sur lequel Mathieu Devinat a attiré notre attention. Ensuite, vous
pourriez considérer que déduire une absence de nudité du fait que l’on n’est pas nu au regard de la
loi, relève d’une argumentation inadmissible, immorale. Nous nous garderons bien de juger ainsi
cette utilisation de la définition légale : au contraire, nous allons montrer combien ce cas – tout
effarant qu’il paraisse – illustre en réalité particulièrement bien un des aspects de l’argumentation
juridique, le rapport stratégique au texte. Nous reviendrons plus bas à cet exemple. Il importe de
souligner que les définitions abondent en droit – comme le montre à l’envi le projet DICODEX,
qui a identifié plus de 6 000 définitions dans les codes français.
1
Je tiens à remercier Jennifer Nigri d’avoir relu ce texte.
Working Paper no. 2015/2
Ceprisca, Coll. « Colloques », pp. 141-155.
D’une part les sources législatives contiennent de nombreuses définitions de termes aussi variés
que « tracteur agricole 2 », « animal mordeur 3 », ou « nuit 4 ». D’autre part, des définitions
proviennent d’autres sources, que ce soit la jurisprudence ou la doctrine. À ces deux types de
définitions juridiques s’ajoutent les définitions du dictionnaire, auxquelles recourent parfois les
tribunaux.
Outre le nombre impressionnant des définitions, on peut relever le fait que ces définitions ne sont
pas toujours utilisées avec vraisemblance ; elles sont exploitées parfois au détriment du bon sens
ou du moins de ce que l’on aurait pu raisonnablement prévoir. Il faut se rendre à l’évidence :
produire des définitions, qui plus est au sein de la loi, c’est faire le pari que les définitions
engendreront les effets souhaités. C’est toujours également courir le risque de voir ces définitions
détournées de leur finalité : définir, pour le législateur, c’est confier à la définition une mission, qui
consiste notamment à assurer une prévisibilité juridique, tout en sachant que le producteur de la
définition ne peut jamais tout prévoir de la vie et du parcours de cette définition. D’une manière
générale, ce qui est vrai des définitions l’est des règles juridiques : elles captent de nombreux cas,
mais comme le législateur ne saurait tout prévoir, on sait à l’avance qu’il y aura des « ratés », des
situations qui tomberont dans la définition alors que manifestement le législateur, s’il était présent,
les en aurait exclues. Inversement, les définitions ne capturent pas toutes les réalités que le
législateur, s’il était présent, aurait incluses dans la définition (Schauer 1991 : 131-132).
Nous aborderons la question de la définition en droit en deux temps. Premièrement, il sera
question du déclin supposé du modèle antique de la définition, celui d’Aristote. Ce déclin sera décrit
d’un point de vue général, puis plus particulièrement dans le monde du droit. Deuxièmement,
nous nous risquerons à une réhabilitation de la définition, y compris de son modèle aristotélicien
modifié. À cette fin, nous scruterons la nature du discours juridique et son incidence sur la nature
et le fonctionnement de la définition en droit, puis nous poserons des limites aux limites de la
définition.
Tracteur agricole : « véhicule [agricole] à moteur, à roues ou à chenilles, ayant au moins deux essieux et une vitesse
maximale par construction égale ou supérieure à 6 km/h, dont la fonction réside essentiellement dans sa puissance
de traction et qui est spécialement conçu pour tirer, pousser, porter ou actionner certains équipements
interchangeables destinés à des usages agricoles ou tracter des véhicules remorqués agricoles », art. R. 311-1 du
code de la route.
3
Animal mordeur : « tout animal sensible à la rage qui :
(a) En quelque lieu que ce soit, a mordu […] une personne ;
(b) Ou dans un département officiellement déclaré infecté de rage, a mordu […] soit un animal domestique, soit un
animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité ;
(c) Ou dans un département indemne de rage, a mordu […] soit un animal domestique, soit un animal apprivoisé
ou tenu en captivité, et provient depuis une période dont la durée est définie par un arrêté du ministre chargé de
l’agriculture, d’un département officiellement déclaré infecté de rage, ou d’un pays atteint d’enzootie rabique »,
art. R. 223-25 du code rural et de la pêche maritime.
Nuit : « temps qui commence une heure après le coucher du soleil et finit une heure avant son lever », art. L. 42919 du code de l’environnement.
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Section I – Déclin du prestige de la définition
Aristote a forgé un modèle de la définition très articulé, nuancé et prudent. Toutefois, ce modèle
souvent caricaturé a été battu en brèche par des générations de penseurs. Cette érosion gagne à
être étudiée en elle-même puis au regard du droit.
§ 1 : Érosion du modèle aristotélicien
Aristote a légué une théorie de la définition plutôt forte, que l’on peut résumer par les dix traits
suivants, que nous expliciterons ensuite : la définition est structurée en genre prochain et
différence spécifique, elle est unique, universelle, essentielle, brève, littérale, non circulaire,
composée de termes antérieurs et plus clairs, elle permet la substitution salva veritate et contient les
conditions nécessaires et suffisantes. La définition était pour lui le socle sur lequel s’élaborait toute
science. Or, l’histoire des théories de la définition est constituée des notes en bas de pages à l’œuvre
d’Aristote, pour paraphraser Whitehead, qui s’exprimait à propos de Platon. Chacune des dix
caractéristiques attribuées à la définition par Aristote a été remise en question par la tradition
philosophique. Le vingtième siècle voit même la définition devenir un objet de dérision, de mépris,
car elle n’aurait pas intégré les révolutions philosophiques ayant progressivement fait éclater tout
le cadre dont la notion même de définition était solidaire.
Exposons dans un premier temps la théorie aristotélicienne. La définition est structurée en genre
prochain et différence spécifique, dont l’exemple paradigmatique est L’humain est un animal politique.
« Animal » est le genre prochain, c’est-à-dire la catégorie directement supérieure. Si l’on avait défini
l’humain comme un être politique, « être » n’aurait pas possédé le caractère prochain du genre, car
trop éloigné. Idéalement, la définition serait unique, bien qu’Aristote lui-même semble avoir donné
plusieurs définitions de certains termes. La définition est universelle, plus précisément, elle est un
universel, c’est-à-dire qu’elle se dit de plusieurs. D’autres universels sont : le genre (par exemple
« l’humain est un animal »), le propre (« l’homme rit ») et l’accident (« Socrate est assis »). À l’inverse,
« Socrate » ne se dit pas de plusieurs, puisque, en tant que nom propre, il se dit d’un seul. La
définition est essentielle, elle ne vise pas n’importe quelle caractéristique, mais celles qui relèvent de
l’essence de la chose. Ainsi, bien que « bipède sans plume » soit une description sous laquelle
tombent les humains, elle ne vise que des aspects non essentiels, car ils ne disent pas la nature de
la chose définie. En outre, la définition doit être brève : il n’est aucunement question d’appeler
définition une description qui s’étendrait sur de nombreuses pages, quelles que soient sa précision
et son exactitude. La définition sera littérale et évitera, dans la mesure du possible les descriptions
métaphoriques. Il convient qu’elle soit dépourvue de circularité, c’est-à-dire que la définition ne
contienne pas le mot à définir (« l’humain est un animal humain »), sous peine de commettre une
pétition de principe. Elle sera composée de termes antérieurs et plus clairs : elle ne contiendra pas de
termes qui ne sont définissables que par elle ni de termes inutilement obscurs.
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Sans se livrer à un historique exhaustif des avatars de la théorie aristotélicienne de la définition,
voici quelques-uns de ses moments marquants.
La définition permettra la substitution salva veritate, c’est-à-dire que partout où le terme « humain »
apparaît, il devrait être possible de le remplacer par sa définition « animal politique » sans modifier
la vérité de l’énoncé (salva veritate). Si la vérité de l’énoncé devait s’en trouver modifiée, ce serait le
signe d’une définition erronée. Enfin, la définition contiendra les conditions nécessaires et suffisantes ;
si elle contenait des conditions nécessaires et non suffisantes, par exemple le genre prochain
(animal) sans la différence spécifique (politique) ou inversement, la définition serait trop large et
inclurait des éléments non voulus, comme la girafe, qui est un animal mais pas un animal politique.
Chacun de ces dix traits a fait l’objet d’une récusation, dont voici une synthèse.
1. Genre prochain et différence spécifique. Cette exigence est tributaire d’une cosmologie
aristotélicienne qui a fait long feu et où chaque espèce (humain) ne possède qu’un genre
prochain (animal). Or, pour plus d’une espèce tel n’est pas le cas. Plusieurs auteurs,
dont Rickert, ont considéré que le rejet de la cosmologie d’Aristote entraînait eo ipso
celui de sa théorie de la définition.
2. Unicité. Alors que classiquement, l’existence de plusieurs définitions signe la présence
d’une erreur, Aristote lui-même, suivi par Guillaume d’Occam, a accrédité l’idée que
certaines notions sont susceptibles de plusieurs définitions. Aujourd’hui, ce point fait,
semble-t-il, l’unanimité.
3. Universalité. La querelle des universaux (ce qui se dit de plusieurs) oppose notamment
les nominalistes selon lesquels les universaux ne sont que des noms renvoyant aux
individus et à nulle autre entité supra-individuelle – et les réalistes selon lesquels
l’universel renvoie en outre à une réalité supra-individuelle. Aristote retient quatre
universaux (genre, propre, définition et accident). Son commentateur Porphyre (234310) modifiera cette liste, supprimant la définition. Une autre décision (le maintien de
la définition dans la liste) aurait sans doute consolidé le rôle de la définition dans
l’histoire des idées.
5. Brièveté. Selon Cicéron et Mill, il est légitime que la définition n’obéisse pas à une
exigence de brièveté.
6. Littéralité. Ce n’est pas seulement la définition mais tout le langage dont plusieurs
auteurs ont entendu montrer qu’il ne pouvait pas atteindre la littéralité. Celle-ci serait,
selon Vico, Rousseau et Nietzsche le résultat de métaphores usées, endormies, dont le
sens métaphorique aurait pâli. Il en résulterait que nous appelons littérales uniquement
les expressions dont nous avons perdu la signification d’origine, nécessairement
métaphorique.
7. Non-circularité. Le principe d’après lequel le cercle est une erreur d’argumentation est
tempéré par cette idée astucieuse d’après laquelle il y aurait, au côté de la circularité
vicieuse, une circularité vertueuse. Heidegger, Gadamer et d’autres théoriciens inspirés
par l’œuvre de Schleiermacher affirmeront la nécessité d’un cercle herméneutique.
8. Termes antérieurs et plus clairs. L’impossibilité ou du moins l’extrême difficulté de s’en
tenir à cette exigence de clarté et d’antériorité des termes a été mise en lumière
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4. Essence. L’essence est une notion très chargée, qui suppose quelque chose de sousjacent, de préexistant, voire d’éternel. Il n’est guère étonnant que cet aspect de la vision
d’Aristote ait été remis en question par de nombreux auteurs, notamment Al-Kindi,
Isidore de Séville, Occam, Bacon, Hobbes et Popper.
notamment par Bacon et Popper. Souvent en effet, les définitions utilisent des termes
qui ne sont pas définis, les multiples définitions s’éclairant mutuellement. L’idéal
aristotélicien d’une liste de définitions procédant du plus général au plus précis n’est
pas toujours atteint ou atteignable.
9. Substitution salva veritate. Des philosophes contemporains, comme Goodman et
Quine, ont voulu montrer qu’il n’existe pas de synonymie parfaite, permettant une
substitution salva veritate.
10. Conditions nécessaires et suffisantes. L’idée même que les concepts seraient définissables
en termes de conditions nécessaires et suffisantes a été battue en brèche de manière
spectaculaire par Wittgenstein. Celui-ci remplaçait ces conditions par des exigences
plus faibles et plus souples, celle des ressemblances de famille : il n’est pas obligatoire
pour qu’une chose mérite un nom qu’elle satisfasse à une critériologie parfaite (en
conditions nécessaires et suffisantes), mais il suffit qu’elle possède une majorité de traits
partagés par la plupart des éléments de l’ensemble.
Le bilan de la théorie aristotélicienne est désastreux ; elle a, au fil des siècles, perdu son prestige.
Pourtant, il n’est pas certain que sa théorie ne puisse pas être sauvée, au prix, certes, d’une
modification. Ainsi, il ne paraît guère opportun aujourd’hui de requérir d’une définition qu’elle
reflète une essence éternelle ni qu’elle soit totalement démunie de métaphores – et encore moins
qu’elle soit unique. En revanche, la forme en genre prochain et différence spécifique nous semble
encore productive, en dépit du caractère obsolète de la cosmologie aristotélicienne. Les conditions
nécessaires et suffisantes, la clarté et la substitution salva veritate nous paraissent de bonnes
exigences méthodologiques pour quiconque – y compris le législateur – se livre au travail
définitionnel.
Ce n’est pas qu’en philosophie que la théorie aristotélicienne de la définition est critiquée. En droit
également, se multiplient sinon les attaques contre Aristote lui-même, du moins les mises en garde
contre les définitions. Javolénus est un des auteurs les plus cités sur cette question, lui qui écrit
dans Le Digeste (50.17.202) : « Toute définition est dangereuse : il est rare d’en trouver une qui ne
puisse être subvertie (omnis definitio in iure civili periculosa est : rarum est enim ut non subverti posset). »
Plus généralement, on peut dire que la seconde moitié du vingtième siècle a connu l’efflorescence
de théories topiques de l’argumentation juridique, dont les représentants les plus connus sont
Viehweg et Perelman. Leur théorie est « topique » au sens où ils réhabilitent les lieux (loci, topoi) de
l’argumentation, c’est-à-dire les sièges des arguments. Les principes juridiques, qui sont
l’expression de ces lieux, sont multiples (leur liste n’est, du reste, pas close). Nous mentionnerons
ceux qui touchent au rôle de la définition. La définition est intimement liée au statut que l’on
donne au sens littéral. Si l’on visualise l’interprétation juridique comme s’articulant autour de deux
pôles – le respect de la littéralité et l’éloignement de la littéralité – la définition est sans conteste à
compter parmi les instruments qui plaident vers un respect de la lettre du texte.
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§ 2 : Érosion du positivisme juridique
Le principe (en tout cas un des principes) plaidant pour le respect de la lettre du texte est Expressio
unius est exclusio alterius : un terme exprimé exclut son complément. Par exemple, si une chose est
interdite, comme boire de l’alcool, cela permet de déduire que boire d’autres boissons, non
alcoolisées, n’est pas interdit. Il s’agit de l’argument a contrario.
À l’inverse, l’éloignement du sens littéral est exprimé entre autres par le principe Eiusdem generis,
qui suggère que le texte s’applique aux cas similaires bien que ceux-ci ne soient pas formulés
explicitement. Ceci permet une extension de certaines catégories, extension qui contredit le cas
échéant la littéralité du texte. Nous pensons à l’argument a pari ou par analogie.
La définition se situe clairement du côté du principe du respect du sens littéral du texte. Si vous
plaidez pour un éloignement du sens littéral, donc pour un assouplissement dans l’interprétation
des catégories, il y a de fortes chances que l’argument par définition ne vous soit pas du meilleur
secours.
Selon nous, il y a lieu d’opérer une distinction entre la possibilité d’activer chacun des deux principes
et l’idée selon laquelle ils fonctionneraient de manière symétrique. Certes, les théoriciens de la
topique juridique ont montré les limites d’un modèle syllogistique et axiomatique où la place
dévolue au juge était presque inexistante. Il n’est dès lors pas question de reconduire cette idée
typique de la philosophie de la codification selon laquelle le juge est censé appliquer
mécaniquement la loi au cas d’espèce et éviter l’interprétation autant que faire se peut. Nous
pourrions nous demander si la philosophie de la codification a véritablement été prônée dans les
termes où la dépeignent ses détracteurs, les théoriciens de la topique juridique, mais tel n’est pas
notre propos. Notre point est que l’existence de deux principes herméneutique, l’un plaidant pour
le respect du sens littéral – et donc appuyé par l’argument par définition – l’autre plaidant pour un
éloignement du sens littéral, ne conduit pas nécessairement à l’idée selon laquelle ces deux
principes fonctionnent de manière symétrique. Nous pensons au contraire qu’une présomption
profite au principe du respect du sens littéral – et donc de la définition. Cette présomption peut
être renversée, à l’aide du second principe, mais ce renversement doit se justifier. En revanche, le
respect de la littéralité ne doit pas se justifier, il est admis par défaut, d’où la force d’un argument
qui s’appuierait sur une définition.
Le positivisme juridique est une théorie polymorphe reposant sur plusieurs idées. Pour les besoins
de cette démonstration, nous ne parlerons que de la forme de positivisme telle qu’elle est remise
en question par les théoriciens non positivistes, comme Viehweg et Perelman. Le positivisme qu’ils
critiquent (et que dans une certaine mesure ils construisent) est celui de la philosophie de la
codification : le juge doit appliquer la loi et non l’interpréter.
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De quelle manière interagissent ces deux principes ? Sont-ils symétriques ou bien l’un des deux
serait-il applicable par défaut ? D’une manière générale, les théoriciens topiques semblent pencher
pour une symétrie des lieux de l’argumentation, y compris ces deux lieux de l’interprétation.
D’après les théoriciens de la topique juridique, seul le contexte peut indiquer lequel de ces deux
principes doit être appliqué. Une décision ignorante du contexte ne saurait assurer une issue
acceptable.
Dans sa version forte, le juge ne doit jamais interpréter la loi. Dans sa version faible, il doit tout
faire pour éviter d’interpréter la loi. Dans les deux cas, la définition constitue une des pierres
angulaires du jugement judiciaire, puisqu’il permet l’élaboration du syllogisme judiciaire cher à
Beccaria.
Depuis les années 1950, la philosophie du droit a connu plusieurs tournants dont le tournant
linguistique et le tournant herméneutique, autant de manières de dénoncer le modèle positiviste :
celui-ci ne faisait pas assez place à l’interprétation du juge, pourtant bien réelle. Dans le
mouvement de critique visant le positivisme juridique, le statut de la définition a connu un
bouleversement : de pièce maîtresse de l’argumentation juridique, la définition est devenue une
construction suspecte, dont la visée scientifique, universelle, neutre a été révoquée en doute.
Avec la remise en question du positivisme juridique, la définition a perdu de son lustre. Le lent
déclin du statut de la définition d’Aristote à nos jours touche donc l’histoire de la pensée en général,
ainsi que celle de la pensée juridique.
Section II – Réhabilitation de la définition
Ce déclin annoncé et revendiqué de la définition ne saurait convaincre le juriste de se passer de
cet outil. En effet, le juriste est naturellement conduit à miser sur des définitions qu’il construit ou
qui, figurant dans la loi, le contraignent. Nous montrerons combien la nature même du discours
juridique requiert l’usage de définitions. Ensuite, nous poserons des limites aux limites de la définition.
§ 1 : Nature du discours juridique
Le discours juridique se caractérise au moins par trois aspects 5 : la formulation, l’attitude
stratégique et la logique juridique.
Les normes juridiques se distinguent des normes non juridiques (notamment éthiques) par le rôle
qu’y joue la formulation. En effet, pour ce qui est des normes éthiques, exprimées au travers de
proverbes, de maximes (« Quand on aime on ne compte pas »), ou d’instructions précises (« Ne
reprends pas mes fautes de français en public »), la manière même dont elles sont formulées
importe relativement peu. Seule semble compter la valeur qui sous-tend l’instruction ou la norme
éthique. La demande faite par un parent à son enfant de ne pas reprendre ses fautes de grammaire
devant les invités doit souvent être comprise comme plus générale : il s’agit de ne pas reprendre
ce parent en public.
Bien entendu, le droit ne se distingue pas des autres sphères uniquement par ces trois aspects. L’existence d’un
juge à même de trancher les litiges est également un trait distinctif. Nous proposons ici de mentionner trois aspects
non du droit mais du discours juridique.
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A. Formulation et indépendance des normes
Admettons que la famille en question soit elle-même invitée chez d’autres gens, il semble que
l’interdit soit dans une certaine mesure encore valable – bien que ces gens ne soient plus des invités
mais des hôtes. Bien entendu, il peut exister des contre-exemples, où la norme éthique devait être
prise à la lettre, mais d’une manière générale, les instructions éthiques ne sont pas – et ne sont pas
censées être – l’objet d’une exégèse quant à la signification de l’énoncé. Les normes juridiques
voient leur formulation acquérir une sorte d’autorité en elle-même6.
La formulation entretient un rapport dialectique avec la raison implicite de la loi. Chaque loi est en
effet sous-tendue par une raison, que celle-ci soit explicite ou non. Mais il arrive que la norme
vaille, en vertu de sa formulation et non en vertu de cette raison implicite qui la sous-tend. C’est
là que se fait sentir un aspect directement lié à la formulation : l’autorité de la loi. On mesure
l’autorité associée à une loi à la manière dont les juges l’appliquent même lorsqu’ils la
désapprouvent.
La question de la formulation nous conduit à opérer une distinction extrêmement utile en droit
comparé, celle entre conception casuistique et formulation casuistique. La notion de culture casuistique
indique par le mot même qu’il y est question de cas. La conception casuistique caractérise les cultures
juridiques où le juge peut trancher des cas à la lumière de son expérience. Il peut le faire même si
la norme n’a pas obtenu de formulation stable. Les cultures orales, ou du moins celles où le droit
est transmis et appliqué de manière orale, embrassent souvent une conception casuistique. La
formulation casuistique est tout autre chose : le corpus juridique est exprimé sous forme de multiples
cas, qui ne suivent d’ailleurs pas toujours un ordre totalement déterminé. La culture talmudique a
longtemps été perçue comme une culture qui souscrivait à une conception casuistique, alors que
manifestement, ce n’est que la formulation qui est casuistique (Moscovitz 2002).
La définition se développe davantage dans les cultures juridiques qui se sont départies de la
conception casuistique. Pour résumer : il y a très peu de définitions dans les cultures où la
conception est casuistique, quelques-unes dans les cultures où la casuistique n’est plus que la forme
dans laquelle s’énoncent les normes juridiques (cultures de formulation casuistique).
L’école du réalisme américain, de Jerome Frank et Karl Llewellyn, revoit à la baisse la différence entre la prise de
décision en droit et la prise de décision ailleurs. Selon eux, les décisions judiciaires sont surtout dictées par le fait
que les juges sont avant tout des humains et non pas parce qu’ils sont des professionnels du droit (Schauer 2009 :
3-4).
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Bien entendu, le fait que la définition apparaisse dans la loi ou dans la doctrine (ou encore dans
d’autres sources du droit) emportera des conséquences quant à l’autorité qui lui sera associée. On
peut présumer qu’une définition législative l’emportera en autorité sur une définition forgée par la
doctrine. Ce point ne suppose pas que la vérité – si toutefois ce concept est pertinent ici – soit du
côté de la loi, que la définition légale est meilleure. Tel n’est peut-être pas le cas ; il reste que la
définition apparaissant textuellement dans la loi reçoit une autorité plus grande, car elle vaut en
vertu de sa source, la loi, celle-ci se caractérisant notamment par l’importance qu’y reçoit la
formulation.
Les définitions abondent dans les cultures qui ont procédé à une codification – que les lois
codifiées soient le fruit d’une élaboration nouvelle ou que cette codification ne contente de consacrer
les lois qui précédaient la codification.
B. Attitude stratégique
Ce n’est pas seulement que la formulation importe, elle permet même une analyse indépendante de ce
que pourrait vouloir dire le texte. Le droit autorise en effet voire invite une attitude stratégique par
rapport aux normes. Il n’est pas facile de définir ce qu’est une attitude stratégique, parce que le
mot de stratégie est très chargé et renvoie à de nombreuses choses. Mon propos ici consiste
simplement à me faire l’écho de certains auteurs qui ont introduit en droit des notions issues de la
pragmatique (entendue comme discipline de la linguistique qui étudie les énoncés en contexte). Le
but est de rendre compte d’un trait particulier du discours juridique. Ce trait a partie liée avec
l’attitude du lecteur de la loi, une fois qu’elle est comparée à l’attitude du lecteur d’un autre texte.
John Searle a montré qu’il existe un nombre indéfini d’interprétations littérales d’un énoncé (Searle
1979). Il suffit – sans même proposer de lecture métaphorique – de faire varier ce qu’il appelle
l’arrière-plan (background). Ces variations d’arrière-plan peuvent être illustrées par l’exemple
suivant : « Jean a sorti la clé de sa poche et a ouvert la porte. » Le lecteur comprend le plus souvent
que Jean a non seulement sorti la clé, mais qu’il l’a utilisée pour ouvrir la porte. En effet, si tel
n’était pas le cas, on ne comprend plus pourquoi le narrateur aurait précisé qu’il a sorti sa clé de
sa poche. Or, la lecture selon laquelle Jean a sorti la clé de sa poche et a ouvert sa porte en y
donnant un coup de pied n’est pas métaphorique mais bien littérale. Ce qui est curieux n’est pas
un écart par rapport au sens littéral ou à la formulation – qui sont respectés – mais un écart par
rapport à autre chose, que l’on peut appeler la coopération. Le lecteur qui coopère « remplit » pour
ainsi dire les non-dits : Jean a sorti la clé pour ouvrir la porte (non en frappant dessus ou en
l’utilisant comme un bélier, mais en tournant la clé dans la serrure).
Premièrement, la suspension du principe de coopération ne signifie nullement que le juriste qui
propose une interprétation d’une disposition légale ne coopère plus. Il ne fait que suspendre
momentanément une pleine et entière coopération – du moins, ce qui serait perçu comme une
coopération par un observateur extérieur.
Deuxièmement, tout lecteur qui invoque une interprétation contre-intuitive de la loi, mais qui en
respecte la formulation, ne perd pas pour autant sa capacité de coopérer le reste du temps. La
lecture stratégique indique seulement que le principe de coopération peut être momentanément
suspendu. En outre, le seuil de tolérance de lecture stratégique ne dépend pas tant de chaque juriste
que de la culture juridique.
Troisièmement, la suspension du principe de coopération n’est pas le propre du discours juridique,
puisque de nombreux locuteurs agissent de la sorte ailleurs.
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La lecture stratégique suspend par moments ce que Grice appelle le principe de coopération (Grice
1989, Marmor 2014). Ce point appelle trois remarques.
Certes, mais un tel comportement est socialement mal vu, alors que lors d’un débat juridique, il
est mutuellement manifeste qu’une suspension du principe de coopération est dans une certaine
mesure admissible.
La définition est l’objet d’une attention particulière en droit, puisque son autorité est très forte,
surtout pour ce qui concerne les définitions au sein de la législation. Les définitions se prêtent
facilement à la lecture stratégique pour plusieurs raisons. La première est que les définitions étant
censées être – par définition – exhaustives, l’argument a contrario y est forcément étroitement lié.
La seconde raison est que la définition étant censée valoir indépendamment du contexte, elle offre
des possibilités de lecture et de compréhension qui ne sont pas celles du sens commun.
C. Logique juridique
Les notions de formulation et de lecture stratégique propre à chaque culture nous conduisent aux
notions d’ontologie juridique et de logique juridique (Perelman 1976). Chaque ontologie juridique
se caractérise par la manière dont les sources du droit sont articulées. Parmi un grand nombre
d’ontologies juridiques, on peut retenir notamment l’ontologie du droit continental, de tradition
romano-germanique, où la loi occupe une des places les plus importantes, par opposition au droit
de common law, où la jurisprudence joue un rôle prédominant. L’ontologie juridique est donc
directement déterminée par les sources qui sont désignées comme premières et ainsi que par celles
qui ne sont que subsidiaires. Les sources peuvent encore être dites contraignantes ou persuasives.
Une source contraignante est une source dont l’autorité doit être suivie, à la manière dont on suit
une règle. Une source persuasive peut au mieux constituer un argument à titre subsidiaire : on s’en
inspire plus qu’on ne la suit.
C’est à cette fin que chaque ontologie juridique possède une logique juridique, c’est-à-dire un
ensemble de procédés permettant d’assouplir l’ontologie juridique, afin de surmonter certains
résultats sous-optimaux. Parmi ces procédés, citons la fiction, la lecture téléologique, la définition.
D’une manière générale, on peut dire que la logique juridique est constituée de toutes les ressources
de l’attitude stratégique : prendre des termes à la lettre ou à l’inverse s’éloigner complètement de
la lettre, l’appel à la cohérence ou au contraire l’invocation d’un cas exceptionnel requérant un
traitement exceptionnel.
Ces trois aspects du discours juridiques sont liés. Ainsi, le caractère central de la formulation des
normes juridiques autorise une approche stratégique, qui peut le cas échéant faire primer une
interprétation reposant sur la forme seule au détriment du fond. Par exemple, le principe de l’effet
utile prétend justifier la présence de termes, énoncés, paragraphes, qui autrement seraient
superfétatoires. Ce n’est pas uniquement la présence ou l’absence d’un terme qui est présenté
comme pertinent, mais également le choix des mots. Ainsi, le législateur hésite parfois entre deux
formulations x et y parfaitement interchangeables mais entre lesquelles il doit bien se décider.
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Chaque ontologie juridique voit émerger des solutions qui, quoique découlant manifestement du
fonctionnement normal de l’articulation des sources, présentent un caractère inacceptable : la
décision de justice revêt alors un aspect injuste, absurde ou arbitraire.
Il n’est pas du tout inconcevable qu’une interprétation stratégique, même consciente du caractère
interchangeable des deux formulations, s’appuiera sur le fait que le texte dispose x plutôt que y.
Parmi les différentes classifications des cultures juridiques, rien n’interdirait de les comparer en
fonction du niveau de lecture stratégique autorisé. Ainsi, l’usage de la définition pourrait constituer
un indicateur assez puissant : le nombre de définitions législatives indiquerait le niveau de
codification et donc d’abstraction. Par ailleurs, le jeu sur les définitions, c’est-à-dire la recevabilité
de lectures forcées mais compatibles avec la formulation des définitions serait un indicateur du degré
de lecture stratégique autorisé dans chaque culture juridique.
Cette triple nature du discours juridique justifie la présence de la définition comme procédé faisant
valoir l’importance de la formulation, prêtant main-forte à la lecture stratégique et constituant l’un
des outils privilégiés de la logique juridique. Si l’on abandonne l’idée que la définition doit être
parfaite, infaillible, on perçoit mieux le rôle qui est le sien en argumentation juridique, un rôle
qu’aucune mode philosophique ne saurait démentir.
§ 2 : Limites des limites de la définition
La notion de définition reflète une exigence d’abstraction qui n’est pas présente dans toutes les
cultures juridiques. Il arrive en effet que certains droits exploitent le critère plus encore que la
définition. Un critère est un trait, une caractéristique, qui permet de savoir si un objet tombe ou non
sous une catégorie. Que l’on renonce à un objet perdu peut être considéré comme un critère
permettant d’y voir une res nullius, ce n’est pas en tant que telle une définition. Le critère se
distingue de la définition par le fait que, d’une part, il ne s’élève pas nécessairement à un haut degré
d’abstraction et que, d’autre part, le critère présuppose une série de conditions déjà réunies. Par
exemple, un objet ne devient res nullius que si son propriétaire y a renoncé et qu’il se trouve dans le
domaine public. Cette seconde condition est implicite. La définition idéale ne présuppose rien,
puisqu’elle vise à rendre explicite aussi succinctement que possible tous les traits définitoires de la
catégorie définie. En ce sens, le critère est moins précis que la définition dans la mesure où il est,
toutes choses égales par ailleurs, plus aisé d’en détourner la signification, pour peu qu’on modifie
les présupposés. En revanche, la définition présente une faiblesse, qui tient, paradoxalement, à sa
force : dans la mesure où la définition se présente comme une description complète, il devient
possible de la sortir de son contexte d’application, précisément en raison de son autonomie, une
indépendance que la notion de critère ne revendique pas.
Notre position est double : non seulement la définition et le critère ont droit de cité en
argumentation juridique et procurent des outils incomparables d’argumentation, mais en outre cela
ne signifie pas que la définition ou le critère soient nécessaires à tous égards.
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Les limites que l’on assigne à la définition participent au moins en partie d’une mécompréhension
de la nature du discours juridique. En effet, si le discours juridique possède bel et bien les
caractéristiques que nous avons décrites – le rôle de la formulation, de l’attitude stratégique et la
logique juridique – le statut de la définition doit être révisé : la remise en question du rôle de la
définition par les théoriciens topiques doit elle-même être amendée.
Entre une théorie naïvement positiviste prêtant foi par principe à la définition et un rejet de toute
définition, une troisième voie est envisageable : celle où la définition joue un rôle central mais qui
n’est ni infaillible ni toujours nécessaire. Que la définition ne soit pas parfaite, cela s’explique par
l’idée que le principe du respect de la littéralité du texte, quoique présumé, est toujours susceptible
d’être contrebalancé par le principe de l’éloignement de la littéralité du texte en cas de nécessité. Il
reste à expliquer en quoi la définition n’est pas toujours nécessaire ni même toujours souhaitable.
Certains termes de la loi ne sont pas définis – et à juste titre. Prenons l’exemple de l’abandon
d’enfant. Il est interdit d’abandonner un enfant, mais la loi ne précise pas l’âge auquel une absence
de deux minutes constituerait un abandon. La loi ne précise en fait ni l’âge, ni la durée de l’absence
ni les circonstances. Or, si la définition vise à lutter contre l’arbitraire, ne serait-il pas opportun
que les termes mêmes des actions condamnés soient définis ? Si je ne connais pas la définition de
l’abandon, comment puis-je m’assurer de ne pas en commettre un ? Endicott s’est penché sur cette
question et affirme qu’il serait plus arbitraire de définir précisément en quoi consiste l’abandon,
tellement les enfants et les circonstances diffèrent. En réalité, ce qui constitue un abandon est
laissé à l’appréciation des parents et du juge. Certes, ceux-ci peuvent diverger quant à leur
appréciation, mais tout bien considéré, il semble moins arbitraire, plus économique et plus
raisonnable de ne pas définir ce qu’est l’abandon.
Conclusion
La seconde partie se livrait à une réhabilitation de la définition qui passait par une mise au point
sur la triple nature du discours juridique : formulation, lecture stratégique et logique juridique
– autant d’aspects qui ménagent une place de choix à la définition. Enfin, les limites de la
définition, rappelées à l’envi par les théoriciens topiques, se voient à leur tour assigner des limites :
que la définition ne soit pas infaillible ne signifie pas que l’on doive s’en passer. Par ailleurs, qu’elle
soit utile ne signifie pas qu’elle soit toujours nécessaire.
Il est temps de revenir au cas par lequel s’ouvrait cette contribution, celui d’une définition légale
de la nudité : « Est nu, aux fins du présent article, quiconque est vêtu de façon à offenser la décence
ou l’ordre public. » Nous sommes ici aux prises avec une tension entre un terme ordinaire (on sait
à peu près ce que signifie la nudité) et une définition technique (vêtu de manière à offenser la
décence ou l’ordre public). La question qui s’est posée est celle de savoir si la définition légale rend
caduc le sens ordinaire du terme « nudité ». D’une manière générale, on peut s’attendre à ce que
les mots doivent recevoir leur sens ordinaire sauf si la loi produit une définition.
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Nous avons suivi le lent déclin du statut de la définition depuis Aristote jusqu’à nos jours, dans
l’histoire des idées et en théorie du droit. La définition s’est vue dénier toutes les caractéristiques
qu’Aristote lui attribuait, notamment sa littéralité, sa structure en genre prochain et différence
spécifique ou en conditions nécessaires et suffisantes. En droit, une méfiance toujours plus grande
entoure l’usage de la définition. Le positivisme juridique promouvait l’usage de la définition, et la
remise en question du modèle n’a pas épargné la définition, accusée de vouloir jouer un rôle
autoritaire, une forme d’argument d’autorité qui ne dit pas son nom.
D’un côté, une présomption privilégie le sens ordinaire – en l’absence d’une définition légale – et
d’un autre côté on présume que le sens technique, défini explicitement par la loi, remplacerait le sens
ordinaire. Ces considérations générales conduisent cependant à une situation pour le moins
étrange : il serait interdit d’être nu au sens technique (vêtu de manière à offenser la décence ou
l’ordre public) et autorisé d’être nu au sens ordinaire (tout nu).
Cet exemple met à nu, si l’on peut dire, la critique de l’usage des définitions : c’est précisément
parce que la définition est susceptible de plusieurs usages (dont certains sont abusifs) qu’il est
nécessaire de la compter dans la panoplie du juriste et du philosophe. La définition fait partie de
ces entités auxquelles on n’échappe pas : ce n’est pas parce que je prétends ne pas définir un terme
que je ne dispose pas d’une définition. Un auteur plus avisé sera certainement en mesure de
constituer la définition que j’ai de quoi que ce soit. Raison de plus pour anticiper ce travail et
assumer le fait que nous sommes condamnés à manier la définition en droit. Comme les
contraintes dans de nombreux arts, la définition ne limite pas mais libère, puisqu’elle nous donne
l’occasion de décider comment la chose doit être définie.
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