Créer un réseau : l exemple du réseau mémoire Aloïs

R
ecensée comme étant la plus fréquente des pathologies
de la mémoire, la maladie d’Alzheimer reste sous-
diagnostiquée : 40 % des patients ne seraient pas
identifiés. Le réseau mémoire Aloïs s’est constitué dans le but
de repérer précocement, parmi les patients exprimant une plainte
mnésique, les malades atteints d’une maladie de type Alzheimer
ou apparentée et d’assurer une prise en charge globale de ces
personnes.
LA MÉMOIRE : UNE PRIORITÉ DE SANTÉ PUBLIQUE
Intérêt du diagnostic précoce
La maladie d’Alzheimer est la plus fréquente des maladies de la
mémoire, elle représente 60 à 70 % d’entre elles. Elle concerne
près de 800 000 personnes, toutes tranches d’âge confondues,
auxquelles viennent s’ajouter chaque année 100 000 nouveaux
cas. Du fait de l’allongement de la durée de vie, il est probable
que ce chiffre double d’ici 2020. Sont touchées environ 5 % des
personnes âgées de plus de 65 ans, la prévalence augmentant pro-
gressivement avec l’âge pour atteindre 20 % au-delà de 85 ans.
En fait, la maladie d’Alzheimer reste encore sous-diagnostiquée
en France : 40 % des patients ne seraient pas identifiés. La recru-
descence observée aujourd’hui est liée d’une part à l’augmenta-
tion de la durée de vie et d’autre part au fait que la maladie est
beaucoup mieux connue – et donc reconnue par les médecins –
qu’il y a 20 ans.
Actuellement, le délai séparant le début de la maladie et la date
du diagnostic est de 32 mois. Le diagnostic est posé grâce aux
critères du NINCDS-ADRDA. À ce stade, les troubles de la
mémoire sont constants, et la plainte est exprimée par le sujet et
surtout par l’entourage. Or, bien avant d’atteindre ce stade, le
patient présente déjà une altération cognitive ainsi que des
troubles comportementaux et affectifs. Le diagnostic précoce est
essentiel pour plusieurs raisons :
Il permet d’exploiter le plus tôt possible la “réserve synap-
tique”, c’est-à-dire la partie restante du cerveau du patient, non
touchée par la maladie.
Il aide à prévenir les conséquences fâcheuses de la maladie,
telles que des erreurs de gestion pouvant entraîner la ruine maté-
rielle des patients ou de leur famille, ou des risques que les
troubles comportementaux peuvent faire courir à la population
ou au patient lui-même, notamment à l’occasion de la conduite
automobile.
Il rend possible l’initiation précoce d’un traitement médica-
menteux qui améliorera la qualité de vie du patient. La maladie
d’Alzheimer est en effet enfin entrée dans l’ère thérapeutique
depuis la mise sur le marché des inhibiteurs de l’acétylcholines-
térase (I-AchE) et, plus récemment, des inhibiteurs des récepteurs
du glutamate (Ebixa©). Les I-AchE retardent de manière sub-
stantielle la détérioration des fonctions cognitives des patients.
En améliorant les fonctions cognitives, les capacités fonction-
nelles et les troubles psycho-comportementaux du patient, c’est
également la qualité de vie de l’aidant, souvent sujet à des
troubles anxio-dépressifs, que l’on améliore.
Enfin, l’ensemble de ces éléments met en évidence que le dia-
gnostic précoce, suivi d’une prise en charge précoce du patient et
de l’entourage, va s’accompagner d’une réduction des coûts
directs ou indirects liés à la maladie.
Le réseau mémoire : une réponse à cette problématique
Un réseau tel que le réseau mémoire Aloïs cherche justement à
repérer précocement, parmi les patients qui expriment une plainte
mnésique, ceux atteints d’une maladie de type Alzheimer ou
apparentée. Actuellement, les consultations mémoire sont réali-
sées en milieu hospitalier, mais la capacité d’accueil est large-
ment insuffisante. Dans la zone couverte par le réseau, c’est-à-
dire dans les 5e,6
e,7
e,13
e,14
e,15
eet 16earrondissements de Paris
ainsi que dans les communes de Vanves, Châtillon, Malakoff,
Montrouge, Issy-les-Moulineaux et Boulogne-Billancourt
(Hauts-de-Seine), le nombre de patients atteints de la maladie
d’Alzheimer est de plus de 20 000*. Il faut ajouter à ce chiffre
environ 40 % de malades qui ne seraient pas diagnostiqués, soit
environ 8 000 dans la zone en question. Il existe donc un pool de
28 000 patients.
En 2003, 8 422 patients, dont 4 740 nouveaux cas, ont été vus ou
suivis au sein des douze consultations hospitalières de la zone
(voir en annexe). D’après les chiffres des consultations, 60 % à
80 % de ces patients sont déments ou prédéments, parmi lesquels
70 % ont une maladie d’Alzheimer. Dans la zone du réseau, sur
VIE PROFESSIONNELLE
La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006
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Créer un réseau : l’exemple du réseau mémoire Aloïs
B. Defontaines 1, O. Champart-Curie 2, J. Bailet 3, B. Robert 4, P. Slama 5, P. François 6, M. Menot 7, S. Denolle 8
1Neurologue, présidente. 2Gériatre, vice-présidente.
3P-DG de Medicafrance, trésorier. 4Médecin généraliste, secrétaire général.
5Médecin généraliste, trésorier adjoint. 6Médecin généraliste,
secrétaire général adjoint. 7Neuropsychologue. 8Coordonnatrice.
*Sources : recensement INSEE 1999 ; données actualisées Paquid Ramaroson et al., 2003.
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un pool de 28 000 patients, seuls 5 053 à 6 738 sujets déments ou
prédéments sont donc diagnostiqués ou pris en charge par les
consultations hospitalières. Environ 14 000 sont vus en ville,
mais le diagnostic y est souvent tardif compte tenu de la pénurie
de neuropsychologues libéraux et du coût souvent rédhibitoire de
leur consultation.
L’objectif du réseau est de désengorger les services hospitaliers,
dans lesquels de surcroît le délai d’attente peut atteindre 8 mois,
en offrant la possibilité aux patients des cabinets libéraux de
bénéficier d’une consultation en ville, de même qualité, de faible
coût et sans attente, dans le cadre d’un véritable réseau de santé,
en lien étroit avec les établissements de soins et les associations
de malades.
Le réseau peut ensuite offrir à chaque malade, dont le diagnostic
est correctement posé, la réponse la plus adaptée à sa situation :
prise en charge en ville, hospitalisation, placement en EPHAD,
HAD, retour à domicile avec accompagnement psychologique
des aidants, etc.
En clair, le réseau s’adresse aux quelque 8 000 personnes
malades qui ne seraient pas encore diagnostiquées, en ayant pour
objectif de prendre en charge le maximum d’entre elles. Il pro-
pose également des délais d’attente plus courts aux 6 000 per-
sonnes environ déjà vues en consultation hospitalière. Enfin, pour
toutes, il assure un suivi médical et social à chaque étape de leur
“parcours mémoire”.
FONCTIONNEMENT ET SPÉCIFICITÉS
DU RÉSEAU MÉMOIRE ALOÏS
Le réseau mémoire Aloïs trouve son origine dans une initiative
libérale et associe des médecins de disciplines différentes (géné-
ralistes, neurologues, gériatres, psychiatres), des professionnels
médico-sociaux, des établissements de soins, des institutions
d’hébergement pour personnes âgées, des organismes sociaux, des
associations de malades et d’usagers, tous animés du souci d’amé-
liorer le diagnostic précoce, l’accès aux soins, la coordination, la
continuité et l’interdisciplinarité de la prise en charge des malades
spécifiquement atteints de pathologies de la mémoire.
Créé en novembre 2004, financé par l’Union régionale des
caisses d’assurance maladie d’Île-de-France et par l’Agence
régionale de l’hospitalisation, le réseau dispose de huit salariés :
un médecin directeur, deux médecins coordonnateurs, deux
neuropsychologues, une infirmière régulatrice, une coordinatrice
et une secrétaire. Il fait par ailleurs ponctuellement appel à un
certain nombre de prestataires extérieurs, tels que des experts-
comptables, des juristes ou des consultants en informatique et
système Internet.
Un bilan psychométrique pour les patients du réseau
Le réseau propose tout d’abord à ses patients un bilan psycho-
métrique effectué par une neuropsychologue pendant environ
deux heures. Ces consultations ont lieu en cabinet privé dans les
VIIe, XIVeet XVearrondissements et coûtent 20 euros (non rem-
boursés, au titre de don à l’association du réseau). Afin de per-
mettre au spécialiste de poser un diagnostic qui soit le plus pré-
coce possible, les rendez-vous peuvent être obtenus dans un délai
très rapide par rapport aux consultations hospitalières : une quin-
zaine de jours au maximum. Dès lors qu’ils ont signé la conven-
tion constitutive du réseau, tous les spécialistes peuvent adresser
leurs patients à la neuropsychologue du réseau. Les rendez-vous
sont alors à prendre directement auprès du réseau par le médecin
spécialiste ou par le patient lui-même.
Une équipe de coordination au service des patients
et des professionnels
Le réseau repose également sur une équipe de coordination qui a pour
mission de guider et d’informer le patient à chaque étape de son
parcours mémoire : mise à disposition d’une liste complète de
professionnels exerçant à proximité de son domicile ou à domicile,
en secteur 1 ou en secteur 2 (médecins généralistes, spécialistes,
orthophonistes, stimulation cognitive, organismes sociaux ou juri-
diques, associations de familles, Centres locaux d’information et
de coordination [CLICS], programmes de soutien aux aidants) ;
indications sur la procédure à suivre et mise en contact avec les
interlocuteurs adaptés lorsque l’état du patient nécessite un bilan
à l’hôpital, une hospitalisation prolongée ou à domicile, un accueil
de jour ; en cas de recherche d’une maison de retraite médicalisée
et spécialisée, mise en relation avec les établissements les mieux
adaptés à la situation et disponibles à la date souhaitée.
L’équipe de coordination est également là pour décharger les pro-
fessionnels de ces questions relatives à l’information et à l’orien-
tation des patients en les faisant bénéficier de tous ces services.
Le professionnel trouve donc dans le réseau un soutien supplé-
mentaire pour les patients et les familles, souvent déstabilisés par
l’annonce du diagnostic ainsi que par les difficultés quotidiennes
inhérentes à la démence. Dans tous les cas, le médecin garde la
pleine maîtrise du suivi de son patient : le réseau vient en soutien,
si besoin et sur demande, mais il ne se substitue jamais au méde-
cin traitant. Pour les professionnels, le réseau organise de surcroît
des sessions de formation, destinées à approfondir avec eux cer-
tains aspects des maladies de la mémoire et à examiner les diffé-
rentes situations qu’ils peuvent rencontrer avec leurs patients.
Le réseau propose donc une consultation mémoire complète,
c’est-à-dire une consultation pluridisciplinaire, comprenant
notamment l’intervention d’un spécialiste (neurologue, gériatre
ou psychiatre) et d’une neuropsychologue. Dans certains cas,
l’intervention de la neuropsychologue ne sera pas nécessaire pour
poser le diagnostic.
Quelques chiffres
La tenue d’un livre de bord des patients du réseau a permis de
mettre en évidence au 15 mars 2006, après quinze mois d’acti-
vité, les statistiques suivantes :
Quatre cent trente patients répondent aux critères d’inclusion
(domiciliation dans la zone, plainte mnésique et consultation
chez au moins l’un des professionnels membres du réseau).
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La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 5 - mai 2006
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Ces patients se répartissent en 300 femmes et 130 hommes ;
77 % d’entre eux ont plus de 60 ans.
Sur ces 430 patients, 40 % ont une maladie d’Alzheimer. Les
autres, en comptant les causes multifactorielles, se répartissent
comme suit : dépression, 20 % ; MCI, 14 % ; démence mixte,
9 % ; corps de Lewy, 5 % ; Parkinson, 3 % ; troubles cognitifs
d’origine vasculaire, 2 % ; autres (sclérose en plaques, ané-
vrysme, AVP), 7 %.
S’agissant des résultats de MMS, la classe modale est celle des
stades légers à modérés : 72 % obtiennent un score compris entre
21 et 29.
Trois cent quatre-vingt-sept bilans neuropsychologiques ont
été réalisés, avec un délai moyen d’attente de 15 jours.
Cent vingt-quatre patients ont été orientés vers un(e) ortho-
phoniste ou un(e) kinésithérapeute (à domicile).
Dossier mémoire informatisé du patient
À l’initiative des centres mémoire de ressources et de recherche
(CMRR), un logiciel, appelé Calliope, a été créé à destination des
consultations mémoire. Déjà en service dans plusieurs régions,
ce logiciel permet d’enregistrer pour chaque patient les données
administratives d’une part, et les différentes consultations d’autre
part, avec les résultats de la batterie de tests psychométriques à
disposition. Il est accessible par Internet, en accès sécurisé. Le
réseau projette de développer Calliope afin de le rendre utilisable
par tous les professionnels du réseau, qu’ils soient généralistes,
spécialistes ou paramédicaux, avec différents niveaux d’accès
selon la qualité de chacun. Le but est d’améliorer la circulation
de l’information entre professionnels en créant un dossier médi-
cal informatisé pour le patient atteint de troubles de la mémoire.
À terme, à chaque ouverture de dossier patient, une indemnisa-
tion sera prévue pour le médecin.
À l’issue de cette première période considérée comme expéri-
mentale, le réseau mémoire Aloïs estime avoir rempli sa mission
en matière de dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer d’une
part, et de prise en charge globale des patients d’autre part. Si un
certain nombre d’éléments relatifs au fonctionnement ou à l’or-
ganisation du réseau restent bien sûr à améliorer, le réseau
mémoire Aloïs est à même de répondre à un réel besoin de la
population vieillissante, dans un domaine dont le gouvernement
a fait de surcroît, et à juste titre, une priorité pour les années à
venir. Le réseau vient de surcroît d’obtenir une prolongation de
ses fonds par le biais de la Dotation régionale de développement
des réseaux, qui a notamment fondé son appréciation sur les
résultats très positifs de l’évaluation externe du réseau.
Remerciements :
Rémy Fromentin, consultant en ingénierie santé.
Les laboratoires Eisai, Novartis, Janssen.
Réseau mémoire Aloïs.
Siège social : 83, rue de la Convention, 75015 Paris.
Tél. : 01 45 77 17 60
01 30 21 70 84
Fax : 01 30 21 70 86
E-mail : reseaumemoire.alois@free.fr
Consultations mémoire hospitalières de la zone du réseau
mémoire Aloïs, recensées par l’intermédiaire du Centre mémoire
de ressources et de recherche en Île-de-France (CMRR-IF)
Consultation mémoire de Saint-Joseph, 75014 Paris : 320 patients
dont 120 nouveaux cas
Consultation CATTP Denise-Gray, 75014 Paris : 120 patients dont
60 nouveaux cas ; délai d’attente de 3 mois
Consultation mémoire Notre-Dame-de-Bon-Secours, 75014 Paris :
350 patients dont 220 nouveaux cas ; délai d’attente de 6 à 7 mois
Consultation de “gériatrie-mémoire” à l’hôpital Vaugirard, 75015
Paris : 250 patients dont 120 nouveaux cas ; délai d’attente de 3 mois
Consultation du centre de gérontologie Henry-Dunant, 75016 Paris :
450 patients dont 280 nouveaux cas ; délai d’attente de 3 mois
Consultation de gérontologie Sainte-Périne, 75016 Paris :
400 patients dont 150 nouveaux cas, délai d’attente de 4 mois
Centre de neuropsychologie de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris :
1 000 patients dont 800 nouveaux cas ; délai d’attente de 6 à 8 mois
Consultation de gériatrie de l’hôpital Broca, 75013 Paris :
4 000 patients dont 2 500 nouveaux cas ; délai d’attente de 4 mois
Consultation de gériatrie-mémoire de l’HEGP, 75015 Paris :
200 patients dont 80 nouveaux cas ; délai d’attente de 3 mois
Consultation de gérontologie, hôpital Corentin-Celton, 92130 Issy-
les-Moulineaux : 350 patients dont 70 nouveaux cas ; délai d’attente de
4 mois
Centre de gérontologie “Les Abondances”, 92100 Boulogne-Billan-
court : 182 patients dont 90 nouveaux cas ; délai d’attente de 2 mois
Centre hospitalier de Courbevoie-Neuilly, 92400 Courbevoie :
800 patients dont 320 nouveaux cas ; délai d’attente de 2 mois
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