Admission au Collège universitaire session 2014 Copie épreuve d’histoire (Coefficient 2) PREMIER EXERCICE : COMPOSITION Quelle croissance économique depuis le milieu du XIXème siècle ? Jean Boissonnat, journaliste et éditorialiste né en 1929, écrit en 1994 dans Rendez-vous avec l’Histoire : « Aucune génération, peut-être aucune après nous, n’aura vu, de ses yeux vu, autant de bouleversements enregistré autant d’innovation. » Le journaliste souligne ici les bouleversements tant économiques que techniques et sociaux auxquels a pu assister l’ensemble du monde depuis le début du siècle. Selon l’économiste d’origine biélorusse Simon Kuznets, prix Nobel d’économie de 1971 et spécialiste de la croissance économique, cette dernière est synonyme d’une phase de prospérité économique, caractérisée par une augmentation de la richesse, de la production et du produit intérieur brut (PIB) d’un pays ou de plusieurs ainsi que d’une amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la population et du revenu par habitant. A partir de 1860, les pays occidentaux entrent dans la seconde révolution industrielle et des économistes comme Juglar s’intéressent aux différentes phases de croissance économique entrecoupées de phase de dépression au recul de la production et qui commencent par une crise. Plus tard, en 1920, l’économiste russe Kondratieff distingue des cycles longs de deux phases (A et B) d’une durée moyenne de vingt-cinq ans : la première phase est une phase de prospérité tandis que la seconde est synonyme de dépression. Ces travaux permettent de comparer la croissance économique depuis 1850 avec les siècles précédents : commencée en 1720 au Royaume-Uni la croissance économique s’est intensifiée grâce à différents facteurs et innovations depuis le milieu du XIXe siècle et les bouleversements soulignés par Jean Boissonnat ne correspondent pas à des situations économiques semblables et antérieures. Comment peut-on expliquer et distinguer les phases de croissance économique qui se succèdent depuis 1850 ? De 1850 à 1929, les innovations et les progrès du capitalisme industriel accompagnent des phases de croissance économique périodiques entrecoupées de graves crises (I). De 1929 à 1973, les pays développés à économie de marché passent d’une dépression à une autre (II). Enfin, depuis 1973, la croissance est dépressive dans la plupart des pays industrialisés et certains pays émergents recherchent un « rééquilibrage du monde » (III). La période de 1850 à 1929 marque le passage et l’essor du capitalisme industriel triomphant tout comme une croissance économique malmenée par des crises graves. De 1850 à 1929, l’industrialisation et le capitalisme libéral jouent un rôle déterminant pour la croissance économique des pays occidentaux. Les innovations telles que le moteur à combustion et l’électricité révolutionnent le secteur industriel. Le discours du président Loubet à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris (1900) durant la même année que l’inauguration du métropolitain, traduit cette effervescence autour des bouleversements économiques : « La fin d’un siècle de prospérité économique et de progrès industriels. » Les usines et les banques sont les garants du succès d’un Procédure d’admission au Collège universitaire – copie d’histoire 1 capitalisme moderne et industriel. A la fin du XIXe siècle, les travaux de l’ingénieur Frederick Taylor pour l’organisation scientifique du travail (OST) rencontrent un vif succès et sont adoptés par Ford dans son usine d’automobiles de Detroit, qui produit la Ford T en 1908. L’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière durant cette période est également un indice de croissance économique : avec l’idée du « 5 dollars a day », Ford préconise des salaires élevés pour plus d’acheteurs potentiels. Durant cette période, la concentration verticale comme horizontale des secteurs d’activité joue un rôle majeur et reste moteur de la croissance économique : en Allemagne, les Konzerns (comme Krupp) aux Etats-Unis, les trusts (comme Du Pont de Nemours), et plus tard, au Japon, les zaibatsus. Bien que la croissance économique se soit intensifiée et repose sur différents moteurs, notamment l’essor du capitalisme industriel, les pays développés connaissent des périodes de dépression. De 1873 à 1896, le taux de croissance des pays industrialisés est freiné par une crise financière puis agricole. En France et en Allemagne, la croissance est dépressive (1 à 2 % par an). Des mesures protectionnistes sont adoptées pour faire face à la crise. En 1885, la faillite de la banque l’Union générale en France témoigne d’un certain marasme économique. Cependant, la grande dépression de 1873 à 1896 ne remet que relativement en cause l’hégémonie économique de l’Europe au début du XXe siècle. De 1896 à 1914, les pays européens assurent leur domination économique durant la « Belle Epoque ». L’Europe et ses pays sont les « banquiers et créanciers du monde ». Leurs bourses et leurs grandes banques, comme les « 4D » allemandes font la force du vieux continent. L’Amérique du Sud ne joue qu’un rôle de « grenier » car les Etats européens disposent de leurs Empires coloniaux. Certains pays comme les Etats-Unis et le Japon entendent rattraper leur retard économique. En 1913, le Japon représente 2% de la production industrielle mondiale. Ces deux pays sortent enrichis de la Première Guerre mondiale et rivalisent avec l’Europe en reconstruction, avec des taux de croissance de plus de 7% par an. Les Etats-Unis assurent un monopole dans quelques secteurs d’activité comme l’automobile avec 25 millions de véhicules dans leur parc en 1921-1922. Le Royaume-Uni, qui représentait à lui seul 1/3 du commerce mondial et la majorité des investissements à l’étranger en 1914 est dépassé. Les bouleversements économiques s’accélèrent à partir de 1929, crise marquant la faillite d’un système. La crise de 1929 débute par le krach boursier de Wall Street, le jeudi 24 octobre (« jeudi noir »). Le krach met en lumière la faillite du système du crédit aux Etats-Unis et la fin d’une période de croissance économique durant l’après-guerre. La « crise dans la crise » atteint l’Europe par les capitaux américains au début des années 30 (1931 pour la France). Les Etats-Unis et l’Allemagne, les plus touchés par la dépression, comptent respectivement 13,6 millions et 6 millions de chômeurs en 1933. Pour soutenir l’offre et la demande, les politiques des Etats divergent. Le Royaume-Uni et la France se replient sur leur empire par une exportation inéquitable de produits manufacturés. L’Italie fasciste de Mussolini et l’Allemagne nazie lancent toutes deux des politiques de grands travaux pour supprimer le chômage et atteindre une certaine autarcie ainsi qu’un redressement économique à la veille de la guerre. Le président Roosevelt, élu en 1933, lance le New Deal pour soutenir la demande et le pouvoir d’achat. Anticipant sur les mesures d’intervention de l’Etat promulguées par John Maynard Keynes, le Front populaire derrière le président du Conseil, Léon Blum, améliore les conditions de millions d’ouvriers (40% de la population active en 1931), bien que le retour à une réelle croissance économique soit un échec. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays développés à économie de marché (PDEM) renouent avec une croissance économique jamais égalée. En 1979, le sociologue Jean Fourastié publie Les Trente Glorieuses, une révolution invisible en analysant la période de prospérité économique de 1945 à 1973. Ce modèle, ne concernant d’abord que la France, peut se généraliser à l’ensemble des pays développés. La France de la IVe puis de la Ve République enregistre une croissance moyenne de 4 à 5% par an. La prospérité économique est l’une des conséquences directes sur l’amélioration du niveau de vie des Français. La plupart accèdent à la Procédure d’admission au Collège universitaire – copie d’histoire 2 société de consommation. Les salaires des ouvriers, dont l’apogée est 1971, s’harmonisent avec ceux des employés du tertiaire. Le fordisme, système de standardisation des tâches et travail à la chaîne, domine les méthodes de productions des firmes multinationales avec l’OS (ouvrier spécialisé). Le cas de la France n’est en revanche pas isolé : dans les années 1960-1970, la République fédérale allemande est témoin du « Wirtschaftswunder » (miracle économique), tandis que le Japon, sorti ravagé de la Seconde Guerre mondiale, connaît une croissance à deux chiffres. Comprimant le modèle d’alternances de phases de croissance et de dépression sur des cycles plus ou moins longs, le choc pétrolier de 1973 illustre la rupture entre la croissance époustouflante des « Trente Glorieuses » et la « croissance dépressive ». Le choc pétrolier de 1973 précipite les pays développés à économie de marché dans une période de « stagflation ». Commençant par la hausse du prix du baril de pétrole multiplié par 12 (de 3 à 35 dollars) entre 1973 et 1978 par les pays de l’OPEP, la période se caractérise par une inflation galopante des prix et par une stagnation économique (croissance économique négative voire quasiment nulle dans les PDEM). Les conditions de vie des travailleurs n’évoluent guère si ce n’est qu’un « malaise de l’OS » se fait sentir. Les firmes multinationales se détachent de leur pays d’origine pour devenir des transnationales. Elles profitent de main-d’œuvre moins chère en implantant des succursales dans les pays du tiers-monde. Cette nouvelle échelle mondialisée de la croissance économique entraîne de nombreux débats sur le type de croissance économique bénéfique à l’ensemble des pays. La montée du chômage et le marasme économique en général relancent les discussions sur la finalité de la croissance et ses conséquences sociales, politiques et environnementales. Le rapport Meadows (1971) des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) veut dire « Halte à la croissance » en observant les catastrophes environnementales qu’elle occasionne. D’autres courants comme l’altermondialisme et l’antimondialisme remettent en question et en cause la croissance économique dans la mondialisation. Le développement durable pour un nouvel équilibre entre l’environnement, la société et l’économie rassemble de nombreux partisans dans les années 90. 1973 et les crises successives du choc pétrolier à nos jours assombrissent les espoirs des pays du tiers-monde, qui sortent de la décolonisation et dépendent de l’aide internationale pour trouver un régime stable. La plupart continuent d’avoir une croissance très forte (jusqu’à 15% par an) notamment les « Bébés Tigres » d’Asie du Sud-Est, mais cette croissance économique s’accompagne également d’une croissance démographique, synonyme de difficultés et conflits socioculturels en Afrique subsaharienne notamment. D’autres pays, à l’image des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) réussissent leur rattrapage économique des PDEM et rivalisent même dans certains secteurs (Chine 2e puissance industrielle et économique en 2008 et Brésil très performant dans le secteur de l’aéronautique). De 1850 à nos jours, la croissance économique n’est en aucun cas continue mais revêt différents aspects, à la fois en termes d’innovations, de progrès techniques, d’amélioration des conditions de vie et d’une augmentation considérable des richesses. Les périodes de dépression économique touchent inégalement les pays, tout comme la croissance économique profite, parfois sporadiquement, à quelques pays plutôt qu’à une majorité, bien qu’elle s’ancre dans la mondialisation des échanges. Nous avons pu voir qu’il est possible de distinguer différentes phases de croissance économique et nous avons axé notre réflexion sur l’impact de la croissance au-delà des limites uniquement économiques. Procédure d’admission au Collège universitaire – copie d’histoire 3 SECOND EXERCICE : ETUDE CRITIQUE D’UN DOCUMENT Extraits de : Les Carnets de l’aspirant Laby, médecin dans les tranchées. 28 juillet 1914 – 14 juillet 1919, Bayard, édition 2013, 351 p. (aux pages 33, 62 et 72-74). Le document qui nous est proposé est un journal de bord d’un soldat français pendant la Première Guerre mondiale. Les Carnets de l’aspirant Laby, médecin dans les tranchées sont tenus du 28 juillet 1914, date de la mobilisation générale en France, jusqu’au 14 juillet 1919, jour de fête nationale pour un pays qui sort victorieux de ce conflit mondial. Les éditions Bayard font paraître les écrits du jeune Lucien Laby, âgé de vingt-deux ans en 1914, et médecin à l’occasion du Centenaire de la Grande Guerre. Les extraits que nous étudierons sont écrits dans les premiers mois de la guerre, qui est alors une guerre de mouvement qui s’éternise au grand malheur des populations européennes plongées dans le conflit. Comment un tel ouvrage, alors coutume chez de nombreux soldats de tous les fronts, permet-il de mieux comprendre l’expérience combattante durant la Grande Guerre mais aussi de mieux appréhender la différence entre ce conflit mondial et les guerres précédentes ? Les carnets révèlent d’abord les conditions de vie des soldats au front (I). Lucien Laby retrace ensuite au cours de l’automne 1914 l’esprit de camaraderie et la haine de l’ennemi, deux éléments pour tenir face à la violence des combats (II). Enfin, la Première Guerre mondiale franchit un nouveau seuil de violence et le journal du médecin transmet au lecteur l’omniprésence de la douleur et de la mort (III). Les carnets du médecin Lucin Laby donnent une place importante par le contenu, aux conditions de vie du soldat et à son quotidien au front. Pendant l’automne 1914, le conflit donne les premiers signes d’une prolongation des combats et l’espoir de retrouver ses proches après quelques semaines de campagne disparaît. Le médecin consacre un certain temps à la rédaction des lettres qu’il envoie à l’arrière : (l. 1) « J’écris tous les jours ». Ces correspondances avec les proches font tenir l’ensemble des soldats face au climat de violence dont ils sont témoins. Certains, encore jeunes comme le médecin, écrivent principalement à leurs parents. L’échange régulier est difficile à mettre en place (l. 2). Au milieu des lettres et de son journal, le médecin et ses camarades connaissent des conditions de vie difficiles et sans précédent. Ils côtoient chaque jour la boue et le froid et la rareté des épisodes d’hygiène leur vaut vite le surnom de « poilus » : (l. 6) « Ma barbe pousse ». Par ailleurs, les soldats profitent de quelques réjouissances pour se donner du courage pour les combats à venir. Ils reçoivent de modestes portions de tabac et disposent de quelques quantités d’alcool (l. 20-21). Plus que le tabac et les verres d’alcool, c’est l’esprit de camaraderie et une certaine haine de l’ennemi qui réconfortent les soldats comme Lucien Laby. Dans ce carnet, Lucien Laby développe l’importance des camarades face à la guerre, un point de vue partagé par la quasi-totalité des belligérants. La cohésion des soldats est une idée forte que le médecin énonce, lui-même amené à réconforter des camarades blessés. Les hommes sont soudés face à la mort, tissent des liens ou s’échangent des adresse au cas où le malheur surviendrait (l. 11). Informer la famille d’une disparition devient capital et seule une personne digne de confiance en est capable. La détermination des chefs cuisiniers (l. 36-37) est aussi à l’appui de cette camaraderie qui donne de la force à chaque soldat de la division. Cette cohésion empêche et condamne certains actes de lâcheté et il est possible d’évoquer ici le « consentement à la guerre » que développent les historiens français Audoin-Rouzeau et Becker. Parallèlement, Lucien Laby développe une haine des Prussiens portant le surnom très péjoratif de « Boches ». Les ennemis sont à la fois insultés et craints (l. 4). Cette haine et ce dégoût sont dans la continuité de l’esprit de revanche après la défaite de Sedan de septembre 1870 et la perte de l’AlsaceMoselle au profit de l’Empire Prussien. On peut supposer que Lucien Laby a fréquenté l’école Procédure d’admission au Collège universitaire – copie d’histoire 4 républicaine qui prône une certaine diabolisation de l’ennemi et la volonté de reprendre les armes face à la Prusse. La construction de l’instruction républicaine précède effectivement la naissance en 1892 de Lucien Laby. Au-delà de l’esprit de camaraderie et d’une certaine haine de l’ennemi, les carnets du médecin sont autant d’indices de l’omniprésence de la mort et de la souffrance dans le quotidien des soldats. Durant son service de médecin militaire, Lucin Laby est témoin d’une généralisation, d’une banalisation de la mort et pour reprendre le terme de l’historien américain d’origine allemande Georges Mosse d’une « brutalisation » des combattants. La mort est rapidement banalisée durant les premiers mois du conflit. Au total, c’est près d’1,4 million de soldats français qui connaîtront le même sort que les amis de Lucien Laby. La perte des camarades engendre un climat de peur et d’angoisse (l. 30 à 35). D’autre part, les soldats connaissent la mort au quotidien et la vulgarisent pour se donner du courage (Le mot « mort » n’est pas écrit une seule fois dans les extraits proposés). La vue de la souffrance est le quotidien du médecin Laby. Enfin, tuer l’ennemi perd progressivement sa difficulté et son choc moral. Les écrits du médecin témoignent d’une « culture de guerre » (John Keagan) décrite dans les dernières lignes du passage. Le médecin donne une valeur morale à la guerre et la rapproche d’un sentiment de triomphe toujours rêvé alors qu’il vit avec difficulté la réalité des combats. Les extraits proposés d’un journal de « poilu » sont autant de documents de mémoire de la guerre 1914-1918, cent ans après et ont un intérêt majeur pour la compréhension et l’étude de la vie quotidienne des soldats. Chaque récit est, part nature, conditionné par la personnalité de chaque individu, mais celui proposé correspond sans aucun doute aux points de vue de milliers de soldats, qu’ils soient originaires d’outre-Rhin, l’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. La principale limite des extraits réside dans la chronologie : ils appartiennent tous à l’année 1914 alors qu’une étude sur plusieurs années, particulièrement l’année 1916 avec Verdun et 1917 avec les épisodes de mutineries, aurait permis de mieux décrypter ce sujet complexe de l’expérience combattante durant la Première Guerre Mondiale. Procédure d’admission au Collège universitaire – copie d’histoire 5