Ecrits S FTG Hiver 2003/2004 Volume 1
Numéro 3
Société de Formation Thérapeutique du Généraliste
2003 Bilan très positif, 2004 plein de promesses…
Vous en rêvez ? venez le faire à la SFTG…
En 2003 de nombreuses activités ont ponctué la vie de la SFTG
Réalisation de 43 séminaires dans le cadre conventionnel de la FPC,
avec un taux de remplissage maximum, une richesse des thèmes et une convi-
vialité inégalée… sans passer sous silence les « SFTG folies » à la Rochelle,
qui regroupent dans un superbe cadre 4 séminaires, et se terminent par une
soirée conviviale, ouverte aux familles…
Cette année ce n’est pas moins de 45 séminaires que nous vous proposons,
avec une dizaine de nouveaux thèmes.
Vous pouvez les découvrir sur notre site : www.sftg.net
• Grandes manifestations du département sciences humaines et sociales
avec 2 temps forts :
- Avignon : théâtre et médecine sur le thème de l’animalité, nous avons
travaillé durant 48 h dans le magnifique cadre du Palais des Papes, autour de
comédiens, philosophe, psychanalyste, éthologiste. Bien sûr, le problème des
intermittents a donné une ambiance très particulière au cadre et au lieu, mais
la richesse du contenu fut une nouvelle fois fabuleuse.
- Pondichéry (Inde) : troisième grand voyage du groupe Anthropologie
et médecine, à la découverte de la culture indienne et des médecines indo-
tibétaines. 33 médecins se sont plongés durant 15 jours dans la culture in-
dienne, allant de l’immersion «new age» à Auroville à l’abord des médecines
Ayurvédiques et Tibétaines auprès de praticiens, en passant par la pratique
des Assanas et du Yoga. L’ensemble fut réalisé dans un cadre exceptionnel,
sans concession à l’occidentalisme. La prochaine étape se fera dans l’Hima-
laya et sera consacrée entièrement à la rencontre de la médecine tibétaine.
Colloque DCI , premier colloque d’une série de rencontres/colloques
consacrés à la thérapeutique. Une fois de plus la SFTG se place au cœur
de l’actualité en osant aborder ce thème brûlant. Grande richesse dans
ce colloque réalisé avec la participation de la Direction Générale de la Santé
et la Mutualité Française. Les actes du colloque seront bientôt diffusés.
Effervescence du département recherche.....
Créativité des groupes locaux.....
En 2004 le cru devrait être encore meilleur ! Bonne année à tous.
Patrick OUVRARD
Vice Président de la SFTG
Réflexion
Tranche de vie
Anthropologie
Recherche
Humeur
......
Liste des articles :
• Editorial 1
• Journée européenne
des langues 2
• Comme l’oiseau... 3
• DCI et placebo 4
• Intoxication par le plomb 6
• Suivre un patient cloné 7
• Groupes locaux 8
Ecrits SFTG
Réflexions, à l’occasion de la journée européenne des langues
(26 septembre 2003)
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Dans le domaine de la médecine et des
sciences, la langue véhiculaire est l’anglais.
Les revues de publications construisant l’état
de la science sont des revues anglophones.
Les publications dans les autres langues, notam-
ment les publications de synthèses permettant
par exemple aux médecins de se former et
de s’informer, s’appuient toutes sur des réfé-
rences presque exclusivement de publications
anglophones.
Les congrès internationaux localisés dans un
pays européen non anglophone se tiennent de
plus en plus en anglais sans que les débats ne
soient traduits dans la langue du pays d’accueil.
(exemple : le congrès sur le Sida à Paris en
juillet 2003)
Ainsi, les médecins et scientifiques des pays
non anglophones ont l’obligation pratique de
publier les résultats de leurs travaux en anglais,
de s’exprimer en anglais dans les congrès in-
ternationaux, et d’écrire leurs posters en an-
glais, même si le congrès se déroule dans leurs
pays. (Ainsi en France les seuls posters écrit
en français sont ceux des québécois qui les
écrivent systématiquement dans les deux
langues …)
Ainsi, les praticiens qui souhaiteraient avoir
accès à « l’information source », soit sous for-
me papier soit sous forme électronique, sont
condamnés à le faire en anglais. Ceux voulant
participer dans leur pays à des congrès inter-
nationaux les intéressant doivent comprendre
l’anglais.
L’EMEA, l’agence européenne du médicament
dispose d’un site Internet exclusivement en
anglais.
Au-delà des polémiques gauloises sur la pro-
tection de notre langue française, j’ai le senti-
ment que certains arguments en faveur d’une
plus grande diversité linguistique ne sont pas
suffisamment développés.
Publier ses travaux en anglais est un exer-
cice plus ou moins facile selon l’aptitude des
chercheurs à la langue anglaise. La publication
de travaux fait référence à l’expression d’une
pensée, une fois les données transcrites. Penser
dans une langue qui n’est pas la sienne, c’est
nécessairement et inéluctablement appauvrir
l’originalité et la singularité de sa pensée.
Quelle est la proportion parmi nos chercheurs
allemands, italiens, espagnol, portugais, danois,
français, etc., qui maîtrisant parfaitement l’an-
glais souvent en raison d’histoire familiale par-
ticulière, peuvent affirmer que leur pensée ne
subit aucune altération lors de l’écriture en
anglais ?
N’y a-t-il pas un risque de voir progressive-
ment les modes de pensées européennes non
anglophones se mettre en position d’infério-
rité par rapport à la pensée des anglophones
de naissance ?
Et que dire à l’immense majorité des praticiens
qui ne disposent pas du temps nécessaire pour
lire en anglais l’état de la science à un moment
donné, et qui doivent donc s’en remettre à
des intermédiaires, souvent intéressés ?
Imaginer des solutions qui ne soient pas des
mesures anti-anglaises, mais des mesures de
promotions des autres langues, c’est permet-
tre de ne pas uniformiser les modes de pensée
dans le domaine médical et scientifique; c’est
rendre accessible aux communautés médicales
non anglophones les données validées sur le
plan international, donc donner des outils ma-
jeurs à la démocratisation de ce secteur.
Ces solutions (traductions systématiques des
publications et des communications orales par
exemple, ou création d’une revue européenne
de publication multilangue) sont évidemment
coûteuses.
Mais dans quel monde voulons nous vivre ?
Dr Didier Seyler
Si nous pensons tous la
même chose, alors nous
ne pensons pas !
(c’est pas de moi ...)
Ecrits SFTG Page 3/8
Innocent comme le jeune oiseau
suspendu à la mamelle
Elle est mal dans sa peau. Depuis son
enfance, elle est toujours la seconde, la
moins brillante, la moins regardée, sans doute
moins aimée. De petites fugues en mensonges
plus graves, d’expériences tabagiques en
surdosages de haschich, elle a fini par
s’installer dans un état psychotique
Craignant la contagion de l’appareil à tension,
elle refusait toute approche, même de toucher
la main d’un autre ; enfermée toute la journée
dans une chambre dont elle avait supprimé
tout rideau, tout tapis et couverture, elle
refusait toute nourriture, forcément impure
et a fini par être hospitalisée à Montfavet (le
Centre Hospitalier Psychiatrique proche...)
quand son état ne lui a pas permis de résister
aux pompiers du village.
Le traitement neuroleptique l’a bien améliorée :
elle a repris confiance en elle, perdu la peur
du contact physique. Il a fallu de longs mois
pour qu’elle retrouve sa forme et ses formes,
elle est ressortie pour s’installer avec un ami
rencontré dans les couloirs de psychiatrie
l’avait amené une bonne névrose bardée
d’épisodes dépressifs
Le ménage marche bien mais Catherine et
Frédéric s’inquiètent de ne pas pouvoir avoir
d’enfants : malg l’avis des psychiatres qui
les suivent, ils diminuent progressivement
leurs traitements et peuvent les arrêter sans
troubles apparents. Psy et généralistes sont
très fiers de leur succès thérapeutique sur
le plan mental. Par contre les règles ne
reviennent pas, et c’est au gynéco de déclen-
cher la longue enquête de la stérilité… qui
retrouve l’inévitable hyperprolactinémie…
avec selle turcique normale.
Du coup, l’absence de cause la rend un peu
dépressive et la psychiatre lui recommande un
somnifère dont les effets sont très nets sur son
conjoint : il couche son poids lourd dans un
rond point, heureusement sans mal pour lui. Je
mène alors un interrogatoire serré pour savoir
ce qu’il consomme : aucun médicament,
plus de haschich, pas de produits interdits…
enfin… sauf… avoue-t-il difficilement….le
lait de sa compagne
« Mis au sein » matin et soir, il pense que c’est
ce qui lui a permis de remonter la pente, de
reprendre le volant, de ne plus se droguer, de
larguer le « shit » et les tri-cycliques. Quant à
elle, elle apprécie cette « habitude », elle aurait
ainsi repris l’appétit et un bon état physique.
Je lui ai expliqué que la lactation induite par
les neuroleptiques avait été entretenue par
son copain : pour devenir papa il faudra qu’il
cesse de têter…
Quand je l’ai raconté au téléphone à la
psychiatre, après un silence très analytique,
elle a proposé la reprise des neuroleptiques
car elle craint les effets du sevrage lacté sur
le couple. J’avoue que j’hésite ; le routier est-
il plus dangereux en syndrome de manque ou
avec un syndrome extrapyramidal ?
Si les médecins du travail et les médecins
conseil savaient tout cela ….Comment
réagiraient-ils ? Dois-je appeler le gynéco ?
De toute façon ils ont très bien compris mon
schéma plein de flèches sur les interactions
hypophyso-endocrino-mammaires.
Dr Bernard Senet
Association Escoleta
Avignon
Ecrits SFTG
Or, quand il y a
prescription
en DCI,
cela conduit
dans 90% des cas
à la délivrance
d’un médicament
en générique
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Anthropologie et représentation du médicament : DCI et placebo
Dans les soctés traditionnellement étudiées
par les ethnologues, la notion de personne dif-
fère de celle à laquelle nous sommes habitués, et
l’administration d’un remède, quelle que soit sa
forme, ne se conçoit pas séparée du traitement
rituel qui l’accompagne.
Lorsque dans son cabinet un médecin rédige une
ordonnance, il prescrit des médicaments, « re-
mèdes selon raison », mais il fait plus : par l’acte
de prescrire, par la façon dont il va présenter et
expliquer son ordonnance, il va y ajouter ce que
Levi-Strauss a appe l’efficacité symbolique.
L’homme est un être de relations et de symboles
au sens de « équivalents significatifs du signifié,
relevant d’un autre ordre de réalité que ce der-
nie; au-dede l’effet biologique du médica-
ment, il y a la représentation qu’en a le malade.
Avec la prescription en DCI, c’est la représenta-
tion du médicament qui est bousculée.
Lorsque Patrick Ouvrard m’a demandé de par-
ticiper à l’atelier « Anthropologie et représen-
tation du médicament : DCI et placebo », j’ai
envisagé la question sous deux angles : le mé-
dicament comme « objet technique » et l’acte
de prescrire, analysé comme rituel, introduisant
ainsi l’effet placebo. Il se trouve que le débat,
très riche, a porté exclusivement sur l’acte de
prescrire et sur l’effet placebo, ce qui montre
que c’est que se situe le questionnement des
médecins.
Je résumerai d’abord quelques éléments d’an-
thropologie des représentations du médicament,
puis j’apporterai un éclairage anthropologique
sur l’acte de prescrire.
1. Qu’est-ce que la DCI a bousculé dans
la représentation dudicament ?
Un médicament est un objet qui
« entre dans le champ économique »,
présenté dans un emballage, recon-
naissable par son nom, sa couleur, sa
galénique. Les études portant sur ces
caractéristiques intéressent au premier
chef les laboratoires et semblent relever
plus du marketing que de la médecine.
Cependant, nous ne saurions nous con-
tenter de renvoyer les caractéristiques
matérielles des médicaments au mar-
keting, car ce sont des objets saturés
de sens, supports d’élaborations sym-
boliques, et si nous réfléchissons sur
ce que la prescription en DCI a chan
dans les représentations du médica-
ment, ce sera d’abord en référence aux
aspects visibles.
Quand le pharmacien exécute l’or-
donnance en DCI, il vend les molé-
cules dont il dispose, c’est-à-dire que
la marque et l’aspect du médicament
peuvent varier. Le patient connaît
donc une perturbation quant à la sym-
bolique qui entoure la forme extérieu-
re. Interrosur les difficultés induites
par la prescription en DCI, le pharma-
cien de mon quartier affirme qu’elle ne
pose pas de problème, car le decin
a fait le travail en amont, mais qu’en
revanche, les clients sont encore réti-
cents devant les génériques considérés
comme des « ersatz » . Or, quand il
y a prescription en DCI, cela conduit
dans 90% des cas à la délivrance d’un
médicament en générique .
Le plus grand changement concerne
le nom : jusqu’ici, les médicaments
étaient désignés par leur « nom de
fantaisie », cette formulation consti-
tue à elle seule tout un programme.
Certains médicaments familiers sont
désignés noms communs, précédés
de l’adjectif possessif «Ai-je pris
mon lexomil® ; la DCI introduit
une distance, dira-t-on aussi fami-
lièrement « Ai-je pris mon bromaze-
pan ? ». Il y a du symbole dans le
mot : le nom du médicament solli-
cite la force de l’imaginaire, et les
laboratoires le savent. Si d’un côté il
peut être fâcheux pour le patient de
ne pas retrouver ses habitudes, ses
repères, d’un autre côté en revanche,
le nom de la molécule, incompréhen-
sible pour la plupart des utilisateurs
se trouve enveloppé de mystère et de
science. Comme dans les glossolalies,
ces langues secrètes des chamans et
officiants de certains cultes animis-
tes, c’est précisément parce qu’on ne
comprend rien que c’est efficace. Il
se pourrait que, désigné ce nom sa-
vant, le médicament cesse d’être un
produit de consommation courante
pour retrouver sa spécificité dans la
gamme des produits industriels.
La couleur également intervient
dans la charge symbolique. Il n’est
qu’à voir sur Internet le nombre
de sites traitant de la symbolique
des couleurs pour être persuadé de
l’intérêt que suscite cette dernière.
M. Akrich relate l’expérience sui-
vante : on administre respectivement
à trois groupes de patients souffrant
d’hypertension des gélules blanches,
des comprimés, des gélules rouges.
Les gélules rouges ont donné de
meilleurs résultats, les patients ont
affirmé que le dosage était plus fort
dans les gélules rouges. Ce résultat
peut aussi être interprété par le fait
que le rouge est la couleur du sang,
par la loi de similarité, le sembla-
ble agit sur le semblable, mais voilà
que nous entrons dans le système
de la magie. Dans la même logique,
Laplantine donne des exemples de
traitements d’homéopathie populai-
re : on soigne les affections hépati-
ques par la grande gentiane jaune, les
maladies des yeux par le bleuet pour
les yeux clairs, par le plantain pour
les personnes qui ont l’iris foncé.
La galénique aussi sollicite l’ima-
ginaire : pourquoi certains mala-
des croient-ils une injection plus
efficace que l’absorption du même
produit par voie buccale? La galéni-
que est en outre considérée comme
un facteur clef de l’observance.
M. Akrich fait référence à un sondage
IFOP effectué en 1991 : 37% des pa-
tients affirmaient demander une for-
me galénique précise à leur médecin.
Ce type d’enquête construit des équi-
valences entre des catégories de pa-
tients et des formes de médicaments.
Tout changement dans la galénique
risque donc d’agir sur la force sym-
bolique, et par là, sur l’effet placebo.
Avec la prescription en DCI, le rôle
du médecin pour faire adhérer le pa-
tient à son traitement se trouve ampli-
fié. A cette composante à l’évidence
rationnelle de son acte, le médecin va
ajouter de l’efficacité symbolique au
médicament.
Ecrits SFTG
La façon de
prescrire compte
autant que
ce qui est prescrit,
l’effet placebo
met en exergue
l’importance de la
manière dont
sont administrés
les soins
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Anthropologie et représentation du médicament : DCI et placebo
Marie-Louise Pellegrin : « Imaginaire et symbolique dans la défini-
tion du remède », in La philosophie du remède, Jean-Claude Beaune
dir., Champ Vallon, 1993.
Claude Levi-Strauss : Anthropologie structurale I, Plon, 1974 (1958)
chapitre 10.
idem : 229
Madeleine Akrich : « Le médicament comme objet technique » in
Revue Internationale de Psychopathologie : les médicaments de l’es-
prit, 1996, n°21 : 135-158.
Philippe Pignarre :
Qu’est-ce qu’un médicament ? La Découverte, 1997
Sur cette question : Sylvie Fainzang : Médicaments et Société, PUF,
2001 : 43
Information donnée en séance plénière au colloque du 17 octobre
M. Akrich : op. cité
Marcel Mauss : « Esquisse d’une théorie générale de la magie »,
l’Année Sociologique, 1902-1903. Essai publié dans Sociologie et
Anthropologie, PUF,1991 (1ère ed. 1950)
François Laplantine : Anthropologie de la maladie, Payot, 1992
(1986) : 186.
Cf. les groupes Balint
David Le Breton : Anthropologie du corps et modernité, PUF, 1990 :
194
Marc Augé : Pourquoi vivons-nous ? Fayard, 2003 : 99
Levi-Strauss : op. cité : 192
Jeanne Favret-Saada : Les mots, la mort, les sorts, Gallimard, 1977. Le
monde de la sorcellerie et de la maladie s’ouvre à elle quand elle entre
dans le discours de la sorcellerie. « la force », telle que la nommait les
habitants du bocage, désignait la capacité de survie, de production et
de reproduction.
Madeleine Akrich et Cécile Méadel : « Prendre ses médicaments/
Prendre la parole » in Sciences sociales et santé : les médicaments des
prescriptions aux usages, mars 2002, vol. 20, n°1
Marc Augé : op.cité
2. L’acte de prescrire : Docteur, saviez-
vous que vous étiez un magicien ?
Plus personne aujourd’hui ne doute
de l’importance primordiale de la
relation entre le médecin et le ma-
lade. La façon de prescrire compte
autant que ce qui est prescrit, l’effet
placebo met en exergue l’importance
de la manière dont sont administrés
les soins. Les anecdotes rapportées
par les médecins participant à l’ate-
lier « Anthropologie et représentation
du médicament : DCI et placebo »
attestent la pertinence de cette thèse.
Certains malades déclarent « aller
mieux » depuis qu’ils ont téléphoné
pour prendre rendez-vous. Un des
participants à l’atelier a adopté la po-
sition courageuse de ne pas forcément
conclure une consultation par une
ordonnance, et pourtant il soigne.
L’acte de prescrire est du point de vue
de l’anthropologie un rite. Qu’est-
ce qu’un rite ? Citons Marc Augé
« Le rite correspond à l’accomplisse-
ment de certains gestes dans un or-
dre prescrit ; ces gestes sont accom-
pagnés ou non de paroles (….) ces
gestes consistent en signes formels
(….) et en manipulations d’objets ou
de substances.» Avec le rite, nous
abordons le domaine de la ma-
gie; Marcel Mauss cite la méde-
cine parmi les arts tout entiers pris
dans la magie. Lévi-Strauss donne
trois conditions pour que la magie
soit efficace : la croyance du magi-
cien à l’efficacité de ses techniques,
la croyance du consultant et la con-
fiance de l’opinion collective. Les
conditions sont remplies dans l’acte
de prescrire; ces considérations sur
la magie ne tendent pas à remplacer
l’efficacité biologique des molécules
dans le traitement des maladies, elles
s’intéresse à ce qui agit « en plus ».
Dire qu’il y a du rite magique dans
l’acte médical n’enlève rien au sa-
voir scientifique et à la compétence
technique du médecin. Cela revient
à dire qu’au delà des domaines de
savoir et de compétence, par l’effet
symbolique qu’il impulse dans le mé-
dicament, par la force de sa parole,
le médecin peut soulager, soigner,
déclencher le processus de guérison.
La force et la parole, primordiales
dans la relation médecin-patient,
sont en outre des notions apparte-
nant –certes non exclusivement– au
domaine de la magie. La magie est
dans le verbe, les marabouts musul-
mans africains écrivent des versets
du Coran sur une planche, lavent la
planche et le client boit l’eau.
En face du médecin : le patient; l’ef-
fet placebo pointe les projections
du malade, le rôle de l’imaginaire.
L’anthropologie s’intéresse à ce que
les gens pensent. Madeleine Akrich
et Cécile Méadel se sont inscrites
sur Internet à des listes de discus-
sion de patients atteints d’une même
maladie (cancer du sein, maladie de
Parkinson, syndrome de fatigue chro-
nique et fibromyalgie). Les malades
du cancer ne remettent pas en ques-
tion la chimiothérapie, mais pour
lutter contre les effets secondaires
et sans doute aussi pour garder une
sorte de contrôle sur eux-mêmes, cer-
tains se tournent en même temps vers
d’autres médecines et expérimentent
des traitements parallèles. Certains
colistiers contestent l’efficacité de ces
médicaments qui viennent s’ajouter
au traitement principal. « Dans leur
optique ceux qui se sortent bien de la
chimiothérapie et, plus généralement
de la maladie, sont susceptibles d’ap-
partenir à deux catégories, ceux qui
ont le moral et la chance d’avoir un
organisme qui réagit bien aux traite-
ments conventionnels et ceux pour
lesquels l’effet placebo fonctionne, le
médicament servant alors de support
à une croyance qui s’auto-réalise ».
Le sujet du colloque était « la pres-
cription en DCI ». La question
« Comment prescrire ? » ne trouve
sa réponse que dans l’acte, c’est-à-
dire dans le rite. Finalement, la DCI
centre la délivrance de l’ordonnance
sur la façon de prescrire en libérant
le médecin des marques des labora-
toires.
Confronté dans son cabinet aux maux
que génère la misère, au stress des
cadres trop occupés, aux angoisses
diverses, le médecin généraliste se
trouve investi d’un rôle social com-
parable à celui des prophètes-gué-
risseurs africains étudiés par Marc
Augé, avec en plus l’accès aux mo-
lécules les plus performantes qu’il
va socialiser en y introduisant du
placebo. L’évocation des guérisseurs
africains me suggère une question :
qu’est-ce que les guérisseurs et cha-
mans peuvent apprendre aux méde-
cins formés aux techniques les plus
performantes ? Ne serait-ce pas cette
capacité à socialiser la maladie et la
guérison et à exercer une force qui
ressemblerait à un effet placebo dé-
multiplié ?
Denise BREGAND
Anthropologue
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