Jacques Mehler, Emmanuel Dupoux NAITRE HUMAIN Les capacités cognitives de tous les êtres humains peuvent évoluer dans les limites d’un cadre génétique précis. L’ensemble des aptitudes que nous possédons en commun, nous allons tenter de les explorer ici et de redonner à la notion de nature humaine, la place qui est due au sein des sciences de l’homme. Chap. 1 : Expliquer notre comportement 2 approches ont le plus marqué l’étude de l’appareil psychologique : 1. Psychologique spontanée, celle de monsieur tout le monde. Permet de prédire avec bon sens. Ex de Pierre à l’école. Cet « Homoncule qui nous dirige » : conception dualiste : une intelligence centrale dirige et notre organisme obéit, mécanique, inintelligent. Mais alors, qui contrôle l’homoncule ? et comment expliquer nos nombreux « actes manqué » ? Ces « erreurs » correspondent à des lois : lorsqu’on verse le jus d’orange dans une tasse de café, il y a similitude et dans le cas de lapsus, ce sont toujours des unités linguistiques de même nature qui sont affectées : des sons élémentaires, des phonèmes sont intervertis (ex : Larwin et Damarck) ou encore des syllabes ou des mots entiers, alors que la structure linguistique du mot est respectée. Il peut y avoir des erreurs de « pilotage » (action lancée, suivant une habitude et non en adéquation à la réalité ; ex : mettre son pyjama après la douche …alors qu’on doit sortir, choisir la piste d’atterrissage habituelle alors que la tour de contrôle signale des travaux…) Alors …intelligence centrale moins parfaite et organisme plus brillant ? Mais alors, comment expliquer les défaillances de notre mémoire ? Notre mémoire est autonome et approximative. (ex : les témoins qui « reconnaissent » un suspect dont ils ont vu la photo juste avant). La façon dont on nous pose la question influence aussi la réponse. (ex : quelle est la longueur de …barres prétendues identiques, vitesse de véhicules lors d’une collision) Nous ne disposons d’aucune information directe sur les limitations de notre esprit. Toutes ces « défaillances », déformations …se passent à notre insu. La métaphore de l’homoncule est donc sans fondement puisqu’il ne contrôle pas, ne juge pas ni notre propre comportement, ni celui des autres. Les processus inconscients nous sont parfois fort utiles (ex : les rêves,) Donc, à côté de l’homoncule, se trouve un petit démon « intelligent » qui s’occupe, dans l’ombre, de guider nos gestes, notre mémoire, notre attention. Cfr Freud et la face cachée de notre psychisme, les raisons qui échappent à la conscience. Se connaître soi-même ? Les processus mentaux sont « transparents ». Introspection (cfr Ecole de Würzburg) se fait grâce à une méthode directe : obsrver ses propres pensées et rapporter oralement les phénomènes psychologiques qui se produisent à l’occasion d’une tâche quelconque. De manière fractionnée pcq les phénomènes à observer sont rapide. (ex : 4 périodes d’observation pour une association d’un mot à un autre). Résultat : décevant ! pas d’information importante concernant les mécanismes psychiques. Notre conscience n’a accès qu’à un résultat ; le processus complexe qui le rend possible a lieu dans l’ombre, de manière automatique et très rapide. L’intelligence, contrairement à ce que les chercheurs en intelligence artificielle souhaiteraient, n’est pas une aptitude unique et transparente. La cognition implique de très nombreux systèmes spécialisés et automatiques qui traitent l’information en parallèle et qui demeurent opaque à l’inspection consciente. Le reproche des behavioriste : on ne peut bâtir une théorie psychologique Scientifique en utilisant notre psychologie spontanée, puisqu’il faut d’abord étudier et comprendre les systèmes de la cognition, comment ils fonctionnent. Il faut donc des techniques expérimentales solides. 2. La mécanique Humaine Les behavioristes proposent, pour observer et comprendre les mécanismes psychologiques, de n’admettre que l’étude des conduites. (et ainsi éviter la notion d’intelligence) Du crapaud à l’homme Des machines obtuses.. Ex. conduite stéréotypée du crapaud qui réagit toujours de la même manière (en milieu sauvage comme dans une cage de plexi) face à une forme supposée comestible : on parle de mécanismes innés de déclenchement qui produisent une séquence rigide d’actions en réponse à un stimulus très spécifique. Le crapaud possède un répertoire de 4 actions : orientation (o), approche (a), fixation (f) et capture (c). Chacune est déclenchée par la présence d’une configuration dans son champ visuel (et la séquence est adaptée en fonction de la distance : si la proie est tout près, le crapaud passe directement au (c)) Tout stimulus de forme allongée se déplaçant par rapport au fond dans une direction parallèle à son axe principal est traité comme une proie potentielle. Une fois les séquences enclenchées, elles vont jusqu’au bout, même si on retire la proie en cours de route. Il s’agit de mécanismes neuronaux spécifiques, un câblage neuronal connecté au système moteur du crapaud. Même mécanisme pour la parade amoureuse de certains poissons, ou la nidification ou la construction d’une toile d’araignée ou la construction d’un entonnoir protégeant son nid des parasites chez la guêpe australienne. Plusieurs étapes et la fin de l’une entraîne la suivante. Enchaînement hiérarchisé et rigide d’actions, un « programme ». …aux chiens de Pavlov Pavlov : 1. réflexe non conditionné : salivation du chien qui a faim face à la viande. 2. réflexe conditionné : salivation du chien au bruit de la sonnette précédant la présentation de la viande (après répétition ! réflexe qui s’estompe si on ne présente plus de viande). le conditionnement pavlovien permet d’augmenter la fréquence d’une réponse en fonction de la contingence temporelle établie entre un stimulus et un autre. 3. Une fois stabilisé, un réflexe conditionné peut servir de base à un autre conditionnement « secondaire ». (ex : au bruit de la sonnette, on ajoute la lumière d’une lampe ; le second stimulus suffira à déclencher la salivation). Cette méthode est trop limitée pour expliquer l’apprentissage. En passant par les pigeons dressés… Skinner : le conditionnement opérant et le renforcement. Le pigeon, par présentation répétée d’un stimulus (lumière verte ou rouge) accompagnée de nourriture, va « apprendre » le comportement adéquat. La tentation behavioriste Chez les animaux, les conduites s’expliquent par la relation –innée ou conditionnéestimulus/réponse. Le langage pourrait aussi s’expliquer ainsi (ex : couleur rouge (stimulus) mot rouge (réponse)) Cette explication échoue car elle ne tient pas compte de l’importance du rôle des états internes, même chez l’animal. Ambiguïté des stimulations Comment définir un stimulus ? Les behavioristes pensaient que l’on pouvait les mesurer (comme des longueurs d’onde par ex.) : pas possible puisqu’il faut aussi tenir compte des relations entre stimulations. (ex avec les rats qui, une fois une conduite apprise, la répète avec un autre stimulus) Les animaux reconnaissent parfois des formes globales ou des catégories complexes (ex des pigeons au Vietnam, capables de reconnaître des êtres humains, les chimpanzés capables d’aditioner des proportions de pomme et de les comparer à un autre objet aux mêmes proportions ) Chez l’homme, la perception ne se limite pas à la stimulation par une énergie lumineuse mais aussi à un processus de reconstruction et d’interprétation de l’image. (ex : un rectangle blanc remarqué entre 4 coins foncés) Il est donc impossible de définir un stimulus en termes purement physiques sans tenir compte des constructions mentales effectuées par l’organisme. Intentionnalité des réponses Les behavioristes voudraient que la réponse soit quantifiée en terme de réaction musculaire ou de séquence rigide de mouvements. Chez les animaux : c’est parfois le cas (cfr Skiner et les séquences apprises) mais lorsque l’animal peut éviter une difficulté (même apprise), il modifie sa conduite :’est le but recherché qui compte (la nourriture). L’animal agit en fonction d’un but et il possède et utilise une représentation interne de son environnement, ce qui sui permet de choisir la réponse au mieux. Il possède bien une vie mentale qui remet en cause les postulats behavioristes. On ne peut définir une réponse sans connaître le but, l’intentionnalité de la conduite étudiée. Les termes mentaux sont nécessaires. Il est clair que les mécanismes invoqués par les behavioristes ne suffisent pas à expliquer les comportements humains, qu’il s’agisse du langage, du raisonnement, de la découverte ou des rapports sociaux. Les états mentaux comptent parmi les causes de notre comportement. La difficulté : les états mentaux ne renvoient pas à des réalités directement observables. Pourtant, toute science est amenée à postuler des termes théoriques primitifs, qui ne sont pas expliqués, et se réfèrent à des entités non directement observables (cfr physique newtonienne, la force à distance) La psychologie spontanée est vaine pcq elle postule trop de termes théoriques, qui ne permettent alors aucune explication. Les behavioristes par contre, ont trop peu de termes primitifs et n’expliquent rien non plus. L’homme est imprévisible, mais ses conduites ne sont pas aléatoires, puisque déterminée par ses états mentaux, le contenu de sa mémoire, ses intentions.(Métaphore de l’ordinateur avec des programmes différents : on introduit les mêmes données mais la machine répond de manière différente) Les conduites paraissent ératiques si on ignore les règles et les principes qui les régissent. En psychologie, cette vision a permis l’étude des facultés mentales supérieures comme l’imagerie mentale, le langage, le raisonnement, qui avaient été délaissées par les behavioristes. On a cru alors que l’apprentissage allais nous donner les clefs des représentation de l’homme. Apprendre à devenir homme ? En comprenant comment une aptitude est acquise, on découvrira la nature des données primitives. On étudie donc les modalités d’acquisition des aptitudes mentales, l’appareil cognitif chez l’adulte, toujours en évolution, les processus d’apprentissage. (cfr épistémologie génétique de Piaget, Sartre, Engels, Wallon…) Il s’agit de préciser la loi de constitution progressive suivant laquelle on acquiert des aptitudes mentales comme le langage, le raisonnement, etc. La Poule et l’œuf Donc, rien ne serait inné ! L’Apprentissage par Instruction est le mécanisme qui permettrait à des structures présentes dans l’environnement d’être transposée dans l’organisme. Piaget critique cette vision simpliste et propose une conception plus précise : ce sont les actions sur l’environnement et leur observation par l’enfant qui lui permettent d’intérioriser les notions abstraites d’identité et de processus réversible. (ex : un objet reste identique lorsqu’il est lancé, un autre se modifie). Explication aussi imprécise puisqu’elle n’explique pas le lien entre action et représentation abstraite. Konrad Lorenz : mécanisme de fixation ou empreinte. (canards). Cette réaction n’est possible que si le canard dispose d’un système visuel lui permettant de représenter des objets placés dans univers tridimensionnel et d’un autre qui compare de nouvelles informations avec l’ »image de la mère » qu’il conserve en mémoire. Ces structures initiales ne sont pas « acquises ». Chez l’homme, on retrouve ce phénomène pour la « mémoire photographique » : certaines situations exceptionnelles (liées à des chocs émotifs) restent gravées dans notre mémoire et peuvent être reproduites très précisément, des années plus tard. Ce n’est donc pas un processus uniforme. On suppose un organisme vide qui, en contact avec l’environnement, se remplit au fur et à mesure. Ce paradoxe rejoint celui de Platon : les poules pondent des œufs… La notion d’apprentissage, avant d’être explicative, doit être expliquée. Aujourd’hui, beaucoup se sont tournés vers un modèle plus réaliste. Du Chaos à l’Ordre Apprentissage par sélection : opposée à « par instruction ». L’individu est tellement riche en potentialité que, grâce à l’environnement, il fait une sélection de possibilités utiles. L’appauvrissement du potentiel cognitif permet un progrès de son efficacité. (cfr William James, Jean-Pierre Changeux, Darwin, Thorndike, Skinner, Simon) L’organisme dispose de 2 mécanismes fondamentaux : - un générateur interne de diversité, indépendant des stimulations extérieures (Changeux : les pré-représentations) - un mécanisme de sélection : compare les représentation internes avec celles de l’environnement et sélectionne celles qui sont compatibles. La composante innée est sauvegardée mais ce schéma n’explique pas le fonctionnement de ces deux mécanismes. Beaucoup de chercheurs on privilégié le rôle du processus de stabilisation par rapport au mécanisme générateur. La tabula chaotica Skinner : l’organisme est équipotentiel et agit de manière aléatoire, seules les conduites renforcées sont conservées. Il remplace la Tabula rasa par une Tabula Chaotica. Pour lui, la sélection n’opère pas sur les représentations mais sur les conduites. Tâtonnement aveugle et renforcement positif. Tout comme l’évolution du corps humain (formation d’une cellule, puis d’une autre, puis construction de l’organisme pluricellulaire) , l’esprit du bébé élabore peu à peu des représentations complexes et abstraites. Modèle faux puisque les personnes agées apprennent moins bien que les enfants ! De plus, pour arriver à l’âge adulte, l’enfant doit apprendre des données colossales (dimensions, la permanence spaciale et temporelle des objets, les différentes espèces…) De plus, la capacité de parler ou de percevoir l’espace consiste plus qu’en la simple sélection de conduites appropriées : ce sont des états internes qui sont sélectionnés. Il est peu probable que les acquisitions du bébé humain s’effectuent selon un processus aveugle d’essai-erreurs. (apprendre à parler serait alors impossible, ex du chocolat présenté par une main ou dans l’aluminium et pourtant bien identifié comme tel) Privilégier l’étude de la stabilisation des aptitudes sans faire référence à seur spécificité n’est pas tenable. Certaines aptitudes se retrouvent chez certaines espèces (ex. langage chez l’homme, sonar chez la chauve-souris et poisson, détection de la lumière polarisée chez l’abeille et du champ magnétique chez l’oiseau, utilisation du nez comme organe de préhension chez l’éléphant, représentation de la tridimensionalité chez le chimpanzé) Le sélectionnisme laisse pendante la question de savoir pourquoi tous les membres d’une espèce convergent vers des aptitudes caractéristiques. On en appelle au patrimoine génétique. Tous des Mozart en puissance ? L’éthologie montre que les acquisitions des organismes sont très spécifiques et que le générateur de variabilité n’est pas équipotentiel, mais bien réglé pour produire certaines pré-représentations propres à l’espèce (ex : l’oiseau qui, en fonction d’un répertoire de contrastes acoustiques, propre à son espèce, décode les sons reçus de l’environnement). L’environnement joue un rôle limité. Il sert à déclencher ou à sélectionner des potentialités définies à l’intérieur d’une enveloppe génétique. J.B.Watson, fondateur du behaviorisme, prétendait pouvoir destiner n’importe quel bébé. Faux ! Tout le monde ne peut être Mozart ou Einstein. Noam Chomsky, linguiste américain : de l’embryon à l’organisme adulte, il y a une horloge biologique très peu variable en fonction de l’environnement. (cfr le langage : explosion lexicale vers 2 ans et demi, la marche) L’inné et l’acquis Eric Lenneberg, chercheur des années 60, évalue la part du patrimoine génétique et de l’environnement. Ses critères : - présence ou non de l’aptitude en question (par ex. tous les êtres humains parlent une langue mais pas tous la même) - existence d’un organe, siège de l’aptitude en question - l’histoire d’une aptitude (ex : l’écriture) Il y a bien sûr des savoirs et des savoirs faire spécifiques mais qui reposent sur l’existence d’aptitudes universelles, limitées par un bagage génétique. Encore faut-il savoir apprendre !! L’inné dans l’échelle évolutive Un préjugé prétent que plus on s’élève dans l’échelle génétique (de l’éponge de mer à l’être humain) plus on s’éloigne du déterminisme. Faux (position plus idéologique que scientifique !) Au contraire ère : le bagage inné de l’homme est plus important qu’on ne le pensait !! Une des 1 études, année 60, montre que, dès les premiers mois, les bébés possèdent une perception de l’espace suffisamment détaillée pour se représenter la profondeur et éviter de tomber dans le vide. (bébé sur une table de plexiglas, qui s’arrête face au vide) Le sélectionnisme de Skiner échoue pour 2 raisons : - il restreint aux conduites les éléments susceptibles d’être sélectionnés - postule un générateur de variabilité équipotentiel non spécifique. J.P.Changeux et S. Dehaen : le Darwinisme mental = cadre théorique d’après lequel les représentations mentales (considérées comme des états d’activation des cellules du cerveau) sont des éléments de base dont la dynamique s’explique par deux mécanismes : - production spontanée d’états d’activation transitoires, dynamiques et cohérents mais éphémères (pré-représentations), analogues des variations darwiniennes - sélection et stabilisation de certaines de ces pré-représentaions par des percepts comparables provenant des stimuli externes ou internes. L’apprentissage ressemble plus à la formulation et au test d’hypothèses qu’au tâtonnement erratique du pigeon dans sa cage. (Skinner). Il devient important de spécifier les caractères propres à chacune des aptitudes mentales et étudier leur fonctionnement chez l’adulte sain en correspondance avec le tout jeune enfant. Il n’existe pas un simple mécanisme d’apprentissage uniforme. L’étude de la stabilisation progressive des aptitudes n’est pas le moyen d’aborder le fonctionnement mental mais bien l’organisation et le fonctionnement des différentes structures qui rendent possible telle ou telle acquisition. Du nouveau-né à la nature humaine. Observer le nouveau-né. Comment observer en surmontant l’observation circonstancielle (celle souvent exprimée par les parents ?) Observer le comportement des bb : langage universel et non-verbal. Dormir, être éveillé, taux de succion (corrélé aux autres indices physiologiques qui reflètent l’état de veille). Expérience de succion non nutritive : un capteur de pression dans la bouche du bb qui mesure l’amplitude et le nbre de pressions par unité de temps : permet d’évaluer l’intérêt qu’il porte à une stimulation. L’habituation = il se lasse. Par ex : le bb reconnaît-il 2 teintes de rouge ? 1. période d’habituation : il s’habitue à une teinte : progressivement, le niveau d’activation chute jusqu’à un « critère d’habituation ». 2. période de test : on présente alors une autre teinte légèrement différente : si il tête plus fort, il y a déshabituation (nouveau stimulus), si le niveau d’éveil continue à chuter, il n’y a pas de différence perçue par le bb. Pour évaluer quantitativement les performances des nouveaux-nés, on mesure la différence entre les deux dernières minutes de période d’habituation et les deux premières de la période de test. Pour être certain, on prend 2 groupes : 1 expérimental et un contrôle (qui continue à recevoir le même stimulus) On compare le niveau d’activation juste après le changement. Pour les « préférence », càd test entre différents stimuli : l’expérimentateur note la durée et la rapidité de fixation du regard.