Aperçus de philosophie du sens appliquée à la connaissance du

Aperçus de philosophie du sens appliquée à la connaissance du langage
Dans un deuxième temps, je voudrais, comme je l’ai déjà annoncé, faire opérer mon point
de vue de philosophie du sens du côté de la connaissance du langage. Cela est évidemment
justifié, en dehors des motifs qui ont déjà été donnés, par le simple fait “massif” que le sens est
facilement pris pour le sens linguistique, égali et superposé à lui, comme nous le
mentionnions dès l’introduction, pour y voir une difficulté pour notre entreprise. Mais il faut
bien voir que, dans cette section, nous ne parlerons pas directement du langage comme nous
avons, en substance, directement parlé des mathématiques dans celle qui précède. Le thème sur
lequel nous nous penchons est plutôt celui des théories d’obédience langagière du sens. Nous
voulons regarder ce que ceux qui s’attachent à théoriser le langage viennent à dire sur le sens.
Tous les discours que nous examinons s’opposent donc, en tant que théories du sens, à la
compréhension du sens développée au chapitre précédent, puisque, se présentant comme
théories, ils s’efforcent de cerner le sens, de dire ce qu’il est, et qui plus est, au sein d’une
démarche d’objectivation de la chose linguistique en général. Mais cette différence nous
intéresse, cela nous paraît une excellente façon de tester le point de vue de la philosophie du
sens que de rechercher si les théories du sens rejoignent notre compréhension du sens et si la
philosophie du sens inspirée par cette compréhension aurait quelque chose à demander à ces
théorisations, s’il y a une intersection ou une collaboration pensable entre les recherches
théoriques sur le langage et le sens et notre volonté philosophique.
Quelques précisions encore sur l’organisation de la section qui commence ici.
Premièrement, nous en avons déjà assez dit pour que notre lecteur comprenne que cette
section sera éminemment épistémologique, puisqu’elle consistera principalement en le
commentaire de certaines approches se voulant scientifiques de la chose linguistique.
Mais deuxièmement, nous souhaitons expliquer aussi le choix des théorisations
commentées. On aurait pu s’attendre à ce que nous ne retenions que des propositions
s’inscrivant dans le cadre de ce qui s’appelle aujourd’hui “sciences du langage”. La théorisation
du linguistique n’est-elle pas l’affaire disciplinaire et professionnelle de ces sciences et d’elles
seules ? Nous avons aussi voulu commenter une prise de position relativement récente d’un
philosophe analytique particulièrement éminent, Michael Dummett, sur la question du sens. Il
se trouve en effet que la philosophie analytique, en conséquence de la décision de se réaliser
comme philosophie du langage d’une part, comme philosophie exacte d’autre part, vit dans
l’élément de la théorisation du langage tout autant que les sciences du langage, même si elle ne
théorise le langage que d’une manière que le linguiste peut juger étroite. Notre bref passage en
revue est donc plus complet et plus représentatif, plus pertinent vis-à-vis de la volonté de
confrontation de la compréhension du sens et de la théorie du sens qui est la nôtre, du fait de
notre admission d’un exemple analytique de théorisation.
Reste à dire deux mots sur le choix des approches proprement linguistiques : nous avons
décidé d’évoquer les travaux de Saussure, Chomsky, Langacker et Rastier. Saussure et
Chomsky nous paraissent représenter exemplairement deux conceptions de la théorisation du
langage : pour Saussure, cette théorisation ne prétend pas être une reconstruction rationnelle
universelle exhaustive du processus signifiant, donnant lieu à des prédictions, ni ne se commet
avec un outil de formalisation, logique ou mathématique ; pour Chomsky au contraire, le projet
d’une théorie scientifique du langage implique l’adoption d’une telle forme et de tels moyens.
Rastier représente à mes yeux un héritier récent du point de vue saussurien, alors que
Langacker, en dépit de l’écart critique considérable par lui apporté, est un élève de Chomsky,
en telle sorte que son travail au moins à première vue s’inscrit dans la continuité
programmatique de la percée chomskienne, du point de vue de l’opposition que je viens de
mettre en place. J’avais évidemment à coeur de prendre en considération ces deux optiques, qui
me paraissent fondamentales, et de les suivre l’une et lautre dans ce qu’elles avaient pu inspirer
de fort et de récent.
L’idée dummettienne d’une “théorie du sens”
Je m’inspire ici essentiellement de l’article « What is a Theory of Meaning ? » de Michael
Dummett.
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Un premier regard jeté sur le contenu de cet article peut nous donner le sentiment que
Dummett envisage le sens, à notre instar, du côté ou dans la perspective du hors être.
En effet, pour commencer, il interroge la notion de théorie du sens plutôt que le sens lui-
même, ainsi que le titre de l’article le met en évidence. On pourrait croire que c’est en sachant
suffisamment de chose sur ce qu’est le sens que nous pouvons conclure sur la façon dont une
théorie doit s’en ordonner ou s’en disposer. Selon la démarche de Dummett, les choses vont
plut dans l’ordre inverse : ce qui peut être connu du sens, dit pertinemment à son sujet,
dérivera de ce que nous avons acquis au sujet d’une théorie du sens. Comme si le sens n’était
pas directement une entiinterrogeable ou déterminable, et qu’il fallait passer par lla locution
théorie du sens, au sein duquel la nominalité du sens était une fois pour toutes piégée. Mais dire
cela, n’est-ce pas dire la fausse substantivité du sens, c’est-à-dire, d’une certaine manière, le
ranger hors être ?
Deuxièmement, Dummett dit qu’une théorie du sens est une théorie complète de la façon
dont le langage fonctionne comme langage. Ou encore que la théorie rend compte de la façon
dont un locuteur communique au moyen du langage, fait au moyen du langage tout ce qui peut
être fait avec lui. Cette détermination de ce qu’est une théorie du sens paraît adhérer
massivement à une conception de type “wittgensteinien”, selon laquelle le sens est l’emploi.
Mais si le sens – d’un mot, d’une phrase, d’une expression – sont égalisés avec leur rôle dans la
dynamique tooutjous ouverte de l’échange verbale, alors à nouveau, à certains égards, le sens
échappe à l’être, ou du moins à son acception la plus courante et canonique : il se retrouve
plut du du devenir, réfutant toute positivité ontologique, ou même plus préciment du
côté de l’action, qui ajoute à la négativité du devenir la contingence de l’option irréversible.
Troisièmement, Dummett nous fait savoir qu’une théorie du sens n’est pas autre chose
qu’une théorie de la compréhension : il faut rendre compte de ce que sait celui qui « sait le
langage, c’est-à-dire en comprend les expressions. Mais de la sorte, Dummett semble avoir
confesque l’attestation du sens s’opère au pôle destinataire, ce qui paraît l’entraîner dans la
direction de la prise en vue de l’adresse et de l’inflexion dé-ontologique de la problématique du
sens.
Pourtant, si nous essayons d’extraire les résultats de son étude, nous constatons que la
conception du sens qu’on peut attribuer à Dummett reste principalement tributaire de ce que j’ai
appelé la conception intentionnelle.
Dummett, en effet, nous crit en fin de compte une théorie du sens comme constituée de
trois couches ou strates : il y a une théorie de la référence, une théorie du sens-de-référence et
une théorie de la force. Mon choix de l’expression « sens-de-référence » est un pis aller, il
correspond à une tentative de traduire le mot anglais sense, qui veut dire sens au même titre que
meaning, mot utilisé pour couvrir de façon globale le registre du sens par Dummett. Comme
sense est utilisé pour traduire le Sinn du Sinn und Bedeutung frégéen, et comme Sinn signifie
bien dans ce contexte le sens en tant que présentation du référent, j’ai cru possible de traduire
sense par sens-de-référence. Je ne crois pas, cela dit, que le fond de la discussion que je mène
ici dépende de cette option de traduction.
Détaillons plutôt les trois couches.
La théorie de la référence est une théorie qui « détermine de façon récursive l’application à
chaque phrase de la notion qui est prise comme centrale dans la théorie du sens considérée ».
Usuellement, cette notion est simplement la vérité : la théorie de la référence devient donc la
théorie qui explique comment la vérid’une phrase dépend en quelque sorte de la vériou de
la participation à la vérité de ses constituants. La couche théorie de la référence de la théorie du
sens correspond donc en première approximation à la définition dominante en philosophie ana-
lytique du sens par l’ensemble des conditions de vérité. En première approximation seulement,
parce que Dummett envisage de retenir comme notion fondamentale la vérifiabilité plutôt que la
vérité, ou mieux, la falsifiabilité : cette orientation exprime la sensibiliparticulière qui est la
sienne à la critique intuitionniste de la logique et des mathématiques, il lui est donc naturel de
chercher à construire une conception du sens analogue à la conception standard mais liée à la
logique de Heyting plutôt qu’à la logique classique, et faisant droit aux vues brouweriennes sur
le rapport entre vérité et vérification.
La théorie du sens-de-référence spécifie pour Dummett « ce qui est impliqué dans
l’attribution à un locuteur du savoir de la théorie de la référence ». La définition de cette couche
redouble dangereusement celle qui a été donnée de ce qu’est une théorie du sens en général,
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décrite, rappelons-le, comme théorie de ce que sait celui qui sait le langage, ou de la
compréhension du langage. D’après ce que je comprends, la théorie du sens-de-référence
consiste finalement en deux aperçus : le premier consiste à dire que, tout simplement, la théorie
de la référence permet de réduire la compréhension de la référence d’une phrase complexe à la
compréhension de la référence de phrases atomiques, en tant qu’elle explicite les règles qui font
dériver la première de la seconde. Mais pour rendre compte du “savoir de la référence”, nous
devons aussi rendre compte de la compréhension de la référence des phrases atomiques, pour
laquelle la théorie de la référence ne nous est par définition d’aucun secours. La réponse
proposée par Dummett est que nous comprenons une phrase atomique dans son sens-de-
référence lorsque nous savons reconnaître cette phrase comme un rapport d’observation, du
moins s’il s’agit d’une phrase vraie, bien entendu. Il semble bien que la théorie du sens-de-
référence accepte, ici, la présupposition d’une prise sur le monde du sujet parlant, qui rend
raison de sa compréhension quant à la notion qui compte (la véri, la vérifiablité ou la
falisfiabilité) des phrases élémentaires.
La théorie de la force explique, selon Dummett, comment un sujet, récupérant une phrase
dont le sens a été explicité en termes des deux premières couches, en dérive l’emploi qui
constitue en dernière analyse son véritable sens, son « meaning » au sens de la « theory of
meaning ». Typiquement, dans le cas où la théorie de la référence est la théorie classique en
termes de vérité, la théorie de la force nous expliquera l’emploi de la phrase « Gonfle le pneu de
la bicyclette ! (1) » de la manière suivante : supposant explicitées les conditions de vérité,
vérification ou falsification de la phrase « Le pneu de la bicyclette est gonflé (2) », on dira
qu’une phrase impérative comme (1) s’emploie lorsque l’on souhaite que la phrase (2) (le
noyau propositionnel de l’ordre) soit vraie (vérifiée, non falsifiée ou falsifiable), et qu’elle
motive à la réception l’acte de rendre la phrase noyau propositionnel vraie (vérifiée, non
falsifiée ou falsifiable). Il faut imaginer que cette sorte de compte rendu de la règle d’usage des
phrases se prolonge à toutes les valeurs illocutionnaires, toutes celles dAustin, par exemple :
on peut reconstruire le scénario de leur emploi à partir de leurs noyaux propositionnels par des
gloses pragmatiques de la même eau.
Il n’est pas difficile de voir que la théorie du sens, divisée en les trois strates que prévoit
Dummett, est complètement commandée par une analyse de la “visée vraie” du monde par le
langage. La prise en considération des critères concurrents de la vérifiabilité ou de la
falsifiabilité, si intéressante soit-elle sur le plan théorique en raison de l’inspiration
intuitionniste de la démarche, ne nous fait visiblement pas sortir de cette problématique de la
vérité, elle la module seulement sous un rapport épistémologique, au nom d’une réflexion sur ce
qui peut être établi dans l’ordre de la vérité. La théorie du sens de référence est obligée de
présupposer un ancrage intentionnel du langage, de poser que certaines phrases peuvent
fonctionner comme rapports d’observation et être reconnues évidemment comme le pouvant, ce
qui correspond exactement à ce que nous avons appeler une “prise sur le monde” : elle fonde
donc notre possession du sens en tant que sens-de-référence dans ce que j’appellerai une
possession de flèche, en me référant à ce que j’ai exposé de la conception intentionnelle du
sens. Enfin la théorie de la force fixe le programme d’une déduction complète de l’emploi des
phrases à partir de l’enseignement quant à la référence donné par les deux premières strates, ce
qui élimine évidemment le renvoi à un hors-être du sens que je décelai de manière sans doute
trop optimiste plus haut.
Ce que le point de vue de philosophie du sens qui est le nôtre gagne dans cet examen, cela
dit, c’est le repérage des deux “lieux théoriques” la jonction avec un point de vue autre
apparaît comme possible bien que cette partie ne soit pas jouée par Dummett.
D’abord, il est clair que l’hypothèse que nous savons que certaines phrases ont la capaci
d’être des rapports d’observation est une hypothèse phénoménologique sur le langage : elle
équivaut à la postulation que, dans le langage, est déposée une présentation du monde
transparente pour nous ; ce n’est pas seulement que le langage en sa structure prédicative simple
(les phrases atomiques sont des prédications simples, sans quantification) révèle le monde, c’est
qu’il le révèle pour nous, il le révèle dans des conditions et sous une forme qui se réfléchit en
nous. De telles remarques font le pont entre une approche analytique du sens et les élaborations
husserliennes ou heideggeriennes sur la question.
Mais ce n’est pas ce qui nous concerne le plus ici. Il nous importe plutôt de voir “par où”
une perspective sur le sens fondée sur l’adresse et renvoyant le sens au hors être pourrait
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s’introduire. Nous l’avons en fait déjà vu, et dit d’emblée : c’est de la conception du sens
comme emploi, et de la mise au premier plan de la situation de compréhension du destinataire,
que peut venir une telle orientation. Dès que, en particulier, les scénarios de la force sont
envisagés réellement en termes de la situation de l’adresse, de ses enjeux et ses normes, les
analyses réductionnistes qu’envisage Dummett apparaissent comme impossibles. Le sens de
l’ordre n’est pas du tout restitué par la glose pragmatique envisagée de « Gonfle le pneu de la
bicyclette ! (1) ». L’ordre de gonfler la bicyclette peut évidemment être donalors qu’elle est
déjà gonflée, ou sans que le destinateur souhaite la voir gonflée. De plus, la transition de l’être-
non-vrai (vérifiable, etc.) de l’être-gonflé de la bicyclette à son être-vrai (vérifiable, etc.) peut
s’accomplir de beaucoup d’autres façons que par la voie de l’ordre. Ce qui se passe de
particulier lorsqu’un tel ordre est donné, et surtout ce qui est, je dirais, éprouvé lorsqu’un tel
ordre est reçu, et qui est exactement son sens d’ordre, ne se laisse pas saisir et décrire au moyen
des coordonnées des « valeurs » attribuées par la théorie de la référence (auxquelles, en
l’espèce, la théorie du sens-de-référence ne semble rien ajouter de pertinent). La compréhension
de l’ordre comme ordre comporte « au moins » la compréhension de l’institution illocutionnaire
(de ce que le destinateur a prétendu instituer un monde légal dans lequel son ordre était
exécutoire pour son destinataire, dans lequel ce dernier ne peut qu’obéir ou désobéir, par choix
ou par négligence, perd toute possibilité d’agir d’une façon qui ne se laisse pas qualifier en
termes de l’ordre). Or, le contenu de cette institution illocutionnaire, dont je viens d’esquisser
une description, n’a, disons, pas beaucoup à voir avec la vérité ou la vérifiabilité de la phrase
noyau. Selon nous, on le sait, la compréhension de l’institution illocutionnaire est elle même
toujours incomplète, insuffisamment profonde, si elle n’est pas d’abord compréhension du
nœud du sens et de la demande, du hors-être, de l’adresse.
Je m’en tiendrai donc à ce constat de relative étrangeté, qui nous donne une première idée
de la façon don’t nous pouvons en tant que “philosophes du sens” recevoir une tentative de
théorisation objectivante du sens, tentative malgtout ambiguë parce qu’elle est philosophique
et semble au premier abord reconnaître quelque chose de la “transcendance dus sens”
J’en viens donc maintenant aux suggestions des « sciences du langage ».
Langue, signe et valeur chez Saussure
££Je ne ferai d’ailleurs rien d’autre qu’une sorte de compte rendu de lecture des deux
premières parties du Cours de linguistique générale, inspiré par ma question.
Tout d’abord, il faut faire une sorte d’observation concessive liminaire : Saussure
s’interroge essentiellement, dans son traité, sur les conditions de l’instauration d’une science du
langage. Sa question est donc « Quels peuvent être l’objet, la méthode d’une science du
langage ? » et non pas « Qu’en est-il du sens ? » (s’agît-il seulement du sens linguistique).
Nous n’avons donc pas, à l’attaque de son ouvrage, un accès immédiat à sa conception du sens.
Pourtant, bien r, la décision transcendantale concernant la science du langage ne peut que
concerner la pensée possible du sens linguistique au moins.
On pourrait donc essayer de traduire par avance les vues de Saussure concernant la langue,
primitivement élu comme ce dont s’occupe la linguistique (plutôt que du langage). Saussure
oppose la langue au langage comme le système à son exploitation active. Une connaissance du
langage se doit d’être une connaissance de l’activité langagière, et, comme telle, elle se dilue
dans de nombreuses spécialités théoriques non linguistiques, telles l’acoustique et la
psychologie. A l’idée d’une connaissance du langage s'oppose donc celle d’une connaissance de
la langue, qui est connaissance du système, de la convention dont l’activité de langage est
constamment tributaire. Ce niveau du système ou de la convention est ce dont Saussure, tout au
long du livre, nous propose le jeu d’échec comme métaphore éclairante. Saussure s’interroge
aussi sur le « lieu » où pourrait résider la langue comme sysme dans l’arc de la
communication (l’arc que crit le message, de sa conception mentale à sa réception mentale,
en passant par son codage interne, sa phonation, son transfert acoustique, son audition et son
décodage à nouveau interne). Il « trouve » en quelque sorte la langue à la fois du de la
partie psychique de la réception, c’est-à-dire le décodage interne, au titre que ce moment n’est
pas compromis avec l’activité multiforme et libre de la parole comme celui du codage de
départ, en sorte qu’on peut le tenir pour plus proche du système, et du de la « faculté
d’association et de combinaison » qui préside à l’assemblage du discours en langue (qui
pourtant, de prime abord, paraît compromise avec la parole, l’activité de langage).
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Ces façons de déterminer la langue comme enjeu de la linguistique concernent déjà, pour
notre point de vue de philosophie du sens, la pensée possible du sens linguistique, bien entendu.
Le choix de négliger l’activité de langage correspond en partie, je dirais, à une compréhension
de cela que l’événement n’est pas la notion directrice pour le sens. Que l’alternative à une
orientation sur l’activité de langage soit la prise en considération du système, de la convention,
correspondrait, dans ma perspective, à un rattachement du sens à son devenir de complexité
dans le champ d’une intersubjectivité. C’est aussi ce rattachement qu’exprimerait, d’ailleurs,
l’élection de la « facul d’association et de combinaison » comme lieu de la langue : cette
faculest ce qui, intervenant à chaque tour de la communication, désigne celle-ci comme prise
dans un devenir et une norme collective de la complexité. La dissymétrie introduite, dans sa
volon de localiser la langue, en faveur du pôle du destinataire par Saussure s’accorde aussi
avec la conception de l’intrigue fondamentale du sens que nous avons voulu défendre.
Mais il faut plutôt examiner comment le propos de Saussure rejoint explicitement la
préoccupation d’une théorie du sens, comment sa linguistique s'infléchit en sémantique, ou du
moins pose des contraintes pour une sémantique. Cela se produit d’abord avec le deuxième
temps de sa détermination de l’objet de la linguistique, celui-ci est plutôt donné comme le
signe. Le signe, on le sait, est défini par Saussure comme l’indéchirable unid’un concept et
d’une image acoustique, ce qui se trouve ensuite reformulé comme unité d’un signifié (le
concept) et d’un signifiant (l’image acoustique), terminologie plus flottante et philosophique
qui devait faire les beaux jours de notre structuralisme. Le signe, en tant qu’unité du signifiant
et du signifié, apparaît clairement comme le vecteur du sens, il contient donc, dans la façon dont
il est déterminé, une théorie minimale du sens. Cette théorie, en substance, se présente comme
équivalente à celle de la première recherche logique de Husserl : le sens se caractérise comme
un dépassement de l’intention perceptive visant le support matériel de la signification vers une
intention de signification, visant l’objectivi catégorielle idéale de la signification (appelée
ensuite à être remplie par un contenu perceptif, fourni par un acte perceptif venant alimenter
l’acte de signification). Pourtant, d’après les exemples de Saussure, il n’est pas clair que le
signifié (le concept) se distingue absolument du référent (du dénoté) : ou plutôt, ce qu’il appelle
le signifié arbre est-il une « notion » d’arbre, ou une image schématique d’arbre perçu ? Le but
de Saussure ne semble pas être de procéder à une telle distinction. La tentative de comprendre
cette étape de son cours comme pronunciamento concernant le sens linguistique avorte donc.
Il faut en venir, pour cette raison, au point de son écrit où Saussure rencontre vraiment
notre question du sens. Et ce point se situe, il me semble qu’il n’y a pas de doute dessus,
dans la discussion par Saussure du rapport entre valeur et signification. En principe, Saussure
n’interroge pas la notion de valeur en vue de la question du sens, sa préoccupation est de
caractériser les unités fondamentales auxquelles peut et doit s’adresser le linguiste, de
comprendre de quelle identité, quelle alité il doit s’attendre à traiter. Or c’est la valeur qui,
pour Saussure, indique au linguiste ce qui est pour lui une identité, une réalité à crire et
comprendre. N’est un el linguistique identifiable et distinguable comme tel que ce qui
s’annonce comme valeur.
Saussure « voit » en quelque sorte la valeur au croisement de deux perspectives. L’une est
la perspective morphodynamique, assumée avant la lettre même si elle n’est naturellement pas
nommée. Une valeur est le membre d’un réseau discret émergeant du continuum amorphe de la
pensée. Les contenus de pensée, pas seulement les contenus actuels mais aussi les contenus
virtuels, forment un continuum qui nous dépasse par l’infinité de ses nuances, et dont nous ne
saisissons pas même les dimensions. Le signifiant, de même, se détache sur le fond d’une
variabilité physique continue du son. La jonction entre ces deux continuums a priori dénués de
rapport s’effectue par la genèse résonante même du système des signes, chaque unité d’un
concept et d’une image acoustique réalisant le prélèvement et la discrétisation d’une uni au
sein des deux continuums de base. Mais cette émergence ne saurait être individuelle, une unité
de pensée ne tient que par et dans sa séparation distinctive à l’égard des autres, ainsi qu’il en va
aussi pour les unités du signifiant, les images acoustiques correspondantes. La « valeur » est
donc, d’un côté, ce lien entre deux continua, dépendant du phénomène général d’équilibration
du système linguistique, et s'incarnant comme une forme (comme un réseau de vagues à la
surface de l’eau mise au contact de l’air, selon la comparaison proposée par Saussure).
Mais la seconde perspective concerne plutôt le rapport entre dénotation et signification.
Saussure aborde le problème en nous faisant remarquer qu’entre la valeur, enti résultant de
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