s’introduire. Nous l’avons en fait déjà vu, et dit d’emblée : c’est de la conception du sens
comme emploi, et de la mise au premier plan de la situation de compréhension du destinataire,
que peut venir une telle orientation. Dès que, en particulier, les scénarios de la force sont
envisagés réellement en termes de la situation de l’adresse, de ses enjeux et ses normes, les
analyses réductionnistes qu’envisage Dummett apparaissent comme impossibles. Le sens de
l’ordre n’est pas du tout restitué par la glose pragmatique envisagée de « Gonfle le pneu de la
bicyclette ! (1) ». L’ordre de gonfler la bicyclette peut évidemment être donné alors qu’elle est
déjà gonflée, ou sans que le destinateur souhaite la voir gonflée. De plus, la transition de l’être-
non-vrai (vérifiable, etc.) de l’être-gonflé de la bicyclette à son être-vrai (vérifiable, etc.) peut
s’accomplir de beaucoup d’autres façons que par la voie de l’ordre. Ce qui se passe de
particulier lorsqu’un tel ordre est donné, et surtout ce qui est, je dirais, éprouvé lorsqu’un tel
ordre est reçu, et qui est exactement son sens d’ordre, ne se laisse pas saisir et décrire au moyen
des coordonnées des « valeurs » attribuées par la théorie de la référence (auxquelles, en
l’espèce, la théorie du sens-de-référence ne semble rien ajouter de pertinent). La compréhension
de l’ordre comme ordre comporte « au moins » la compréhension de l’institution illocutionnaire
(de ce que le destinateur a prétendu instituer un monde légal dans lequel son ordre était
exécutoire pour son destinataire, dans lequel ce dernier ne peut qu’obéir ou désobéir, par choix
ou par négligence, perd toute possibilité d’agir d’une façon qui ne se laisse pas qualifier en
termes de l’ordre). Or, le contenu de cette institution illocutionnaire, dont je viens d’esquisser
une description, n’a, disons, pas beaucoup à voir avec la vérité ou la vérifiabilité de la phrase
noyau. Selon nous, on le sait, la compréhension de l’institution illocutionnaire est elle même
toujours incomplète, insuffisamment profonde, si elle n’est pas d’abord compréhension du
nœud du sens et de la demande, du hors-être, de l’adresse.
Je m’en tiendrai donc à ce constat de relative étrangeté, qui nous donne une première idée
de la façon don’t nous pouvons en tant que “philosophes du sens” recevoir une tentative de
théorisation objectivante du sens, tentative malgré tout ambiguë parce qu’elle est philosophique
et semble au premier abord reconnaître quelque chose de la “transcendance dus sens”
J’en viens donc maintenant aux suggestions des « sciences du langage ».
Langue, signe et valeur chez Saussure
££Je ne ferai d’ailleurs rien d’autre qu’une sorte de compte rendu de lecture des deux
premières parties du Cours de linguistique générale, inspiré par ma question.
Tout d’abord, il faut faire une sorte d’observation concessive liminaire : Saussure
s’interroge essentiellement, dans son traité, sur les conditions de l’instauration d’une science du
langage. Sa question est donc « Quels peuvent être l’objet, la méthode d’une science du
langage ? » et non pas « Qu’en est-il du sens ? » (s’agît-il seulement du sens linguistique).
Nous n’avons donc pas, à l’attaque de son ouvrage, un accès immédiat à sa conception du sens.
Pourtant, bien sûr, la décision transcendantale concernant la science du langage ne peut que
concerner la pensée possible du sens linguistique au moins.
On pourrait donc essayer de traduire par avance les vues de Saussure concernant la langue,
primitivement élu comme ce dont s’occupe la linguistique (plutôt que du langage). Saussure
oppose la langue au langage comme le système à son exploitation active. Une connaissance du
langage se doit d’être une connaissance de l’activité langagière, et, comme telle, elle se dilue
dans de nombreuses spécialités théoriques non linguistiques, telles l’acoustique et la
psychologie. A l’idée d’une connaissance du langage s'oppose donc celle d’une connaissance de
la langue, qui est connaissance du système, de la convention dont l’activité de langage est
constamment tributaire. Ce niveau du système ou de la convention est ce dont Saussure, tout au
long du livre, nous propose le jeu d’échec comme métaphore éclairante. Saussure s’interroge
aussi sur le « lieu » où pourrait résider la langue comme système dans l’arc de la
communication (l’arc que décrit le message, de sa conception mentale à sa réception mentale,
en passant par son codage interne, sa phonation, son transfert acoustique, son audition et son
décodage à nouveau interne). Il « trouve » en quelque sorte la langue à la fois du côté de la
partie psychique de la réception, c’est-à-dire le décodage interne, au titre que ce moment n’est
pas compromis avec l’activité multiforme et libre de la parole comme celui du codage de
départ, en sorte qu’on peut le tenir pour plus proche du système, et du côté de la « faculté
d’association et de combinaison » qui préside à l’assemblage du discours en langue (qui
pourtant, de prime abord, paraît compromise avec la parole, l’activité de langage).