Inhibiteurs des neuraminidases – au centre: oseltamivir

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Inhibiteurs des neuraminidases –
le point sur l’oseltamivir
SarahTschudin Suttera, Hans H. Hirscha,b, Manuel Battegaya, Andreas F. Widmera
a
b
Klinik für Infektiologie und Spitalhygiene, Universitätsspital Basel
Institut für Medizinische Mikrobiologie, Universität Basel
Introduction
La grippe saisonnière touche chaque année 20% de la
population mondiale. Il s’agit d’une infection aiguë des
voies respiratoires due aux virus Influenza de type A
ou B. Dans l’hémisphère nord, elle se déclenche la plu­
part du temps entre décembre et mars, contrairement
à la grippe C rare. C’est normalement une maladie au­
tolimitée mais qui peut avoir une morbidité et une
mortalité accrue, surtout pour les populations à risque.
Selon les rapports de l’Office fédéral de la santé publi­
que (OFSP) quelque 200 000 personnes sont affectées
par la grippe saisonnière chaque année en Suisse, dont
1000 à 5000 doivent être hospitalisées et 400 à 1000
décèdent, surtout parmi la population âgée. Contraire­
ment à la grippe saisonnière, des pandémies de grippe
se manifestent également hors saison et touchent gé­
néralement des patients plus jeunes. Ces pandémies
sont en général caractérisées par une transmission
d’homme à homme très marquée. Les médicaments
antiviraux ont une place importante dans l’arsenal thé­
rapeutique – en particulier dans le contexte actuel de
la «grippe porcine» (A/H1N1v) nouvelle pour l’homme
et des nouveaux cas humains documentés de grippe
aviaire (H5N1).
Les médicaments antiviraux font donc partie de
l’arsenal thérapeutique de la grippe saisonnière et sont
particulièrement importants dans le contexte de la pan­
démie. Pour le traitement ou la prévention de la grippe,
il existe actuellement deux classes de substances: les
adamantanes (amantadine et rimantadine), efficaces
uniquement contre la grippe A, et les inhibiteurs des
neuraminidases (zanamivir et oseltamivir), actifs con­
tre la grippe A et B. Les adamantanes sont moins indi­
qués en raison de l’apparition rapide de résistances
et de leur profil d’effets indésirables potentiellement
toxiques.
Oseltamivir
Les auteurs
certifient
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est lié
à cet article.
Le métabolite actif de l’oseltamivir (carboxylate
d’oseltamivir) est un inhibiteur sélectif très efficace
des neuraminidases des virus Influenza de types A et
B. La neuraminidase virale est vitale pour la libération
des nouvelles particules virales par les cellules in­
fectées et dès lors pour la dissémination de virus infec­
tieux dans l’organisme (fig. 1 x). Sans neurami­
nidase, l’infection resterait limitée à un cycle de
réplication, ce qui ne suffirait pratiquement pas pour
provoquer une maladie symptomatique. Comme la
réplication des virus Influenza dans les voies respira­
toires atteint son maximum 24 à 72 heures après le
début de l’infection, les inhibiteurs des neuramini­
dases ne sont efficaces qu’à la phase initiale de la ma­
ladie.
Pharmacocinétique et pharmacodynamique
L’oseltamivir est disponible en capsules ou sous forme
de poudre pour la préparation d’une suspension li­
quide. Après son absorption dans le tractus gastro­
intestinal, il est transformé en métabolite actif (car­
boxylate d’oseltamivir) au niveau hépatique. Quelque
75% d’une dose orale d’oseltamivir parviennent dans la
circulation sous la forme du métabolite actif et sont éli­
minés par les reins sous cette même forme après une
demi­vie de 6 à 10 heures.
Oseltamivir dans le traitement de la grippe
Les inhibiteurs des neuraminidases (oseltamivir ou
zanamivir), pris dans les 36 à 48 heures après le dé­
but des symptômes, réduisent la durée d’une grippe
de 1 à 2 (1 à 7) jours et atténuent de 40% la gravité de
la maladie [4].
L’étude «Immediate Possibility to Access Treatment»
(IMPACT) a bien documenté la relation directe entre
le début du traitement d’oseltamivir et la durée de
la maladie. Avec un traitement mis en route dans les
12 heures suivant l’apparition de la fièvre, la durée de
la maladie a pu être réduite de 3 jours supplémen­
taires en comparaison d’un traitement pris dans les
48 heures [7].
Chez les patients institutionnalisés, l’oseltamivir admi­
nistré dans les 48 heures suivant le début des symptô­
mes a pu diminuer la consommation d’antibiotiques,
les hospitalisations et les décès. Ces effets ont pu être
documentés même chez des personnes vaccinées [8].
Le succès de ce traitement est également profitable aux
enfants de 1 à 12 ans avec diminution de la durée de
maladie et de l’incidence des complications, par ex. la
survenue d’une otite moyenne [6].
Oseltamivir dans la prévention de la grippe
Plusieurs études confirment l’efficacité de l’oseltamivir
dans la prévention de la grippe, aussi bien chez l’adulte
que chez l’enfant [9, 10].
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Efficacité contre le H5N1 (grippe aviaire)
et l’A/H1N1v («grippe porcine»)
Depuis 2003, plus de 400 cas sporadiques de grippe
aviaire (H5N1) ont été déclarés chez l’être humain. Les
souches H5N1 isolées en Thaïlande et au Vietnam sont
résistantes aux adamantanes mais sensibles aux inhi­
biteurs des neuraminidases. Des virus H5N1 résistant
à l’oseltamivir ont pu être isolés chez 2 patients sur
8 sous ce traitement au Vietnam [11].
Au début avril 2009, en Mexique une épidémie de
«grippe porcine» à virus H1N1 s’est déclarée et a évolué
vers une pandémie en l’espace d’un mois avec plus de
150 000 cas. Contrairement aux souches H1N1 saison­
nières, cette souche H1N1 est (encore) sensible in vitro
à l’oseltamivir mais résistante aux adamantanes [12].
Résistance aux inhibiteurs
des neuraminidases
Avant 2007, la résistance des virus Influenza A n’était
que d’environ 1–5%. En 2007, de plus en plus de sou­
ches H1N1 résistantes sont apparues en Europe avec
un taux de résistance qui a atteint 25% en 2008, avec
un maximum de 67% en Norvège [13]. La souche sai­
sonnière H1N1 ayant circulé pendant l’hiver 2007/2008
était en grande partie résistante à l’oseltamivir (100%
aux USA) mais sensible au zanamivir, inhibiteur des
neuraminidases en inhalation, et aux adamantanes.
Depuis 2005, les souches Influenza H3N2 sont résistan­
tes aux adamantanes. La souche ayant circulé pendant
l’hiver 2008/2009 était sensible aux inhibiteurs des
neuraminidases [14].
Une résistance sous traitement s’observe plus souvent
chez l’enfant que chez l’adulte. Une étude effectuée au
Japon a pu isoler chez 9 enfants sur 50 traités des virus
Influenza A ayant des mutations du gène des neurami­
nidases codant pour une protéine neuraminidase résis­
tant au traitement [15]. Une question fondamentale est
de savoir si les virus résistant à l’oseltamivir sont pa­
thogènes et transmissibles. En principe les mutations
pour les neuraminidases conduisent à la production
d’enzymes non fonctionnels dans les modèles animaux
et diminuent dès lors la virulence et la pathogénicité
[16]. Pendant la saison de grippe 2007/2008, les cas de
grippe résistant à l’oseltamivir ont évolué de la même
manière que les cas de H1N1 sensibles, mais le H1N1
saisonnier a généralement provoqué des symptômes
moins marqués et moins de décès que le H3N2.
Une résistance à l’oseltamivir peut également être dé­
montrée pour les virus Influenza B.
En cas de pandémie, le risque de résistance rapide
existe si l’oseltamivir est pris à dose prophylactique
par une grande partie de la population. En cas
d’automédication de même, avec risque de prise du
médicament au mauvais moment et à doses insuffisan­
tes.
Figure 1
Mode d’action des inhibiteurs des neuraminidases. A: La figure dévoile le mécanisme d’action de la neuraminidase dans la réplication des
virions pendant l’infection grippale. La réplication est bloquée par les inhibiteurs des neuraminidases (B), qui empêchent la libération des
virions de la surface des cellules infectées.
(Moscona A. Neuraminidase Inhibitors for Influenza. N Engl J Med. 2005;353:1363–73. Copyright © 2010 Massachusetts Medical Society.
All rights reserved. Reprint with permission.)
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Indication au traitement d’oseltamivir
Les inhibiteurs des neuraminidases ne doivent être
utilisés que si les symptômes ne datent pas de plus de
48 heures; idéalement dans les 12 heures suivant le dé­
but de la maladie. Les patients immunosupprimés,
transplantés ou gravement malades font exception, car
chez eux la maladie va de pair avec une charge virale
plus élevée et une élimination plus longue de virus In­
fluenza. Une augmentation de la dose journalière
d’oseltamivir jusqu’au double est discutée ici [17].
En 2008, l’«US Advisory Committee on Immunization
Practices» (ACIP) a édité ses recommandations pour
le traitement antiviral de la grippe saisonnière [18]. Il
définit les patients prioritaires.
En font partie
– les patients hospitalisés ayant une grippe confirmée
par des examens de laboratoire;
– les patients ayant une pneumonie à virus Influenza
confirmée par des examens de laboratoire;
– les patients ayant une grippe confirmée par des exa­
mens de laboratoire et une co­infection bactérienne;
– les patients ayant une grippe confirmée par des exa­
mens de laboratoire et un risque accru de complica­
tions grippales;
– les personnes souffrant d’une grippe confirmée par
des examens de laboratoire qui souhaitent diminuer
la durée et la gravité de leurs symptômes et ne pas
transmettre leur grippe à d’autres personnes à
risque de complications;
– les patients ayant un risque accru de complications:
– pensionnaires de homes ou d’autres institutions
de soins à long terme;
– adultes souffrant de maladies chroniques néces­
sitant en permanence un suivi médical en raison
– d’une pneumopathie sousjacente (BPCO);
– d’une maladie cardiovasculaire (sauf une hy­
pertension artérielle isolée);
– d’un cancer actif;
– d’une insuffisance rénale chronique;
– d’une hépatopathie chronique;
– d’un diabète;
– d’une hémoglobinopathie;
– d’une immunosuppression (VIH, surtout si
CD4 <200/ml, transplantations d’organes ou
de cellules souches, traitement immunosup­
presseur);
– d’une maladie neurologique avec difficultés
respiratoires (réduction des possibilités de
drainage des sécrétions respiratoires).
Chez les patients courant un risque de complications,
un traitement devrait également être envisagé même si
leurs symptômes datent de plus de 48 heures.
Chez les femmes enceintes, un traitement antiviral ne
doit être mis en route que si le bénéfice escompté justi­
fie le risque potentiel pour le fœtus, car il n’y a que trop
peu de données sur l’éventuelle toxicité fœtale de
l’oseltamivir.
Effets indésirables
L’oseltamivir a peu d’effets indésirables. Les plus fré­
quents sont la survenue de nausées, vomissements et
douleurs abdominales, qui surviennent chez quelque 5
à 10% des patients. Ces problèmes régressent sponta­
nément dans les 1 à 2 jours suivant le début du traite­
ment [19].
Ni l’oseltamivir ni son métabolite actif ne sont un subs­
trat – ou un inhibiteur – pour les isoformes les plus im­
portantes du cytochrome P450.
Conclusions
L’oseltamivir peut diminuer la durée de la grippe et la
gravité de ses symptômes, pour autant que ce traite­
ment soit mis en route dans les 48 heures suivant le dé­
but des symptômes. Vu la résistance de plus en plus fré­
quente aux inhibiteurs des neuraminidases, l’indication
à la prise prophylactique ne doit être posée que de ma­
nière très parcimonieuse en dehors d’une pandémie.
L’oseltamivir a un intérêt indiscutable dans la prise en
charge d’une pandémie, surtout du fait que le virus de
la grippe aviaire (H5N1) actuellement redouté et celui
de la «grippe porcine» (H1N1) sont sensibles aux inhi­
biteurs des neuraminidases.
Correspondance:
Dr SarahTschudin Sutter
Klinik für Infektiologie und Spitalhygiene
Universitätsspital
CH-4031 Basel
[email protected]
Références recommandées
– Cooper NJ, Sutton AJ, Abrams KR, Wailoo A, Turner D, Nicholson KG.
Effectiveness of neuraminidase inhibitors in treatment and preven­
tion of influenza A and B: systematic review and meta­analyses of
randomised controlled trials. BMJ. 2003;326:1235.
– De Jong, MD, Tran, TT, Truong, HK, et al. Oseltamivir resistance
during treatment of influenza A (H5N1) infection. N Engl J Med.
2005;353:2667.
– Moscona A. Global transmission of Oseltamivir­Resistant Influenza.
N Engl J Med. 2009;360:953–6.
Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la
version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch.
Forum Med Suisse 2010;10(3):47
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Neuraminidasehemmer – Fokus: Oseltamivir /
Inhibiteurs des neuraminidases – au centre: oseltamivir
Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version)
1
Hayden FG, Osterhaus AD, Treanor JJ, et al. Efficacy and safety of the neuraminidaseinhibitor
zanamivir in the treatment of influenzavirus infections. N Engl J Med. 1997;337:874–80.
2
Cooper NJ, Sutton AJ, Abrams KR, Wailoo A, Turner D, Nicholson KG. Effectiveness of
neuraminidase inhibitors in treatment and prevention of influenza A and B: systematic review and
meta-analyses of randomised controlled trials. BMJ. 2003;326:1235.
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trial of efficacy and safety of inhaled zanamivir in treatment of influenza A and B virus infections.
Lancet 1998;352:1877-81. [Errata, Lancet 1999;353:504,1104.]
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Nicholson KG, Aoki FY, Osterhaus AD et al. Efficacy and safety of oseltamivir in treatment of acute
influenza: a randomised controlled trial. Lancet 2000;355:1845–50.
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