Framing the Canadian Social Contract: Integrating Social, Economic and Political Values Since 1940 David Laycock et Greg Clarke Résumé Document de recherche n° P|02 – Réseau de la participation publique Disponible uniquement en anglais à partir du site www.cprn.org ou sur demande au (613) 567-7500. Réseau canadien de recherche en politiques publiques 600-250, rue Albert Ottawa (Ontario) K1P 6M1 § (613) 567-7500 ¨ (613) 567-7640 www.cprn.org Framing the Canadian Social Contract: Integrating Social, Economic and Political Values Since 1940 David Laycock et Greg Clarke RÉSUMÉ Introduction Les « contrats sociaux » sont des ensembles de notions pertinentes en matière de politiques concernant des choix fondamentaux sur les questions primordiales de la citoyenneté et des relations entre le citoyen, la société et l’État dans les démocraties libérales modernes. Ils servent à définir : • les doits et les responsabilités de la citoyenneté, • les relations entre la citoyenneté et l’État providence, • le sentiment d’appartenance des citoyens au Canada et leur perception concernant le caractère souhaitable du partage interrégional, • leurs attitudes à l’égard de l’intégration nord-américaine, et • leur perception au sujet de la responsabilité du Canada envers le reste du monde. Depuis 1940, trois grands modèles de contrat social se sont concurrencés et ont évolué au fil du temps. Nous les désignons sous les appellations suivantes : le modèle de citoyenneté fondé sur le marché, le modèle de citoyenneté fondé sur l’intervention et le modèle de citoyenneté fondé sur la social-démocratie. Ils se sont développés à l’intérieur et à l’extérieur des frontières du libéralisme, du conservatisme, de la social-démocratie et, plus récemment, de la « nouvelle droite ». Et chacun d’eux met en cause un ensemble différent d’arbitrage entre les valeurs. Comme dans les autres « démocraties opulentes », les Canadiens et leurs gouvernements sont forcés de repenser le contrat social en réponse aux grands changements dans le contexte des politiques : austérité budgétaire, mondialisation accrue et acceptation répandue de la nécessité pour les gouvernements d’intervenir de façon créatrice. Dans le processus de réexamen du contrat social, il faut faire des choix entre différents ensembles de politiques socio-économiques. Les citoyens et les gouvernements ont l’obligation d’être conscients et explicites au sujet des arbitrages entre les valeurs qui sont inhérents aux grands trains de mesures qu’ils adoptent. La clarté et la transparence concernant ces valeurs sont des éléments essentiels pour la bonne santé de notre démocratie. L’étude débute par une présentation du cadre analytique nécessaire pour comprendre les dimensions importantes de la pensée de l’après-guerre concernant le contrat social implicite en vigueur au Canada. Nous examinons ensuite les types d’arbitrage entre les 2 valeurs qui caractérisent les trois modèles principaux de contrat social dans le discours public canadien, en utilisant des exemples d’orientations de politiques proposées par les partis politiques et les gouvernements pour illustrer la façon dont ces arbitrages furent compris par les élites politiques canadiennes. Nous terminons en présentant des conjectures sur des thèmes nouveaux qui ont surgis dans les débats sur le contrat social canadien. Nos principales sources de référence sont les Discours du Trône du gouvernement fédéral et des provinces, les programmes électoraux des partis et les rapports des commissions royales mises sur pied par le gouvernement fédéral. Ces documents reflètent généralement et précèdent parfois les grands courants de la pensée populaire sur les valeurs fondamentales de nature politique, sociale et économique. Principales conclusions Il s’est formé un consensus général sur plusieurs des valeurs propres aux trois modèles de contrat social mais l’accord ne possédait pas des racines profondes. Jusqu’aux années 80, les principales forces sociales-démocrates et politiques en présence s’entendaient pour reconnaître : • le caractère souhaitable d’une participation civique bien éclairée et soutenue, même si elles étaient en désaccord concernant l’ampleur et la portée de cette participation aux processus d’élaboration des politiques, à la gestion économique et aux affaires de la société civile; • le bien-fondé d’une plus grande égalité en matière de distribution entre les niveaux de revenu, les groupes ethniques et, ultimement, le statut social des hommes et des femmes. Mais, elles étaient en désaccord sur les moyens à prendre pour parvenir à une plus grande égalité sociale, sur le rythme auquel il fallait poursuivre cet objectif et sur les programmes qui permettraient d’y parvenir. Ce qui plus est, elles étaient en désaccord sur la mesure dans laquelle ces réalisations étaient soumises aux impératifs de la croissance économique et de la « confiance des investisseurs »; • la nécessité d’assurer une forte présence gouvernementale dans l’économie de marché, jusqu’en 1985. Il ne s’ensuit pas nécessairement que le parti CCF et les conservateurs étaient d’accord au sujet du rôle de l’État en 1945 ou par la suite. Mais, pendant les années 50, au moment où toutes les autres sociétés occidentales s’employaient aussi à bâtir leur État providence, un consensus était largement répandu au sujet de la nécessité de mettre en place au Canada au moins une certaine version de l’État providence. À cela se sont ajoutées l’orthodoxie croissante des modèles keynésiens de gestion de la demande à l’aide des politiques budgétaire et monétaire et l’acceptation de l’objectif du « plein emploi », du moins en principe. • la façon dont le maintien d’une collectivité canadienne distincte en Amérique du Nord allait nécessiter une certaine dose de nationalisme économique, surtout sous l’égide du gouvernement national. Le choix des moyens d’action pertinents faisait bien sûr l’objet d’un vaste débat, tout comme d’ailleurs la mesure dans laquelle les entreprises du secteur public ou la réglementation gouvernementale devaient 3 • concurrencer ou entraver le fonctionnement des entreprises privées et les décisions prises par les intervenants sur le marché; la nécessité d’appuyer la diversité culturelle et des autres valeurs au Canada, par l’intermédiaire d’une tolérance généralisée et d’une acceptation sociale des « différences », ainsi que par le biais d’un rôle de soutien important des groupes minoritaires par le gouvernement fédéral et les provinces. Cette diversité était perçue comme l’expression d’une citoyenneté active, c’est-à-dire comme l’exemple d’une manifestation de l’égalité sociale dans l’expansion de l’État providence, ainsi que comme un moyen d’assurer des liens plus étroits de solidarité sociale et de partage d’un sentiment national dans une fédération socialement diversifiée. Il existait donc en général un vaste consensus sur le caractère souhaitable d’une « économie mixte » et, par conséquent, un accord sur la valeur d’une participation importante de l’État dans l’économie, même si elle demeurait modeste selon les normes européennes. Et ce consensus en matière de valeur se conjuguait à une synergie générale en faveur d’un consensus portant sur une plus grande équité distributive. Ces deux valeurs fondamentales du contrat social de l’après-guerre au Canada étaient complémentaires, même si leur expression sous la forme de politiques entre les mains de différents partis et gouvernements ne l’était pas. Mais, après 1985, ce vaste consensus fut fortement remis en question, puisque la nouvelle droite a rejeté les choix de valeurs et la complémentarité des valeurs qui formaient le cœur du « contrat social de l’après-guerre ». Le Parti réformiste, l’Alliance canadienne et divers partis provinciaux (les progressistes conservateurs, le crédit social et, plus récemment, les libéraux en Colombie-Britannique) ont rejeté la notion selon laquelle une citoyenneté active ou la liberté individuelle nécessitait un État interventionniste qui devait s’employer à pratiquer une « ingénierie sociale » pour atteindre une plus grande égalité en matière de revenu, de sexe et d’ethnie. Leur vision différente des choses prévoit le respect du contrôle et du caractère distinct des régions, mais elle suppose que les Canadiens doivent choisir entre les valeurs de base les plus importantes qu’ils partagent. À cet égard, les citoyens sont tenus de choisir entre la liberté et l’égalité sociale, entre la liberté et un État interventionniste, entre la liberté et le soutien de l’État en faveur de la diversité culturelle, et entre le contrôle régional et un État fédéral envahissant. En s’appuyant sur une définition de la liberté largement formulée en termes de comportement sans contrainte des marchés et d’une absence de la participation de l’État à d’autres relations dans la société civile, ces choix sont à la fois inévitables et manifestes dans le contexte de cette nouvelle orientation de la droite. La campagne de la nouvelle droite repose sur une redéfinition de la liberté qui est incompatible avec les arrangements largement acceptés par les Canadiens dans l’après-guerre, selon lesquels des réductions modestes de l’inégalité sociale favorisées par l’État sont perçues comme des conditions préalables, et non pas des obstacles, à une liberté significative pour la plupart des citoyens. 4 Dans la dernière section, nous situons les partis fédéraux et certains partis provinciaux depuis 1940 en fonction des trois grands modèles de contrat social. Chaque modèle est subdivisé en deux sous-modèles. Nous les classifions de la façon suivante : • Le Parti réformiste, l’Alliance canadienne et les Progressistes conservateurs fédéraux depuis 1984 fonctionnent à l’intérieur du modèle de « citoyenneté fondé sur le marché », les Réformistes et les Alliancistes étant ceux qui accordent la primauté la plus marquée aux relations des marchés privés. • Les Progressistes conservateurs d’avant 1984 au niveau fédéral, les Libéraux depuis 1940 et les gouvernements néo-démocrates au niveau provincial ont tous une vision qui s’intègre au modèle plus général et plus pragmatique « de citoyenneté fondé sur l’intervention »¸ selon lequel des valeurs sociales et politiques contribuent à réglementer modérément le comportement du marché et ses valeurs de façon à appuyer un État providence d’envergure modeste et un pluralisme social et politique. Comparativement aux gouvernements libéraux et conservateurs, les tenants néo-démocrates de ce modèle ont eu tendance à accorder plus de poids à ses valeurs égalitaires pour limiter l’influence du marché et privilégier les mesures de protection sociale. • Les partis CCF et néo-démocrate au niveau fédéral ont une vision qui s’intègre au modèle de « citoyenneté fondé sur la social-démocratie », selon lequel les valeurs sociales et politiques jouent un vaste rôle en vue de limiter le fonctionnement du marché privé et de ses valeurs. Orientations futures Quatre facteurs critiques conditionnent la restructuration du contrat social au Canada en 2002 : le surplus fédéral et la persistance des contraintes budgétaires au niveau provincial; l’intégration nord-américaine; la diversité ethnique et culturelle; et la justice intergénérationnelle et internationale. Ces quatre facteurs mettent à l’épreuve notre engagement envers les choix des valeurs de base canadiennes pendant la deuxième moitié du XXe siècle − équité distributive, insertion démocratique et appui à l’intervention de l’État dans l’économie. • • L’évolution du contexte budgétaire s’est déjà traduit par une révision des rôles et des responsabilités des gouvernements au niveau national et régional, et ceux-ci évolueront davantage en fonction des contenus du contrat social au cours des prochaines décennies. L’Accord de libre-échange nord-américain et les attaques du 11 septembre 2001 rendront de plus en plus difficile pour les Canadiens d’expression anglaise − et peutêtre aussi pour les Québécois − de traduire leurs sentiments nationalistes en des politiques distinctives dans le domaine social, culturel et économique. La mondialisation et la proximité des États-Unis contribuent à limiter les politiques que les Canadiens peuvent choisir et elles influencent aussi les valeurs qui façonnent les choix qu’ils veulent faire. Mais, ni ces politiques ni nos valeurs ne sont déterminées au préalable par l’expérience américaine. Les partis et les gouvernements canadiens continueront donc, comme il se doit, de débattre entre eux des moyens d’expression 5 de la souveraineté canadienne dans les politiques publiques par rapport aux ÉtatsUnis, et ils le feront sous l’influence de pressions importantes en provenance d’un large éventail d’intervenants de la société civile. • • Les questions concernant les instruments publics et privés appropriés pour exprimer la diversité canadienne n’ont cessé de soulever la controverse au pays depuis les années 60, et elles continueront de préoccuper tous les gouvernements canadiens et de nombreux acteurs politiques. Mais, à mesure qu’un nombre de plus en plus élevé de Canadiens vivront l’expérience de la diversité culturelle par l’intermédiaire du système d’enseignement public et d’autres activités, cette diversité deviendra probablement un aspect normal de la réalité canadienne et cette dimension ne sera plus dans ce cas une question controversée dans le débat public. Les questions de justice intergénérationnelle et internationale seront plus difficiles à ignorer par les partis politiques et les gouvernements dans les années à venir, étant donné l’accumulation ininterrompue de preuves qui font état de dommages à l’environnement, d’épuisement des ressources et d’une disparité croissante des chances de réussite chez les Canadiens, ainsi qu’entre les citoyens des pays industrialisés et ceux du tiers monde. Les Canadiens aborderont ces quatre enjeux controversés dans le contexte d’un vaste éventail de débats précis sur les politiques au cours de la prochaine génération. Pour juger des véritables enjeux dans ces débats, il sera primordial de comprendre pleinement les valeurs qui sous-tendent chacun des choix de politiques. Si l’on considère les façons dont les politiques publiques ont été proposées et mises en œuvre par les gouvernements canadiens et les partis politiques depuis 1940, nous pouvons déceler des modes distincts d’arbitrage des valeurs, que nous décrivons comme étant des « contrats sociaux canadiens ». Dans leur analyse des façons de bâtir un nouveau contrat social qui répondra à nos besoins et à nos obligations au XXIe siècle, les Canadiens devront encore une fois relever le défi de réexaminer leurs engagements sur le plan des valeurs de base. 6