Sanjay Subrahmanyam, Vasco de Gama : légende et

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EXTRAITS DE PRESSE
Sanjay Subrahmanyam, Vasco de Gama : légende et
tribulations
Presse écrite
Les Grands Dossiers Sciences Humaines, janvier 2013
À lire - L’Histoire connectée
Les historiens connectés, Sanjay Subrahmanyam, Serge Gruzinski et Romain Bertrand,
invitent dans leurs ouvrages à brûler le grand récit des débuts de l'hégémonie occidentale.
Sanjay Subrahmanyam, volontiers comparé à un électricien de l'histoire en ce qu'il a été
pionnier en matière de connexion, révélant les liens et les tensions qui de longue date ont
irrigué l’histoire de l'Asie, entre Perse, Empire ottoman, Inde Chine et Asie du Sud-Est, est
mis à l’honneur avec la traduction attendue d'un livre initialement publié en 1997 : Vasco de
Gama Légende et tribulations du vice-roi des Indes (Alma, 2012)
Laurent Testot
NRP Lettres Collège, janvier 2013
L’Histoire globale ne se contente pas d’ouvrir de nouveaux horizons. S'appuyant sur les
sources les plus diverses, en particulier la documentation en langues vernaculaires extraeuropéennes, elle produit un récit très éloigné de celui des navigateurs et conquérants
européens Trois livres récents permettent de comprendre tout l'intérêt de cette « histoire
connectée ». Sanjay Subrahmanyam est un des fondateurs de la World History. Sa
biographie de Vasco de Gama parait enfin en français. Les sources indiennes, arabes ou
italiennes modifient singulièrement l'épopée lusitanienne. L’image de l’amiral n’en sort pas
grandie. Sa découverte des Indes est-elle si novatrice ?
À Calicut, ce sont des Maures de Tunis parlant le castillan qui accueillent l’émissaire
portugais. L'amiral, avec violence et dissimulation ne fait que détourner des circuits
commerciaux déjà en place.
Alain Barbé
Lectures, novembre décembre 2012
Ce livre ne se lit pas « comme un roman » le style en est résolument académique et le
contenu, très fouillé, repose sur une documentation minutieusement collectée. Le grand
historien indien n'asserte donc rien sans s'appuyer sur d'innombrables lettres et actes
administratifs d'époque, auxquels il se réfère abondamment, au risque de briser le rythme
du récit. C'est donc par un travail d'une grande solidité, qu'il fissure la statue et brise le
mythe de Vasco de Gama, certes aventurier courageux et meneur d'hommes, mais
démontrant aussi beaucoup d'arrivisme et de cruauté. Il fallait peut-être un regard plus «
asiatique » pour oser s'attaquer à cette légende, construite par Gama lui-même puis
amplifiée par beaucoup d'autres, dont le poète national Camoes, et qui appartient au
patrimoine portugais le plus sacré. Mais les multiples pérégrinations transcontinentales,
batailles, intrigues, conflits interreligieux et commerciaux évoqués dans cet ouvrage majeur,
donnent à penser que déjà, à la charnière des XV et XVI siècles, furent semés les germes
décisifs de cette « globalisation » aujourd'hui évoquée à tout propos.
R.D.
Études, octobre 2012
Prenant le contre-pied d'une approche conventionnelle qui fit de Vasco de Gama une
incarnation du Portugal et de son expansion ultramarine, Sanjay Subrahmanyam s'inscrit
dans un courant historiographique inauguré il y a une vingtaine d'années et privilégiant une
perspective globale. Son ouvrage est passionnant à plus d'un titre. C'est tout d'abord
l'œuvre d'un historien indien qui n'a pas peur d'adopter pour maxime : « Rire des actions
qui sont ridicules, déplorer celles qui sont tragiques, maudire celles dont ont souffert les
victimes. » C'est ensuite un essai très suggestif où se mêlent les récits d'aventure et de
voyage et des mises au point précises sur les choix interprétatifs de l'auteur qui lui ont valu
quelques soucis comme il l'explique dans la préface.
Mais venons-en à Vasco de Gama lui-même. Né vers 1469 à Sines au Portugal, son enfance
fut bercée par les légendes des croisades et de la Reconquista et c'est tout naturellement
qu'il rejoignit vers 1480 l'Ordre de Santiago de l'Épée. Lorsqu'il s'embarque en 1497 à la
tête de quatre navires, cela fait un siècle environ que les Portugais, à la suite d'Henri le
Navigateur, explorent méthodiquement les côtes africaines et leurs richesses. En novembre
il double le cap de Bonne Espérance et parvient près de Calicut, au sud de l'Inde, en
mai 1498. Trois mois plus tard il repart sans avoir obtenu d'avantage commercial.
Couvert d'honneur et nommé « amiral des Indes », il profite pleinement de sa « légende »
de premier explorateur de l'Inde. Mais, à la suite d'un second voyage (1502-1503), il tombe
en disgrâce. Le roi Manuel sanctionne ses violences et ses exactions. Pendant vingt ans,
Vasco de Gama vit en semi-retraite à Évora. En 1524 cependant, Jean III l'ayant nommé
vice-roi des Indes, il repart pour la troisième fois mais il meurt le 24 décembre à Cochin,
peu de temps après son arrivée. Le livre de Sanjay Subrahmanyam, très bien traduit, est
d'une lecture passionnante et il répond fort bien à la question que se pose le lecteur :
comment devient-on Vasco de Gama ? Certes, nous dit-il, il a ouvert une voie maritime
pour le commerce des épices. Mais, du fait de la double concurrence de ses illustres
contemporains Fernand de Magellan et Christophe Colomb, sa vie a longtemps fait l'objet
d'une relative méconnaissance, surtout en Asie pour qui l'Europe n'était qu'un continent
marginal et mal connu. Et puis soudain, tissée de son vivant même, il y eut cette « légende »
qui l'inscrivit au « chapitre flamboyant » des grands découvreurs.
Philippe Lécrivain
Le Nouvel économiste, 27 septembre 2012
Comment s'est forgée la légende de Vasco de Gama, ce navigateur qui contrairement à
Christophe Colomb ne tint pas de journal de bord ?
Quelles furent exactement les tribulations de cet aventurier ? C’est à ces deux questions que
répond l'historien Sanjay Subrahmanyam. Extraits.
Les affiches de Normandie, 15 août 2012
On regrette de n'avoir pas ici l'espace qu'il faudrait pour parler de l'extraordinaire Vasco
de Gama, Légende et tribulations du vice-roi des Indes du grand historien indien Sanjay
Subrahmanyam, professeur à l'université de Californie où il a fondé le Center for India and
South India. La plupart des historiens n'ont étudié que le versant occidental des « grandes
découvertes ». Il était temps de décloisonner ce qui, le plus souvent, n'était qu'une histoire
solennelle, nationaliste et très largement idéologique.
Démarche fort dangereuse. À preuve la réaction outrée qui accueillit la solution portugaise
de ce chef-d’œuvre qui déboulonnait un héros élevé par les Lusiades de Luis de Camôes au
rang de légende nationale. Il est évident qu'on ne part pas sans biscuits dans un pareil
voyage au long cours. S. Subrahmanyam, polyglotte, a dépouillé une masse considérable
d'archives, tant portugaises qu'asiatiques, pour donner du navigateur occidental qui, le
premier, touche les Indes, un portrait plausible. Au dire même des chroniqueurs, il est
hautain, cupide, cruel, paranoïaque et fort peu courageux. Mais il va de soi que ce qui nous
intéresse le plus, c'est l'arrière-plan économique, social, idéologique même, de cette épopée.
L'historien en quête de globalité montre à quel point le sous-continent indien était, et
depuis fort longtemps, ouvert aux Vénitiens, aux Arabes musulmans d'Égypte, du Maghreb
ou du Yémen, aussi bien qu'aux Ottomans, aux Chinois et aux Tamouls. Vont compter,
aussi, l'inusable légende du fameux prêtre Jean et la volonté inébranlable du roi Manuel 1,
toute vibrante de messianisme.
Vasco de Gama, lui, est venu avant tout pour s'enrichir. Il le fait sans complexe, avec une
brutalité qui pèsera lourd dans la suite de l'histoire Avec cette somme, où l'ironie ne
manque pas, nous entrons dans une autre vision de la recherche historique. C'est peu de
dire qu'elle est féconde. Elle nous procure, de surcroît, des plaisirs rares qu'il serait criminel
de se refuser.
Essai I Histoire, 492 pages).
L’Agathois, L’Hérault de l’économie et des affaires, et La Terre de chez
nous, 2 août 2012
Voyage, Vasco de Gama
Vasco de Gama accoste à Calicut (Kerala), le 21 mai 1498, avec trois caravelles. Le
navigateur a 29 ans et des rêves de conquête pleins la tête. Mais il doit déchanter. Loin
d'être une terre inconnue, l'Inde accueille déjà de nombreux commerçants étrangers et ses
premiers interlocuteurs sont deux Arabes de Tunis. Le Portugais venait y chercher des
alliés chrétiens pour lutter contre l'islam, sa déception est immense. Quant aux Indiens, ils
le prennent pour un musulman du Levant. Le quiproquo parfait ! Professeur à l'École des
hautes études en sciences sociales de Paris, Sanjay Subrahmanyam a analysé les documents
d'époque, orientaux et occidentaux, pour retracer l'ascension obstinée de Vasco de Gama,
issu d'une petite noblesse et devenu vice-roi des Indes. Un ouvrage érudit qui se lit comme
un roman et abonde divers aspects (voyage, âpreté des négociations, commerce des épées,
choc des civilisations...)
Catherine Pauchet
Monaco Hebdo, 5 juillet 2012
Occident : son histoire sous les yeux des autres
Connaissez-vous l'histoire globale, ou connectée ? Ce courant de recherche et
d'enseignement de l'histoire, apparu aux États-Unis au début des années 1990, étudie les
phénomènes transnationaux, avec une attention toute particulière portée aux points de vue
des non Occidentaux. Un exemple : les travaux de l'historien indien Sanjay Subrahmanyam
sur Vasco de Gama. En multipliant les archives et les sources, en prenant en compte le
point de vue des navigateurs occidentaux du XVe siècle, mais aussi des chrétiens syriens, des
mamelouks égyptiens, des commerçants indiens, etc. , Monsieur Subrahmanyam livre une
analyse en profondeur et inédite de la première expansion européenne dans l’océan Indien.
La traduction française de son livre, Vasco de Gama, légende et tribulations du vice-roi des
Indes (Alma éditeur), vient de paraître. Naguère, l'ouvrage fit grand bruit au Portugal : il
déboulonnait la statue du navigateur, dont les mythes portugais célèbrent encore la pureté.
De Gama y apparaissait comme un assassin ignorant, paranoïaque et cupide. L'objectif
n'était pas de taper sur le brave navigateur mais les recherches entreprises mettaient à jour
des aspects méconnus de ses pérégrinations et de sa personnalité. Et l'Occident doit
s’attendre à l’arrivée d’historiens brésiliens qui enquêteront au Mali et en Grande-Bretagne
sur la colonisation française de l’Algérie, et d'autres japonais ou turcs qui s'intéresseront
aux conséquences de la guerre des Boers. Être connecté au monde, c'est aussi cela. Et ça
peut donner envie à quelques-uns de revenir se cloîtrer au village.
Le Monde des Livres, 5 juillet 2012
Critique et récit historique se mêlent dans cette biographie passionnante du navigateur
portugais. On y mesure tous les enjeux de la rencontre entre les Européens les Africains et
les Indiens les violences et les négociations les échanges et les incompréhensions ainsi que le
processus de construction d une mémoire des « découvertes ».
Claire Judde de Larivière
Books, 29 juin 2012
La statue fissurée de Vasco de Gama
La réputation du grand navigateur mythifié par Camoes est sérieusement égratignée
par un universitaire indien, qui rappelle que son épopée fut quelque peu sanglante.
Avec Ulysse, Vasco de Gama est l’unique navigateur à être devenu le protagoniste d’une
grande épopée. Mais, contrairement à celle de son mythique prédécesseur, son existence à
lui est plus qu’avérée : entre 1497 et 1499, il fut le premier, après avoir contourné l’Afrique,
à relier l’Europe et l’Inde par voie maritime.
Les Lusiades de Camoes, qui le consacrent en héros de la jeune nation portugaise, seront
publiées cinquante ans seulement après sa mort, survenue en 1524.
Dans son Vasco de Gama, l’universitaire indien Sanjay Subrahmanyam se propose
d’examiner la manière dont s’est construit ce mythe moderne et, par la même occasion, de
passablement l’ébranler.
S’appuyant sur des sources aussi diverses que des opéras oubliés du XIXe siècle, les
journaux de nobles vénitiens en visite à Lisbonne ou celui d’un membre d’équipage,
Subrahmanyam « passe habilement de la légende aux faits », estime Sagarika Ghose dans le
magazine indien Outlook.
On apprend ainsi que cet homme de petite noblesse, court sur pattes, n’était qu’un second
choix pour mener l’expédition jusqu’à Calicut, au Kerala : « Un candidat de compromis,
explique Ghose, non pas l’un des aristocrates ayant la faveur du roi, mais quelqu’un du
camp opposé, afin que l’échec éventuel de la mission puisse être attribué aux ennemis du
monarque. »
« Dans ses Lusiades, écrit la critique, Camoes fait de Gama une sorte de Christ médiéval qui,
avec ses douze disciples, aborde partout, de Malindi (dans l’actuel Kenya) jusqu’à Calicut. Il
est décrit comme un personnage majestueux qui dit vouloir inaugurer des échanges
commerciaux pacifiques. D’autres chroniqueurs ont même comparé le voyage du São
Gabriel aux conquêtes d’Alexandre… Subrahmanyam souligne la violence déployée par le
Portugais dans l’océan Indien, ses crises de colère, les incompréhensions culturelles et le fait
que ces premiers échanges commerciaux furent réduits et certainement pas amicaux. »
Parmi les épisodes les moins glorieux de cette sanglante épopée, les centaines de pèlerins
musulmans revenant de La Mecque brûlés vifs dans leurs embarcations, le bombardement
et la destruction partielle de Calicut, ou encore le sort réservé à de malheureux pécheurs
dont le seul tort fut de croiser la route des caravelles et qui finirent pendus à leurs mats…
Le Nouvel Observateur, 7 juin 2012
Les légendes de Vasco de Gama
À la fin du XV siècle, le grand navigateur portugais ouvre une voie maritime vers l'Inde et
fonde un nouvel empire outre-mer. Quel fut ce choc entre Occident et Asie ?
UN ENTRETIEN AVEC SANJAY SUBRAHMANYAM
Le Nouvel Observateur. On a du mal à comprendre pourquoi, à la fin du XV siècle, le
Portugal, un pays marginal à l'extrême sud de l'Europe, relativement pauvre et peu
peuplé – 1 million d'habitants –, a eu l'audace de se lancer, par l'intermédiaire de
Vasco de Gama, dans l'aventure de la création d'un empire portugais des Indes. Quelle
est l'explication de ce projet démesuré ?
Sanjay Subrahmanyam Les historiens portugais du XX siècle, mais aussi français tels
Pierre Chaunu ou Fernand Braudel, ont expliqué cette soif de conquêtes impériales outremer par des raisons économiques et mercantiles. Mais cette seule explication économique
n'est pas satisfaisante, car elle ne peut rendre compte de cette démesure. En fait, à
l'instigation du roi Dom Manuel, il s'agissait d'un projet de conquête très confus qui dans la
noblesse ne faisait guère l'unanimité. Le roi et Vasco de Gama se basaient sur des
ignorances maritimes et politiques considérables. Ils se sont lancés dans l'aventure en
pensant qu'il y avait en Inde des populations chrétiennes à découvrir et à protéger des
musulmans. Dom Manuel entretenait des espérances messianiques - sauver les « chrétiens
perdus » - mais aussi mercantiles, faire main basse sur les épices des Indes. Ainsi quand la
petite escadre de trois bateaux commandée par Vasco de Gama prit la mer en juillet 1497,
dans le but de doubler le cap de Bonne Espérance, la double motivation religieuse et
mercantile était à la manœuvre. Vasco de Gama, en, allié de la noblesse portugaise, rêvait
d'un enrichissement possible, tandis que Dom Manuel défendait le projet d'un capitalisme
monarchique et surtout, comme plus tard Charles Quint, de créer une monarchie
chrétienne universelle. N'oublions pas qu'au moment des deux premières expéditions de
Vasco de Gama, les voisins castillans n'ont pas encore atteint la terre d'Amérique ni
conquis le Mexique et n'ont pris possession que de quelques îles des Caraïbes. C'est
pourquoi Dom Manuel peut rêver de devenir l'Empereur universel.
Quand en 1498 Vasco de Gama rencontre pour la première fois le raja de Calicut – ce
grand moment de la mythologie nationale portugaise célébrée par Luis de Camoes
dans les « Lusiades » -, il croit découvrir un souverain et un royaume chrétiens aux
rites certes exotiques. Le roi de Calicut était en fait hindouiste. La bévue est totale…
Au cours de l'expédition le long des côtes de l'Inde du Sud, Vasco de Gama croira voir des
chrétiens partout. Pure illusion ! Lors de son premier retour en 1499, il dira à Dom Manuel
qu'il a découvert une quinzaine de royaumes chrétiens en Inde. En fait pour lui, tout ce qui
n'était pas musulman ne pouvait ou ne devait être que chrétien. Il ne faut pas oublier que
Vasco de Gama, comme tout noble portugais du XVI siècle, est obsédé par la lutte contre
l'islam. Il n'hésitera pas d'ailleurs à couler un navire appartenant au sultan mamelouk, avec
à bord des centaines de pèlerins musulmans qui revenaient de La Mecque. C'est un crime
qu'on n'aime pas rappeler au Portugal. La haine de l'islam était très puissante à l'époque.
Dom Manuel rêvait d'éradiquer la religion musulmane. Il assimilait le sultanat mamelouk
d'Égypte à Babylone, projetait de détruire La Mecque et Médine et reprendre Jérusalem. Ce
qu'il n'avait pas prévu, c'est qu'un peu plus tard le sultanat égyptien allait tomber non pas à
cause des Portugais mais des Ottomans.
Camoes dans ses « Lusiades » a su investir l'expédition de Vasco de Gama d'une dimension
divine chère à Dom Manuel. Gama n'y est plus représenté sous les traits d'un paranoïaque
hautain et cruel (comme souvent chez les chroniqueurs de l'époque) mais comme animé par
Dieu qui le porte de réussite en réussite. Il y a également une dimension mégalomaniaque
dans la monarchie portugaise et en particulier chez Dom Manuel. À son titre de roi de
Portugal et seigneur de taxes prélevés par le sultanat d'Égypte. Gama a permis aux
Portugais de contourner la voie terrestre.
Mais pendant tout le XVI siècle les deux voies, terrestre et maritime, ont coexisté.
Vasco de Gama était au service du roi, et, grâce à lui, est devenu amiral, comte, puis
vice-roi des Indes. Mais n'était-il pas surtout au service de lui-même, car grâce aux
Indes il s'est enrichi sans vergogne ?
De ses voyages, Gama ne revenait pas seulement glorieux : il revenait riche. Il était aussi
avide d'honneur. Pour obtenir le titre de comte, il est prêt à faire chanter le roi en
menaçant de quitter le Portugal et de se mettre au service de Charles Quint. Les Portugais
n'aiment pas trop qu'on leur rappelle cet épisode ! Grâce à ce titre obtenu à l'arraché et sa
richesse, il va fonder une véritable dynastie. Sa famille anoblie a pu ainsi faire main basse
sur le commerce avec les Indes. Votre livre sur Vasco de Gama et sa légende a été très
mal accueilli au Portugal. On vous a accusé d'avoir mis à mal un mythe national. Il est
vrai que, de Camoes à Pessoa, Vasco de Gama a fait l'objet dans son pays d'un
véritable culte…
L'histoire « connectée » que je pratique dérange forcément les nombrilismes nationaux.
C'est curieux, on m'a attribué des jugements sur ce héros national qui ne sont pas les miens,
mais ceux de ses contemporains et des chroniqueurs de l'époque qui le décrivaient comme
hautain, cupide, cruel, arrogant et pas si courageux. Il est certain que les découvertes des
XV et XVI siècles ont été, à la différence de l'Espagne, très importantes dans la
construction de l'identité nationale portugaise. L'identité espagnole de l'après-Franco ne
s'est pas construite sur cette question impériale ni sur les découvertes de Christophe
Colomb, qui était… génois. Au Portugal, au contraire, la génération post-Salazar a continué
d'investir dans ce mythe que la nation est née des découvertes de Vasco de Gama. L'autre
découvreur était Magellan, mais ce Portugais avait choisi de servir les Espagnols. Il était
donc irrécupérable.
Vous êtes un historien insaisissable et nomade. Vous êtes indien, vous avez enseigné
en France, en Angleterre et aujourd'hui aux États-Unis, vous maîtrisez une dizaine de
langues. Vous êtes un des maîtres de « l'histoire globale », que vous préférez appeler
« l'histoire connectée », et vous défendez une vision ironique de votre métier…
Ma maxime ironique d'historien est simple : rire des actions qui sont ridicules, déplorer
celles qui sont tragiques, maudire celles dont ont souffert les victimes. Mon nomadisme me
permet une liberté de circulation précieuse qui m'aide à échapper à l'histoire solennelle,
nationaliste et idéologique. Si on veut faire de l'histoire globale, il faut accepter d'être
confronté à un monde immense avec tant d'archives, de points de vue, de langues et
d'acteurs différents. Mon nomadisme me permet d'absorber des influences multiples. J'ai
une conception exigeante mais aussi très ludique de mon métier d’historien « connecté ».
Gilles Anquetil
Le Monde Culture & Idées, 9 juin 2012
Réécrire l'Histoire, avec d'autres yeux
Au festival Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo (26-28 mai), on a pu écouter un professeur à
la chevelure en bataille, l'Indien Sanjay Subrahmanyam, enseignant a l'UCLA, à Los
Angeles, polyglotte émérite (il parle tamoul, hindi, ourdou, anglais, français, portugais…),
spécialiste de l'histoire de l'Inde. Dans la biographie qu'il consacre à Vasco de Gama, il
conteste les vertus que prêtent au navigateur les historiens portugais, rappelant qu'il a
bombardé la ville de Calicut, coulé des navires marchands avec leur équipage, trompé son
monde sur la présence de chrétiens en Inde Sanjay Subrahmanyam est une figure de la
« world history », qui remet en cause l'écriture eurocentrée du monde. Autres figures de la
« world history », l'écrivain maori Alan Duff, le Malaisien Tash Aw et la Kanak Déwé
Gorodé ont alimenté ce débat à Saint Malo. À suivre…
Le Nouvel Observateur, 17 mai 2012
Cette biographie, écrite par l'un des historiens indiens actuels les plus en vue, a fait des
vagues au Portugal parce qu'elle désacralise l'icône du navigateur qui fut le premier à relier
directement les côtes de l'Inde. Mariant le rythme haletant du roman d'aventures et la
puissance explicative de l'histoire globale, elle campe un stratège parfois cruel, souvent
affairiste, aux prises avec la complexité des réseaux commerciaux et des civilisations
hétérogènes qui s'affrontent dans l'océan Indien. Un livre éblouissant.
André Burguière
Le Monde des Livres, 11 mai 2012
Pionnier de la route des Indes
En 1997, alors que l'on célébrait les cinq cents ans de la circumnavigation de l'Afrique par
Vasco de Gama, sortait cette biographie rédigée en anglais par Sanjay Subrahmanyam,
historien indien à la carrière internationale. Le résultat ne fut pas du goût de tout le monde,
en particulier au Portugal, ou la légende du « héros national » avait la peau dure. Car
l’ouvrage met finement en perspective le récit de la vie du navigateur et de ses explorations,
avec l'étude de la construction du « mythe nationaliste ». Des sources portugaises,
espagnoles et italiennes, ainsi que des documents produits tout autour de l'océan Indien
nourrissent cette histoire chorale des « découvertes » abordant le phénomène selon les
points de vue divergents de ses différents acteurs. Apparaissent alors tous les enjeux de la
rencontre entre les Européens, les Africains et les Indiens, les violences et les négociations,
les échanges et les incompréhensions. Récit d'aventure critique ironique et analyse
historique se mêlent dans cet ouvrage qui éclaire tout autant l'histoire politique et
économique du Portugal au XVI siècle, que la construction d'une mémoire restée
fondatrice dans l'idéologie européenne jusqu'à nos jours.
Claire Judde de Lariviere
Libération Suppléments Livres, 10 mai 2012
Rayon Gama. Le choc des cultures sur la route du navigateur portugais, par Sanjay
Subrahmanyam
Ce livre écrit par l'un des meilleurs historiens indiens actuels est bien plus qu'une simple
biographie du navigateur portugais, d'ailleurs difficile à écrire du fait du manque de sources.
Il s'agit d'une analyse en profondeur de la première expansion européenne dans l'océan
Indien et de la rencontre souvent difficile entre des univers culturels différents. Vasco de
Gama est le premier navigateur européen à rejoindre le continent indien par le cap de
Bonne Espérance Les réticences envers une telle expédition sont nombreuses au Portugal
car les avantages économiques de la dangereuse route du Cap sont très incertains par
rapport au trajet normal à travers le Levant et l'Empire ottoman. L'aventure paraît trop
risquée à une aristocratie portugaise dont les ambitions se limitent encore à la péninsule
ibérique et aux côtes marocaines. C'est en fait la dimension religieuse qui décide le roi
Manuel 1er à lancer l'expédition car l’expansion dans l'océan Indien est pour lui la suite de
la Reconquista et du combat contre l'islam. La destruction de Jérusalem détenue par les
Ottomans et la certitude de découvrir des royaumes chrétiens en Asie entretiennent un
brûlant messianisme antimusulman dont le rôle dans la volonté de conquête outremer des
Européens est souvent minimisé par l’historiographie.
Méprise. Vasco de Gama quitte Lisbonne le 8 juillet 1497 à la tête d'une modeste escadre de
quatre vaisseaux. Après avoir longé la côte orientale de l’Afrique jusqu'à la hauteur du
Kenya actuel, il se résout à utiliser les compétences des navigateurs autochtones pour
traverser l'océan, quitte à perdre sa crédibilité de « découvreur » de la route de l'Inde ! Le
20 mai 1498, il jette l'ancre devant le port de Calicut. La méprise est complète : les Indiens
prennent les Portugais pour des musulmans du Levant et les Portugais croient avoir affaire
à des chrétiens orientaux aux rites déviants. Selon la coutume arabo-persane de soumission
à l'autorité d'accueil, les Portugais offrent des cadeaux moqués par les Indiens, qui
expliquent que « le plus pauvre marchand arrivant de La Mecque ou des Indes en donnait
davantage », signe que les Européens pénètrent dans un monde dont la richesse peut leur
être supérieure. Après des aventures marquées par la méfiance des marins portugais et le
malaise des Asiatiques face au comportement souvent peu respectueux des Européens,
Gama retourne à Lisbonne. Manuel 1er peut annoncer à l'Europe « l'espérance dont on peut
se flatter de voir toutes les nations de ladite Inde ralliées à notre Seigneur ». Gama nommé
amiral puis vice-roi des Indes, riche grâce aux opérations commerciales réalisées lors de ses
voyages, dirige deux autres expéditions en 1502 et en 1524.
Privilèges. C'est à partir de 1509 qu'est établi l’empire portugais d'Asie. Il se caractérise par
un usage récurrent et systématique de la violence maritime Le second voyage de Gama en
est une illustration quand il arraisonne un navire charge de pèlerins musulmans de retour
de La Mecque et fait exécuter tous les passagers, hormis dix sept enfants envoyés au
Portugal, épisode qui n’a pas manqué de troubler certains chroniqueurs portugais du temps
Les pratiques commerciales elles mêmes ne sont pas exemptes de violence, afin d'obtenir
des privilèges ou des épices de bonne qualité signe du recours a une supériorité militaire
acquise grâce à l'artillerie pour compenser une infériorité commerciale. Ces échanges
contribuent à l'enrichissement du Portugal, provoquant de sérieuses tensions qui mettent
aux prises deux politiques. L'une met en avant la dimension messianique et antimusulmane
et privilégie un capitalisme monarchique, les navires commerciaux du roi devant supplanter
les bateaux armés par des capitaux privés. L'autre est menée par les pragmatistes, dont
Gama, qui ne fantasment pas sur la destruction de La Mecque. Ils veulent obtenir par la
force des privilèges dans les grands ports indiens au profit non de la marine royale mais des
intérêts privés, en particulier ceux de la petite noblesse. Dans l'une et l'autre stratégie, la
violence est toujours au service de la politique portugaise, pratique dénoncée par les
historiens de l'Inde indépendante. Le nom de Vasco de Gama a pourtant été donné à une
gare, dans l'espoir que les deux pays laissent « derrière eux leur triste passé », preuve que
l'Inde contemporaine n'est pas rancunière.
Jean-Yves Grenier
Le Figaro magazine, 14 avril 2012
L'ouvrage se lit avec plaisir.
Jean Sévillia
Livres Hebdo « Vasco de Gama in India », 30 mars 2012
Sanjay Subrahmanyam signe la première biographie du « découvreur » par un des
« découverts ».
Dès 1947, Nehru, premier ministre de l'Inde libre, se fixait pour objectif la récupération
pacifique par son pays de son intégrité territoriale. C'est-à-dire la fin des Comptoirs que
détenaient encore certaines puissances coloniales occidentales, surtout sur les côtes sud du
pays. La France, au terme de bien des manœuvres dilatoires, consentit, en 1954 et alors que
Chandernagor avait déjà fait sécession en 1949 par référendum, à rétrocéder à l'Inde de jure
ses quatre Comptoirs restants, parmi lesquels la très symbolique Pondichéry. Mais ce n'est
qu'en 1962, après les accords d’Evian et la décolonisation de l'Afrique noire, que les
Comptoirs de l'Inde redevinrent de facto indiens. Il n'en alla pas de même pour le confetti
de Goa, sur la côte du Karnataka, capitale de l'Empire portugais d'Orient depuis sa
fondation en 1510 par Albuquerque. Celui-ci poursuivait l'œuvre de Vasco de Gama (14691524), découvreur de la route des Indes en 1498 lorsqu'il aborda un peu plus au sud dans le
Kerala, à Calicut Ce n'est qu'en 1961 que les troupes indiennes purent récupérer Goa,
reconquise sur le Portugal de Salazar. Et c'est justement pour commémorer, cinq siècles
après, le premier débarquement de Vasco de Gama en Inde que l'historien indien Sanjay
Subrahmanyam a consacré à l'explorateur portugais sa première biographie made in India.
Un personnage dont on ne sait que peu de choses, si ce n'est qu'il a effectué trois voyages
vers les Indes portugaises, en fut nommé vice-roi et y mourut, à Cochin. L'accueil au
Portugal de cette biographie semble avoir été plutôt frais Mais la personnalité de son
auteur, son parcours atypique sont des paramètres à prendre en compte pour comprendre
sa démarche, son travail, et juger du résultat. Innovant, décapant, un peu technique parfois,
et qui ne va pas, justement, jusqu'au terme de l'aventure portugaise en Inde, en 1961. Né
dans une famille tamoule de hauts fonctionnaires, élevé à Delhi où il a été professeur
d'histoire économique, Subrahmanyam est considéré comme l'un des maîtres de la « world
history », étiquette à quoi il préfère celle d'« histoires connectées ». Sa spécialité consiste
dans l'étude des rapports entre les cultures, lorsqu'elles ont commencé à entrer en contact
aux XVIe et XVIIe siècles. Son nouvel ouvrage, Three ways to be alien, est prévu chez Alma
éditeur l'année prochaine.
Jean-Claude Perrier
L’Express « Quand l'Inde découvrait Vasco de Gama », 27 mars 2012
Que reste-t-il de nos années d'écoliers ? Christophe Colomb, Vasco de Gama et
Fernand de Magellan.
À chacun son trophée. Au premier, l'Amérique (1492) ; au deuxième, la route maritime
vers l'Asie contournant l'Afrique (1498) et au troisième le premier tour du monde
(1519-1522). Le trio figure au panthéon des « Grandes Découvertes ». Dans sa patrie, le
Portugais Gama (1469-1524) est un héros messianique. Sa légende, tissée de son vivant, en a
fait l'égal d'Enée, le prince de Troie. Le poète Pessoa lui consacra un poème, Mensagem, où
« le ciel déchiré ouvre l'abîme à l'âme de l'Argonaute ». Aujourd'hui encore, manuels
scolaires et bandes dessinées continuent d'honorer la mémoire de cet homme de petite
noblesse devenu vice-roi.
Changement de décor, des rives du Tage à la côte de Malabar, dans le sud-ouest de l'Inde.
En mai 1498, le Saint-Gabriel, le Saint-Raphaël et le Berrio, les trois caravelles de Vasco de
Gama, accostent dans le port de Pantalayini, à une vingtaine de kilomètres de la cité-État de
Calicut (Kerala). Dans l'indifférence.
Les habitants de cette région hindoue sont familiers des visages étrangers. Des musulmans y
ont fait souche depuis des siècles, des marchands vénitiens y font leurs emplettes depuis des
décennies, des chrétiens syriaques s'y approvisionnent en poivre. Le quiproquo est total. En
faisant irruption dans l'océan Indien, Gama rêvait d'inaugurer une terre nouvelle et il
découvre un immense carrefour entre mer de Chine et Méditerranée : un monde où
l'Europe est marginale. Terrible déconvenue pour le messager du roi
Manuel Ier. Le maître de Calicut – le samorain (« souverain de la mer ») - prête une oreille
distraite, voire suspicieuse, à ce hâbleur, à cet individu ambigu, tour à tour diplomate et
marchand, dont il ne comprend pas les véritables intentions. L'entrevue est à peine polie,
l'échec est patent. Deux mois et demi plus tard et après plusieurs incidents avec la
population, les Portugais plient bagage. Leur départ a des allures de retraite. Pour assurer
ses arrières, Gama va jusqu'à prendre en otage des notables.
Lorsque l'Indien Sanjay Subrahmanyam (50 ans) rend publique cette version de l'équipée
du héros national portugais dans son livre publié - sacrilège supplémentaire ! - à la veille du
500e anniversaire de son expédition, il est copieusement insulté. Cet « ennemi du Portugal
n'a qu'à « rester dans [son] océan Indien »
Subrahmanyam, grand historien, préfère Los Angeles, ou il enseigne à l'université. En plus
du tamoul, sa langue natale, il parle hindi, anglais, français, ourdou, espagnol, portugais,
allemand, italien, persan, danois, néerlandais. Il est l'auteur d'une somme, L'Empire
portugais d'Asie, 1500-1700 (Maisonneuve & Larose) et de ce Vasco de Gama, enquête
scrupuleuse, récit formidable.
Au fil des ans, il est devenu l'icône de la « world history », une histoire qui s'abreuve aux
sources les plus diverses, jusque-là ignorées : celles des Indiens, des mamelouks d'Égypte,
des sultans de l'Afrique orientale… En les confrontant, il accouche d'un nouveau puzzle où
l'histoire du monde devient panoramique. « Par ce décentrement du regard s'invente une
autre histoire des Grandes Découvertes, à la fois plus complète et plus inquiète », observe
Patrick Boucheron, autre grand spécialiste à la pointe de cette histoire qui a fait son deuil de
l'européocentrisme.
« C'est toujours sans doute "notre" histoire, à ceci près que la valeur du "nous" a changé. »
Emmanuel Hecht
Blogs
Fabula, 1er février 2012
Lien : http://www.fabula.org/actualites/le-gout-de-l-archive-est-polyglotte-entretien-avecsanjay-subrahmanyam-laviedesideesfr_49218.php
Radio
France Culture, 9 juin 2012, La Fabrique de l’histoire, Emmanuel
Laurentin.
Comment devient-on Vasco de Gama ? Le découvreur de la route maritime des Indes était
un homme de petite noblesse, âpre et rude, qui mourut vice-roi des Indes. Le Portugal fit de
lui un héros messianique. L'Occident inscrivit sa légende au chapitre flamboyant des
« grandes découvertes ». La très active Asie des XV et XVI siècles prêta pourtant peu
d'attention à ce marchand venu de l'Europe, continent marginal et mal connu.
Voici enfin traduite en français l'œuvre magistrale de l'historien indien. Un livre plein de
bruits et de fureur qui satisfera ceux que passionne une histoire désormais globale et tout
autant les amateurs de récits d'aventure ou de voyage.
France Inter, « La marche de l’histoire », Jean Lebrun, 17 mai 2012
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