économie et développement urbain durable

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ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT URBAIN
DURABLE
Modèles économiques appliqués à la ville
Financement et coût de l’investissement durable
© Transvalor – Presses des MINES, 2010
60 boulevard Saint Michel – 75272 Paris cedex 06 – France
email : [email protected]
http://www.ensmp.fr/Presses
© photos de couverture : Gilles Guerassimoff et Mastère OSE, Mines-ParisTech
ISBN : 978-2-911256-13-4
Dépôt légal 2010
Achevé d’imprimer en 2009 (Paris)
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.
Ouvrage coordonné par Jean CARASSUS et Bruno DUPLESSIS
ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT URBAIN
DURABLE
Modèles économiques appliqués à la ville
Financement et coût de l’investissement durable
Collection Développement durable
Dans la même collection
Nadia Maïzi, Jean-Charles Hourcade,
coordination Sandrine Selosse
CARBONE ET PROSPECTIVE
Colloque international organisé conjointement par la Chaire Modélisation prospective et l'ETSAP
Avant-propos
Si les élus, les aménageurs et les ingénieurs se sont mobilisés depuis déjà
quelque temps sur le développement urbain durable, les économistes ne se sont
pas encore suffisamment emparés du sujet.
Le département Economie et Sciences Humaines du Centre Scientifique et
Technique du Bâtiment a donc pris l’initiative de proposer à un certain nombre
de laboratoires de recherche et à la Mission Climat de la Caisse des Dépôts, de
créer un réseau Economie et Développement Urbain Durable, et d’organiser une
première rencontre de présentation de travaux et d’échanges.
L’accueil fait à cette initiative est révélateur du besoin : les cinq laboratoires
contactés et la Mission Climat ont immédiatement donné leur accord. Le réseau
comprend donc le Centre International de Recherche sur l’Environnement et le
Développement (CIRED), le Laboratoire d’Economie de la Production et de
l’Intégration Internationale (LEPII), le Laboratoire d’Economie des Transports
(LET), le Laboratoire Ville, Mobilité, Transports (LVMT), l’Ecole des Mines
ParisTech, le Département Economie et Sciences Humaines du CSTB et la
Mission Climat de la Caisse des Dépôts.
Cette action a bénéficié du financement lié à la labellisation du CSTB comme
Institut Carnot. Les Instituts Carnot, organismes articulant recherche et
préoccupations des acteurs socio-économiques, bénéficient d’une dotation
permettant de développer le partenariat de ces Instituts avec les milieux de la
recherche scientifique de haut niveau.
La première rencontre a eu lieu au CSTB le 23 janvier 2009. Le présent
ouvrage rend compte des sept communications présentées lors de cette journée.
Et déjà s’organise la deuxième rencontre annuelle du réseau Economie et
Développement Urbain Durable qui aura lieu à Lyon en 2010.
Bertrand Delcambre,
Président du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
5
Préface
Depuis plusieurs années on assiste à une montée en puissance de politiques
territoriales et urbaines, traitant de front la question énergie et environnement.
En France la mise en œuvre du Protocole de Kyoto, le choix de l’objectif Facteur
4 en 2050 et plus récemment l’affirmation d’une politique européenne
volontariste pour 2020 ont ouvert la voie de nouvelles initiatives. De nombreuses
collectivités locales ou villes se dotent maintenant d’objectifs et de nouveaux
moyens, notamment autour des Plans Climats Locaux.
Mais le mouvement dépasse la France et l’Europe. Une véritable prise de
conscience du rôle majeur des villes dans le développement durable s’affirme au
niveau planétaire, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. Cette
prise de conscience découle d’abord de la perception de l’immensité des défis
que l’humanité devra affronter au XXIème siècle, avec en particulier les
problèmes du climat, de la raréfaction du pétrole et des approvisionnements en
eau. Elle résulte aussi de l’intuition selon laquelle les villes auront un rôle central
à jouer dans les solutions à apporter à ces défis. Cette intuition est certainement
fondée. Les villes peuvent accélérer la transition vers une civilisation bascarbone et un modèle de développement plus durable : cela par leur action sur
les infrastructures de transport, par leurs possibilités d’intervention sur le bâti,
par les infrastructures de production d’énergie qu’elles contrôlent, enfin par leur
capacité à interagir avec les populations dans des démarches participatives.
Dans tous ces domaines, la recherche semble cependant marquer un certain
retard et les outils d’analyse ne sont pas encore à la hauteur des engagements
pris sur le terrain. Il ne faut certes pas sous-estimer la richesse des ressources
théoriques et méthodologiques disponibles, en sciences de l’aménagement, en
sociologie ou en économie. Mais ces ressources ne sont pas encore
suffisamment développées pour fournir une aide efficace dans le diagnostic,
l’identification des solutions et leur évaluation économique.
7
La première rencontre du réseau EDUD – Economie du Développement
Urbain Durable – qui s’est déroulée en janvier 2009 au CSTB a marqué la prise
de conscience, dans la communauté des chercheurs, de l’importance de ces
questions. Elle a permis de dresser un état de l’art de la recherche et d’identifier
les pistes prioritaires afin que rapidement il soit possible de faire converger le
temps de la recherche et le temps des politiques. Les contributions à cet
ouvrage rendent compte de cet état des lieux et des réflexions qui l’ont
prolongé. On doit souhaiter que cet effort de mobilisation de la recherche pour
le développement urbain durable se prolonge dans le temps et que le réseau
EDUD en soit un support actif.
Patrick Criqui, LEPII, CNRS-Université de Grenoble
Jean-Marc Uhry, Elu en charge du Plan Climat Local de La Métro,
communauté d’agglomération de Grenoble
8
Les laboratoires et organismes membres du
réseau « Economie et Développement Urbain
Durable »
Le Centre International de Recherche sur l’Environnement et le
Développement (CIRED) est une unité mixte de recherche dépendant de
l’EHESS, du CNRS, de l’École des Ponts ParisTech, d’AgroParisTech-ENGREF et
du CIRAD. Dirigées par Jean-Charles Hourcade, les recherches qui y sont
menées étudient les tensions entre environnement, gestion à long terme des
ressources naturelles et développement économique.
Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) est un
établissement public à caractère industriel et commercial de 800 personnes,
spécialisé dans la Recherche Développement dans le bâtiment et dans
l’évaluation technologique et environnementale des produits et des ouvrages.
Son département Economie et Sciences Humaines rassemble économistes,
sociologues, psychologues, urbanistes et ingénieurs, dans deux équipes dédiées
à l’innovation dans l’immobilier et au développement urbain durable.
Le Laboratoire d’Economie de la Production et de l’Intégration
Internationale (LEPII) est une Unité Mixte de Recherche du CNRS et de
l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble qui rassemble une cinquantaine
de personnes (chercheurs, enseignants-chercheurs et personnels administratifs).
Les recherches conduites au LEPII sont structurées selon deux axes principaux
dont un sur les ressources naturelles, l’énergie et l’environnement qui vise
notamment à l’analyse économique des politiques climatiques. Ces recherches
couvrent en particulier les questions relatives à la mise en œuvre des
instruments de marché, au contenu des politiques technologiques pour le
développement durable et enfin à la négociation internationale sur le climat.
9
Le Laboratoire d'Economie des Transports (LET) est rattaché au CNRS
(UMR n°5593), à l'Université Lyon 2 et à l'Ecole Nationale des Travaux Publics
de l'Etat. Ses travaux de recherche se situent au cœur des relations entre
transports, territoires et société. Ils combinent analyse, modélisation et
évaluation des politiques publiques de transport et d’aménagement du territoire.
Le Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT) est le fruit d’un
partenariat entre trois établissements de recherche et d’enseignement supérieur
reconnus pour leurs compétences dans le secteur de l’aménagement et des
transports : Ponts ParisTech, l’INRETS et l’UPEMLV. Ces 3 établissements sont
membres de l’Université Paris Est (UPE). Le LVMT analyse, dans une perspective
de développement durable, deux objets en interaction forte, la ville et les
transports. Les travaux des membres du laboratoire s’inscrivent dans trois
thématiques : Mobilité et métropolisation, Agencement des espaces et politiques
de mobilité et Économie des réseaux et modélisation offre-demande.
Le Centre Energétique et Procédés de Paris (CEP) et le Centre
d’Economie Industrielle (CERNA) sont des centres de recherche de Mines
ParisTech. Le CEP développe des compétences dans de nombreux domaines
utiles à l’étude de la transformation de la matière et de l’énergie. Il s’intéresse
aux systèmes énergétiques complexes, notamment en régimes variés et à la
maîtrise de leurs émissions. Les travaux de recherche du CERNA se sont
développés autour des domaines de l’économie, la finance quantitative et
l’analyse de la globalisation, et en particulier de l’économie de la réglementation
et de l’économie de l’environnement.
La Mission Climat, équipe de recherche du département CDC Climat de la
Caisse des Dépôts, est un centre d’analyse et de recherche sur l’économie du
changement climatique. Elle a pour objectif de comprendre, anticiper et faciliter
la mise en place d’instruments économiques pour agir face au changement
climatique. Elle est spécialisée dans trois domaines : l’économie des quotas
d’émissions de gaz à effet de serre, l’économie des projets de réduction des
émissions et l’économie de l’adaptation des territoires au changement
climatique. Son expertise est diffusée au travers de nombreuses publications
disponibles en ligne sur le site : http://www.caissedesdepots.fr/activites/luttercontre-le-changement-climatique/recherche.html.
10
Présentation des auteurs
COORDINATEURS
Jean Carassus, diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales, est
professeur à l’Ecole des Ponts ParisTech, consultant, ancien directeur du
Département Economie et Sciences Humaines du Centre Scientifique et
Technique du Bâtiment. Il est coordonnateur du Task Group n°66 « Energy and
the Built Environment » du Conseil International du Bâtiment et membre du
comité d’experts de l’Observatoire de la Ville. Il anime un blog sur l’immobilier
durable : www.immobilierdurable.eu
Bruno Duplessis, professeur agrégé de Génie Civil et docteur en
Energétique de l’Ecole des Mines de Paris est actuellement attaché de recherche
au Centre Energétique et Procédés de Mines ParisTech. En s’appuyant sur des
collaborations industrielles ou avec le secteur public, ses activités de recherche
se développent principalement dans le domaine de la maîtrise de la demande en
énergie. Dans cet ouvrage, Bruno DUPLESSIS présente également un article
portant sur une partie des travaux de recherche développés pendant ses études
doctorales et qui ont donné lieu à la soutenance d’une thèse intitulée « Mise en
œuvre des contrats de performance énergétique pour l’amélioration des
installations de production frigorifique » en décembre 2008.
AUTEURS
Paolo Avner (Ingénieur d’étude CNRS) est diplômé de ParisTech-Nanterre
et de Paris1. Jeune économiste, il a acquis une certaine expérience sur les
mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto ainsi que sur les instruments
permettant de concilier politiques climatiques ambitieuses et compétitivité
internationale. Au LEPII, il travaille sur les questions de développement urbain
durable, et sur l’intégration de cette dimension spatiale dans le modèle
énergétique POLES.
Nicolas Coulombel est chercheur au Laboratoire Ville Mobilité Transport,
récemment promu au grade de docteur. Il étudie le marché du logement et son
inscription dans le système métropolitain, en lien notamment avec les réseaux
11
de transport. Ses champs de prédilection sont l’économie urbaine ainsi que la
modélisation appliquée urbanisme-transport (LUTI modeling).
Patrick Criqui, Senior Researcher (Directeur de Recherche CNRS), est
diplômé de l’école des Hautes études commerciales. Il est Directeur de
recherche au CNRS et directeur du Laboratoire d’économie de la production et
de l’intégration internationale (LEPII, CNRS-Université de Grenoble). Ses
recherches portent sur l’analyse économique des impacts conjoints de la
raréfaction progressive des hydrocarbures et de la montée des contraintes
d’émission de gaz à effet de serre (GES). Pour cela, il a depuis quinze ans
développé un modèle de simulation du système énergétique mondial à long
terme, le modèle POLES utilisé aujourd’hui par différentes Directions générales
de la Commission européenne, ainsi que par des administrations et entreprises
en France et en Europe.
Dominique Finon, directeur de recherche au CNRS, est économiste au
CIRED et dirige le groupement d’intérêt scientifique Laboratoire d’Analyse
économique des Réseaux et Systèmes Energétiques (GIS LARSEN) mis en place
en 2006 par le CNRS, l’Université de Paris Sud et EDF. Le GIS LARSEN étudie
l’efficacité des règles des marchés, l’efficience des différents modèles
d’organisation industrielle et les politiques publiques (CO2, énergies
renouvelables, efficacité énergétique) dans le secteur électrique européen.
Louis-Gaëtan Giraudet, ingénieur des ponts et chaussées, est doctorant
au CIRED. Ses recherches portent sur l’évaluation des instruments économiques
de maîtrise de la demande d’énergie, en particulier les certificats d’économies
d’énergie. Ses travaux associent comparaison microéconomique, analyse
institutionnelle et intégration des technologies et des comportements spécifiques
du secteur résidentiel dans le modèle technico-économique IMACLIM-R du
CIRED.
Haitham Joumni est docteur ès sciences économiques. Il est chercheur au
département Economie et Sciences Humaines du Centre Scientifique et
Technique du Bâtiment (CSTB), où il participe à différentes études et coordonne
plusieurs projets de recherche dans le domaine de l’économie de
l’environnement, de la construction et de l’énergie. Il est également coordinateur
du programme économie du CSTB.
12
Alexia Leseur est docteur en économie et chercheuse à la Mission Climat
de la Caisse des Dépôts sur le thème de l’adaptation des territoires au
changement climatique. Elle est responsable du club Villes, Territoires et
Changement Climatique.
Philippe Menanteau (Ingénieur de Recherche CNRS) est diplômé de l’Ecole
Spéciale des Travaux Publics (Paris) et titulaire d’une thèse de docteur-ingénieur
de l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires. Avant d’entrer au
CNRS, il a travaillé plusieurs années au développement de coopérations entre les
collectivités locales européennes sur la thématique énergie – environnement. Au
LEPII, il est impliqué dans les programmes de recherche sur la prospective
technologique et la modélisation du système énergétique. Ses recherches
portent sur l’analyse du progrès technique dans le secteur de l’énergie et en
particulier sur les politiques de soutien au développement des énergies
renouvelables.
Philippe Quirion, chargé de recherche CNRS, est économiste au CIRED et
au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD). Ses recherches portent sur la
comparaison des instruments de politique environnementale. Il travaille
notamment sur les liens entre compétitivité industrielle et politiques climatiques,
les règles d’allocation des quotas d’émissions de C O 2 , et l’adaptation des
agricultures des pays en développement au changement climatique.
Charles Raux est ingénieur de recherche au CNRS et directeur du LET. Ses
travaux de recherche portent pour l'essentiel sur la modélisation de l’interaction
entre transports urbains et usages du sol, ainsi que l'utilisation des permis
négociables dans les transports, plus particulièrement pour répondre à la
problématique des émissions de gaz à effet de serre.
Jean-Pierre Traisnel est ingénieur de recherche CNRS au Laboratoire
Théorie des mutations urbaines, département de l'unité de recherche
Architecture Urbanisme et Sociétés. Ses recherches sont orientées vers des
exercices de prospective de type facteur 4 en architecture et en urbanisme,
publiées dans les cahiers du CLIP, club d’ingénierie prospective en énergie et
environnement.
13
Introduction
Le réseau Economie et Développement Urbain Durable est une structure
informelle rassemblant six laboratoires de recherche et la Mission Climat de la
Caisse des Dépôts. Il s’est fixé quatre orientations.
La première est de contribuer à créer une synergie nationale de recherche
dans le champ Economie et Développement Urbain Durable. Cette synergie
porte sur le contenu de la recherche dans ce champ et sa cohérence, en
particulier avec une meilleure articulation entre modèles systémiques et
questions issues du développement urbain durable. Les échanges permettront
de rapprocher les problématiques, de définir des axes partagés en valorisant les
complémentarités entre équipes, de participer à des projets communs. La
synergie a aussi une dimension logistique pour l’organisation des échanges, la
diffusion des informations et les comptes-rendus des travaux.
La seconde orientation est de favoriser l’utilisation des résultats de la
recherche par les acteurs socio-économiques. Le réseau privilégie les rapports
avec les élus locaux et les entreprises, privées et publiques, actives dans le
développement urbain durable. Une finalité est de faire en sorte que ces acteurs
puissent utiliser les résultats de la recherche pour éclairer leurs décisions et
mieux en appréhender les conséquences.
La troisième orientation est de mettre en avant l’importance de la recherche
appliquée dans le champ du développement urbain durable notamment vis-à-vis
d’institutions de recherche et d’évaluation de la recherche.
Enfin la quatrième orientation est d’attirer de jeunes chercheurs et de
pérenniser leur engagement. La difficulté d’accroître les travaux de recherche
dans le champ Economie et Développement Urbain Durable provient moins d’un
manque de financement que d’une insuffisance de ressources humaines. Le
réseau se fixe comme objectif d’attirer de jeunes chercheurs et de favoriser,
15
notamment par des contrats et un partenariat avec des entreprises, la pérennité
de leur engagement au-delà des périodes de doctorant et de post-doctorant.
Le principe d’une rencontre annuelle de présentation de travaux et
d’échanges a été arrêté. La première rencontre a eu lieu le 23 janvier 2009 au
CSTB à Paris. Le présent ouvrage rend compte des travaux présentés devant un
« grand témoin », représentant les décideurs susceptibles d’utiliser les résultats
de la recherche, Jean-Marc Uhry, élu en charge du Plan Climat Local de La
Métro, Communauté d’agglomération de Grenoble.
La matinée a été consacrée aux modèles économiques appliqués à la ville.
L’objet de la communication de Paolo Avner, Patrick Criqui, Philippe
Ménanteau du Laboratoire d’Economie de la Production et de l’Intégration
Internationale (LEPII) est double. Elle montre d’abord, dans une logique « top
down », pourquoi la prise en compte de la dimension urbaine devient plus
nécessaire dans les modèles énergétiques. Sont évoquées les pistes explorées
au LEPII pour intégrer cette dimension dans le modèle de simulation POLES. Des
développements sont envisagés pour tenter d’évaluer l’impact de l’étalement
urbain sur les besoins de mobilité par l’introduction de la variable densité.
L’article montre le besoin de développer des outils méthodologiques appropriés
pour l’élaboration des plans climat locaux. Quelques exemples d’approches de
type « bottom-up » mobilisées dans les villes européennes sont présentés ainsi
que les recherches que le LEPII engage sur cette thématique autour du cas de
l’agglomération urbaine de Grenoble.
La communication de Nicolas Coulombel, du Laboratoire Villes Mobilité
Transports (LVMT), critique la pratique actuelle qui consiste à vouloir limiter la
part de la dépense principale de logement (remboursement d’emprunt ou loyer)
au sein du budget des ménages, de sorte à assurer leur solvabilité. Plusieurs
chercheurs ont préconisé l’instauration d’une contrainte globale, incluant
dépenses de logement et de transport, en lieu de la pratique actuelle. L’objectif
de l’étude est d’analyser et de comparer les impacts spatiaux de ces deux
politiques alternatives à travers les principales caractéristiques de l’équilibre
urbain, incluant notamment le bien-être (utilité) des ménages et la taille de
l’agglomération. L’analyse est menée dans le cadre du modèle monocentrique de
l’économie urbaine, et un modèle appliqué a été développé pour illustrer les
impacts de chaque mesure.
Enfin, le projet ETHEL (Energie-Transport-Habitat-EnvironnementLocalisations), présenté par Charles Raux, du Laboratoire Economie des
16
Transports (LET) en partenariat avec Jean-Pierre Traisnel, du Laboratoire
Théorie des Mutations Urbaines, vise à simuler les consommations d’énergie et
les émissions de gaz à effet de serre par les secteurs des résidences principales
et du transport de personnes, en fonction d’hypothèses concernant les modes de
vie, les localisations d’activités, les types de logements, les offres de transport et
les comportements de déplacements associés à l’horizon 2020-2030. Pour
effectuer ces simulations, une architecture de modèles a été développée. Ces
modèles mettent en musique les facteurs principaux d’évolution des
comportements, d’une part en matière de choix de logement et de
consommations énergétiques dans ces logements, d’autre part en matière de
transport. L’articulation entre les modèles habitat et transport peut se résumer
selon un principe, supporté par les résultats empiriques, que l’on peut énoncer
ainsi : « dis-moi où tu habites et je te dirai dans quel type de logement tu vis et
comment tu te déplaces ».
L’après-midi a été consacré au financement et au coût de l’investissement
durable.
La communication de Louis-Gaëtan Giraudet, Centre International de
Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) analyse les
certificats blancs qui obligent les fournisseurs d’énergie à réaliser des économies
d’énergie, soit en incitant leurs clients à investir dans des technologies efficaces,
soit en achetant des certificats à un fournisseur ayant dépassé son objectif. À
l’aide d’un modèle microéconomique simple, l’auteur montre que par rapport à
d’autres instruments de maîtrise de la demande d’énergie (taxe, subvention,
réglementation), les certificats blancs sont un bon compromis entre efficacité
économique et effets « redistributifs ». Ces propriétés servent à éclairer l’analyse
dynamique des dispositifs britannique, italien et français, où apparaissent des
tendances communes, en particulier le développement de partenariats entre les
obligés et les installateurs d’équipements efficaces et l’importance des effets
d’apprentissage.
L’analyse de Bruno Duplessis, du Centre Energétique et Procédés de l’Ecole
des Mines ParisTech, concerne les contrats de performance énergétique. C’est
une forme contractuelle de services énergétiques dans laquelle les prestataires
de services prennent en charge le financement de projets d’amélioration des
installations en se rémunérant grâce à la valeur des économies d’énergie
générées. À ce titre, les contrats de performance énergétique sont appelés à
faire partie intégrante des dispositifs existants en faveur de l’amélioration de
17
l’efficacité énergétique, en particulier lors de la rénovation des installations de
production d’eau glacée alimentant les installations de climatisation des
immeubles de bureau. Les mécanismes techniques et contractuels d’un contrat
de services énergétiques sont analysés de manière à mettre en évidence les
caractéristiques qui en font un instrument économique au service de l’efficacité
énergétique. De plus, cette analyse met en exergue l’importance de l’évaluation
des économies d’énergie générées dans le cadre d’un contrat de performance
énergétique.
Haitham Joumni, du Département Economie et Sciences Humaines du Centre
Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) analyse l’approche en Coût Global
comme un outil d’aide à la décision permettant d’appréhender l’ensemble des
coûts sur l’ensemble du cycle de vie et offre en conséquence un cadre
d’arbitrage robuste pour les maîtres d’ouvrage. Après une présentation des
éléments méthodologiques de la démarche en Coût Global et de son périmètre
d’application, cet article vise à apporter une analyse critique de sa mise en
œuvre dans le cadre des investissements publics. L’objectif est de clarifier les
paramètres d’arbitrage et d’étudier l’importance et l’effet des choix des taux
d’actualisation, des taux d’inflation différentiels ainsi que des perspectives de
valorisation monétaire de certains effets externes sur l’évolution des coûts et des
choix techniques opérés.
Enfin, Alexia Leseur, de la Mission Climat de la Caisse des Dépôts, propose
d’abord un panorama des outils issus de la finance carbone à disposition des
villes pour réduire leurs émissions (marché européen des quotas de CO2 , les
mécanismes de projets prévus par le protocole de Kyoto comme le Mécanisme
pour un Développement Propre et la Mise en Oeuvre Conjointe, le système de
projets domestiques développés notamment en France). Elle montre les
conditions d’utilisation de ces outils et les principaux résultats observés. Dans un
deuxième temps une grille d’analyse pour évaluer les besoins d’adaptation au
changement climatique est développée : cette grille met en évidence
l’importance de disposer de prévisions sur le climat futur à l’échelle locale, et des
caractéristiques de la zone étudiée. Les outils existants de décision et de
financement pour l’adaptation sont ensuite détaillés.
18
Quels outils pour éclairer les décisions locales
dans le domaine du climat ?
Patrick Criqui
Philippe Menanteau
Paolo Avner
RESUME
L’urgence climatique appelle des politiques de réduction de gaz à effet de
serre ambitieuses. Depuis la mise en œuvre du protocole de Kyoto les avancées
sont réelles avec notamment la création du marché carbone européen (EU ETS)
pour les entreprises fortement émettrices. Cependant, il apparaît aujourd’hui
que cette direction ne peut à elle seule suffire à placer les économies sur des
sentiers de croissance suffisamment vertueux. Dans ce contexte, les villes qui
sont les hôtes principaux des populations (plus de 50% de la planète vit en zone
urbaine depuis 2007) et des activités consommatrices d’énergie (transport,
bâtiment…), apparaissent comme une « nouvelle » aire d’investigation pour les
politiques climatiques constituant d’immenses potentialités de réduction de gaz à
effet de serre (GES).
De nombreux territoires sont convaincus de leur rôle fondamental dans la
bataille du climat et tendent à se regrouper et à s’engager dans des plans climat
locaux que des éclairages scientifiques pourraient contribuer à rendre plus
efficaces.
L’émergence de la ville / du territoire comme niveau approprié de mise en
œuvre des politiques climatiques, impose aux chercheurs de renouveler outils et
approches méthodologiques afin de pouvoir rendre compte des nouvelles
options techniques et organisationnelles et éclairer la décision politique.
19
Ce chapitre explore les pistes d’amélioration possibles des outils de
prospective dans le domaine énergie – climat, pour apporter aux collectivités
territoriales des éclairages appropriés à des politiques climatiques locales plus
ambitieuses.
INTRODUCTION
Les évolutions diplomatiques et scientifiques nous rappellent avec vigueur la
nécessité de mettre en œuvre des politiques climatiques fortes, notamment pour
placer les pays développés sur des sentiers de croissance compatibles avec la
division par quatre de leurs émissions (le « facteur 4 ») en 2050. La question
devient alors, quels leviers mobiliser pour atteindre ces objectifs ?
Des progrès considérables ont déjà été réalisés en Europe notamment pour
internaliser les coûts du CO2 dans les décisions économiques des entreprises
fortement émettrices avec la création du marché de permis d’émissions
négociables européens (EU ETS). Mais le volume des émissions couvertes est
inférieur à la moitié des rejets de GES européens. À ce titre, ce marché apparaît
insuffisant à lui seule pour obtenir une réduction suffisante des émissions
d’autant que le durcissement de la contrainte carbone pose des problèmes de
compétitivité aux entreprises couvertes, à la fois sur les marchés domestiques et
sur les marchés internationaux1.
Les transports, le bâtiment et la production d’énergies renouvelables/locales
présentent des potentialités d’économies d’énergie et de décarbonisation très
importantes. Les villes et territoires en tant qu’hôtes principaux de ces activités
apparaissent logiquement comme le lieu privilégié pour établir les politiques
climatiques pour ces secteurs. Leur importance est susceptible de croître avec la
forte urbanisation constatée partout dans le monde et aussi du fait de
l’attribution de compétences leur conférant une grande puissance d’action pour
le climat.
Ce constat est partagé par de nombreuses autorités locales qui, soit de
manière isolée, soit en se regroupant en réseaux tentent de mettre en place des
plans de plus en plus ambitieux de réduction de leurs émissions.
1 UNEP, ADAM, Climate and Trade Policies in a Post 2012 World, 100 Watt, St Martin Bellevue,
France, (2009), 116 p. et O. Godard, “Unilateral European Post-Kyoto climate policy and
economic adjustment at EU Borders” Cahiers de la Chaire Développement Durable EDFEcole Polytechnique, n° DDX - 07-15, (2007), 43 p.
20
Cette évolution a des implications fortes pour la recherche, notamment en
économie. Elle impose de développer des outils inédits afin de pouvoir aider à la
définition de plans climat territoriaux efficaces dans une approche dite « bottomup », mais également d’enrichir les modèles « top-down » existants en faisant
apparaître les marges de manœuvre dégagées au plan infranational.
Ce chapitre, structuré autour de ces deux grands types d’approches
économiques vise à expliciter la nécessité du renouvellement des outils
d’analyse, de mettre en lumière les principales variables (et les débats associés)
qui organisent la réflexion dans les champs méthodologiques du développement
urbain durable. Il permet également de présenter les pistes suivies au LEPII
pour aborder ces questions.
Faut-il considérer comme l’affirmait le Maire de Londres, Ken Livingstone,
que la lutte contre le changement climatique sera gagnée ou perdue dans les
villes ? Un nombre croissant de villes et de territoires en sont convaincus et font
preuve d’un dynamisme de plus en plus marqué sur cette question.
Ces initiatives se situent souvent en application ou en soutien des plans
climat adoptés à l’échelle nationale mais parfois aussi en contradiction avec
l’inertie des gouvernements nationaux sur ce thème. Ainsi, aux Etats-Unis, de
nombreuses villes ont engagé des politiques locales de réduction des émissions
de GES alors que l’Etat Fédéral restait à l’écart de l’action internationale de
prévention du changement climatique en refusant la ratification du Protocole de
Kyoto. Les initiatives ne concernent pas les seuls pays de l’annexe 1 (pays
industrialisés). Des territoires urbains de pays émergents ou en développement
ont également adopté des mesures contre le changement climatique.
Au-delà de cette explosion d’initiatives locales, en partie explicable par la
volonté politique des collectivités locales de réaffirmer leur existence et leurs
capacités d’initiative indépendamment des politiques nationales, quelle peut être
l’influence réelle des plans climat locaux sur les émissions globales de GES ? Le
rôle des villes dans ce domaine est-il déterminant ? Détiennent-elles
effectivement des leviers d’action qu’il sera difficile d’activer en se limitant aux
seules politiques nationales ou internationales ?
21
POURQUOI LES COLLECTIVITES LOCALES DETIENNENT LES
LEVIERS POUR AGIR ?
Les dispositifs économiques tels que la Contribution Climat Energie en France
ou le marché des permis d’émissions négociables européen (EU-ETS) pour les
sources fixes d’émission de CO2 visent à inscrire à différentes échelles des pays
ou des régions du monde sur une trajectoire de développement compatible avec
la défense du climat. Cependant, ces instruments ne permettent pas à eux seuls
d’influencer suffisamment les émissions de GES induites par la planification
urbaine pour atteindre les objectifs correspondant à une hausse de la
température n’excédant pas 2 ou 3°C. Il y a une inadéquation partielle de ces
outils pour lutter efficacement contre le changement climatique à l’échelle locale,
car ils ne permettent pas de traiter la question des nécessaires investissements
dans les infrastructures collectives qui devront constituer le support de
changements plus profonds dans les comportements et les systèmes techniques.
Cet état de fait tient en ce que la majorité des leviers qui permettent de
peser sur les trajectoires de développement des agglomérations/régions sont
aux mains des autorités locales. En effet, la politique de transports en commun,
les infrastructures de transport, les constructions de bâtiments neufs, la
réhabilitation de bâtiments existants, la restructuration des systèmes locaux
d’approvisionnement énergétique (valorisation de sources d’énergie locales et
réseaux de distribution de chaleur ou de froid) ainsi que la politique
d’urbanisation dépendent toutes majoritairement d’autorités inclues dans le
périmètre de la région. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est fait référence
aux territoires ou aux initiatives locales plutôt que d’employer systématiquement
le terme de ville. S’intéresser aux potentialités urbaines de réduction des GES
impose de s’affranchir des limites géographiques strictes des municipalités
lorsqu’on envisage les politiques à mener.
Stephen Hammer2 propose la notion de « systèmes énergétiques urbains »
(« urban energy system »), qui sont formés de l’ensemble des activités de
production, de transformation, de distribution et de consommation d’énergie
dans une ville. Il liste les « silos de politiques » (« policy silos ») sur lesquels il
est possible de travailler pour pouvoir analyser et orienter le système
2 S. Hammer, “Capacity to act: The critical determinant of local energy planning and program
implementation”, Columbia University Center for Energy, Marine Transportation and Public
Policy working paper, (2009).
22
énergétique d’une ville. L’ampleur des réductions des émissions de GES qu’un
territoire peut mettre en œuvre est fonction de sa « capacité à agir »
(« Capacity To Act »), elle-même définie par les champs des compétences qui lui
sont attribués en matière énergétique. Si on laisse de côté pour l’instant la
problématique du financement, il apparaît que les gouvernements infranationaux
ont une importante latitude d’action sur la majorité des « policy silos ».
Néanmoins, cette assertion ne doit pas masquer la grande hétérogénéité des
capacités à agir des autorités locales selon les pays et leurs organisations
institutionnelles ni le fait qu’elles peuvent être limitées par une répartition sousoptimale des compétences (au sens juridique). En matière climatique, une
meilleure cohérence entre les différents échelons décisionnels permettrait une
plus grande efficacité des Plans Climats Locaux.3
Mais le rôle éminent des territoires dans la lutte contre le changement
climatique tient également à une autre série de raisons. Il est plus facile pour
des autorités locales d’imposer de nouvelles décisions aux citoyens, en raison de
leur proximité avec ces derniers et d’une culture partagée de l’environnement,
que pour les autorités nationales. Ces expériences peuvent même créer, du fait
de leur démarche pionnière4, une certaine stimulation au sein de la population.
Ces initiatives isolées ont vocation à être généralisées puis progressivement
endossées par l’état sous forme de réglementations.
QUELS ENJEUX QUANTITATIFS : ECONOMIES D’AGGLOMERATION
/ POLITIQUES SECTORIELLES
D’un strict point de vue quantitatif, il est indéniable que les villes contribuent
aujourd’hui de façon très importante aux émissions globales de GES. Selon
certaines sources, elles représentent déjà de 60 à 80% de la consommation
globale d’énergie et 75 % des émissions de CO2 alors qu’elles ne rassemblent
3 Une équipe au sein du groupe de travail « Villes, territoires et lutte contre le changement
climatique dans la perspective de Copenhague » présidé par L. Ballaguy, s’est ainsi
constituée pour réfléchir à ce problème de cohérence des responsabilités entre les échelons
décisionnels pour la formulation de politiques climatiques locales.
4 Il est intéressant de remarquer que le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger,
demeure très populaire, de même que le maire londonien qui a instauré le péage urbain de
Londres, Ken Livingstone.
23
que la moitié de la population mondiale (probablement 2/3 en 2030)5. Ces
chiffres, souvent repris, restent toutefois très incertains, voire controversés. Des
évaluations récentes estiment au contraire que les villes ne représenteraient que
de 30 à 40% des émissions globales de GES6. Elles montrent à l’exception
notable des villes chinoises7 que la consommation d’énergie ou les émissions de
GES par habitant sont sensiblement moins élevées dans les zones urbaines qu’en
moyenne nationale.
Les résultats mis en avant notamment par Dodman montrent toutefois que
les urbains émettent caeteris paribus moins de GES que les ruraux. Les urbains
consomment plus d’énergie que la moyenne nationale parce que leur niveau de
revenu est plus élevé (donc leur taux d’équipement et leur consommation sont
plus importants) mais à niveau de revenu identique, l’urbain consomme moins
d’énergie que la moyenne nationale grâce aux effets d’agglomération. Comme
l’observent Grimm et alii :
“Cities themselves present both the problems and solutions to sustainability
challenges of an increasingly urbanized world… large urban agglomerations are
fonts of human ingenuity and may require fewer resources on a per capita basis
than smaller towns and cities or their rural counterparts”8.
Dans le cas des villes, trois grands secteurs expliquent l’essentiel des
émissions de GES mais sont également susceptibles d’engendrer des économies
d’agglomération, le secteur du bâtiment bien sûr, celui des transports et celui de
la production/distribution d’énergie. Pour chacun, on peut faire apparaître des
économies d’émissions de GES associées à l’urbanisation et à une plus forte
concentration de personnes et d’activités économiques. On verra toutefois qu’il
n’existe pas pour autant un lien direct de causalité entre augmentation de la
densité et réduction des émissions unitaires de GES.
5 International Energy Agency (IEA), World Energy Outlook 2008, (2008), IEA, Paris, France.
([5]) et C40, 2009, Seoul Declaration, Large Cities Climate Summit, 18 –21 May 2009,
Seoul.
6 D. Satterthwaite, “Cities' contribution to global warming: notes on the allocation of
greenhouse gas emissions.” Environment and Urbanization, Vol. 20, No. 2, (2008), 539-549
et D. Dodman, “Blaming Cities for climate change? An analysis of urban greenhouse gas
emissions inventories”, Environment and Urbanization, vol 21 (1), (2009), 185-201.
7 Du fait que la production industrielle chinoise destinée à l’exportation est très majoritairement
localisée dans les zones urbaines.
8 N. B. Grimm, S. H. Faeth, N.E. Golubiewski, C.L. Redman, J. Wu, X. Bai, J. M. Briggs, “Global
Change and the Ecology of Cities.” Science 319, (2008), 756-760.
24
Dans le cas de la production et de la distribution d’énergie, l’augmentation de
la densité autorise, au moins en théorie, des économies d’échelle et des gains
d’efficacité en production d’électricité et surtout une exploitation plus rationnelle
des ressources, avec la valorisation d’énergies fatales par le biais de réseaux de
distribution de chaleur ou de froid. Mais inversement, l’accroissement de la
densité rend plus difficile l’exploitation des sources d’énergie diffuses telles que
l’énergie solaire.
De la même façon, pour le secteur du bâtiment, le premier effet de
l’augmentation de la densité au sol est de réduire la consommation d’énergie par
la limitation de la surface d’échange par m2 occupé. Toutes choses étant égales
par ailleurs, l’habitat collectif consomme donc moins d’énergie par m2 chauffé
que l’habitat individuel. Couplé aux gains évoqués ci-dessus pour les réseaux de
distribution, l’accroissement de la densité se traduit donc en théorie par une
diminution des consommations d’énergie pour le chauffage des bâtiments. Mais
les choses ne sont pas tout à fait aussi simples. Certaines simulations montrent
en effet que l’accroissement de la densité peut se traduire par une moindre
ventilation naturelle et la création d’îlots de chaleur en été nécessitant le recours
à la climatisation. Par ailleurs, la limitation des apports solaires peut induire une
demande supplémentaire d’éclairage artificiel et la grande hauteur imposer
l’installation d’ascenseurs, etc. Ces effets restent toutefois de second ordre par
rapport à l’effet d’agglomération et ne compensent pas complètement les gains
sur les consommations de chauffage liés à la densification.
Une littérature abondante établit une relation entre l’utilisation de l’espace et
la consommation d’énergie pour les transports dans les espaces urbains. Le
graphique séminal de Newman et Kenworthy9 (voir la figure 1 qui s’en inspire)
montre ainsi que la consommation d’énergie dans les transports et la densité de
population sont inversement corrélées : les villes asiatiques avec une densité
moyenne de 150 hab/ha consommaient en moyenne au cours des années 90
environ 0.2 tep/hab.an, alors que les villes américaines avec une densité 10 fois
plus faible consommaient 1.2 tep/hab.an.
La densité n’est bien sûr pas la seule variable expliquant les écarts observés
entre les consommations d’énergie dans les transports. D’autres variables-clés
9 P. Newman, J. Kenworthy, Sustainability and Cities: Overcoming Automobile Dependance,
Washington DC, Island Press, (1999).
25
telles que la mixité des espaces (diversité des activités) ou la forme urbaine10
influent également sur la demande de mobilité et la nature de modes de
transport susceptibles de satisfaire cette demande. Mais la variable densité, bien
que réductrice, est certainement la plus aisément quantifiable :
« dans une ville étalée, l’habitat individuel domine, la mobilité se fait sur longue
distance avec l’automobile et la consommation d’énergie est importante. À l’inverse,
dans une ville dense, la mobilité se fait sur courte distance, elle tend à la
multimodalité et la consommation d’énergie est moindre »11.
AU-DELA DES ACTIONS SECTORIELLES : L’ACTION
A LONG TERME
SUR LES INFRASTRUCTURES ET LA FORME URBAINE
Dans les trois secteurs qui viennent d’être évoqués, (les réseaux d’énergie,
les bâtiments ou les transports), un scénario de renouvellement massif des
infrastructures urbaines et énergétiques est susceptible de permettre des
économies d’énergies très significatives. Mais il n’est pas certain que ces
investissements soient suffisants en l’absence d’interventions plus ambitieuses
sur la structure des villes pour obtenir les réductions d’émissions de GES qui
seront nécessaires dans le cadre des stratégies de prévention du changement
climatique de type facteur 4.
La « ville post-carbone » nécessite probablement une reconfiguration forte
des territoires urbains qui ne se limite pas à améliorer l’efficacité des
infrastructures existantes mais qui vise également au travers des politiques
d’urbanisme à modifier la structure urbaine pour notamment tenter d’infléchir la
tendance à l’étalement urbain observable dans la plupart des pays avec l’accès à
la motorisation individuelle. La capacité à modifier en profondeur les formes
urbaines est certes moins importante dans les pays industrialisés où les
dynamiques urbaines sont moins marquées. Elle n’est de toute façon
envisageable que sur un horizon de temps long. Elle est en revanche
fondamentale et plus immédiate dans les pays émergents ou en développement
où des dynamiques de croissance sont très fortes et vont souvent de pair avec
une certaine absence de planification.
10 A. Bertaud, S. Malpezzi, “The spatial Distribution of Population in 48 World Cities:
Implications for Economies in Transition”, The Center for Urban Land Economics Research,
(2003).
11 P. Criqui, J. Allaire, « Trois modèles de villes Facteur 4. Comparaisons internationales », Les
annales de la recherche Urbaine, n°103, 0180-930-X, (2007), 54-63.
26
Vue sous cet angle, la question du développement urbain prend une
importance centrale dans le débat sur la prévention du changement climatique.
En parallèle des instruments ou des politiques et mesures décidés à l’échelle
nationale ou internationale, les politiques urbaines doivent contribuer à impulser
les transformations qu’imposent les scénarios de sobriété carbone. Au-delà des
améliorations incrémentales résultant des politiques de rénovation dans les
bâtiments ou les transports, des évolutions plus radicales peuvent être
imaginées en s’appuyant sur la maîtrise de la forme urbaine, des politiques de
transport intégrant la maîtrise de la mobilité individuelle, des programmes de
rénovation en profondeur du parc bâti, le développement de l’offre et de la
distribution d’énergie, etc.
Tant que les actions des autorités locales pour la prévention du changement
climatique ne sont considérées que comme des relais des politiques nationales,
leur importance reste limitée. En revanche, dès lors que des marges de
manœuvre spécifiques existent en lien avec ces politiques locales, elles
acquièrent une importance nouvelle et il devient nécessaire de les prendre en
compte comme des moyens supplémentaires dans le cadre des politiques
climatiques et à ce titre de tenter de les quantifier dans les exercices de
prospective modélisés.
I NTRODUIRE
LA DIMENSION URBAINE DANS LES MODELES
GLOBAUX DE PROSPECTIVE ENERGETIQUE : L ’EXEMPLE DU
MODELE POLES
Le dispositif de modélisation POLES s’appuie sur une représentation détaillée
des systèmes énergétiques des différents pays et des technologies d’offre et de
demande d’énergie pour fournir des images cohérentes de l’évolution du
système mondial sur le long terme. Le modèle est notamment utilisé pour
apprécier les transformations imposées par la mise en œuvre de politiques
climatiques plus ou moins ambitieuses et le coût de ces politiques pour le
système énergétique. Lorsque des contraintes carbone sont introduites, le
modèle décrit les adaptations du système énergétique résultant de la
modification des coûts relatifs (réduction de la demande, diffusion de
technologies plus efficientes, part croissante des sources non-émettrices de CO2,
etc.). Pour des niveaux de contrainte carbone très élevés (scénarios de type
400 – 450 ppm) le modèle réagit de la même façon en allant simplement
chercher des options marginales plus coûteuses. Mais il n’est pas aujourd’hui en
27
mesure de décrire des évolutions plus systémiques, telles que celles évoquées
plus haut, qui pourraient se produire dans un monde évoluant vers une société
post-carbone.
Pour mieux éclairer les marges de manœuvre, élargir la palette des options
disponibles à des changements systémiques et limiter le coût marginal des
scénarios fortement contraints, il paraît primordial d’introduire la dimension
urbaine, ce qui permettrait d’améliorer considérablement la pertinence de la
description des politiques de réduction des émissions de GES (changement des
modes de vie, évolution de l’urbanisation, impact sur la demande de mobilité,
etc.).
Dans la version actuelle du modèle, la dimension territoriale n’existe pas. Si
une distinction est opérée entre population urbaine et population rurale, elle est
de fait peu exploitée. Dans le cas des logements par exemple, différentes
catégories ont été crées en fonction de leurs performances énergétiques
(introduction de bâtiments basse ou très basse consommation d’énergie) mais
elles sont totalement indépendantes de la localisation des bâtiments (ville /
campagne).
De même, pour les transports, le modèle distingue plusieurs catégories de
véhicules selon la source d’énergie utilisée (essence/diesel, électricité, hybride,
hydrogène, biocarburants) mais considère globalement un type de véhicule
unique (véhicule multifonction, 5 places, très grande autonomie). Dans la
configuration actuelle, il n’est ainsi pas possible d’introduire de nouveaux
véhicules, de très petite taille, très performants, réservés à des déplacements
courts, en raison de l’absence de distinction entre les déplacements urbains et
extra-urbains. Quant à l’évolution de la motorisation individuelle ou de la
demande adressée aux transports en commun, elles présentent des dynamiques
très largement indépendantes de la forme urbaine et de son évolution. Les
développements envisagés sur le modèle POLES visent donc à intégrer la
dimension spatiale pour être en mesure de mieux apprécier les transformations
associées à une urbanisation accélérée et en même temps l’impact de politiques
visant à encadrer ce développement urbain, notamment pour limiter l’étalement
urbain et créer des villes plus compactes.
Dans un modèle de simulation du système énergétique non spatialisé tel que
POLES, l’introduction de la dimension spatiale peut nécessiter des modifications
considérables. Pour apporter des améliorations sans remettre en cause
l’ensemble de la logique interne du modèle, l’introduction d’un proxi pour
caractériser la forme urbaine était une option envisageable. Le choix de la
28
variable s’est porté sur la densité qui présente l’avantage d’une grande simplicité
et permet d’opérer une première distinction entre différentes configurations
urbaines.
Sur la Figure 2 par exemple qui compare Atlanta et Barcelone, on observe les
conséquences spatiales de densités urbaines très inégales, 6 hab./ha et 173
hab./ha respectivement, pour des villes dont la population est comparable. À
Atlanta, 4 300 km de réseau de transport public seraient nécessaires pour que
chaque habitant soit situé à moins de 800 m d’une ligne alors que 160 km
suffiraient pour Barcelone.
Source : Bertaud 200412
Figure 2 : Densité en proxi de la forme urbaine
On conviendra toutefois que la seule variable densité ne peut décrire avec
une précision suffisante la forme urbaine. Sur une agglomération urbaine qui
constitue ici la dimension pertinente, la densité moyenne dissimule des
variations importantes entre le centre et périphérie. La notion de gradient de
densité a été introduite mais simplifiée en ne faisant apparaître qu’une seule
distinction entre la ville centre et la périphérie. Il devient alors possible de
représenter des évolutions plus complexes que la simple augmentation /
diminution de la densité urbaine moyenne.
12 A. Bertaud, “The Spatial organization of cities : Deliberate outcome or unforeseen
consequence ?”, working paper (2004), accessible par: http://alain-bertaud.com/.
29
Densité
Densité
POP
Centre
POP
Urbaine
100
hab/ha
POP
Periph
Distance au
centre
Distance a u
centre
Figure 3 : Ville centre et périphérie
L’introduction de la variable densité a plusieurs fonctions. Elle permet
d’établir des relations entre les évolutions à long terme de la forme urbaine et le
taux d’utilisation des transports publics ou le taux de motorisation individuelle.
Elle est également utile dans le secteur du bâtiment pour faire varier la
proportion de maisons individuelles ou de bâtiments de grande hauteur entre le
centre ville, la périphérie et les zones extra urbaines. D’autres développements
sont également possibles par la suite en lien avec la variable densité, et
notamment l’accès aux ressources énergétiques distribuées (plus aisée en zones
faiblement denses) ou le développement de réseaux de chaleur/froid (plus
difficile en zones peu denses).
Pour conclure cette partie, reconnaissons les limites du type d’évolution
apporté au modèle. Il est clair que l’introduction de la seule variable densité ne
peut suffire à décrire les dynamiques de développement urbain en cours. Il
semble néanmoins qu’elle peut faire apparaître de nouvelles marges de
manœuvre dans les scénarios à forte contrainte carbone, dans le domaine des
transports en particulier (réduction de la motorisation individuelle dans les zones
urbaines denses, développement des petits véhicules urbains, utilisation des
transports en commun, etc.), que la version précédente du modèle ne pouvait
décrire. Pour aller plus loin dans la prise en compte des options accessibles à
l’échelle des collectivités locales, de nouveaux outils sont nécessaires qui
requièrent sans doute une description plus fine des situations locales et relèvent
de ce fait plus de logiques de type bottom-up.
30
DEVELOPPER DES OUTILS SPECIFIQUES POUR LA MISE EN PLACE
DE POLITIQUES CLIMATIQUES LOCALES COHERENTES ET
EFFICACES
Changement d’échelle des ambitions climatiques et logique
coût/efficace
Le passage actuel d’actions isolées de la part de municipalités pionnières à
des démarches de conventions et de construction de réseaux d’autorités
locales13 est utile principalement en ce qu’il permet la diffusion des savoirs et
qu’il participe d’une prise de conscience des efforts à fournir. Mais cette
généralisation des pratiques et la montée en puissance des ambitions
climatiques créent de nouveaux défis.
En effet, l’ampleur des engagements de réduction d’émissions implique une
logistique et un investissement en moyens humains et financiers très importants
tant pour mesurer les émissions sur leur territoire que pour identifier les leviers
de réduction de GES et mettre en œuvre des actions adéquates. Dans cette
logique, l’Union Européenne, consciente de la lourdeur de la tâche, s’engage visà-vis des signataires du Pacte des Maires14 à les appuyer dans leur démarche,
notamment pour l’élaboration de leur « Plan d’Action Energétique Stratégique »
que les villes doivent remettre durant l’année suivant leur adhésion.
De manière plus générale cependant, le changement d’échelle des
engagements climatiques des territoires imposera de coûteuses opérations de
réductions d’émissions. Un objectif aussi ambitieux que le Facteur 4 nécessite
l’introduction de la rationalité économique pour l’identification des options coûtefficaces et pour assurer la cohérence du projet dans son ensemble. Il est en
effet considéré que la préoccupation d’efficacité-coût doit être proportionnelle à
l’ambition climatique et au montant des dépenses qu’elle induit15. Des
13 Il y a actuellement un foisonnement de ces réseaux regroupant, villes/agglomérations et
régions concernées par le changement climatique et volontaires pour mettre en œuvre des
plans d’actions pour participer de son atténuation.
14 Le Pacte des Maires signé à la Commission Européenne début 2009 compte plus de 640
villes signataires (décompte en Septembre 2009) qui s’engagent à dépasser à l’échelle de
leur territoire les objectifs du paquet Energie/Climat européen.
15 P. Criqui, B. Lefèvre, “Les plans climat locaux ou la nouvelle dimension des politiques
climatiques”, LEPII and IDDRI working paper, à paraître.
31
méthodologies qui permettent de remplir ces conditions pour la définition de
plans climat locaux sont donc nécessaires.
Une illustration avec les courbes d’offre de réductions d’émissions :
LONDRES
Les outils méthodologiques utiles à la définition de plans climats territoriaux
coût-efficaces devront donc pouvoir guider les décideurs sur les actions à
entreprendre dans chacun des secteurs sur lesquels les territoires urbains ont
autorité. Une méthode simple dans le principe consiste à construire les courbes
de coûts marginaux de réduction de GES dans les secteurs émetteurs d’une ville
ou d’un territoire en mobilisant un résultat de base puissant de la microéconomie : l’égalisation des coûts marginaux d’abattement des GES assure la
minimisation du coût total pour un objectif donné.
Il convient d’identifier et de classer les différentes options de réduction de
gaz à effet de serre par ordre croissant de coûts en les assortissant du volume
de GES qu’elles peuvent éviter jusqu’à atteindre l’objectif global d’abattement
des émissions. En procédant de la sorte, on s’assure de la minimisation du coût
total puisque seules seront mises en œuvre les actions les moins chères. Cette
démarche évite par conséquent de mobiliser aléatoirement des potentiels de
réductions très coûteux et assure alors l’efficacité-coût du programme global.
Ainsi la définition des courbes de coûts marginaux de réduction des émissions
aboutit à la « priorisation » efficace des actions à mettre en œuvre.
Cette méthode impose de suivre les étapes suivantes :
1.
2.
3.
Dresser l’inventaire des émissions d’une agglomération/territoire.
Définir un objectif global de réduction des GES.
Recenser les différentes options de réduction des émissions par
4.
secteur.
Attacher à chaque option un volume de diminution de GES possible
et un coût par tonne de CO2 évitée.
5.
6.
Hiérarchiser les différentes options par secteur par ordre croissant
du coût.
Construire les courbes de coûts marginaux de réductions totale et
7.
sectorielles.
Repérer les efforts à fournir par secteur et les options à mobiliser.
32
L’étude de Mc Kinsey - Siemens16 réalisée sur la ville de Londres est, à notre
connaissance, la première à avoir mis en application la méthode des courbes de
coûts marginaux de réduction des émissions à l’échelle d’une ville. Ces travaux
cherchent à caractériser et à hiérarchiser les options de diminution de GES dans
cinq secteurs fortement émetteurs - bâtiments, transports, énergie, eau, déchets
- dans la ville de Londres afin d’informer le « London Climate Change Action
Plan »17 voulu par Ken Livingstone. Les courbes de coûts marginaux de
réduction des émissions sont élaborées pour chacun des secteurs et puis à partir
de celles-ci est construite la courbe agrégée constituée de l’ensemble des
actions à mener. Cette intégration des courbes sectorielles permet de
déterminer l’effort à fournir ainsi que les options à mettre en œuvre par secteur
mais également le coût total de l’opération et par conséquent les besoins de
financement.
La figure 4 située en fin de chapitre présente la courbe marginale de
réduction globale de l’étude Mc Kinsey – Siemens menée sur la ville de Londres
(tous secteurs confondus) avec le détail des options utilisées pour la construire.
La nécessité d’une approche globale de la ville
L’approche par les coûts marginaux de réduction présentée ci-dessus est
utile en ce qu’elle permet d’identifier et de mobiliser les options technologiques
de réduction des GES disponibles à moindre coût. Cependant elle ne permet pas
de prendre en compte l’impact de la forme urbaine sur les consommations
d’énergie par habitant et partant des émissions par tête. Or, si des innovations
technologiques permettent d’ores et déjà par exemple dans le bâtiment neuf de
produire des bâtiments très basse consommation voire à énergie passive, elles
ne peuvent que peu pour les émissions induites par l’organisation spatiale des
villes et de leurs infrastructures.
En effet, la ville ou le territoire en tant qu’héritage historique n’a jamais obéi
à un développement visant à maximiser l’efficacité énergétique. Il en résulte que
l’agencement des lieux de vie, de loisir, de travail et de courses et la distance les
séparant entraînent des déplacements non optimaux qui pèsent lourdement
dans le bilan GES des territoires.
16 Mc Kinsey, Siemens, Sustainable Urban Infrastructure – London Edition – A view to 2025,
Siemens, Germany, (2008), 72 p.
17 Le London Climate Change Action Plan vise à réduire de 60% les émissions du Grand
Londres en 2025.
33
La conjecture de Zahavi18 propose de considérer le temps moyen journalier
passé dans les transports comme constant et légèrement supérieur à une heure
quelles que soient l’époque, la société ou l’aire géographique. Ce postulat19
temporel esquisse en creux un arbitrage spatial qui dessine deux trajectoires
d’urbanisation opposées. Un scénario d’étalement urbain et donc d’augmentation
des distances qui serait compensée par une augmentation parallèle des vitesses
de déplacements. Ce scénario peu compatible avec un réseau de transport en
commun efficace rendrait la population « dépendante de l’automobile »20. À
l’inverse un espace urbain densément peuplé diminue les distances et permet
l’émergence de modes doux et/ou collectifs dont la vitesse moyenne est
moindre.
Entre ces deux scénarios extrêmes existe tout un continuum de trajectoires
d’urbanisation. Le développement des villes en Amérique du Nord par exemple,
peu contraintes géographiquement, s’est fait selon un mode extensif21. Pour
rendre viable ce système, il a par la suite été nécessaire de construire des
infrastructures de transports efficaces, donc rapides. L’étalement urbain rendant
peu attractif l’option du transport en commun, de nouvelles routes ont été
tracées, entraînant une fuite en avant vers toujours plus de consommation
d’espace et de mobilité individuelle. Cette présentation très schématique d’un
mode de développement extensif est évidemment simpliste, mais elle a le mérite
d’expliciter l’importance fondamentale de ce qu’on appelle la « forme
urbaine »22.
18 Y. Zahavi, “Stability of travel components over time”, Transportation Research Record,
n°750, (1980), 19-26.
19 Il s’agit bien d’une hypothèse de travail et non d’une loi absolue que certains chercheurs ont
cherché à creuser et à nuancer. On peut à ce propos utilement se reporter aux travaux de
Iragaël Joly
20 J.Kenworthy & F.Laube, “Patterns of automobile dependance in cities; an international
overview of key physical and economic dimensions with some implications for urban policy”,
Transportation Research Part A, n°33, (1999), 691-723. et P. Newman, J. Kenworthy,
Sustainability and Cities: Overcoming Automobile Dependance, Washington DC, Island
Press, (1999).
21 On entend par là, consommateur d’espace. I. Joly, « L’hypothèse de Zahavi revisitée. Quelle
pertinence ? » XXXIX Colloque de l’ASRDLF : Concentration et ségrégation, dynamiques et
inscriptions territoriales, (2003).
22 A. Bertaud, S. Malpezzi, “The spatial Distribution of Population in 48 World Cities:
Implications for Economies in Transition”, The Center for Urban Land Economics Research,
(2003).
34
Ainsi, un plan climat local efficace ne peut se borner à mobiliser une
collection d’options de réduction des émissions pour peu coûteuses et efficaces
qu’elles soient. Il doit nécessairement intégrer la dimension structurante de
l’organisation spatiale du territoire. La « fabrique urbaine »23 peut être abordée
par la relation qu’entretiennent l’usage des sols et le transport. Le prix du foncier
ainsi que les réglementations locales sont déterminantes dans la répartition des
lieux de résidence et de travail au sein d’une ville aussi bien que dans la plus ou
moins grande propension de l’agglomération à s’étendre ou, au contraire, à se
densifier. Ils peuvent expliquer en partie les différents sentiers d’urbanisation
explicités plus haut.
Cependant, pour avoir une image pertinente de la structuration des activités
et des lieux de vie, et par conséquent des déplacements induits, il est également
nécessaire d’intégrer l’infrastructure de transport (routes, réseaux de transports
en commun mais aussi les différentes technologies de véhicules). Clark24
établissait notamment que « les systèmes de transport façonnent la ville »25 et
qu’il y a en la matière une certaine « dépendance au sentier » emprunté.
L’impact fondamental du système de transport sur la forme des villes ainsi que
son inertie (difficulté à en changer rapidement) plaide pour une planification
attentive de cette composante.
De nombreuses recherches investissent aujourd’hui ce champ des relations
entre réseaux de transport en lien avec l’usage des sols, pour donner une image
de la forme urbaine et de la répartition de la population en son sein. Ainsi, les
études de Lefèvre26 s’appuient sur le modèle TRANUS qui permet de simuler
différentes évolutions d’organisation spatiale selon les scénarios retenus de
politiques foncières et de transport. Il y aura dans le futur beaucoup à attendre
du développement concerté de méthodologies et de modèles économiques pour
l’aide à la décision en matière de politiques climat - énergie locales.
23 B. Lefèvre, M. Wemaere, “ Fitting Commitments by cities into a post-2012 Climate Change
Agreement”, Pour le débat, IDDRI Sciences Po., (2009).
24 C. Clark, “Transport: Maker or Braker of cities”, Town Planning Review, vol 28, (1957), 237-
250.
25 P. Criqui, J. Allaire, « Trois modèles de villes Facteur 4. Comparaisons internationales », Les
annales de la recherche Urbaine, n°103, 0180-930-X, (2007), 54-63.
26 B. Lefèvre, “ Long term energy consumptions of urban transportation: A prospective
simulation of “ Transport-land uses” policies in Bangalore” , Energy Policy, vol 37 (3),
(2009), 940-953.
35
Le Plan Climat Energie de Grenoble
La Communauté d’Agglomération de Grenoble (La Métro) s’est engagée
depuis quelques années déjà dans un des premiers Plans Climat Local français.
Elle s’est récemment dotée d’objectifs dans la lignée de ceux du paquet climaténergie européen. Face à la montée en puissance de l’ambition climatique se fait
jour le besoin de rationalité économique pour orienter le programme d’action.
Le projet « Approche Economique Territoriale Intégrée pour le Climat »
(AETIC) situé sur l’agglomération de Grenoble se propose de reproduire la
démarche coût – efficacité appliquée à l’échelle des politiques climatiques
internationales, et notamment européennes, au niveau des politiques
climatiques des collectivités locales. La stratégie de recherche adoptée dans le
projet AETIC vise à rassembler des méthodes, données, raisonnements
nécessaires à la construction d’un Plan Climat Local dans un souci de forte
cohérence économique. Les informations collectées seront organisées dans un
jeu de courbes de Coûts Marginaux de Réduction adapté qui fournira de
premiers enseignements concrets et sans doute l’ébauche d’un modèle intégré,
qui restera à développer par la suite si les méthodologies et hypothèses
testées dans le projet se sont avérées fécondes.
Figure 5 : Courbes marginales sectorielles et globale du projet AETIC
36
La méthode consiste à considérer la ville comme un système complexe de
production et de consommation d’énergie qui nécessite pour l’étude des
politiques de réduction des émissions une démarche intégrée. Les volets que
nous distinguons sont au nombre de trois et ont d’importantes interactions les
uns avec les autres ce qui nourrit la volonté de les aborder de concert. Il s’agit :
•
•
•
du secteur transports en lien avec l’usage des sols qui doit constituer une
dimension systémique structurante des autres politiques (utilisation du
modèle TRANUS),
du secteur des bâtiments et de l’amélioration de la performance thermique
en particulier dans le parc existant,
et enfin de la production et la distribution des énergies renouvelables et
locales.
La mise en œuvre des plans climats locaux ou territoriaux constituera
certainement une dimension très importante des politiques climatiques. Elle
conduit à renouveler les politiques publiques et pose à la recherche de nouvelles
questions. De même que des analyses économiques de plus en plus complètes
ont permis, dans les dernières années, d’accompagner le processus de
négociation internationale et l’élaboration des politiques nationales, de même la
mobilisation des outils économiques peut constituer une aide à la décision
publique dans ces domaines. Elle devra probablement savoir combiner des
approches économiques classiques, d’inspiration micro-économique comme les
courbes de Coûts Marginaux de Réduction, avec des approches plus
systémiques, rendant compte de la complexité et des constantes de temps
propres aux dynamiques urbaines. C’est exactement dans cette perspective que
le LEPII et ses partenaires ont élaboré le projet AETIC qui vise à développer de
nouveaux outils économiques pour l’analyse et la conception du Plan Climat
Local de la communauté d’agglomération de Grenoble.
37
120 000
Atlanta
Private transport energy use (MJ/cap)
100 000
80 000
60 000
San Francisco
Phoenix
Chicago
Calgary
40 000
Vancouver
Sydney
Riyadh
Nantes
Graz
Tel Aviv
Johannesburg Singapore Bangkok
Taipei
Harare
Manila
Jakarta
Dakar
20 000
-
50,0
100,0
150,0
200,0
250,0
Hong Kong
Ho Chi Minh
300,0
350,0
400,0
Urban density (person/ha)
Figure 1 : Consommation d’énergie par habitant pour le transport et densité urbaine. Graphique inspiré de la courbe Newman et
Kenworthy publiée en 1999.densité urbaine
38
Source : Mc Kinsey, Siemens « Sustainable Urban Infrastructure London Edition – A view to 2025 », 2008
Figure 4 : Courbe marginale Mc Kinsey
39
Mieux maîtriser l’étalement urbain :
Une analyse monocentrique de politiques de
solvabilisation des ménages
Nicolas Coulombel
RESUME
Ce chapitre étudie et compare les impacts de deux mesures de solvabilisation
des ménages dans le cadre monocentrique de l’économie urbaine. La première,
qui est actuellement appliquée, limite la dépense de logement (remboursement
d’emprunt ou loyer) à une fraction fixée du revenu. Une alternative consiste à
limiter la somme de la dépense de logement et de transport, ce qui aurait selon
plusieurs chercheurs deux avantages majeurs: réduire l’étalement urbain, et
limiter les effets indésirables de la première politique.27
Contrairement aux idées reçues, les politiques CHE comme CH+T28 donnent
toutes deux lieu à une réduction de l’étalement urbain, et non pas uniquement
les secondes. En revanche, elles ont des impacts contrastés : restreindre
uniquement la dépense de logement améliore le bien-être des ménages, un
autre résultat inattendu, tandis que le fait de restreindre la somme des dépenses
de logement et de transport s’avère plus efficace en termes de maîtrise de
l’étalement urbain et de solvabilisation des ménages. Cela amène à procéder à
un arbitrage et de faire un choix entre des questions d’aménagement, d’équité,
et de risque financier.
27 Celle-ci amènerait à s’éloigner du centre de l’agglomération en quête de logements à prix
abordables, avec comme contrecoup des budgets transport extrêmement élevés.
28Constrained Housing Expenditure et Constrained Housing plus Transportation expenditure
41
INTRODUCTION
En 2008, la flambée des prix du pétrole a fait peser de fortes inquiétudes sur
la solvabilité des ménages, que nous définissons ici comme leur capacité à faire
face à l’ensemble de leurs dépenses.29 Cette crainte fut particulièrement
palpable dans les zones subissant de fortes pressions sur le marché de l’habitat,
les ménages devant déjà consacrer une part conséquente de leur budget pour
s’y loger. Étant donné ces circonstances, le bien-fondé de limiter la dépense de
logement à une part fixée du revenu du ménage, mesure déjà critiquée par le
passé,30 fut encore plus remis en question. Cette pratique, qui vise à limiter le
risque de défaut du ménage, est appliquée en France de deux manières:
•
Les banques fixent le tiers du revenu comme montant maximal pour établir
les mensualités des prêts immobiliers;
•
Le bailleur exige habituellement d’un ménage locataire qu’il gagne trois à
quatre fois le loyer mensuel, ce ratio pouvant être plus faible en Province.
Les détracteurs de cette pratique l’accusent principalement de deux maux:
favoriser l’étalement urbain, et paradoxalement fragiliser la solvabilité des
ménages. Limiter la dépense logement inciterait en effet à s’installer de plus en
plus loin dans l’aire urbaine pour bénéficier de meilleurs prix et pouvoir obtenir
de plus grandes surfaces, contribuant ainsi à l’étalement urbain.31 En outre, les
zones périphériques s’avérant propices à l’usage de la voiture, souvent plus
onéreux que ce qui est accru, les ménages s’exposent à des budgets élevés de
transport, qui, ajoutés aux dépenses pour le logement, fragilisent leur santé
financière.
Afin d’éviter ces effets pervers, plusieurs chercheurs prônèrent d’instaurer
dans le cas de prêts immobiliers un ratio prudentiel intégrant aussi le coût du
transport.32 Le but affiché est double :
29 Cette définition englobe ainsi l’acceptation usuelle de solvabilité comme capacité du ménage
à faire face à ses obligations financières en temps voulu, en particulier ses prêts
immobiliers.
30 Voir entre autres A. Polacchini et J-P. Orfeuil, «Les dépenses des ménages franciliens pour le
logement et les transports », Recherche Transports Sécurité, Vol.63 (1999), pp.31-46.
31 Tel est le cas en Île-de-France, où, la zone dense manquant cruellement d’offre abordable,
les primo-accédants s’établissent en bordure de l’agglomération (ibid.).
32 Voir ibid. 2, et encore plus tôt P.H. Hare, «Clunker mortgages and transportation redlining:
how the mortgage banking industry unknowingly drains cities and spreads sprawl», P.H.
Hare Planning and Design, Washington DC (1995), 21pp.
42
•
Sensibiliser les gens au coût élevé de la mobilité dans les zones éloignées;
•
Faciliter l’installation dans des quartiers bien desservis par les transports en
commun, en concédant aux ménages souhaitant s’y établir des prêts plus
importants (adossés aux futures économies de transport).
Malgré une vaste littérature économique traitant de l’analyse de politiques de
régulation dans le domaine de l’aménagement33, peu de travaux ont étudié les
deux mesures ci-dessus (limiter la dépense de logement ou de logement plus de
transport). Or celles-ci, en contraignant les choix résidentiels des ménages, sont
à même d’avoir des impacts importants sur l’équilibre urbain, et par suite le
bien-être général. Nous nous proposons de combler cette lacune en analysant
ces deux pratiques dans le cadre standard de l’économie urbaine : le modèle
monocentrique. L’accent est mis sur les impacts spatiaux; la question du risque
de défaut est notamment mise de côté, bien que reconnue comme la raison
première à ces politiques prudentielles34.
L’analyse théorique aboutit à trois résultats majeurs. Premièrement, les deux
politiques réduisent l’étalement urbain (et pourraient ainsi réduire la
consommation d’énergie), contredisant l’idée reçue dans le cas de la limitation
du budget logement. Le deuxième résultat, plus surprenant encore, est qu’elles
le font en maintenant voire en améliorant l’utilité des ménages. Contraindre
uniquement la dépense de logement augmente l’utilité des ménages, tandis que
jouer sur la dépense transport permet de mieux contenir l’étalement urbain. Ces
deux résultats s’expliquent notamment par ce que chaque mesure entraîne un
transfert implicite des propriétaires fonciers aux ménages résidents. Enfin, nous
montrons qu’il est plus efficace de contraindre logement et transport lorsque la
solvabilité des ménages constitue la préoccupation première.
Ce chapitre est structuré en trois parties. La première précise contexte,
champ, et méthodologie de l’étude. La seconde partie analyse les effets de la
politique limitant le taux d’effort logement (appelée politique CHE pour
Constrained Housing Expenditure), tandis que la troisième fait de même pour la
33 C f . la revue de J.K. Brueckner, « Government Land-Use Interventions: An Economic
Analysis », Presentation at the 4th Urban Research Symposium, World Bank, Washington
(2006), 38pp.
34 En sorte nous faisons l’hypothèse que cette question est orthogonale à celle des impacts
spatiaux, et prenons donc les deux mesures de limitation des dépenses comme exogènes.
Le modèle aurait pu être affiné de sorte à intégrer le risque de défaut, mais cela aurait
fortement compliqué les calculs et la compréhension pour un apport in fine limité.
43
limitation du taux d’effort logement + transport (surnommée politique CH+T).35
Enfin, une analyse comparative des deux mesures et des recommandations en
termes de politique publique sont fournies en guise de conclusion.
CONTEXTE, CHAMP, ET
METHODOLOGIE DE L’ETUDE
Cette partie commence par traiter trois questions qui forment de fait un
préalable à notre étude:
•
•
La mesure CHE (i.e. la limitation du taux d’effort logement) concerne-t-elle
un nombre important de ménage ?
L’impact sur les choix résidentiels est-il notable ?
La question des variations du budget transport en fonction de la localisation
dans l’aire urbaine fait-elle sens face au poids du budget logement ?
Après une première réponse centrée sur le cas de l’Île-de-France, nous
•
présentons le cadre d’analyse, avec les hypothèses et limitations qui en
découlent, et précisons la méthodologie employée.
Le « poids » du logement et du transport: le cas de l’Île-de-France
Les travaux de Coulombel et Deschamps (2008) permettent d’apporter un
premier éclairage aux questions ci-dessus.36 Ils montrent les résultats suivants :
•
•
Le taux d’effort logement (H) est relativement stable dans l’ensemble de la
région francilienne. En 2001, il atteignait en moyenne 28% pour les
accédants, contre 39% pour les locataires du secteur privé.
À l’opposé, le taux d’effort transport (T) augmente fortement avec
l’éloignement à Paris, traduisant à la fois une plus grande utilisation de la
voiture et de plus longs trajets quotidiens. Il varie ainsi de 7% pour Paris
intra-muros à 21% pour les parties les plus éloignées de la région.
•
Ceci entraîne une nette croissance des taux d’effort totaux H+T avec la
distance au cœur de Paris.
35 Le taux d’effort logement est défini comme le ratio dépense logement sur revenu disponible,
idem pour le taux d’effort transport.
36 N. Coulombel et M. Deschamps, « Les ménages arbitrent-ils entre budget logement et
budget transport? Une analyse des stratégies de localisation des ménages franciliens », Ville
éphémère Ville durable (Eds: De Coninck et Deroubaix), L'œil d'or, Paris (2008), pp.205216.
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