Migros Magazine 17, 26 avril 2010
CHRONIQUE
MINUTE PAPILLON |21
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Jean-François Duval,
journaliste
Je crois savoir
pourquoi les gens
ne sont pas vrai-
ment catastro-
phés par l’érup-
tion du volcan
Eyjafjöll (sauf gros changements d’ici que
vous lisiez cette chronique). Au contraire,
cette catastrophe naturelle, avec le nuage
qu’elle promène dans le ciel et la splendide
irisation potentielle des couchers de soleil
qu’on y guette, a des vertus d’inattendu, un
goût de surprise qui nous apporte un cu-
rieux, un inexplicable contentement. Cer-
tains l’ont fait remarquer: en pleine ferme-
ture de l’espace aérien, on a même vu des
directeurs d’aéroport aborder le sujet avec
le sourire aux lèvres. Personne n’est en
pleurs, personne n’en fait un drame.
Bien sûr, ces flottilles d’avions clouées au sol
,ces
volcans proches du Eyjafjöll susceptibles de
s’enflammer à leur tour… l’économie ne
risque-t-elle pas de souffrir un peu, beau-
coup? N’empêche, il y avait longtemps
qu’onn’avait pas eu affaire à une catastro-
phe aussi fair-play, qui se manifeste avec
autant d’élégance, car tout se passe comme
si elle n’avait pas l’intention de nous bous-
culer sérieusement. Nous sentons même
une sorte de reconnaissance à son endroit:
pas de blessés, pas de morts, pas de tragé-
dies.
Cette éruption, nous en parlons avec éton-
nement et surprise, non pas avec horreur,
tristesse, consternation. A priori, l’Eyjafjöll
semble ne nous vouloir aucun mal. Tout
cela prend l’air d’une catastrophe aux
conséquences certes formidables, mais en
même temps elle est inoffensive. C’est
comme une grosse bête pacifique. Elle nous
passe un peu par-dessus la tête, ne fait que
nous survoler, au contraire d’un tsunami ou
de ces tremblements de terre (Haïti, Chili,
Chine…) qui laissent derrière eux des
morts par centaines de milliers. Pour une
fois, la tragédie n’est pas de la partie. De
cela, justement, nous n’avions plus l’habi-
tude.
Vous souvenez-vous d’une catastrophe naturelle
aussi gentille, vous?
Moi pas. Je note simple-
ment que la Terre, depuis ses profondeurs,
a grondé, émis sa voix, éructé, roté (assez
discrètement disent les vulcanologues),
poussé en somme une sorte de gentil rugis-
sement comme un lion tiré un instant de
son sommeil, rappelant du même coup, et
sans vraiment le vouloir, qu’elle est vivante,
bouillonnante de vie même en ses tréfonds,
et n’a rien d’un caillou mort tourniquant
dans l’espace.
Je crois même qu’au lieu de nous peser,
cette éruption nous SOULAGE. D’une part,
elle agit sur nous comme la voix grondante
des parents sur des enfants qui ont perdu
le sens des limites: l’effet calme, rassure,
nous rend au sens de la mesure. D’autre
part, et c’est encore plus important, voilà
une catastrophe dont nous ne sommes pas
responsables. Eh oui, songez-y: depuis qua-
rante ans, l’humanité se vit comme cause
de tous les désastres, se sent la principale
responsable de tous les maux de la planète:
trou dans la couche d’ozone, chauffement
climatique, fonte des glaciers, pollution de
l’air et des mers, fuites radioactives, défo-
restation généralisée, tout cela c’était, c’est
encore bien sûr NOTRE FAUTE.
Or, voilà tout à coup ce volcan, l’Eyjafjöll, qui se
réveille,
qui provoque une catastrophe sans
trop de dégâts. Et pour une fois, nous ne
sommes PAS COUPABLES. Nous n’y pou-
vons rien. Ça, pour nous, c’est nouveau! Ça
soulage! Oui, de là, je crois, notre senti-
ment d’allégement, notre sourire aux lè-
vres. Nous avions tellement pris l’habitude
d’être comme le dieu grec Atlas, portant
avec difficulté tout le globe terrestre sur ses
épaules.
Or, d’un petit éternuement, un simple vol-
can, avec l’aide du vent, aura débarrassé
l’air de l’étouffante atmosphère de culpabi-
lité dont nous l’avions chargé. Cet heureux
sentiment ne sera que provisoire. Mais
imaginez-vous comme il devait faire bon
vivre quand l’homme n’était pas responsa-
ble du sort de la planète?
L’éruption qui soulage
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