Lire cet article en version PDF

publicité
Vies consacrées, 79 (2007-3), 215-229
Chronique d’Ecriture Sainte
Ancien Testament et Judaïsme
Riche d’une bonne vingtaine d’ouvrages, cette chronique annuelle
d’Ancien Testament comporte quatre sections : I) études d’un thème biblique ; II) études d’un livre ou d’une péricope ; III) livres concernant l’histoire d’Israël ; IV) ouvrages relatifs au judaïsme et aux relations judéochrétiennes.
I
Pour la huitième année consécutive (voir VC 78, p. 202-203), les Facultés jésuites Notre-Dame de la Paix (Namur, Belgique) publient les
Actes d’un cycle de conférences consacrées à la confrontation entre la
Bible et une discipline qui ordonne le savoir et l’action. Après la littérature, l’histoire, le droit, l’économie, etc., c’était, en 2006, au tour de la
théologie d’être convoquée 1. Un premier volet, composé de deux conférences, traite de la présence de « la théologie dans la Bible ». Certes, la
rationalité du récit biblique n’est pas d’abord d’ordre argumentatif ou
conceptuel, mais cette rationalité existe bel et bien comme le montre
l’exposé de J.-P. Sonnet (Institut d’études théologiques de Bruxelles,
« Du personnage de Dieu comme être de parole », p. 15-36) pour l’Ancien Testament, et, pour le Nouveau, celui de Y.-M. Blanchard (Institut
catholique de Paris, « Quand saint Jean raconte Dieu », p. 37-55). Si Jésus
est bien ce lieu ultime où s’accomplit et se condense l’histoire de l’interlocution entre l’homme et Dieu, il nous faut sans aucun doute toutes
les intrigues du récit biblique pour découvrir cet entrelacement de la
parole de Dieu et de celle de l’homme. Le second volet du livre explore
« la Bible en théologie », avec trois contributions dans les domaines de
la théologie dogmatique (C. Theobald, Centre Sèvres de Paris, « De la
Bible en théologie », p. 57-79), de la théologie patristique (J.-M. Auwers,
Université catholique de Louvain, « Théologie et exégèse chez les Pères
de l’Eglise », p. 81-102) et de la théologie spirituelle (F. Marty, Centre
Sèvres de Paris, « Les évangiles et les Exercices spirituels de saint Ignace »,
p. 103-121). Comme le dit la préfacière : « Les Pères de l’Eglise comme
1. F. MIES (éd.), Bible et théologie. L’intelligence de la foi, coll. « Connaître et croire » 13/
« Le livre et le rouleau » 26, Namur/Bruxelles, Presses universitaires de Namur/Lessius, 2006, 14,5 × 20,5 cm, 139 p., 18,00 €.
215
Didier Luciani
les retraitants des Exercices, chacun à leur manière, franchissent la clôture linguistique du texte biblique pour aller jusqu’à la “chose” même :
ils connaissent comme par intuition la portée ontologique des mots. Ne
rappelleraient-ils pas les exégètes à leur vocation théologique, celle
d’une “exégèse intégrale” ? » (p. 13). Et si l’on peut regretter, avec C. Theobald, le fait que la Constitution Dei Verbum n’a pas suffisamment pensé
le statut culturel de la Bible, on peut aussi s’accorder avec lui pour dire
que la sécularisation du texte biblique et la démocratisation de son
accès sont tout de même une opportunité pour n’importe quel lecteur
contemporain de parcourir l’itinéraire qui va d’un texte inspirant à la
découverte de la Parole de Dieu.
Tout juste un an avant sa mort (avril 2001), Paul Beauchamp publiait
son dernier ouvrage (Cinquante portraits bibliques, avec des dessins de
P. Grassignoux ; voir VC 72, 2000, p. 351). De cette galerie de portraits
émergeait la figure de cinq femmes seulement (Rahab, Ruth, Eve, Esther, Judith). Dans la même veine et dans un aussi beau livre que celui
de l’exégète jésuite, André Wénin et Camille Focant, tous deux professeurs d’exégèse à l’Université catholique de Louvain, réparent cette « injustice » et complètent la collection avec vingt-deux portraits de femmes
de la Bible (d’Eve à Marie : 16 femmes pour l’Ancien Testament, 6 pour
le Nouveau) 2. Le livre est illustré par les encres de Marte Sonnet, artiste
belge. Dans sa postface, Sylvie Germain, philosophe et femme de lettres
trouve les mots justes pour nous convaincre de l’intérêt qu’il y a à fréquenter assidûment ces femmes : même si c’est parfois de manière bien
surprenante — voir Tamar et Rahab, parmi beaucoup d’autres —, elles
se trouvent souvent du côté de la transmission de la vie.
Alors que, depuis plusieurs années, les études allemandes et surtout
anglo-saxonnes sur l’homosexualité dans la Bible abondent, peu de
choses existaient jusque-là en français sur ce sujet sensible. Deux ouvrages sont venus récemment combler ce vide. Tout d’abord, celui de
T. Römer et L. Bonjour (L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et
la Bible, Genève, 2005) et maintenant celui de I. Himbaza, A. Schenker
et J.-B. Edart que je recense ici 3. Les auteurs se sont répartis la tâche de
la manière suivante : à Himbaza, les récits de l’Ancien Testament (Gn
19, Jg 19, 1 S 18 ; 20 ; 2 S 1), à Schenker, les lois (Lv 18 et 20), à Edart, les
textes du Nouveau Testament (1 Co 6, 9-10 ; 1 Tim 1, 10 ; Rm 1, 18-32 ; Lc
7, 1-10 ; le « disciple bien-aimé »). Comme son titre l’indique, l’ouvrage
2. A. WÉNIN, C. FOCANT, Vives, femmes de la Bible, coll. « Le livre et le rouleau » 29,
Bruxelles, Lessius, 2007, 16 × 18 cm, 152 p., 18,00 €.
3. I. HIMBAZA, A. SCHENKER, J.-B. EDART, Clarifications sur l’homosexualité dans la Bible,
coll. « Lire la Bible » 147, Paris, Cerf, 2007, 13,5 × 21,5 cm, 141 p., 15,00 €. Pour être complet, il faudrait encore citer la traduction française d’un ouvrage anglais : D. HELMINIAK, Ce que la Bible dit vraiment de l’homosexualité, Paris, 2005.
216
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
veut être une « clarification » ; il ne se présente donc pas comme un traité
d’éthique complet sur l’homosexualité. Les conclusions exégétiques,
prudentes et fermes à la fois, sont à la mesure de cette option méthodologique. La Bible reconnaît l’existence de comportements homosexuels ; il y aurait, toutefois, anachronisme à interpréter les textes à la
seule lumière de la conception moderne de l’homosexualité (comme
attirance marquée ou exclusive pour une personne de même sexe). Les
récits de la Genèse ont pour premier objet la question de l’hospitalité
et, notamment, l’hospitalité vis-à-vis de l’étranger ; cela n’empêche —
en accord avec tous les autres textes bibliques qui s’y rapportent explicitement — qu’ils formulent un jugement moral négatif à l’encontre des
actes homosexuels. L’histoire de David et Jonathan ne doit pas être lue
en contexte sexuel et érotique, mais politique (pour un avis sensiblement différent, voir T. Römer et L. Bonjour). De même, les lois du Lévitique, comme toutes les lois de l’Ancien Testament, ne sont pas à comprendre dans une perspective moderne et individualiste, mais du point
de vue de la cohésion sociale et communautaire. Quant au Nouveau
Testament, le silence du texte évangélique n’autorise certainement pas
à supposer une complaisance de Jésus vis-à-vis de l’homosexualité et
les propos radicaux de Paul sont à resituer dans le cadre de son argumentation théologique. Ceci étant posé, reste la question difficile de
l’actualisation. Les auteurs fournissent, en conclusion, au moins deux
principes pour y aider. D’une part, Paul lui-même actualise déjà un enseignement antécédent et cherche à donner à celui-ci une portée clairement universalisante en s’appuyant sur une théologie de la création.
D’autre part, il y a tout intérêt à resituer le corpus très limité des textes
traitant de l’homosexualité dans l’ensemble de l’Ecriture et notamment
dans le cadre de l’enseignement du Christ sur l’amour humain. Avec
cela, tout n’est certes pas dit, mais concernant l’analyse exégétique, ce
qui est dit me paraît devoir être pris en compte.
En 2002, une des équipes de recherche du laboratoire de théologie et
de sciences religieuses (LTSR) de la Faculté de théologie d’Angers
(France) avait déjà organisé un colloque international sur « Etrangers et
exclus dans le monde biblique ». Poursuivant ses travaux, le même
groupe (« La Bible et ses lectures »), fondé par J. Riaud, offre aujourd’hui
le fruit de ses recherches 4. Dans un fort volume de 450 pages et de dixneuf contributions (1 sur le Proche-Orient ancien ; 4 pour l’Ancien Testament ; 4 pour le Nouveau ; 6 pour le monde extrabiblique, principalement le judaïsme ; 4 pour la réception du thème dans la littérature ou
la musique), à peu près tout ce qu’il est bon de dire et souhaitable de
connaître sur le sujet se trouve réuni. La préface de J. Riaud (Université
4. J. RIAUD (éd.), L’étranger dans la Bible et ses lectures, coll. « Lectio Divina » 213, Paris,
Cerf, 2007, 15,5 × 23 cm, 455 p., 32,00 €.
217
Didier Luciani
catholique de l’Ouest), responsable de l’équipe, situe et résume parfaitement les différentes interventions. Chacune de celles-ci est munie
d’une bibliographie adaptée. Comme plusieurs monographies importantes sont parues ces dernières années sur le même thème (voir C. van
Houten, The Alien in Israelite Law, 1991 ; C. Bultmann, Der Fremde im
antiken Juda, 1992 ; J.E. Ramirez Kidd, Alterity and Identity in Israel,
1999), beaucoup de choses ont déjà été dites sur la partie biblique. Du
coup, les contributions les plus originales se trouvent sans doute dans
la dernière section intitulée Une postérité culturelle (A. Richard, « La figure de Gaspard, le roi noir, dans les Adorations des Mages au XVe s., en
Flandre » ; M. Berder, « La figure de l’étranger dans le livret de Nabucco
de Verdi » ; A. Bouloumié, « Le mythe des Rois Mages dans Gaspard, Melchior et Balthazar de M. Tournier » ; A.A. Dervaux, « Un amour sans frontières ; pour une approche du Prologue de S. Weil »). Concernant la Bible
et ses lectures et eu égard à la prétention scientifique de ce type d’ouvrage, on peut seulement regretter qu’un index des citations bibliques
et un autre pour les noms propres ne clôturent pas le volume.
II
Fruits d’une thèse en théologie soutenue à l’Institut catholique de
Toulouse (France), les deux ouvrages de Sophie Ramond, religieuse de
l’assomption enseignant à Paris, portent sur 1 S 24–26 5. Un double objectif meut la recherche : montrer, d’une part, grâce aux outils de la narratologie, que ce triptyque constitue une séquence narrative subdivisée en trois épisodes et soigneusement construite ; analyser, d’autre
part, comment ces trois chapitres mettent en scène la catégorie biblique
du rîb (controverse entre deux parties sur des questions de droit). Bien
que trahissant parfois l’aspect formel de la thèse doctorale, la lecture
est attentive, précise, avec des reprises épistémologiques qui permettent à la fois d’intégrer le chemin parcouru et de découvrir la portée
éthico-théologique d’un texte qui articule, en une seule intrigue, dessein divin et contingence des libertés humaines. Le chapitre traitant du
rîb, très dépendant des travaux de P. Bovati (Ristabilire la giustizia,
Rome, 1986), manifeste d’une autre manière l’unité de la séquence,
mais pourrait presque se lire indépendamment de l’analyse précédente.
Le cahier de la collection « Connaître la Bible », quant à lui, aborde le
même récit du côté de la caractérisation des personnages. Si ce découpage didactique facilite l’illustration et la mise en œuvre de différents
5. S. RAMOND, Leçon de non-violence pour David. Une analyse narrative et littéraire de
1 Samuel 24–26, coll. « Lire la Bible » 146, Paris, Cerf, 2007, 13,5 × 21,5 cm, 235 p.,
22,00 € ; id., David, l’insensé et la femme sage. Une analyse de la caractérisation des
personnages en 1 Samuel 24–26, coll. « Connaître la Bible » 43, Bruxelles, Lumen Vitæ,
2006, 15 × 21 cm, 80 p., 10,00 €.
218
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
aspects de la méthode en même temps qu’il explicite de nombreux détails du texte, reconnaissons toutefois qu’il en occulte aussi un peu le
dynamisme poétique et qu’il ne permet pas toujours d’éviter les répétitions.
Dans la même collection « Connaître la Bible », Miriam Moscow, une
consœur de Sophie Ramond enseignante à Tournai (Belgique), présente
une lecture du livre de Ruth à la lumière de la fête juive de la Pentecôte 6.
Le projet se justifie pleinement puisque, dans la liturgie juive, ce petit
livre, comme les quatre autres Megillot (rouleaux), est lu lors d’une fête ;
ici, en l’occurrence, celle de Shavouoth. Il s’agit donc de vérifier, dans
une sorte de lecture « liturgique », si ce lien entre fête et livre est purement fortuit ou, au contraire, s’il est fondé sur des connexions réelles et
s’il apporte quelque intelligence supplémentaire de l’une et de l’autre.
Le travail se déroule en quatre étapes : après avoir proposé une traduction structurée du livre de Ruth, l’auteur présente brièvement la fête de
Shavouoth dans la tradition juive, puis elle s’attelle à une lecture cursive du livre avant d’en examiner l’intertextualité. L’alliance, selon tout
le spectre de signification du terme, s’avère être la catégorie qui rend le
mieux compte des nombreuses coutumes de la fête et des divers aspects
du texte (le livre de Ruth comme récit de fiançailles : voir p. 67). Clef d’interprétation du livre, elle est aussi invitation à « une fidélité active, sans
cesse renouvelée, à la Parole de Dieu, lue, méditée et assimilée jusqu’à
en devenir bonté » (p. 72).
On a déjà tant écrit et publié sur les Psaumes, et de manière si qualitativement diverse, que chaque « nouveau » commentaire suscite
d’abord une certaine appréhension, a fortiori si celui-ci fait plus de 1400
pages ! Il faut toutefois saluer l’entreprise de J.-L. Vesco, dominicain et
ancien directeur de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, pour son originalité et son actualité 7. Après s’être, en effet, longtemps cantonnée à l’étude des psaumes individuels et à l’enracinement
liturgique, historique et sociologique de chacun d’eux, après avoir redécouvert ensuite leur facture poétique ou littéraire, toujours dans cette
même perspective d’unités autonomes, la recherche depuis une petite
vingtaine d’années commence à s’intéresser au psautier en tant que
livre. Comme l’explique le préfacier (A. Schenker), l’auteur « choisit la
perspective du psautier qui enchâsse l’ensemble des psaumes dans
l’écrin d’un recueil. Entre le recueil et ses parties, le psautier et les
6. M. MOSCOW, L’Alliance au quotidien. Une lecture du livre de Ruth à la lumière de la
fête juive de la Pentecôte, coll. « Connaître la Bible » 46, Bruxelles, Lumen Vitæ, 2007,
15 × 21 cm, 79 p., 10,00 €.
7. J.-L. VESCO, Le psautier de David traduit et commenté, Vol. I et II, coll. « Lectio Divina » 210 & 211, Paris, Cerf, 2006, 15 × 22,5 cm, 1418 p., 62,00 € et 52,00 €.
219
Didier Luciani
psaumes, va s’instaurer un dialogue. Car chaque psaume a sa place
propre là où il doit être, et pas ailleurs. Il importe de lire le psautier
comme un livre. Il est un ensemble bien pensé et bien structuré. Il est
tout sauf un monceau de psaumes entassés sans ordre. Il y règne au
contraire une architecture, et architecture signifie plan, organisation
des éléments, utilité pour les usagers, ingéniosité des solutions apportées et beauté pour le regard […]. Chaque psaume a deux paroles. L’une
dit ce qu’il est en lui-même, l’autre ce qu’il apporte à l’édifice dans son
ensemble, à partir de la place qu’il occupe » (p. 9). Pour honorer cette
seconde perspective, J.-L. Vesco propose une traduction du texte massorétique qui respecte, autant que faire se peut, à la fois l’ordre des mots
hébreux et le principe d’équivalence formelle (un même mot français
pour un même mot hébreu). Il se rend ensuite sensible aux liens, surtout lexicaux, qui unissent entre eux les psaumes successifs. Il expose
enfin l’essentiel du message théologique essayant de dégager les thématiques sous-jacentes qui traversent et structurent tout ou partie d’un
recueil (Ps 3–14 : « Face aux ennemis, appel à un Dieu juste » ; Ps 15–24 :
« Qui résidera dans ta montagne sainte ? » ; Ps 25–34 : « De la supplication à l’action de grâce » ; etc.). L’ouvrage, dont la consultation est facilitée par la présence de plusieurs index (auteurs, citations et thèmes),
se recommande également par l’abondant usage qu’il fait des sources
juives (Qumrân et littérature rabbinique). Un tableau final reprend tous
les psaumes cités ou évoqués dans le Nouveau Testament (p. 1379-1392)
et prépare l’ouvrage ultérieur que compte écrire l’auteur sur le « Psautier du Christ ». Nonobstant son prix, ce commentaire vulgarise en français une féconde voie d’investigation. Il reste à espérer, qu’à sa suite,
beaucoup d’autres l’empruntent et l’explorent.
Quand la culture biblique s’efface chez une génération qui en a été
plus ou moins imprégnée, subsistent en général, dans la mémoire, Job
sur son fumier, Jonas dans sa baleine et aussi, sans doute, Noé dans son
arche. Il n’est donc pas étonnant — ou peut-être en est-ce la cause ? —
que des figures bibliques si indélébiles aient suscité de nombreuses réécritures et, du coup, que Marc Bochet, professeur de littérature, à la
suite de Job après Job. Destinée littéraire d’une figure biblique (voir VC
73, 2001, p. 340-341), consacre à la réception littéraire et artistique de
Jonas une monographie 8. Dans un voyage au long cours qui nous fait
traverser l’ensemble de l’histoire dans ses moments successifs (l’appel,
les péripéties du voyage, le débarquement, la condamnation de Ninive,
le pardon divin, la colère du prophète, le silence perplexe final), l’auteur nous montre comment, depuis que Jonas a été jeté dans les eaux
bibliques, cette figure n’a pas cessé de « faire des vagues ». De saint Jé-
8. M. BOCHET, Jonas palimpseste. Réécritures littéraires d’une figure biblique, coll. « Le
livre et le rouleau » 27, Bruxelles, Lessius, 2006, 14,5 × 20,5 cm, 189 p., 19,50 €.
220
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
rôme à Erri de Luca, en passant par Aggrippa d’Aubigné, du Jonas tolérant de Voltaire au Jonas casanier de Kipling en passant par le Jonas alcoolique de Chessex, le texte biblique, avec sa finale désespérément ouverte, se révèle ainsi comme un récit matriciel qui oblige le lecteur de
toutes les périodes de l’histoire à s’interroger sur les vérités essentielles
sans jamais, pourtant, conclure à sa place.
Bien que peu fréquentable, Samson — sorte d’Hercule biblique au
« cœur d’artichaut » — est aussi un personnage qui a fasciné les lecteurs
de toutes les époques et continue de parler à l’imaginaire collectif : pour
preuve, parmi beaucoup d’autres, l’oratorio de Handel ou l’opéra de
Saint-Saëns en musique ; les poèmes de Vigny ou de Giraudoux en littérature ; et au cinéma, après le péplum de Cecil B. De Mille (Samson et
Dalila, 1949), le documentaire récent et corrosif du cinéaste israélien
Avi Mograbi (Pour un seul de mes deux yeux, 2005). Walter Vogels, l’exégète bien connu de l’université Saint-Paul à Ottawa (Canada), consacre
à ce héros picaresque son dernier livre 9. Après avoir, dans une première
partie, examiné les problèmes littéraires (récit unifié ou composite ?),
les questions historiques (mythe solaire, conte, légende, allégorie nationale ?) et la portée éthique et religieuse du récit, l’auteur propose,
dans une seconde partie, de relire celui-ci dans la forme où il se donne.
Il en ressort la description d’un personnage, certes haut en couleur,
mais qui, tout occupé à dénouer ses problèmes personnels (histoire de
femmes, règlements de compte), n’accorde aucune importance à son
appel (comme nazir), ni à sa mission au service de son peuple (comme
juge) : une véritable caricature de « juge » qui, à la fin du livre, est apte à
montrer la faillite d’un système et contraint le lecteur à se demander,
comme le psalmiste : « Jusqu’à quand Seigneur ? » Durant ce beau parcours, on s’étonnera seulement de ne pas voir mentionnée l’étude de
J.-P. Sonnet et André Wénin, « La mort de Samson : Dieu bénit-il l’attentat suicide ? », RTL 35 (2004) 372-381, pas plus que le no 13 de la revue
Graphè (2004) qui porte, tout entier, sur Samson et Dalila.
De l’autre figure biblique éternelle, Job, il est question dans le livre de
Georgette Chéreau, bibliste du diocèse de Nantes (France) 10. Ne cachant pas sa dette à l’égard de Jean Radermakers (Dieu, Job et la Sagesse,
Bruxelles, 1998), l’auteur se propose de lire le livre de Job comme le récit
d’une aventure spirituelle et considère ce poème comme un chemin de
purification visant à ouvrir l’intelligence et le cœur au mystère de Dieu.
Au terme du parcours, il apparaît que ce livre « offre un chemin pour se
9. W. VOGELS, Samson : sexe, violence et religion. Juges 13–16, coll. « Ecritures » 10,
Bruxelles/Montréal, Lumen Vitæ/Novalis, 2006, 15 × 22,5 cm, 144 p., 20,00 €.
10. G. CHÉREAU, Job et le mystère de Dieu. Un chemin d’espérance, Paris, Lethielleux,
2006, 14 × 20,5 cm, 302 p., 20,00 €.
221
Didier Luciani
garder d’une double impasse : croire que l’homme peut seul être maître
du sens de sa vie, de sa propre histoire comme de celle du monde ; ou
croire qu’il doit renoncer à s’y orienter librement » (p. 288). Des propos
sans doute simples, mais si difficiles à comprendre !
Chez le même éditeur, Alberto Mello, moine de la fraternité de Bose
vivant à Jérusalem, offre en un peu plus de cent pages une étude tout à
la fois simple et classique du livre de Jérémie 11. Après une brève introduction au contexte historique du prophète (p. 7-21), la lecture se déroule en cinq étapes qui, sauf une fois, n’excède jamais la vingtaine de
pages : Jr 1–6, « Appel à la conversion » ; Jr 7–25, « Prophète de malheur » ;
Jr 26–29 ; 37–45, « Résistance et soumission » ; Jr 30–35, « L’œuvre nouvelle de Dieu » ; Jr 46–51, « Prophète des nations ». On comprendra que
dans de telles limites, il ne s’agit pas d’apporter du neuf à l’exégèse du
plus long livre de la Bible, mais d’en proposer un guide à la fois accessible et savoureux, pour qui veut partir à sa découverte.
Sous des dimensions encore plus modestes, le livre d’Elena Di Pede,
également sur Jérémie, est pourtant autrement plus audacieux 12 et cela
pour trois raisons au moins. L’auteur, chargée de recherches au FNRS
(Fonds national de la recherche scientifique, Belgique), y commente
une section couvrant des chapitres qui ne sont habituellement pas lus
ensemble (32–45 ; voir le plan de Mello, ci-dessus). Elle cherche à rendre
compte, malgré la disposition chronologique des faits racontés apparemment chaotique, de la logique et de la cohérence narratives de cette
unité en prose. Elle applique, pour ce faire, les outils de la narratologie,
ce qui est encore peu pratiqué pour la littérature prophétique. L’enquête, méthodiquement menée, permet de dévoiler le ressort de l’intrigue : l’histoire oppose le refus radical du peuple à l’espoir tout aussi
radical du Seigneur et de son prophète de voir ce peuple se convertir.
Cette opposition se construit au fil du récit et interroge le lecteur sur ses
propres choix. Confronté aux réactions du peuple, ce dernier apprend
qu’aucune vie n’est possible sans écoute de la parole de Dieu. Mais il
est également associé, par la régie un peu curieuse des événements, à
ce que les habitants de Jérusalem éprouvent durant cette période mouvementée. Si cette histoire aboutit à une déconstruction délibérée et à
une inversion de l’histoire du salut (un contre-exode), le peuple s’enfermant dans son refus mortifère, le destin d’Ebed-Melek (Jr 39) et celui
de Baruch (Jr 45), qui auront tous les deux la vie sauve, laissent entrevoir au lecteur de Jérémie une échappatoire : il peut ne pas se laisser en-
11. A. MELLO, Le courage de la foi. Jérémie, prophète pour un temps de crise, Paris, Lethielleux, 2007, 14 × 20,5 cm, 130 p., 20,00 €.
12. E. DI PEDE, De Jérusalem à l’Egypte ou le refus de l’Alliance (Jr 32–45), coll.
« Connaître la Bible » 45, Bruxelles, Lumen Vitæ, 2006, 15 × 21 cm, 79 p., 10,00 €.
222
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
fermer dans les mêmes impasses que le peuple et, prenant la leçon de
ce qu’il vient de lire, se tourner vers la vie. Quant au lecteur de Di Pede,
il aura au moins gagné en clarté sur des chapitres qui semblent, à première vue, passablement embrouillés.
III
Comme on a pu s’en rendre compte dans la section précédente, plusieurs publications optent pour une approche synchronique des textes
bibliques. Cette tendance actuelle ne congédie pas pour autant l’histoire du champ de la recherche exégétique, comme le prouvent les cinq
recensions suivantes.
Pour le rapport du récit biblique à l’histoire, David est à la fois un cas
limite et un bon test : en effet, beaucoup de savants considèrent aujourd’hui qu’avant lui, on entre dans la préhistoire d’Israël ; les sources
extrabibliques à son sujet — plus ou moins directes (ex. : la stèle de Dan,
les vestiges archéologiques de la ville de Jérusalem au Xe s.) — sont rares
et laconiques, mais pas tout à fait inexistantes ; le récit biblique luimême, présente des traits évidents d’une reconstruction édifiante, mais
pas forcément court-circuitée de tout enracinement historique. Il faut
donc débrouiller l’écheveau entre histoire et écriture de l’histoire si l’on
veut avoir quelque chance de se rapprocher un peu d’un portrait plausible du fondateur de la monarchie judéenne. Six ans avant le succès du
très médiatique couple Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman (Les
Rois sacrés de la Bible : à la recherche de David et Salomon, 2006), Steven L. McKenzie, professeur de Bible hébraïque à Memphis (Etats-Unis)
et spécialiste du livre des Rois, avait déjà tenté une « biographie » de ce
personnage biblique (édition originale en anglais : King David : A Biography, Oxford, 2000). C’est cet ouvrage, légèrement allégé, qui est
maintenant accessible aux lecteurs francophones grâce à la diligence
de F. Smyth (la traductrice) et des éditions Labor et Fides 13. A l’opposé
du « tout archéologique » de Finkelstein et Silberman, l’auteur accorde
la priorité à la démarche exégétique (« la quête du David historique est
d’abord exégétique » ; p. 33) et, sans nier l’apport de l’archéologie (le
chapitre 1 établit le dossier), il rappelle utilement que les témoins archéologiques, tout comme la Bible, doivent, eux aussi, être interprétés.
L’enquête, menée avec pédagogie, rigueur critique et même parfois
avec humour, est donc essentiellement exégétique (surtout 1 et 2 S). Les
derniers mots de l’ouvrage, tous judicieusement choisis, disent bien,
dans la subtilité même de leur formulation, la modestie de la démarche
et les limites de son objectif : « Notre biographie est plus fidèle à la Bible
13. S.L. MCKENZIE, Le roi David. Le roman d’une vie, coll. « Essais bibliques » 38, Genève, Labor et Fides, 15 × 22,5 cm, 217 p., 22,00 €.
223
Didier Luciani
que des portraits plus traditionnels de David conçus au long d’un parcours qui a sa source dans l’apologie. La Bible ne nie jamais les bassesses de l’humanité de David. Des exégètes ont simplement exploré à
quoi aurait ressemblé un homme du rang social de David, au ProcheOrient, il y a trois mille ans. L’image que j’ai construite dans cette biographie est une combinaison des résultats de ces investigations savantes. Nous ne pourrons probablement jamais connaître le David réel.
Cette image est au moins à la ressemblance réaliste de David » (p. 205).
En traitant la question de l’écriture — non pas tant qui a écrit, mais
pourquoi et quand la Bible fut-elle écrite ? — M.W. Schniedewind, spécialiste des études sémitiques et professeur à l’université de Los Angeles
(Californie), entend bien apporter sa pierre à la reconstruction d’une
histoire d’Israël 14. Mais il cherche surtout à bousculer une mode actuelle qui tend à retarder le plus possible, c’est-à-dire pendant la période perse ou même, pour certains exégètes, à l’époque hellénistique,
la composition de tous les textes bibliques. A l’encontre de cette position, l’auteur soutient la thèse que la Bible fut écrite en grande partie
entre le VIIIe et VIe s. avant notre ère, soit entre l’époque du prophète Isaïe
et celle du prophète Jérémie, sans que l’on puisse écarter l’existence
d’un embryon de littérature dès le Xe s. (sous David et Salomon). Ayant
rappelé utilement que l’écriture est d’abord un instrument aux mains
de l’Etat et que l’invention de l’alphabet ne suffit pas à expliquer la diffusion de l’usage de l’écrit — des changements sociaux et technologiques sont aussi nécessaires —, il parcourt en sept étapes l’histoire de
la littérature biblique, accordant aux règnes d’Ezékias et de Josias (chap.
5-6) un rôle prépondérant dans l’émergence du « livre ». L’intérêt du propos tient avant tout à la collecte des informations concernant l’histoire
de l’écriture (un chapitre sur les conditions matérielles de cette écriture
manque toutefois), à la réflexion sur le processus de textualisation et
aux remarques sur l’articulation entre oralité et écriture. En outre, en
abordant la composition des livres bibliques non plus à partir de la
question de l’auteur, mais à partir de celle de l’écriture, Schniedewind
fournit un cadre général et une hypothèse heuristique intéressante et
il oblige à un déplacement. Même s’il n’est pas le seul à tenir aujourd’hui
le genre de datation qu’il propose (cf., par exemple, J. Milgrom), beaucoup trouveront sans doute qu’il fait trop l’impasse sur la complexité
interne de chacun des livres pour que le raisonnement soit contraignant
et que la discussion s’arrête. On regrettera enfin que, pour ce livre
comme pour d’autres, l’éditeur parisien choisisse systématiquement de
citer sa propre traduction biblique (Bible nouvelle traduction, Bayard,
2001), même quand cela ne sert en rien la démonstration ou même pire,
14. W.M. SCHNIEDEWIND, Comment la Bible est devenue un livre. La révolution de l’écriture et du texte dans l’ancien Israël, Paris, Bayard, 2006, 16 × 24 cm, 263 p., 24,80 €.
224
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
obscurcit le propos : il y a là une forme d’auto-célébration et de publicité tout à fait déplaisante.
S’il y a un auteur francophone qui, avant même son fameux La Bible
à la naissance de l’histoire (Paris, 1979), s’est intéressé à la recherche historique, c’est bien Pierre Gibert, jésuite, actuel directeur de la revue Recherches de science religieuse. Ses collègues de la faculté de théologie de
Lyon (France) dont il fut doyen, et d’autres, lui rendent hommage dans
un volume collectif 15, organisé en quatre parties qui reflètent un peu
son parcours intellectuel et l’éclectisme de ses recherches. La première
partie concerne le Pentateuque et ses lectures, avec trois contributions :
O. Artus (Paris) explicite les logiques sous-jacentes à chaque type de lecture (avec une illustration sur Ex 20, 22-26) ; T. Römer (Lausanne) émet
une hypothèse ingénieuse pour expliquer la présence et la localisation
des deux décalogues (Ex 20 et Dt 5) dans la rédaction finale de la Torah ;
P. Mercier (Lyon) relit l’ensemble appelé indûment « plaies d’Egypte ».
Une seconde section, intitulée « Vérité historique et esprit historien »,
en référence à un ouvrage de P. Gibert (1990), réunit quatre études : celle
d’A.-M. Pelletier (Paris) interroge les hypothèses modernes qui dénient
toute historicité au récit biblique pour n’y voir que fiction et œuvre de
légitimation tardive ; D. Noël (Paris) et P. Abadie (Lyon) prolongent le
propos précédent et surtout l’illustrent en montrant à partir de Jg 3, 7–
16, 31 et de 1 R 20–22 comment s’articulent mise en récit et vérité historienne ; P. de Martin de Viviés (Lyon), quant à lui, examine le rapport
à l’histoire dans les textes apocalyptiques (« l’apocalypse animalière
d’Hénoch », dans le premier livre d’Hénoch). Les deux sections suivantes — « La Bible dans l’histoire » et « La Bible en ses lectures théologiques et culturelles » — traitent de sujets aussi variés que la lecture de
la Bible à Smyrne au IIIe s. (M.-F. Baslez, Paris), la réception de Richard
Simon par Pierre Bayle (Y. Krumenacker, Lyon), le Sitz im Leben de Wellhausen, Gunkel et von Rad (J.-L. Ska, Rome), etc, et réunissent des noms
aussi connus que ceux de R. Virgoulay, C. Leroy et P. Gire (Lyon), A.
Wénin (Louvain-la-Neuve), J.-P. Sonnet (Bruxelles) et J.-M. Carrière
(Paris). La compétence des auteurs invités laisse aisément entrevoir,
derrière cette simple liste, la qualité et l’intérêt de ce bel hommage.
Cinq des auteurs cités dans la recension précédente (Ska, Pelletier,
Carrière, Römer, Baslez) se retrouvent dans les Actes du XXIe congrès de
l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (ACFEB),
congrès qui s’est déroulé fin août 2005 dans les environs de Paris et qui
15. P. ABADIE (éd.), Mémoires d’Ecriture. Hommage à Pierre Gibert s.j. offert par la Faculté de théologie de Lyon, coll. « Le livre et le rouleau » 25, Bruxelles, Lessius, 2006,
14,5 × 19,5 cm, 332 p., 28,00 €.
225
Didier Luciani
portait, lui aussi, sur le rapport de la Bible à l’histoire 16. Le nombre de
contributions étant moins important que dans le volume d’hommage
à P. Gibert et les titres étant suffisamment significatifs, je me permets
ici d’en dresser la liste complète : J.-L. Ska, « L’histoire d’Israël de Martin Noth à nos jours » (sur les crises successives et les déplacements opérés dans l’historiographie depuis 1940) ; J. Briend, « Une épopée de fiction ; Josué 2 ; 6-12 » (sur le rôle de l’archéologie dans la détermination
du sens des textes bibliques) ; F. Brossier, « Le rapport Bible et histoire
dans la formation biblique en catéchèse » (sur les incidences des recherches exégétiques sur la catéchèse ; illustration avec Abraham et
l’exode) ; A.-M. Pelletier, « Temps et histoire au prisme de l’écriture prophétique » (sur la prophétie comme creuset d’une pensée biblique du
temps et de l’histoire) ; J.-M. Carrière, « L’historiographie deutéronomiste : une manière d’écrire l’histoire » ; T. Römer, « Les histoires des patriarches et la légende de Moïse : une double origine » (sur la fusion des
traditions — généalogique et mosaïque — qui constituent l’identité en
tension d’Israël) ; J.-D. Macchi, « Le livre d’Esther : écrire une histoire
perse comme un grec » ; M.-F. Baslez, « Les conditions d’exercice du métier d’historien à l’époque du second Temple » ; C. Théobald, « A quelles
conditions une théologie ‘biblique’ de l’histoire est-elle aujourd’hui
possible ? » (reprise théologique sur la nécessité pour le christianisme
de se référer à l’histoire et sur les moyens pour y parvenir dans le contexte actuel). En resituant les débats, notamment en regard des intuitions du père Lagrange, fondateur de l’Ecole Biblique et Archéologique
Française de Jérusalem, la préface de J.-M. Poffet, l’actuel directeur de
cette école, montre que certaines interrogations « nouvelles » ne le sont
pas tant que cela. L’admettre est aussi une façon de témoigner du sens
de l’histoire.
En percevant la complexité des questions qui se posent, on se demande qui est encore assez fou aujourd’hui pour oser écrire une histoire d’Israël. Le fait de pouvoir se réclamer, en ce domaine, d’une lignée de grands historiens italiens (G. Ricciotti, G. Garbini, A. Momigliano, J.A. Soggin, P. Sacchi, M. Liverani, etc.) a peut-être facilité la tâche
de Luca Mazzinghi, professeur à l’Institut biblique de Rome 17. L’audace
de l’auteur nous vaut, en tout cas, un manuel de cent cinquante pages
qui a déjà rendu de grands services en Italie et qui — n’en doutons pas
— continuera à le faire auprès de tous ceux qui veulent y voir un peu
plus clair sans forcément pouvoir entrer dans les querelles byzantines
16. D. DORÉ (éd.), Comment la Bible saisit-elle l’histoire ? XXIe congrès de l’Association
catholique française pour l’étude de la Bible (Issy-les-Moulineaux, 2005), coll. « Lectio
Divina » 215, Paris, Cerf, 2007, 13,5 × 21,5 cm, 296 p., 28,00 €.
17. L. MAZZINGHI, Histoire d’Israël des origines à la période romaine, coll. « Ecritures »
11, Bruxelles/Montréal, Lumen Vitæ/Novalis, 2007, 15 × 22,5 cm, 200 p., 22,00 €.
226
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
des historiens de métier. Pour la traduction française, l’édition originale
de 1991 a été entièrement refondue et mise à jour. La lecture du chapitre II (p. 21-38) sur les origines d’Israël — un des points les plus difficiles et les plus débattus du dossier — suffira à convaincre l’utilisateur
de la valeur de l’information, de la qualité pédagogique de son exposition et de la pondération des jugements. Une fois que les grandes lignes
sont en place, libre à lui d’approfondir en se tournant, par exemple, vers
l’ouvrage de Soggin, également traduit depuis peu (voir VC 77, 2005, p.
206-207). Un certain nombre de cartes et de tableaux, un glossaire et
une bibliographie classée par genre et par ordre de difficulté parachèvent l’ouvrage.
IV
C’est une réelle joie d’ouvrir cette dernière section, consacrée au judaïsme, avec l’ouvrage de Pierre Lenhardt, religieux de la congrégation
Notre-Dame de Sion et surtout l’un de ceux qui, à notre époque, aura
le plus réalisé pour faire découvrir aux chrétiens les richesses de la tradition d’Israël et pour la leur faire aimer 18. Même si ce livre est, en fait,
un recueil de sept articles (un sur la valeur de l’étude de la Torah, trois
sur le fonctionnement de la tradition orale, deux sur la prière et un sur
la terre d’Israël, Jérusalem et le Temple) rédigés entre 1978 et 2003, sa
publication se justifie à double titre : tout d’abord, rendre accessibles à
un public plus large des études dispersées dans des revues souvent difficiles à trouver ; mais plus encore, manifester l’importance et même la
nécessité de se mettre, en Eglise, à l’écoute de cette tradition orale. Or
tous ceux qui ont perçu quelque chose de cette nécessité savent aussi
que cela ne peut se faire sans guide. P. Lenhardt, pour avoir fréquenté
longuement les maîtres juifs, à Paris comme à Jérusalem, est tout à fait
autorisé à remplir cette fonction, bien que l’on sente toujours chez lui,
à cause de sa modestie et de la nature même de la tradition, une certaine réticence vis-à-vis de la médiation écrite. Si donc ce livre ne remplace pas la transmission vivante de maître à disciples (voir le chapitre
2 : « Voies de la continuité juive : aspects de la relation maître-disciples
d’après la littérature rabbinique ancienne »), s’il n’entend pas présenter une théologie chrétienne du Judaïsme, s’il ne vise même pas à faire
progresser le dialogue entre juifs et chrétiens, il fait pourtant beaucoup
plus en posant les conditions de possibilité de ce dialogue et en commençant par établir, et surtout par pratiquer lui-même, la première de
ces conditions : l’écoute patiente et humble. Tout le monde n’est sans
doute pas appelé à suivre les traces de l’auteur et à consacrer son exis-
18. P. LENHARDT, A l’écoute d’Israël, en Eglise : « Car de Sion sort la Torah et de Jérusalem la Parole de Dieu » (Isaïe 2, 3), coll. « Essais de l’Ecole cathédrale », Paris, Parole et
Silence, 2006, 15 × 23,5 cm, 280 p., 23,00 €.
227
Didier Luciani
tence entière à la recherche amoureuse de la Parole de Dieu dans le Talmud et les Midrashim, mais tous peuvent apprendre de ce « maître » ce
qu’implique cette écoute et découvrir, grâce à lui, la qualité qu’elle doit
avoir.
Sur le dialogue, on lira avec intérêt le petit ouvrage de Michel Remaud, directeur de l’Institut chrétien d’études juives et de littérature
hébraïque à Jérusalem, observateur et acteur de ce dialogue depuis de
nombreuses années 19. L’auteur retrace très rapidement l’histoire des
relations entre l’Eglise et la synagogue, la « révolution copernicienne »
opérée depuis Vatican II, les raisons pour lesquelles cette évolution est
irréversible et, en même temps, les espoirs, les craintes et les questions
à résoudre dans un proche avenir. Comme le dit, avec sagesse, M. Remaud : « on ne répare pas en quarante ans les conséquences de dix-neuf
siècles de conflit » (p. 81). Ce ne peut être une raison pour ne pas relever le défi, bien au contraire.
La connaissance du judaïsme passe aussi par une réappropriation et
une relecture lucide du passé, récent ou lointain. C’est pourquoi les
études historiques telles celle dirigée par Daniel Tollet sont utiles 20.
Celle-ci s’intéresse, au travers d’une série de contributions aussi variées
que pointues, à la connaissance du judaïsme et de l’hébreu chez les
chrétiens entre le XVIe et XIXe siècles : en Russie (M.-V. Dmitriev) ou à Venise au XVIe s. (P.-C. Ioly-Zorattini) ; en France à la Renaissance (M. Engammare) ; en Pologne au XVIIIe s. (D. Tollet) ; chez Sixte de Sienne (F. Parente), John Milton (L. Ifrah), l’abbé Grégoire (R. Hermon-Belot), ou F.J. Molitor (kabbaliste chrétien du XIXe s. ; R. Goetschel) ; chez les Sabbatariens de Transylvanie du XVIe s. à nos jours (T. Gergely) ; etc. La conclusion de D. Tollet, organisateur du colloque qui a suscité ces recherches,
résume parfaitement l’apport d’une telle démarche : « Au fil des études
proposées au lecteur, il est donc apparu que l’intérêt des Chrétiens pour
la pensée des Juifs a été lent à se dégager. Et encore, les études hébraïques n’ont été conçues que comme un complément, un éclairage
du christianisme destiné à prouver la véracité de sa doctrine et non à
comprendre les vérités du judaïsme. Cependant, cet effort a imposé
l’apprentissage des langues sémitiques et aux plus éclairés, l’analyse de
modes de représentation qui n’étaient pas les leurs et au bout du
compte, le respect de l’altérité. Comme on a pu l’observer, les travaux
réunis dans ce volume, du fait de leurs intérêts, ont conduit sur d’autres
voies que celles de la vision lacrymale des relations judéo-chrétiennes
19. M. REMAUD, L’Eglise au pied du Mur. Juifs et Chrétiens, du mépris à la reconnaissance, Paris, Bayard, 2007, 12 × 20,5 cm, 109 p., 12,00 €.
20. D. TOLLET (éd.), Les Eglises et le Talmud. Ce que les chrétiens savaient du judaïsme
(XVIe-XIXe siècles), coll. « Mythes, Critique et Histoire », Paris, Presses de l’université Paris
Sorbonne, 2006, 16 × 24 cm, 202 p., 18,00 €.
228
Chronique d’Ecriture Sainte (A.T.)
[…]. La connaissance du judaïsme chez les Chrétiens, malgré tous les
préjugés qu’elle pouvait comporter conduisait malgré tout à porter un
regard comparatif et à une lecture de sa propre religion à travers celles
des autres » (p. 189).
Dans son dernier ouvrage qui se situe dans l’exact prolongement de Le
Judaïsme et l’avènement du christianisme (VC 77, 2005, 208-209), Dan
Jaffé, lui aussi, revisite l’histoire, mais en remontant aux origines et en
prenant le point de vue inverse de l’ouvrage précédent : non plus le regard des chrétiens sur les juifs, mais celui des juifs sur les chrétiens. Pour
ce faire, il se propose d’analyser les sources juives les plus significatives
des cinq premiers siècles (époque des tannaïm et des amoraïm) pour y
recenser les textes qui parlent ou, le plus souvent qui font allusion, de
manière cryptée, au christianisme 21. Après une copieuse entrée en matière qui présente le contexte socio-historique d’après la destruction du
Temple et le travail de restructuration entrepris par les Sages à partir de
Yabneh, l’auteur analyse plusieurs passages tirés surtout du Talmud de
Babylone et de la Tosefta (collection d’enseignements tannaïtiques complétant ceux de la Mishna). Dans l’ordre de l’examen : Abodah Zarah 16b17a, Tosefta Hulin II, 22-23, Tosefta Sabbath XIII, 5, Sabbath 116a-b, Tosefta Berakhot III, 25, Sanhedrin 107b, puis un certain nombre de textes
faisant référence à Paul et à ses disciples (Abot III, 11 ; Makot III, 16 ; Berakhot IX, 5 ; etc.). Le dernier chapitre aborde, semble-t-il, un tout autre
sujet en passant en revue quelques historiens juifs du XIXe (J. Salvador, H.
Graetz) et du XXe s. (J. Klausner, D. Flusser, G. Vermes) et en exposant leurs
principales conceptions à l’égard de Jésus. De manière oblique, toutefois, cette présentation permet aussi de mesurer le chemin parcouru, du
côté juif, entre le temps de la rupture initiale où les judéo-chrétiens furent rejetés par les Sages en raison, notamment, de leur prétentions messianiques, et l’époque contemporaine où des juifs peuvent à nouveau
s’intéresser à Jésus, ne fut-ce que sur le plan historique.
✍ Didier Luciani
3, rue Saint-Roch
BE-5530 Godinne, BELGIQUE
•
21. D. JAFFÉ, Le Talmud et les origines juives du christianisme. Jésus, Paul et les judéochrétiens dans la littérature talmudique, coll. « Initiations bibliques », Paris, Cerf, 2007,
13,5 × 21,5 cm, 227 p., 23,00 €.
229
Téléchargement