de l’ˆetre et comme la raison de notre impuissance `a ˆetre nous-mˆemes en acc´edant `a la
contemplation du bien et du vrai :
«Le corps nous cause mille difficult´es par la n´ecessit´e o`u nous sommes de le
nourrir ; qu’avec cela des maladies surviennent, nous voil`a entrav´es dans notre
quˆete de l’ˆetre. Il nous remplit d’amours, de d´esirs, de craintes, de chim`eres de
toute sorte... Guerres, dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses app´etits
qui en sont la cause ; car, on ne fait la guerre que pour amasser des richesses et
nous sommes forc´es d’en amasser `a cause du corps, dont le service nous tient
en esclavage. »7
En un certain sens et tr`es paradoxalement lorsque nous sommes malades, nous avons
l’impression de n’ˆetre plus ce corps avec lequel nous vivions jusque l`a dans une relative
harmonie, mais nous avons l’impression d’avoir un corps8que nous traˆınons avec nous
comme un boulet et qui nous empˆeche d’ˆetre nous-mˆemes, de nous ´epanouir et de r´ealiser
toutes les perfections qui sont en nous.
Et cela le plus souvent redouble notre souffrance, car non seulement nous souffrons,
mais, et c’est l`a le comble, nous souffrons de souffrir, nous imaginons tout ce que nous
pourrions faire si nous ´etions en meilleure sant´e, nous pestons contre le sort, Dieu ou la
Nature que nous accusons de notre malheur9, nous rageons de ne rien pouvoir faire pour
mettre fin `a cette situation, adoptant l’attitude que d´enonce Epict`ete et qui consiste `a
vouloir faire en sorte que les choses arrivent autrement qu’elles arrivent :
«Et il n’y a rien de plus absurde ni de plus d´eraisonnable que de vouloir
que les choses arrivent comme nous les avons pens´ees. De toutes les choses du
monde, les unes d´ependent de nous, les autres n’en d´ependent pas. Celles qui
en d´ependent sont nos opinions, nos mouvements, nos d´esirs, nos inclinations,
nos aversions, en un mot toutes nos actions. Celles qui ne d´ependent point de
nous sont le corps, les biens, la r´eputation, les dignit´es, en un mot toutes les
choses qui ne sont pas du nombre de nos actions. »10
En quoi la philosophie peut-elle donc nous aider `a mieux assumer la maladie ?
Peut-elle nous aider `a nous r´econcilier avec ce corps qui semble nous lˆacher et qui nous
fait souffrir, car le m´epris du corps auquel pourrait nous conduire une approche de type
7Platon, Ph´edon, trad E. Chambry, 66a-67a, Garnier Flammarion, 1965.
8L’expression «avoir un corps »ne signifie pas bien entendu ici que je per¸cois mon corps, comme un
objet qui me serait ext´erieur, ce qui serait pour le moins paradoxal au sujet de la maladie et encore plus
de la souffrance ; mais nous employons ici cette expression pour signifier que le corps n’est plus v´ecu dans
l’unit´e harmonieuse qui est la sienne lorsqu’il est en bonne sant´e, mais il devient un corps que je subis,
dont je pˆatis.
9Cette attitude est confirm´e par la psychologue H´el`ene Harel-Biraud : «Parfois il (le malade) se sent
agress´e par le destin, par Dieu et peut vivre un profond sentiment d’injustice. »Manuel de psychologie `a
l’usage des soignants, Masson, 1997.
10 ´
Epict`ete, 1, 35, in Les sto¨
ıciens, Textes choisis par Jean Brun, PUF p. 72.
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