C ongrès " D. Anglicheau* réunion Actualités sur les effets indésirables gastro-intestinaux des immunosuppresseurs es effets indésirables gastro-intestinaux demeurent fréquents chez les sujets transplantés (1). La diarrhée, en particulier, constitue un événement indésirable souvent rapporté dans les études thérapeutiques randomisées, quelles que soient les molécules immunosuppressives utilisées, même si quelques associations, particulièrement celles qui adjoignent le tacrolimus ou le sirolimus au mycophénolate mofétil (MMF), semblent être responsables des incidences les plus élevées (1). L’objectif de cet article est d’effectuer une brève synthèse des données les plus récentes, exposées en particulier lors des derniers congrès de l’American Society of Nephrology et de la Société francophone de transplantation, relatives à la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ces effets indésirables. L PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DIARRHÉE DU TRANSPLANTÉ Les causes de la diarrhée post-transplantation sont multiples et peuvent faire intervenir des éléments prédisposants liés à la pathologie sous-jacente (neuropathie diabétique…), des pathologies infectieuses, les colites postantibiothérapie, les effets indésirables digestifs de nombreux médicaments utilisés chez les transplantés (cimétidine, inhibiteurs de la pompe à protons, hypoglycémiants…) et, enfin, les immunosuppresseurs (2). *Service de transplantation rénale et de soins intensifs, hôpital Necker, 75015 Paris. L’absence d’études ciblées sur l’exploration de la diarrhée chez les sujets transplantés rendait jusqu’alors impossible une standardisation de la prise en charge et du traitement. Les travaux conduits par Maes et al., par une exploration exhaustive de la diarrhée survenant chez des transplantés rénaux traités par MMF, apportent des informations intéressantes sur sa physiopathologie, et permettent d’en déduire des conclusions importantes pour améliorer sa prise en charge (3). Dans une étude portant sur vingt-six transplantés rénaux présentant une diarrhée chronique (poids des selles supérieur à 200 g/j et une durée supérieure à 2 semaines), Maes et al. ont évalué par des examens microbiologiques, morphologiques et fonctionnels les caractéristiques de ces diarrhées (3). Les concentrations résiduelles de l’acide mycophénolique et de ses métabolites, du tacrolimus et de la ciclosporine ont également été surveillées. La sévérité de la diarrhée était attestée par une perte moyenne de 6 kg et par la présence de signes de déshydratation et de malabsorption. Le temps de vidange gastrique était allongé chez 74 % des patients, alors que le temps de transit de l’intestin grêle n’était que peu modifié. La motricité colique était elle aussi augmentée chez 70 % des sujets et s’avérait significativement associée aux concentrations résiduelles de l’acide mycophénolique (r = - 0,73 ; p = 0,01) et à l’acide mycophénolique libre (r = - 0,72 ; p = 0,04). Des troubles de l’absorption des nutriments au niveau de l’intestin grêle étaient fréquents en cas de diarrhée afébrile, survenant chez plus de 72 70 % des sujets, suggérant l’atteinte des fonctions entérocytaires au niveau de l’intestin grêle. L’absorption des immunosuppresseurs était également altérée. En particulier, une altération de l’assimilation de tacrolimus était responsable d’une augmentation des concentrations résiduelles de tacrolimus nécessitant une réduction de 30 % des doses. Ce phénomène, en revanche, n’était pas observé avec la ciclosporine (4). Deux abstracts rapportés par la même équipe lors du dernier congrès de l’ASN ont étudié le mécanisme de cette modification des paramètres pharmacocinétiques du tacrolimus. Ils ont montré que, d’une part, l’effet de la diarrhée sur la pharmacocinétique du tacrolimus se situait essentiellement au niveau de la phase d’absorption, l’effet de la diarrhée sur l’augmentation des concentrations sanguines de tacrolimus survenant essentiellement entre 90 et 240 minutes après la prise, et que, d’autre part, ces modifications observées s’expliquaient par une inhibition de la P-glycoprotéine dans la muqueuse intestinale. À la condition de la rechercher de manière exhaustive, une origine infectieuse a pu être démontrée chez 60 % des sujets (3 infections par le cytomégalovirus, 3 infections par Campylobacter et 7 proliférations bactériennes dans l’intestin grêle). La cause la plus fréquente était une pullulation microbienne de l’intestin grêle mise en évidence par le Breath Test à l’acide glycocolique ou au D-xylose. Ces résultats suggéreraient donc que, en cas d’impossibilité de réa- Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005 C ongrès réunion liser ces tests fonctionnels, une antibiothérapie empirique pourrait être discutée avant toute modification du traitement immunosuppresseur. Des lésions inflammatoires de l’intestin sont apparues comme particulièrement fréquentes. Tous les sujets sauf un avaient une entérocolite érosive. Un sous-groupe de patients présentait des lésions proches de celles observées au cours de la maladie de Crohn. En conclusion, l’exploration exhaustive de 23 sujets a conduit Maes et al. à laisser en deux groupes les sujets souffrant de diarrhée persistante afébrile posttransplantation. Pour 60 % des sujets, il s’agissait d’une entérocolite d’origine infectieuse. Chez ces patients, aucune corrélation n’a pu être mise en évidence entre la dose des immunosuppresseurs et la survenue de cette complication infectieuse. La rémission de la diarrhée a pu être obtenue grâce au traitement antibiotique, sans qu’il soit nécessaire de réduire l’immunosuppression, chez tous les sujets sauf chez l’un d’eux, qui présentait également un lymphome post-transplantation. Chez les 40 % restants, les sujets présentaient une entérocolite dont les caractéristiques histologiques la rapprochaient de la maladie de Crohn. Aucune infection n’a été retrouvée chez ces patients, qui semblaient beaucoup plus difficiles à traiter. Finalement, seule la réduction du MMF paraissait efficace, mais pas chez tous les patients. Avec un recul de 2 ans, rapporté lors du dernier congrès de la SFT, 2 patients souffrent toujours de diarrhée, bien que l’administration de MMF ait été arrêtée depuis longtemps. De plus, après la réduction des doses de MMF, 2 patients ont eu un rejet aigu et 2 autres un rejet chronique, avec, chez 2 d’entre eux, une évolution vers la maladie rénale terminale. Chez ces 40 % de sujets présentant une enté- rocolite de type Crohn-like, il a été constaté une accélération du transit colique liée aux concentrations d’acide mycophénolique et ne répondant qu’à une diminution de la dose de MMF. Ces résultats ont fait suggérer le rôle de l’acide mycophénolique ou de l’un de ses métabolites (particulièrement l’acylglucuronide). Cependant, une perturbation de la flore intestinale ou des effets cytostatiques sont également possibles. QUE FAIRE DEVANT UNE DIARRHÉE SURVENANT CHEZ UN TRANSPLANTÉ ? L’ensemble de ces résultats a conduit Maes et al. à proposer un algorithme de prise en charge de la diarrhée persistante après transplantation (figure 1). Cet algorithme appelle quelques remarques : $ Le diagnostic de diarrhée non infectieuse est un diagnostic d’élimination. $ La recherche d’une cause infectieuse doit être exhaustive. Le Campylobacter jejuni, en particulier, n’est pas recherché systématiquement sur les coprocultures habituelles. Même en l’absence de tout signe associé évoquant une infection, Maes et al. retrouvent une origine infectieuse dans 60 % des cas ! $ Si le diagnostic de pullulation microbienne ne peut être confirmé par les explorations adaptées, un traitement empirique doit être envisagé (cycline, fluoroquinolone). $ La réduction des immunosuppresseurs s’accompagne d’une majoration du risque de rejet aigu. Elle doit donc Diarrhée après transplantation rénale Diarrhée infectieuse (fièvre, hyperleucocytose, éléments inflammatoires dans les selles…) Diarrhée non infectieuse Diagnostic d'élimination Traitement anti-infectieux adapté sans modification des immunosuppresseurs Arrêter les médicaments potentiellement responsables des diarrhées (hors immunosuppresseurs) Discuter un traitement empirique en cas de suspicion de pullulation microbienne Réduire les doses de tacrolimus ou de rapamycine si les taux résiduels s'élèvent Réduction progressive de la dose de MMF Surveillance rapprochée de la fonction rénale Diarrhée persistante : reprendre les explorations Réintroduction progressive des immunosuppresseurs après guérison de la diarrhée Figure 1. Algorithme de prise en charge de la diarrhée post-transplantation. (D’après B. Maes et al.). 73 Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005 C ongrès réunion être réservée aux patients pour lesquels l’enquête étiologique exhaustive demeure négative. VALIDATION DE L’ALGORITHME : ÉTUDE DIDACT Cet algorithme a été utilisé chez 108 patients inclus dans l’étude DIDACT, dont les résultats ont été présentés lors du dernier congrès de la SFT. DIDACT (Diarrhea Diagnosis Aid and Clinical Treatment) est une étude observationnelle prospective réalisée chez des patients transplantés rénaux présentant une diarrhée (plus de 3 selles par jour pendant une période supérieure à une semaine). Le but de cette étude était de recueillir, de manière prospective, des données concernant le diagnostic et la prise en charge thérapeutique de la diarrhée survenant chez des patients transplantés rénaux, indépendamment du schéma immunosuppresseur et en utilisant une définition uniforme de la diarrhée. Une approche par paliers a été appliquée pour rechercher les infections et les anomalies morphologiques du tractus gastrointestinal et pour documenter les modifications du traitement immunosuppresseur. Au total, 108 patients (61 hommes et 47 femmes, 48,6 ± 13,2 ans à 4,02 ± 4,78 ans de la greffe) présentant une fréquence moyenne de 5,4 ± 2,5 selles par jour (3-15) pendant 20 jours (7-100) en moyenne et recevant divers schémas immunosuppresseurs ont été enrôlés dans neuf centres. À l’inclusion, le protocole immunosuppresseur comportait tacrolimus/MMF/corticoïde dans 41 % des cas, la bithérapie tacrolimus + MMF dans 15% des cas et la trithérapie ciclosporine + MMF + corticoïde dans 16 % des cas. Un total de 89 % des patients recevait du MMF. Chez 6,5 % des patients, la diarrhée a cessé après l’arrêt des médicaments concomitants non immunosuppresseurs, potentiellement responsables d’une telle symptomatologie. Chez 40,7 % des sujets, une cause infectieuse a été documentée, avec disparition de la diarrhée dans 80 % des cas après traitement adapté. L’examen microbiologique des selles s’est révélé positif chez 22 sujets ; 8 infections à CMV ont été diagnostiquées et une pullulation microbienne a été évoquée chez 14 patients. En l’absence de diagnostic infectieux, une modification du traitement immunosuppresseur (essentiellement une diminution ou l’arrêt du MMF) s’est traduite par une rémission (c’est-à-dire moins de 3 selles par jour) dans 23,1 % des cas. Parmi les patients présentant des lésions inflammatoires à la biopsie du côlon (13/17), 12 % ont guéri après adaptation du traitement immunosuppresseur. Sur les 20 patients restants, 11 ont constaté un soulagement de leurs symptômes en utilisant des médicaments antidiarrhéiques ou des régulateurs de la flore. En conclusion, à la fin de cette évaluation prospective, seuls 17 patients (15,7 %) n’ont pas obtenu de diagnostic ni de rémission de leur diarrhée. Cette étude présente l’intérêt unique d’avoir évalué de façon prospective la prise en charge de la diarrhée chronique post-transplantation. Elle confirme les résultats antérieurs de Maes et al. en montrant que la diarrhée peut fréquemment être rapportée à un médicament non immunosuppresseur ou à une infection. Elle montre aussi qu’elle n’est pas l’apanage des patients traités par tacrolimus et MMF, mais qu’elle peut survenir quel que soit le protocole immunosuppresseur. RISQUES DE LA RÉDUCTION DE L’IMMUNOSUPPRESSION En raison de l’hétérogénéité physiopathologique des diarrhées survenant chez le transplanté, il paraît évident qu’une attitude se limitant à réduire l’immuno- 74 suppression semble inadaptée, une réduction inappropriée des immunosuppresseurs pouvant conduire à une majoration du risque immunologique pour le greffon (5). Un travail rapporté par Schnitzler et al. au cours du dernier congrès de l’ASN évalue ce risque. Cette étude a estimé le risque de perte du greffon rénal après réduction de la dose ou arrêt du MMF en raison d’effets indésirables gastro-intestinaux sur un très grand nombre de patients issus du registre de l’USRDS entre 1995 et 2001. Cette étude a été menée sur un total de 3 675 transplantés rénaux ayant présenté un effet indésirable gastrointestinal. La dose médiane de MMF était de 2 g/j au moment de la survenue de l’effet indésirable. Le risque relatif de perte de greffon au cours des périodes de réduction de dose de MMF était de 1,9 (p = 0,06) si la dose avait été réduite de moins de 50 % par rapport à la dose initiale et de 2,5 (p = 0,0008) si la diminution de dose dépassait 50 % par rapport à la dose initiale, lors de la survenue de l’effet gastro-intestinal. Le risque relatif de perte de greffon augmentait de 3,7 (p < 0,0001) en cas d’arrêt du MMF. La réduction de dose ou l’arrêt du MMF après diagnostic d’un effet indésirable gastro-intestinal étaient donc associés à une augmentation du risque de perte de greffon chez des transplantés rénaux. Ce type d’analyse ne permet pas d’établir une relation de cause à effet, mais a montré une relation dans le temps entre la réduction du MMF et la perte du greffon, et prouve que ces patients sont à haut risque de complication. LES PISTES POUR AMÉLIORER LA TOLÉRANCE GASTRO-INTESTINALE DES IMMUNOSUPPRESSEURS Le souhait d’une amélioration de la tolérance gastro-intestinale du MMF est à la base du développement du myco- Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005 C ongrès réunion phénolate sodique, à l’image de l’amélioration de la tolérance digestive de formulations gastroprotégées d’antiinflammatoires non stéroïdiens. Il avait cependant été antérieurement montré que la survenue d’effets indésirables gastro-intestinaux après traitement par MMF était similaire après administration orale ou intraveineuse (6), suggérant que la survenue des effets gastrointestinaux était d’origine systémique et non locale. De plus, les résultats des deux grandes études pivotales du sel sodique de l’acide mycophénolique n’ont pas montré d’amélioration de l’incidence de diarrhée par rapport au MMF (7, 8). l’absence de corrélation entre les concentrations plasmatiques d’acide mycophénolique (concentration résiduelle, concentration maximale ou aire sous la courbe) et la survenue d’effets indésirables (9, 10). Une réponse plus définitive devrait pouvoir être obtenue à partir de deux études multicentriques, l’une européenne, FDCC, et l’autre française, APOMYGRE, destinées à évaluer l’intérêt du suivi thérapeutique pharmacologique de l’acide mycophénolique chez des transplantés rénaux traités par le MMF. % R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Si l’origine de la diarrhée liée spécifiquement à l’acide mycophénolique s’avère systémique, le suivi thérapeutique pharmacologique de l’acide mycophénolique pourrait être utile. Les informations sur ce point demeurent controversées à l’heure actuelle. Plusieurs études ont cependant rapporté 1. Pescovitz MD, Navarro MT. Immunosuppressive therapy and post-transplantation diarrhea. Clin Transplant 2001;15(suppl. 4):23-8. 2. Sellin JH. The pathophysiology of diarrhea. Clin Transplant 2001;15(suppl. 4):2-10. 3. Maes BD, Dalle I, Geboes K et al. Erosive enterocolitis in mycophenolate mofetil-treated renaltransplant recipients with persistent afebrile diarrhea. Transplantation 2003;75,5:665-72. 75 4. Maes BD, Lemahieu W, Kuypers D et al. Differential effect of diarrhea on FK506 versus cyclosporine A trough levels and resultant prevention of allograft rejection in renal transplant recipients. Am J Transplant 2002;2,10:989-92. 5. Pelletier RP, Akin B, Henry ML et al. The impact of mycophenolate mofetil dosing patterns on clinical outcome after renal transplantation. Clin Transplant 2003;17,3:200-5. 6. Pescovitz MD, Conti D, Dunn J et al. Intravenous mycophenolate mofetil: safety, tolerability, and pharmacokinetics. Clin Transplant 2000;14,3:179-88. 7. Salvadori M, Holzer H, de Mattos A et al. Entericcoated mycophenolate sodium is therapeutically equivalent to mycophenolate mofetil in de novo renal transplant patients. Am J Transplant 2004;4,2:231-6. 8. Budde K, Curtis J, Knoll G et al. Enteric-coated mycophenolate sodium can be safely administered in maintenance renal transplant patients: results of a 1-year study. Am J Transplant 2004;4,2:237-43. 9. van Gelder T, Hilbrands LB, Vanrenterghem Y et al. A randomized double-blind, multicenter plasma concentration controlled study of the safety and efficacy of oral mycophenolate mofetil for the prevention of acute rejection after kidney transplantation. Transplantation 1999;68,2:261-6. 10. Kuypers DR, Vanrenterghem Y, Squifflet JP et al. Twelve-month evaluation of the clinical pharmacokinetics of total and free mycophenolic acid and its glucuronide metabolites in renal allograft recipients on low dose tacrolimus in combination with mycophenolate mofetil. Ther Drug Monit 2003;25,5:609-22. Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 1 - janvier-février-mars 2005