Le 1er Avril 2015
Regard vers le théâtre de Pierre-Marc Levergeois
La tête entre les mots.
Autrefois, en France, sur les lettres régnait
saint Barthes. Qui ne reconnaissait pas la
polysémie du verbe était un mal appris. Chacun
apportait sa pierre à la déconstruction. En pole
position, Jacques Derrida et Philippe Sollers. Tel
quel, le grand public observait ces théoriciens du livre. Avec son OULIPO, Queneau a été le
précurseur d’une lignée de sémiologues polygraphes qui a voulu décrypter l’univers tout en
jouant sur les mots. Aux côtés de ce Champollion des sixties, on trouve Georges Perec,
célébrissime pour son roman la Disparition. Ecrivain prolifique, il a aussi questionné
l’environnement direct avec un brio et une rigueur d’entomologiste. Le spectacle mis en
scène per Anne- Marie Lazarini reprend pour partie la combinatoire des phonèmes,
bréviaire des adeptes du Nouveau Roman. Un décor, fort réussi au niveau graphique, inclut
trois locuteurs symbolisant le corps, le savoir et le temps. Le langage et l’image, dans une
fidélité absolue à l’idéal des Lumières, se répondent selon divers champs lexicaux et
sémantiques. Bien sûr, la distanciation voulue par les comédiens élève leur spectacle au rang
de messe profane. Elle ravit les quinquas qui retrouvent l’époque ou toute discussion entre
amis de fac se concluait par une méditation sur la complexité des apparences. Elle fascine
les plus jeunes qui découvrent combien les mots du quotidien sont félins pour l’autre. Cette
soirée passionnante, avec des protagonistes qui exhaussent leur talent, eût enchanté Camus
qui disait que ”mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.”
Pierre-Marc Levergeois
Photos Marion Duhamel