La protection sociale, construite sur le Travail, est une production collective
extrait de « TVC, de quoi la retraite est-elle le nom ? », édition 01.2017
III.2.5 La protection sociale, attachée au travail, est une production collective :
A cet endroit, un focus sur la manière dont l’Etat et la production collective de la
protection sociale se sont développés, selon Robert Castel (2003) 1 est bienvenu, d’autant
qu’il ancre bien la protection sociale sur le travail, ce qui rejoint nos conceptions (de
surcroît, il établit a priori la gravité majeure des reculs que constituerait toute atteinte au
statut du salarié ou au code du travail 2 ou encore aux hiérarchies des normes entre loi,
conventions collectives, et accords d’entreprise !...) :
« l’idéologie de la modernité qui s’impose à partir du XVIIIè siècle a fait preuve (…) d’une
formidable indifférence par rapport à [la] dimension massive de la problématique de
l’insécurité. (…) La conception de l’indépendance de l’individu [s’était alors] construite à
travers la valorisation de la propriété, couplée avec un Etat de droit censé assurer la sécurité
des citoyens. Cette construction aurait dû poser centralement la question du statut, ou de
l’absence de statut, de l’individu non propriétaire. Qu’en est-il de tous ceux auxquels la
propriété n’assure pas ce socle de ressources qui est désormais la condition de
l’indépendance sociale ? » (R.Castel, op.cit. p 26)
[…]
« L’insécurité sociale n’entretient pas seulement la pauvreté. Elle agit comme un principe de
dissociation sociale (…) » (p. 9)
(p.30 et suivantes) « Comment protéger tous les membres d’une société ?(…) Le clivage
propriétaires/non-propriétaires se traduit par un clivage sujets de droit/sujets de non-droit, si
on entend aussi par droit le droit de vivre dans la sécurité civile et sociale. Ou alors le droit
n’est que « formel » comme le dira Marx, et sa critique sur ce point est irréfutable. L’Etat de
droit laisse inchangée la condition sociale d’une majorité de travailleurs traversée par une
insécurité permanente (…)
Comment est-on parvenu à vaincre l’insécurité (sociale) en assurant la protection (sociale)
de tous ou de presque tous les membres d’une société moderne pour en faire des individus à
part entière ? (…)
En attachant des protections fortes au travail ; ou encore : en construisant un nouveau type
de propriété conçue pour assurer la réhabilitation des non-propriétaires, la propriété
sociale (…) :
Premièrement, attacher des protections et des droits à la condition du travailleur lui-
même. Le travail cesse alors d’être une relation purement marchande rétribuée dans le cadre
d’un rapport pseudo-contractuel (le « contrat de louage »du Code civil) entre un employeur
tout-puissant et un salarié démuni. Le travail est devenu l’emploi, c’est-à-dire un état doté
d’un statut qui inclut des garanties non-marchandes comme le droit à un salaire minimum,
les protections du droit du travail, la couverture des accidents, de la maladie, le droit à la
retraite, etc. Corrélativement, la situation du travailleur cesse d’être cette condition précaire
(…)»
On se souviendra ici que R. Castel parlera plus tard du "précariat" 3, comme la sous-classe
salariale dont la massification s’opère avec les multiples atteintes aux statuts du salariat …
c’était en 2007, et l’actualité de 2016 confirme, ô combien, la marche forcée vers ce
nouveau "régime dominant".
1 Robert Castel, « L’insécurité sociale », 2003 Le Seuil ; chap. « la sécurité sociale dans l’Etat protecteur », p.29-32 « la
propriété ou le travail »
! rappelons que le choix de marquer en gras certains passages extraits de l’auteur, est celui du rédacteur
2 Les écrits de Alain Supiot méritent ici l’attention du lecteur, tant ils sont solidement documentés, et restés à l’écart des
polémiques : entre autres, un entretien sur Mediapart publié le 3/5/2016
https://www.mediapart.fr/journal/france/030516/alain-supiot-la-loi-el-khomri-attise-la-course-au-moins-disant-social
3 Robert Castel, «Au-delà du salariat ou en deçà de l’emploi ? L’institutionnalisation du précariat ?», p.416-433 in Serge
Paugam (dir.), « repenser la solidarité : l’apport des sciences sociales », 2007, PUF (Coll. Le lien social)