Emile-Auguste Chartier, dit
Alain
(1868 - 1951)
Biographie d'Alain :
Philosophe et journaliste, fils d'un vétérinaire, Emile-Auguste Chartier, dit Alain, est avant tout un
professeur. Après l'Ecole Normale Supérieure, il est reçu à l'agrégation de philosophie puis est
nommé professeur successivement à Pontivy, Lorient, Rouen et à Paris (lycée Condorcet, puis au
lycée Michelet). A partir de 1903, il publie dans la Dépêche de Rouen, sous la signature d'Alain, les
"Propos du dimanche", puis les "Propos du lundi" sous forme de chroniques hebdomadaires.
Devenu professeur de Khâgne au lycée Henri IV en 1909, il exerce une influence profonde sur ses
élèves (Raymond Aron, Simone Weil, Georges Canguilhem...).
A l'approche de la guerre, Alain milite pour le pacifisme. Lorsque celle-ci est déclarée, sans renier
ses idées, et bien que non mobilisable, il s'engage pour satisfaire ses devoirs de citoyen. Brigadier
de l'artillerie, il est démobilisé en 1917 avec un pied broyé. Ayant vu de près les atrocités de la
Grande Guerre, il publie en 1921 son célèbre pamphlet "Mars ou la guerre jugée". Sur le plan
politique, il s’engage aux côtés du mouvement radical en faveur d'une république libérale
strictement contrôlée par le peuple. Jusqu'à la fin des années 30, son oeuvre sera guidée par la
lutte pour le pacifisme et contre la montée des fascismes. En 1936, une attaque cébrale le
condamne au fauteuil roulant.
Alain met au point à partir de 1906 le genre littéraire qui le caractérise, les "Propos". Ce sont de
courts articles, inspirés par des événements de la vie de tous les jours, au style concis et aux
formules séduisantes, qui couvrent presque tous les domaines. Cette forme appréciée du grand
public a cependant pu détourner certains critiques d'une étude approfondie de son oeuvre
philosophique. Ses maîtres à penser furent Platon, Descartes, Kant et Auguste Comte. Le but de sa
philosophie est d'apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés.
Humaniste cartésien, il est un "éveilleur d'esprit", passionné de liberté, qui ne propose pas un
système ou une école philosophique mais apprend à se méfier des idées toutes faites. Pour lui, la
capacité de jugement que donne la perception doit être en prise directe avec la réalité du monde et
non bâtie à partir d'un système théorique.
Alain perd la foi au collège sans en ressentir de crise spirituelle. Bien qu'il ne croie pas en Dieu et
soit anticlérical, il respecte l'esprit de la religion. Il est même attiré par les phénomènes religieux qu'il
analyse avec beaucoup de pertinence. Dans "Propos sur la religion" et "Propos sur le bonheur" on
sent transparaître, un peu comme chez Auguste Comte, une certaine fascination pour l'Evangile
dans lequel il voit un beau poème et pour le catholicisme qu'il perçoit, en en reprenant l'étymologie,
comme un "accord universel".
Bibliographie : Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions (1917), Petit Traité d'Harmonie
pour les aveugles (en braille, 1918), Système des Beaux-arts (1920), Mars ou la guerre jugée
(1921), Propos sur l'esthétique (1923), Lettres au Dr Henri Mondor (1924), Propos sur les pouvoirs -
Eléments d'une doctrine radicale (1925), Souvenirs concernant Jules Lagneau (1925), Sentiments,
passions et signes (1926), Le citoyen contre les pouvoirs (1926), Les idées et les âges (1927), La
visite au musicien (1927), Propos sur le bonheur (1928), Entretiens au bord de la mer (1931), Idées
(1932), Propos sur l'éducation (1932), Les Dieux (1933), Propos de littérature (1934), Propos de
politique (1934), Propos d'économique (1935), Stendhal (1935), Souvenirs de guerre (1937),
Entretien chez le sculpteur (1937), Les Saisons de l'esprit (1937), Propos sur la religion (1938),
Eléments de philosophie (1940), Vigile de l'esprit (1942), Préliminaires à la mythologie (1943).
Liens:
Wikipedia - Alain (philosophe)
uqac.ca - textes téléchargeables
Citations d'Alain :
"Penser n'est pas croire. ...
L'intelligence c'est ce qui, dans un homme, reste toujours jeune. Je la vois en mouvement, légère
comme un papillon ; se posant sur les choses les plus frêles sans seulement les faire plier. ...
Lorsque l'on croit, l'estomac s'en mêle et tout le corps est raidi ; le croyant est comme le lierre sur
l'arbre. Penser, c'est tout à fait autre chose. On pourrait dire : penser, c'est inventer sans croire."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos d'un Normand de 1908 / 15 janvier 1908)
"Nous sommes empoisonnés de religion. Nous sommes habitués à voir des curés qui sont à guetter la
faiblesse et la souffrance humaines, afin d'achever les mourants d'un coup de sermon qui fera
réfléchir les autres. Je hais cette éloquence de croque-mort. Il faut prêcher sur la vie, non sur la mort ;
répandre l'espoir, non la crainte ; et cultiver en commun la joie, vrai trésor humain. C'est le secret des
grands sages, et ce sera la lumière de demain."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos sur le bonheur / 5 octobre 1909)
"Il se produit sans doute quelque résistance du même genre chez les libres penseurs, lorsqu'ils se
sont convaincus que les objets de la religion n'existent pas ; ils nient alors les apparences, et, par
exemple, les effets de la prière, parce qu'ils sont assurés qu'aucun Dieu n'écoute la prière. Mais il se
peut bien qu'une telle action s'explique sans aucun Dieu, par un jeu de sentiments qui est apparence,
il est vrai, et trompeuse, à l'égard de Dieu, mais qui soit très elle et efficace par la structure de notre
propre machine. Et c'est pourquoi je voudrais voir, dans les programmes de leurs congrès, cette
question, fondamentale à mon avis : de la vérité des religions."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos I, 22 août 1912)
"Dans le fond le métier de penser est une lutte contre les séductions et apparences. Toute la
philosophie se définit par là finalement. Il s'agit de se délivrer d'un univers merveilleux, qui accable
comme un rêve, et enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser les faux dieux toujours,
ce qui revient à réduire cette énorme nature au plus simple, par dénombrement exact. Art du sévère
Descartes, mal compris, parce qu'on ne voit pas assez que les passions les plus folles, de prophètes
et de visionnaires, qui multiplient les êtres à loisir, sont déjà vaincues par le froid dénombrement des
forces. Evasion, sérieux travail."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions / 1917)
"Le fatalisme est une disposition à croire que tout ce qui arrivera dans le monde est écrit ou prédit, de
façon que, quand nous le saurions, nos efforts ne feraient pas manquer la prédiction, mais au
contraire, par détour imprévu, la réaliseraient. Cette doctrine est souvent présentée théologiquement,
l'avenir ne pouvant pas être caché à un Dieu très clairvoyant ; il est vrai que cette belle conclusion
enchaîne Dieu aussitôt ; sa puissance réclame contre la prévoyance. Mais nous avons jugé ces jeux
de paroles. Bien loin qu'ils fondent jamais quelque croyance, ils ne sont supportés que parce qu'ils
mettent en argument d'apparence ce qui est déjà l'objet d'une croyance ferme, et mieux fondée que
sur des mots. Le fatalisme ne dérive pas de la théologie ; je dirais plutôt qu'il la fonde. Selon le naïf
polythéisme, le destin est au-dessus des dieux."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions / 1917)
"La prédiction d'un devin ou d'une sorcière, si elle dépend de causes extérieures et inanimées, peut
se trouver vérifiée soit par hasard, soit par l'effet d'une connaissance plus avancée des signes, soit
par une finesse des sens qui permet de les mieux remarquer. Il faut dire là-dessus qu'on oublie
presque toutes les prédictions ; ce n'est souvent que leur succès qui nous les rappelle. Mais le crédit
qu'on apporte aux prophètes tient à des causes plus importantes et plus cachées. Souvent
l'accomplissement dépend de nous-mêmes ou de ceux qui nous entourent ; et il est clair que, dans
beaucoup de cas, la crainte ou l'espérance font alors arriver la chose. La crainte d'un accident funeste
ne dispose pas bien à l'éviter, surtout si l'on penche à croire qu'on n'y échappera pas."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions / 1917)
"Le fanatisme n'est sans doute pas autre chose que le sentiment d'une fatalité effrayante qui se
réalise par l'homme. L'âme fataliste, ou si l'on veut prophétique, comme parle Hegel, est aux écoutes ;
elle cherche les signes, elle les appelle ; elle va au devant des signes, elle les fait surgir par
incantation. D'un côté elle méprise, elle écarte, elle fait taire par violence tout ce qui n'est pas signe ;
et le simple bonheur lui est par là plus directement odieux qu'aucune autre chose. De l'autre, elle
s'entraîne elle-même vers l'état sibyllin, déclamant à elle-même et aux autres."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Mars ou la guerre jugée, 1921)
"Et l'humaniste ne connaît de précieux au monde que la culture humaine, par les oeuvres éminentes
de tous les temps, en tous, d'après cette idée que la participation elle à l'humanil'emporte de loin
sur ce qu'on peut attendre des aptitudes de chacun développées seulement au contact des choses et
des hommes selon l'empirisme pur. Ici apparaît un genre d'égalité qui vit de respect, et s'accorde avec
toutes les différences possibles, sans aucune idolâtrie à l'égard de ce qui est nombre, collection ou
troupeau. Individualisme, donc, mais corrigé par cette idée que l'individu reste animal sous la forme
humaine sans le culte des grands morts. La force de l'humanisme est dans cette foule immortelle."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Mars ou la guerre jugée / 1921)
"Il y a un certain esprit religieux, qui n'est pas le meilleur, et qui s'accorde avec la guerre par le
dessous, comme on peut voir chez bon nombre d'officiers que je prends pour sincères. D'abord cette
idée que l'homme n'est pas bon, et, en conséquence, que l'épreuve la plus dure est encore méritée.
Aussi l'idée que, selon l'impénétrable justice de Dieu, l'innocent paie pour le coupable. Enfin cette idée
aussi que notre pays, léger et impie depuis tant d'années, devait un grand sacrifice. Sombre mystique
de la guerre, qui s'accorde avec l'ennui, la fatigue et la tristesse de l'âge."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Mars ou la guerre jugée, 1921)
"Penser, c'est dire non."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos sur le christianisme)
"Le doute n'est pas au-dessous du savoir, mais au-dessus."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos sur l'éducation / 1932)
"[La Bible] est le plus beau succès de librairie que l'on avait vu ; et cela prouve que les hommes ne
sont pas difficiles."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos de littérature / 1934)
"La religion conduit à l'irréductible irréligion."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos de littérature / 1934)
>>> Citations : "Propos sur la religion" (1938)
"C'est la foi même qui est Dieu."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Eléments de philosophie / 1940)
"Certes Dieu n'a pas besoin de l'existence ; c'est bien plutôt l'existence qui a besoin de Dieu."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Portrait de famille)
"Fondez une Société des honnêtes gens, tous les voleurs en seront. Ainsi fait l'Eglise. L'Eglise a
institué des offrandes et des pratiques qu'elle proclame être le signe de la vertu ; aussitôt tous ceux
qui ont des vices ou des vols à cacher s'empressent de faire ces offrandes et ces pratiques ; les plus
tarés payent un peu plus que les autres, de leur personne ou de leur bourse, et on peut les voir dans
toutes les villes où la procession circule ; on peut les voir derrière le dais, semblables à des loups
devenus bergers."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Les cahiers de Lorient)
"La morale commence là où s'arrête la police."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951)
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