Une réflexion herméneutique et antilinguistique sur la langue dans le cours de Vladimir Bibikhin * Emanuel Landolt Université de Saint-Gall** [email protected] ABSTRACT. In his 1989 lecture series entitled “Philosophy’s Language”, the Russian philosopher Vladimir Bibikhin constructs a singular ontology of language dedicated both to the question of the specific language of philosophy (what should the language of thinking be?) and the one of natural language as an alternative to the conventional system of terms. This article offers to show how Bibikhin, while integrating two strong traditions, works toward overcoming them both: Losev and Florenskij’s philosophy of language, as well as Hans-Georg Gadamer’s hermeneutics. Bibikhin attempts a synthesis leading to a radical realist position according to which language, like things, is the locus of the originary unveiling of the world. This third path echoes certain contemporary discussions, such as speculative realism or JeanLuc Marion’s phenomenology of givenness, thus revealing the originality of Bibikhin’s thought. * Véritable figure de passeur. Il fut le secrétaire personnel de Losev pendant la période soviétique, et incarne le maintien d’une tradition vivante, celle de la phénoménologie, de la philosophie allemande, de la philosophie religieuses russe et cela malgré leur voilement à l’époque soviétique. Responsable pour l’INION de l’Académie des sciences des recensions et des traductions d’ouvrages étranger à « usage administratif », il a l’occasion de se familiariser avec les importants travaux phénoménologiques, la pensée de Wittgenstein, la théologie protestante, etc. Voir STOECKL 2015. ** Correspondence: Emanuel Landolt – Universität St-Gallen – Gatterstrasse 1, CH-9010 StGallen, Switzerland. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 46 Emanuel Landolt Je pourrais dire : Si le lieu auquel je veux parvenir ne pouvait être atteint qu’en montant sur une échelle, j’y renoncerais. Car là où je dois véritablement aller, là il faut déjà qu’à proprement parler je sois. Ce que l’on peut atteindre à l’aide d’une échelle ne m’intéresse pas. Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées 1. Introduction En Russie, après la chute de l’Union soviétique, la nécessité d’une redéfinition de la philosophie et de ses canons est apparue comme une question urgente, il s’agissait alors de s’interroger comme l’indiquait alors le titre d’un ouvrage important sur ce qu’il fallait construire et instituer après l’interruption. Plusieurs philosophes ont tenté de définir les voies à suivre pour une philosophie russe désormais libre de mouvement, tous sur des voies et des traditions différentes (Sergej Khoružij, Sergej Averincev ou encore Valerij Podoroga). Dans le domaine de la philosophie du langage et de l’herméneutique en particulier, les questions d’identité philosophique et de transmission de la tradition (Qui sommes-nous ? A quelle tradition appartenons-nous ?) ont trouvé une expression éloquente dans les travaux du philosophe, philologue et traducteur Vladimir Bibikhin (1938-2004). Un des axes de son œuvre parmi d’autres touche aux problèmes de philosophie du langage, notamment la question brûlante en Russie de l’ontologie du mot et tente de fonder ce que nous appellerions ici « réalisme radical » pour approcher le phénomène de la langue. Par sa réappropriation de l’herméneutique ontologique, Bibikhin a tracé les jalons du renouveau philosophique de son temps. Il a contribué à construire une langue et un style philosophique propre (qui prend toute sa dimension dans la transmission orale), ainsi qu’à réintroduire une vision élargie de l’histoire de la philosophie dans un régime institutionnel qui l’avait bannie (exception faite entre autre de Mamardašvili, son aîné, dont le rayonnement a marqué l’époque soviétique jusqu’à son décès en 1990). Optant pour une langue métaphorique, un style hermétique parfois, et une pratique de l’étymologie et du questionnement Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 47 philosophique aux accents heideggériens, il a incarné une révolution pour l’époque, laissant derrière lui de nombreux disciples. Brouillant volontairement les frontières entre son objet et sa méthode, il a tenté de manière originale de faire entendre et d’affirmer une langue. Nous allons examiner ici le cours de Vladimir Bibikhin de 1989 « La langue de la philosophie » (Jazyk filosofii) consacré aux grands thèmes de l’herméneutique et de la philosophie du langage. Comme « objet d’étude » privilégié, la langue se décline dans la première partie de ce cours (partie I et II) sous des formes aussi différentes que les rapport entre langue et pensée, langue et monde, ou encore langue et philosophie. Ces différents questionnements s’inscrivent à l’évidence dans deux lignées différentes : d’une part une philosophie du langage qui part de Byzance avec Grégoire de Palamas pour arriver sur les rivages russes au début du XXème siècle avec Florenskij puis Vladimir Losev, celle-ci est centrée autour de la priorité absolue donnée au sens et à l’expression sur les faits linguistiques ; d’autre part, la tradition herméneutique et phénoménologique de Heidegger, jusqu’à Gadamer qui substituent à cette priorité du sens, celle de l’événement de la compréhension. Nous allons voir comment Bibikhin construit son ontologie de la langue en faisant se joindre ces deux traditions a priori inconciliables, tout en se rapprochant imperceptiblement de tentatives plus contemporaines, « réalistes » celles-ci de penser les phénomènes (la langue, le monde) indépendamment de l’appareil traditionnel de la conscience et du sujet. Nous pensons ici à la phénoménologie de la donation de Marion dont la proximité donne une couleur originale à la philosophie de Bibikhin. C’est au cœur de ce tiraillement que s’exprime dans toute sa complexité une certaine image langagière du monde. En dévoilant pas à pas ces différentes dimensions, le philosophe cherche à démontrer l’importance d’une réflexion sur la langue comme préalable à la constitution d’une philosophie, non pas à la manière du Cercle de Vienne et de son positivisme logique, mais plutôt autour d’une visée herméneutique fondamentale, celle de la description d’une expérience de vérité dans la langue et la pensée. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 48 Emanuel Landolt 2. En passant par Hans-Georg Gadamer De 1989 à 2003 V. Bibikhin donne une série de cours à l’université d’Etat de Moscou (MGU), cours qui connaissent un certain retentissement puisqu’ils cherchent non seulement à penser le temps présent, mais également, dans une perspective élargie, à réinscrire la pensée russe dans la tradition philosophique européenne et orientale. L’influence de Gadamer possède à ce titre une importance particulière dans la réflexion de Bibikhin sur la langue (même s’il s’est montré très insatisfait de la traduction qui en a été faite) en ce qu’elle fait rentrer les questions herméneutiques dans la tradition russe de la philosophie du langage, renforçant ainsi l’élargissement du langage et de sa signification à ce que Gadamer désigne comme « l’expérience générale que l’homme fait du monde ».1 Le style des deux philosophes apparaît par ailleurs distinct : si Gadamer se montre extrêmement rigoureux dans l’établissement de son herméneutique philosophique donnant à sa structure une lisibilité et une clarté imparable, chez Bibikhin nous trouvons plus une forme de parole libre de toute argumentation (un style non-académique) corrélée à un souci constant du questionner dont Heidegger est le modèle. Souvent, la pensée de Bibikhin s’attache à prononcer une série de faits généraux comme des acquis, elle démontre ici par l’exemple, contrairement à l’approche de Gadamer, que lorsque la pensée fait confiance à une conception élargie de la langue, elle s’affranchit des limites de l’appareil argumentatif, pour laisser la « parole parler » comme le dit Heidegger,2 ce qui en substance signife laisser voir l’évidence de sa présence. Dans « Vérité et Méthode » (1960), Gadamer élabore une distinction fondamentale entre herméneutique et science (qui suit celle de Dilthey entre expliquer et comprendre) reposant sur l’idée que l’herméneutique n’est pas une méthode à prétention scientifique, mais une approche du phénomène de la compréhension comme un événement qui déjoue nos procédures et notre maîtrise et qui implique une expérience de vérité ; celle-ci ne peut être vérifiée par des outils et procédés scientifique. C’est la troisième partie de l’ouvrage de Gadamer qui va retenir toute 1 2 GADAMER 1996, 11. HEIDEGGER 1976. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 49 l’attention de Bibikhin. Elle concerne le tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage. Gadamer formule une compréhension de la langue comme milieu, par opposition à la conception de la langue comme instrument. Cette idée forme une armature importante dans la réflexion de Bibikhin. La langue est considérée, comme un « milieu vivant », elle est, dit le philosophe russe, « le milieu et l’espace de notre être historique (historialité)».3 La langue comme milieu satisfait à l’idée d’une compréhension de l’essence historique de l’homme. Comme le formule Gadamer, les préjugés de l’individu « constituent la réalité historique de son être ».4 Celui-ci ne se réalise pas tant dans un environnement naturel que dans un environnement langagier, qui devient en quelque sorte la condition préalable de toute compréhension. Si le langage est le médiateur par excellence de l’expérience herméneutique chez Gadamer, pour Bibikhin, le langage ne peut s’arrêter à une simple sélection de signes. Son origine est plus profonde, il commence avec le choix que fait tout locuteur de parler ou de ne pas parler. Bibikhin choisit ainsi de lire le langage et ses manifestations à rebours, presque comme des phénomènes secondaires. Le silence occupe donc une place importante dans la définition de la nature de l’être langagier, il apparaît comme une sorte de toile de fond de tout mot, ou de tout discours, entretenant même parfois une relation plus solide à la vérité que le langage. D’autre part, il constitue un lieu de résistance à l’idée de structure, puisque l'auteur considère le discours comme ce qui ne pourrait pas avoir lieu, seule la possibilité du silence étant la liberté propre à l’homme, ce qui le distingue par ailleurs ontologiquement de l’animal aux prises avec la nécessité : « L’oiseau ne peut pas ne pas chanter en mai » nous dit le philosophe.5 Ce silence est même une possibilité de survie à l’ère de l’information et du discours dans la communication de masse. Plus le discours massifié et impersonnel s’impose aux sujets plus le recours au silence devient la condition d’une certaine autoconservation. En ce sens le silence préserve le sens que le langage a détruit par son 3 4 5 BIBIKHIN 2002. GADAMER 1996, 298. BIBIKHIN 2002. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 50 Emanuel Landolt déploiement technique.6 Toutefois, le silence ne se suffit pas à lui-même, il ne fait sens que comme fond d’émergence du mot (Bibikhin parle du mot comme toujours au « seuil du silence »).7 Il est difficile ici, au regard du rapport particulier que Bibikhin entretient avec lui, de ne pas penser au silence wittgensteinien du Tractatus. A l’évidence, les deux philosophes partagent l’idée essentielle d’une vérité possible accessible par l’intermédiaire du langage. Toutefois, si cette vérité possible se produit chez Gadamer dans ce qu’il appelle la fusion des horizons, un processus dialogique qui voit culminer la fusion justement entre l’horizon de l’interprète et celui de son objet, il y a plutôt chez le penseur russe, une épiphanie de la langue qui envoûte et qui s’empare de l’homme. L’autonomie du sens, où se révèle l’influence de Losev par ailleurs,8 prive ainsi l’herméneutique du singulier moment de fusion des horizons. 3. La critique de la linguistique et de ses modèles Dans la réflexion générale et ontologique sur le langage que Vladimir Bibikhin a donné en 1989 lors d’un cours depuis devenu un classique, 9 c’est un faisceau d’influences et de traditions qui transparaissent. Que ce soit dans la terminologie ou l’approche, toutes ces influences convergent vers une re-définition de la langue au-delà des modèles linguistiques et sémiotiques vers la recherche d’un fondement ontologique plus profond qui viendrait éclairer la nature du langage sans passer par une théorie du 6 7 8 9 Il utilise le terme plus poétique de « divulgation mécanique ». BIBIKHIN 2002, 34. BIBIKHIN 2002, 34. Le philosophe préfère au préfixe russe -do qui signifie appliqué au verbe parler l’achèvement, l’épuisement, celui privatif de –ne qui suggère plutôt l’inachèvement, en l’occurrence ce qui n’est pas dit. « Losev’s fundamental principle, in which he more or less agreed with Husserl and the Neo-Kantians, is the principle of the absolute priority of sense (Russ. smysl, Ger. Sinn). This principle holds that the intellectual subject of philosophy and the human sciences should be not “facts” […] but rather the sense that is immanent to consciousness, taken in its autonomy not only from empiricism, positivism, and psychologism, but also from metaphysics. » GOGOTIŠVILI 2004, 121. Longtemps confidentiel, l’ouvrage est aujourd’hui réédité en poche dans la collection abondamment diffusée Azbuka-klassika. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 51 La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin signe. Ces influences s’articulent autour de deux éléments : tout d’abord d’un rejet de la linguistique comme science objective au profit d’une approche réaliste du mot, du signe. Cette idée prend déjà forme dans une conversation privée que Bibikhin a avec Losev dans les années 70, où Losev critique le programme scientifique structuraliste élaboré par l’école de Moscou (Vjačeslav Ivanov, Sebastian Shaumjan) : 26.03.1972 […] Je n’ai trouvé jusqu’à maintenant aucune exposition consistante de la théorie du signe. Il est probable qu’il faille élargir la compréhension du signe. Le domaine du signe est quand même souvent appréhendé de façon abstraite [nous soulignons]. Le signe chez les structuralistes possède une fonction (un sens) trop accessoire. On porte peu d’attention au signe pour lui-même, on regarde plutôt le signifié, du signe ne reste donc qu’un moment purement auxiliaire.10 Élargir la compréhension, Losev l’envisageait dans le cadre théologique palamite qui est le sien, c’est-à-dire une conception du signe comme energeia, alors que Bibikhin réduit l’importance du signe à un intermédiaire entre l’événement du sens et la conscience.11 Tout comme il réduit l’importance du signe, il réduit l’omnipotence de la conscience qui n’est que l’ombre du mot, catégorie amenée à se substituer au signe. Le mot échappe à la volonté, ou encore à l’intention du locuteur, la conscience ne peut le contrôler affirme Bibikhin. Bibikhin introduit la notion de langue naturelle pour préciser ce qui dans la langue échappe à l’appareillage de la conscience et de la volonté (sans le préciser, c’est l’intentionnalité qui est mise en cause). On ne peut se passer de la langue naturelle par opposition au système de termes, purement conventionnel. 10 BIBIKHIN 2006, 145. [Pour toutes les citations de Bibikhin, à chaque fois ma traduction] Cet anti-positivisme trouve sa source encore plus tôt dans la « métaphysique concrète » de Florenskij élaborée dans son recueil « U vodorazdelov mysli » sur lequel s’appuiera Bibikhin dans un cours plus tardif. Cette approche insiste sur le fait que le nouméne se donne toujours concrètement dans le phénomène, ou l’expression du spirituel dans le sensible. Khoružij (1990). 11 BIBIKHIN 2002, 57-60. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 52 Emanuel Landolt La langue naturelle signifie dans le langage de Bibikhin la présence du monde dans les signes, le conduisant à un de refus de l’arbitraire du signe. Celle-ci, n’étant pas une boîte à outil, elle est l’organe vivant de la pensée, ou encore, elle est le creuset de l’être comme le dit Heidegger. Ainsi, le refus du modèle se manifeste comme le refus de la séparation. Bibikhin considère en effet l’unité de la pensée et du mot (slovo) comme essentielle à toute langue philosophique. Le deuxième élément qui ressort de l’approche de Bibikhin s’articule autour d’un certain pessimisme concernant l’évolution de la langue dans la modernité, motif qui est au centre de la réflexion autant de Gadamer que de Bibikhin. L’instrumentalisation, la dénaturation de la langue conduirait à la stérilité de la philosophie et de la pensée dont la science du langage est responsable. Tout au long de son cours, Bibikhin prend position contre certains concepts issus de la linguistique – désigné par lui comme un nouveau nominalisme12 – qu'il associe tour à tour à la linguistique comme système de termes ou comme modèle, ou encore à la notion de structure. Par cela, il cherche à définir ce qui caractérise sa vision et son approche de la langue. Le modèle ou la structure sont toujours perçus comme des éléments secondaires, comme une mise à distance de l’expérience originelle. Bibikhin prend prétexte d’Umberto Eco et de son idée de structure absente pour montrer qu’une fois la notion de structure posée comme forme naturelle de la langue, il s’agit d’aller plus loin et de considérer ce qui se tient derrière cette forme stable. 13 Les structures désignent toujours quelque chose de plus primaire, ainsi derrière la structuration apparente se tiennent certaines entités métaphysiques : le couple être/non être, le monde, la vérité (istina), etc. Bibikhin pose ainsi la thèse suivante qu’il emprunte en partie à Eco, que toute enquête conséquente sur la structure ne peut que conduire à la mort de l’idée même de structure. C’est lorsque la structure disparaît progressivement qu’elle laisse voir en définitive une unité, une consistance. Ce qui est irréductible aux schèmes et au modèle est ainsi digne d’intérêt pour une enquête ontologique de cette envergure. On pourrait ainsi résumer le geste de Bibikhin à la thèse suivante : « la pensée 12 BIBIKHIN 2002. 13 BIBKHIN 2002, 26-27. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 53 ne peut trouver sa place dans les limites d’un système »,14 tel serait le mot d’ordre pour cette philosophie qui veut se débarasser des modèles pour penser l’être de la langue. Mais l’être de la langue possède-t-il son lieu privilégié dans la philosophie ? Il faut revenir au titre de l’ouvrage pour comprendre ce rapport. Le titre « La langue de la philosophie » et les deux termes qui la composent ne doivent pas être séparés, ni placés dans des rapports instrumentaux nous dit Bibikhin dans l’ouverture de son cours. 15 En instrumentalisant, on défait l’union, on fait obstacle à l’apparaître. La philosophie nous dit encore Bibikhin, n’est qu’une manière de « donner un mot à la pensée ».16 La compréhension de cette insolvable équation ne pourra être comprise qu’en étant montrée. Dans le processus de pensée initié dans ce cours quelque chose peut se manifester. Par ailleurs, c’est de l’intérieur que les choses se montrent, jamais dans une approche extérieure (la langue n’est pas un objet de recherche). C’est pourquoi, le philosophe insiste tout au long de son cours sur un motif herméneutique, absent chez Gadamer, celui de l’écoute (vslušivanie). Abandon de volonté, écoute, deviennent les conditions requises pour la philosophie. Ainsi, la philosophie s’adresse à nous, nous révèle à nous-mêmes. Bibikhin le dit autrement : « La langue de la philosophie ce n’est ni un objet, ni un un thème de recherche , c’est ce dans quoi nous voulons entendre attentivement notre langue maternelle, étouffée par le bruit extérieur ».17 Ici on retrouve l’idée que la langue, irréductible au modèle, exprime l’intériorité, l’essence, alors que le bruit extérieur représente la focalisation exclusive sur la forme. La préservation de cette intériorité est constamment menacée par le bruit extérieur qui nous empêche d’entendre. On retrouve le même motif chez Gadamer qui voit sous la pluralité vertigineuse des langues étudiées par la linguistique une « unité du 14 BIBIKHIN 2002, 78. 15 BIBIKHIN 2002, 8. Ce que Losev évoque dans une discussion avec Bibikhin en parlant de reflexivité secondaire dvurefleksivnost’ comme matrice de perte de lien avec l’expérience primordiale, par exemple dans le cas du mot, celle de la nomination, où désigner la chose, c’est la faire exister. BIBIKHIN 2006, 137. 16 BIBKHIN 2002, 8. 17 BIBIKHIN 2002, 11. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 54 Emanuel Landolt penser et du parler »18 qui rend toute tradition écrite compréhensible et par extension une forme d’universalité dans l’expérience herméneutique dont Bibikhin tirera profit pour construire son approche sans céder aux sirènes du nationalisme et du repli. Le motif du silence est introduit comme on l’a vu par Bibikhin pour marquer le fond ontologique qui entoure cette intériorité. Ainsi, de la même manière qu’est critiquée la réduction par la science linguistique des propriétés uniques de la langue, Bibikhin critique également les réductions poétiques et étymologiques qui cherchent dans le mot une sorte d’image primordiale. Bibikhin critique la notion de forme interne du mot telle qu’on la trouve chez Potebnia, pourtant critique du positivisme. Si chaque mot devait contenir un noyau poétique constant, cela n’expliquerait pas l’extrême diversité des occurrences et des variations étymologiques pour un même mot. Dans ce cas il prend l’exemple de stol, dont la pluralité étymologique suffit à discréditer l’idée d’image originaire que suppose la forme interne. 19 Au lieu de cette forme interne, il aborde le problème de l’ontologie du mot sur les traces de Vladimir Losev (1893-1988), théorie selon laquelle le mot est vu comme une émanation énergétique de la chose.20 Le philosophe considère donc cette langue non pas comme un objet, mais comme un élément vivant, autonome, définissant le propre du sujet, qui pourrait dire, ma seule propriété est cette langue. La langue est plus le lieu de la pensée que celui de la conscience (nous ne sommes pas loin de Humboldt et de son idée de « force de l’esprit »), dans le sens où celle-ci se déploie ou témoigne de la présence du monde. Ainsi, la question de l’origine de la structure de son renvoi à la réalité est une question que le structuralisme ne pose pas, et si l’on poursuit la voie de l’ouverture de la structure, on ne peut qu’inévitablement arriver à l’être nous dit encore Bibikhin.21 18 19 20 21 GADAMER 1996, 425. BIBIKHIN 2002, 74-75. OBOLEVICH 2015, 228-236. « Qu’y a-t-il derrière la structure ? Derrière une structure surgira toujours une autre, plus élémentaire […], qui en raison de sa simplicité n’est déjà plus une structure, mais une unité inséparable [je souligne]. » BIBIKHIN 2002, 26. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 55 4. Langue-philosophie-pensée La question de la langue et celle de la philosophie sont exclusivement liées, à tel point que subsiste une indétermination sur ce qui sépare la réflexion spécifique sur la langue de la philosophie de la philosophie du langage en général. C’est dans l’acte de philosopher, dans le questionnement que s’ouvre à nous le langage comme foyer ontologique. En somme, et comme l’avait dit Gadamer avant lui, il n’y a pas d’accès à l’être sans langage, ni d’être qui ne se donnerait sans langage. 22 Ce qui rapproche ainsi Gadamer de Bibikhin c’est que le privilège ontologique du langage s’articule sur la réduction du rôle de la conscience comme intentionnalité, comme perception catégorielle, en ce sens herméneutique se traduit par être langagier au monde. A plusieurs reprises Bibikhin insiste sur la vie du langage comme vie propre. Les langues naturelles ne sont ainsi pas dites naturelles pour rien, il leur est naturel d’être ainsi nous dit Bibikhin.23 La langue naturelle est la langue dés-instrumentalisée, échappant à l’arraisonnement de la technique dirait Heidegger. C’est là où Bibikhin fait de son hyperréalisme linguistique un naturalisme où toute tentative d’action humaine sur le langage devient arraisonnement, dénaturation : « Le signe grâce à la naturalité (estestvennost') de son sens échappe à la volonté ».24 Cela même dans le système de termes le plus strict. Bibikhin prend l’exemple de la transformation historique du sens de certains mots, ou de l’abandon de certains. Le mot Russie par exemple, abandonné après la Révolution poursuit pourtant son histoire propre accompagné de l’essence qui le détermine. Bibikhin distingue ainsi une sorte de signification réelle, intrinsèque, préservée des évolutions imposées idéologiquement.25 Tout comme la pensée persiste et perdure sous le régime et les conditions de la dictature, la pensée, le langage conservent leur sens. 22 23 24 25 GRONDIN 2004, 350. BIBIKHIN 2002, 61. BIBIKHIN 2002, 77. Ici Bibikhin reprend de manière cavalière l’idée de Sprachform de Humboldt. Humboldt essayait avec cette notion de cerner « avec le plus de précision possible ce qui est le plus insaisissable dans un idiome, sa singularité, qu’il faut apprendre à détacher de l’usage pragmatique de la langue. » DILBERMAN 2006, 163-164. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 56 Emanuel Landolt Les déterminations faites autour de la langue de la philosophie ne sont pas détachables de la question des rapports indissolubles liant langue et pensée. Si Gadamer parle de l’unité entre compréhension et interprétation, ou de la fusion entre le processus de compréhension et sa mise en langage, Bibkhin va reprendre cette idée à son compte en insistant plus fortement que Gadamer sur l’événement du monde, sur ce qui advient., alors que Gadamer part de la compréhension comme événement dans le rapport au texte et à l’œuvre. Ce léger décalage indique l’importance donnée par Bibikhin à la naturalité de cette expérience, qui se résume sous cette tautologie, le monde se montre à nous dans le langage tel qu’il est. La possibilité même de la pensée est liée à la possibilité de la langue. Cette idée trouvera bien entendu un écho favorable chez Bibikhin. Si la philosophie possède cette capacité d’ouvrir la question de l’être et de s’adresser ainsi à ce qui fait notre essence humaine, elle ne peut le faire qu’avec l’aide et la médiation du langage compris dans son sens élargi. Ainsi, réside au cœur du projet de Bibikhin de faire entendre la philosophie comme langue à part entière. Cette langue est essentiellement intérieure, il s’agit de celle de la pensée. Mais l’ouverture de cette pensée demande comme on l’a vu l’exercice d’une certaine écoute. Elle intervient ici pour appuyer l’idée que cette langue de la philosophie n’est pas un objet ou un sujet d’investigation, mais ce dans quoi nous pourrions entendre à nouveau correctement, une sorte de langue claire, qui ne serait pas celle de la science mais celle, pour le dire avec emphase, de l’expérience existentielle de la compréhension. La correction de l’écoute manifeste en quelque sorte ce commencement intérieur et l’extension donné au sens de mot comme idéalité de la pensée. Dans le cadre ontologique bibikhinien, le mot affirme toujours son autonomie et sa souveraineté hors du cadre interprétatif, c’est le sujet qui s’abandonne à son autorité.26 A la donation d’un il y a succède l’abandon de soi à la présence du mot ou de l’autre (ici Bibikhin s’appuie sur la question de l’incarnation). Gadamer insiste dans son texte sur son inscription dans la filiation de Humboldt et Herder, comme Bibikhin, en expliquant toutefois qu’il part 26 BIBIKHIN 2002, 104. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 57 La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin dans la direction inverse de ceux-ci, non pas de la diversité vers l’unité, mais de l’unité du phénomène du comprendre vers la pluralité des expériences langagières : « Ce n’est que parce qu’ils ont rompu avec les préjugés conventionnalistes de la théologie et du rationalisme que Herder et Humboldt ont appris à voir dans les langues des conceptions du monde ».27 Si l’on ne s’arrête comme le dit Gadamer qu’à la langue comme forme, il ne reste que miettes pour une compréhension de l’herméneutique de la langue comme opération vivante, je cite ici Gadamer : Le langage qui vit dans le parler, celui qui embrasse toute compréhension, y compris celle de l’interprète des textes, fait tellement partie de l’opération de la pensée, ou plus précisément, de l’interprétation, qu’il nous resterait très peu de choses en main si nous voulions faire abstraction de ce que les langues nous transmettent en fait de contenu et ne penser la langue qu’en tant que forme.28 Gadamer et Bibikhin sont ici complètement proches. A la critique de l’abstraction et de l’idéalisme, ils répondent par l’idée d’une philosophie ou plutôt d’une pensée qui s’abreuverait à la source du langage, celle de son incription dans un milieu vivant, de sa conduite de l’expérience du monde. 5. L’événement du monde Si la langue occupe une place si importante dans l’ontologie construite par Bibikhin, elle n’en est pas pour autant reine en son royaume, mais un organe qui trouve son existence réelle dans le monde. Afin de caractériser ce qui est propre à l’existence humaine (le Dasein), Heidegger a ainsi développé la catégorie générale de monde afin de mieux comprendre la place spécifique que l’homme occupe, précisément celle d’être-au-monde. 27 GADAMER 1996, 425. 28 GADAMER 1996, 417. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 58 Emanuel Landolt Heidegger a bien montré dans le §14 à §18 de « Être et temps » que le monde (ce qu’il appelle la « Weltlichkeit der Welt ») n’est pas seulement le milieu vivant et naturel dans lequel je me trouve mais l’ouverture sur laquelle l’existence comme possibilité se réalise. C’est parce qu’ex-sister signifie se tenir hors de soi, qu’une ouverture au monde vise l’être. En ce sens le monde est axial et toujours transcendant. Cette problématique est reprise par Gadamer qui présente l’expérience herméneutique comme expérience générale du monde, dont la constitution est toujours langagière. Si l’individu a un monde, il s’y rapporte d’une certaine manière non pas comme à un environnement (Umwelt) mais comme à un monde : « S’élever au-dessus de l’affluence de ce qui se présente, venant du monde, cela veut dire avoir un monde et avoir une langue ».29 Il ajoute encore : « La perfectibilité indéfinie de l’expérience humaine du monde signifie au contraire que – quelle que soit la langue dans laquelle on se meut – on n’atteint jamais autre chose qu’un aspect toujours plus ample, une vision du monde ».30 La particularité de cette constitution langagière, c’est qu’elle contient toujours virtuellement toutes les autres constitutions possible de ce même monde offrant ainsi une possiblité de compréhension (un comprendre dit Heidegger) offerte à tous d’élargir son monde à un autre, rendant l’herméneutique universelle. Cette problématique du monde occupe également une place essentielle dans les cours de Bibikhin. Dans la partie de son cours consacrée aux traits de la pensée, il explique que les visées de la conscience sont toujours secondaires (il compare les prétentions de la conscience à un traducteur qui revendiquerait la paternité du texte qu’il traduit) alors que l’événement du monde et des choses sont toujours premiers. La phénoménologie du philosophe russe montre que dans le phénomène ce sont les choses qui se donnent d’abord (le phainestai), avant d’être perçue. Par ce geste, Bibikhin radicalise encore un peu plus sa démarcation de l’herméneutique gadamérienne en orientant ses recherches plutôt du côté du phénomène comme donation tel qu’on le trouve dans la relecture husserlienne de Jean-Luc Marion (qui n’était pas encore traduit à l’époque). Le monde devient un « événement », une entité vivante qui 29 GADAMER 1996, 468. 30 GADAMER 1996, 471. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 59 La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin possède son sens (on retrouve le thème de Marion de l’autonomie de la signification) avant toute activité de la conscience.31 Ce monde nous est toujours co-présent. Bibikhin dépeint ainsi un sujet restreint dont la nécessité métaphysique est celle du monde. Mais que reste-t-il du langage si en définitive l’événement du monde constitue le phénomène originaire dans lequel l’essence humaine se réalise ? Le langage, nous dit Bibikhin participe à cet événement du monde au sens où il se réfère à celui-ci, tout le langage est ainsi « le signe du monde dans son entier ».32 Si cette référence s’observe comme un lien univoque chez Bibikhin (le langage révèle la structure du monde), celui-ci au contraire se réalise dans l’expérience herméneutique fertile du préjugé, tel que Gadamer l’a convoqué à propos du cercle herméneutique. Ainsi toute compréhension, de nature langagière prend place dans un monde, toujours déjà là. Cette catégorie apparaît comme le dernier événement que le langage dans son ensemble fait advenir. Ce que signifie advenir, le philosophe l’explique par le terme razbivka, qui signifie disposition, espacement. Le langage en ce sens rend présent le monde en laissant transparaître sa structure, tout comme le jardin révèle la nature nous dit Bibikhin. Rien et personne hormis nous n’empêche la langue d’être le monde dans sa vérité, au sens où l’essence du monde qui n’est pas visible dans le monde tout comme le jardin n’est pas visible dans le désert nu, peut être présent dans l’ouverture langagière du monde. On n’attend plus que nous. La présence du monde dans la langue exige l’homme.33 La responsabilité existentielle de donner mot au monde fait porter une exigence morale à l’homme et la consistance de cette éthique dépend de la langue. Le philosophe russe persiste dans ce réalisme où cette triade homme-langage-monde, semble porteuse de nombreuses promesses, celle d’un homme qui ne ferait pas obstacle à l’avènement de la vérité du monde dans le langage. Ici se manifeste à nouveau la fonction importante 31 BIBIKHIN 2002, 86. 32 BIBIKHIN 2002, 93. 33 BIBIKHIN 2002, 96. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 60 Emanuel Landolt du langage comme présence du monde, laissant parfois le lecteur insatisfait tant cette hypernaturalisation laisse suggérer qu’il n’y a au fond plus de différence entre le langage et le monde et que l’homme ne joue que le rôle secondaire de faire advenir cette épiphanie mystique. Ainsi, plus l’enquête sur le langage avance, plus la présence du langage semble s’effacer ne laissant derrière lui que cette présence simple du monde, ou ne révélant que la présence du monde. 6. Conclusion Dans une période d’incertitudes comme celle qui succède à la chute de l’Urss, la question de la langue et de ses possibles est au cœur du processus de re-construction de la philosophie. Le philosophe russe par sa réflexion sur la langue cherche à redonner la parole à la philosophie en quelque sorte. En s’inscrivant dans l’herméneutique, Bibikhin élargit les visées de la philosophie à autre chose que l’éveil de la conscience nationale, alors que la tentation était grande à cette époque de revenir à une définition étroite de la philosophie comme fidélité à la tradition. D’autre part, l’herméneutique gadamérienne apparaît comme un outil préférable à la linguistique structurale. Les prétentions de Bibikhin, tout comme celles de Gadamer sont par ailleurs universelles. Les deux font toutefois la part belle à une vision pessimiste quant à l’évolution de la langue. En effet, les deux philosophes en sont persuadés, il existe un développement négatif de la langue, une sorte de nivellement par le bas (ils partagent ainsi le souci de Heidegger lui-même à propos du Gestell) qui passe par « la dévalorisation instrumentaliste de la langue à l’époque moderne ».34 D’autre part, leur filiation commune qui est celle de Humboldt, puis plus tard la philosophie de Potebnia pour Bibikhin, les conduit à la recherche du lieu « introuvable » de ce qui fait l’unité de la langue, non pas dans une lecture centrée sur les spécificités nationales, mais dans un souci ontologique, dans un rejet commun d’une vision de la langue uniquement comme forme. Toutefois, en réaffirmant constamment l’indépendance du réel (la 34 GADAMER 1996, 426. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 61 langue, le mot, le monde, l’événement) par rapport aux visées de la conscience, la philosophie de Bibikhin fétichise la langue jusqu’à laisser son lecteur devant des résultats tautologiques. La visée métaphysique du phénoménologue russe fait curieusement écho aux critiques adressées par le réalisme spéculatif contre le modèle corrélationiste de la phénoménologie. C’est au nom d’un pathos du réel, que sont invalidés à la fois les modèles linguistiques structuralistes, mais également certains présupposés phénoménologiques comme la question de l’interprétation préalable du monde. On retrouve ici une expérience qui rejoint la phénoménologie de la donation de Jean-Luc Marion. Instruisant le dépassement des apories de la phénoménologie husserlienne par une troisième réduction, Marion désigne la donation comme principe de tout phénomène. Les phénomènes se donnent toujours en premier (avant toute intentionnalité ou saisie intuitionnelle) « d’eux-mêmes et à partir d’eux-mêmes ».35 C’est toute la stratégie de Bibikhin qui s’éclaire ici, sans pour autant qu’il invoque le terme de donation, puisque tout semble converger vers un dévoilement originaire, celui du monde. La langue ouvre le monde plus qu’elle ne l’interprète. En renonçant à la question du préjugé, des anticipations, Bibikhin réduit le rôle du sujet comme projet, vraisemblablement par effet de fascination devant ces nouveaux golems que sont la langue et le monde. D’autre part, il devient impossible pour lui de penser ce qui fait la spécificité du cercle herméneutique, ce « renouvellement incessant de la projection, constitutif du mouvement du sens dans la compréhension et interprétation… ».36 Fixer les choses mêmes ne veut pas dire laisser advenir sans conflit ni approches contradictoires, et c’est précisément pour conserver son portrait irénique d’une langue pure que Bibikhin se garde de penser la question du conflit d’interprétation et du mouvement d’ajustement qu’exige précisément la constitution langagière du sens. Là où Gadamer comprend la langue comme indissoluble de la question de la compréhension et de l’inteprétation, Bibikhin lui se concentre plus dans la tradition humboldtiano-potebnienne sur la question de l’intériorité du sens. Le projet de Bibikhin malgré ses excès métaphysiques, reste un projet de 35 MARION 1997, 33. 36 GADAMER 1996, 288. Metodo Vol. 4, n. 2 (2016) 62 Emanuel Landolt transmission d’une certaine tradition doublé d’un souci de traducteur et de philologue soucieux d’un horizon herméneutique commun à la diversité des langues et des savoirs. References BIBIKHIN, V.V. 2002. Jazyk filosofii [La langue de la philosophie], Jazyk slavianskoj kul’tury [2e éd.], Moscou. — 2003 Drugoe načalo, Nauka, Saint-Petersbourg. — 2005. Wittgenštein. Smena aspekta, izdatel’stvo Institut filosofii, teologii i istorii sv. FOMY, Moscou. — 2006. Aleksej Fedorovič Losev, Sergej Sergeevič Averincev, izdatel’stvo Institut filosofii, teologii i istorii sv. FOMY, Moscou. — 2008. Vnutrennaja forma slova, Nauka, Saint-Petersbourg. BIBIKHIN, V.V., GAČEV, G.D., PRIGOV, K.C., SEMENOVA, S.G. 2009. Dnevnik sovremennogo filosofa, MGIU, Moscou. DILBERMANN, H. 2006. « Wilhelm Von Humboldt et l'invention de la forme de la langue » in Revue philosophique de la France et de l'étranger 2 (Tome 131), pp. 163-191. GADAMER, H-G. 1996. 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