La langue dans le cours de Vladimir Bibikhin 47
philosophique aux accents heideggériens, il a incarné une révolution pour
l’époque, laissant derrière lui de nombreux disciples. Brouillant
volontairement les frontières entre son objet et sa méthode, il a tenté de
manière originale de faire entendre et d’affirmer une langue.
Nous allons examiner ici le cours de Vladimir Bibikhin de 1989 « La
langue de la philosophie » (Jazyk filosofii) consacré aux grands thèmes de
l’herméneutique et de la philosophie du langage. Comme « objet
d’étude » privilégié, la langue se décline dans la première partie de ce
cours (partie I et II) sous des formes aussi différentes que les rapport entre
langue et pensée, langue et monde, ou encore langue et philosophie. Ces
différents questionnements s’inscrivent à l’évidence dans deux lignées
différentes : d’une part une philosophie du langage qui part de Byzance
avec Grégoire de Palamas pour arriver sur les rivages russes au début du
XXème siècle avec Florenskij puis Vladimir Losev, celle-ci est centrée autour
de la priorité absolue donnée au sens et à l’expression sur les faits
linguistiques ; d’autre part, la tradition herméneutique et
phénoménologique de Heidegger, jusqu’à Gadamer qui substituent à
cette priorité du sens, celle de l’événement de la compréhension. Nous
allons voir comment Bibikhin construit son ontologie de la langue en
faisant se joindre ces deux traditions a priori inconciliables, tout en se
rapprochant imperceptiblement de tentatives plus contemporaines,
« réalistes » celles-ci de penser les phénomènes (la langue, le monde)
indépendamment de l’appareil traditionnel de la conscience et du sujet.
Nous pensons ici à la phénoménologie de la donation de Marion dont la
proximité donne une couleur originale à la philosophie de Bibikhin. C’est
au cœur de ce tiraillement que s’exprime dans toute sa complexité une
certaine image langagière du monde. En dévoilant pas à pas ces dif-
férentes dimensions, le philosophe cherche à démontrer l’importance
d’une réflexion sur la langue comme préalable à la constitution d’une
philosophie, non pas à la manière du Cercle de Vienne et de son
positivisme logique, mais plutôt autour d’une visée herméneutique
fondamentale, celle de la description d’une expérience de vérité dans la
langue et la pensée.
Metodo Vol. 4, n. 2 (2016)