phénomène des mondes, varie de façon décisive en fonction de ce regard même. Le phénomène du
monde ne peut se constituer identiquement au regard des yeux de chair et au regard des yeux de
feu.
Qu'il soit entendu que la gnose, la gnôsis, se caractérise comme étant la connaissance salvifique,
rédemptrice, sotério-logique, parce qu'elle a la vertu d'opérer la métamorphose, la mutation
intérieure de l'homme. Le monde qui est l'objet de cette connaissance implique dans son propre
schéma le rôle et la fonction de cette connaissance elle-même. L'aspect dramatique de la
cosmogonie dont l'âme humaine est elle-même un protagoniste, est en effet le drame même de la
gnôsîs : la chute hors du monde de Lumière, l'exil et le combat dans le monde de l'aveuglement et
de l'ignorance, la triomphale rédemption finale.
C'est pourquoi l'on reste frappé de stupeur, lorsque de nos jours, des historiens ou des philosophes
réputés sérieux par ailleurs se font de la gnose une idée qui est peut-être de seconde ou de
troisième main, mais qui est précisément tout le contraire de la gnose. Nous avons entendu émettre
cette opinion que l'idéologie est par rapport à la science moderne, ce que la gnose est par rapport
à la foi religieuse. Cette analogie de rapports est complètement fausse, pour la première raison
que la laïcisation de la foi religieuse, ce n'est pas la science moderne, mais précisément
l'idéologie. La gnose n'a rien à y voir; elle eût précisément évité cette laïcisation. Elle n'est pas
une dogmatique, mais une symbolique. On est même allé jusqu'à faire d'un idéologue et dirigeant
politique aujour-d'hui disparu, quelque chose comme un gnostique, sous prétexte que, si le
croyant sait qu'il croit, l'idéologue croit qu'il sait. Sophisme encore, car le mot « croire » n'est pas
employé chaque fois dans le même sens, et, soyons-en sûrs, l'idéologue ne croit pas savoir, il sait
qu'il sait.
Ce sont ces confusions catastrophiques qui conduisent à dire, par exemple, que la gnose prétend
donner une « connaissance positive » des mystères, et que cette connaissance serait en
contradiction avec la foi. Loin de là! La gnose et sa théosophie n'ont rien de commun avec ce que
l'on entend de nos jours par « connaissance positive ». Mais un symptôme irritant de ces
confusions impertinentes est l'emploi que l'on fait à tort et à travers, de nos jours, du mot
«manichéisme», quand il s'agit simplement de dualité et de dualisme, comme si tout dualisme
n'était qu'une laïcisation du manichéisme, alors que ni la religion ni la gnose manichéenne n'ont
rien à y voir. Tout se passe comme Si l'ignorance et un ressentiment anti-gnostique, tacite et
inexpliqué, s'appliquaient à franchir les limites de l'absurde.
Puisque nous allons parler de gnose au cours de ces journées d'études, ces mises on garde
s'imposent d'emblée. il m'apparaît que toutes ces pseudo-critiques se méprennent, simplement et
absolument, sur le sens du mot gnose. Elles l'identifient avec le savoir tout court, et elles
l'opposent au croire. Or précisément, nous venons de le rappeler, à la différence de tout autre
savoir ou connaissance, la gnose est une connaissance salvifique. Parler de la gnose comme d'un
savoir théorique est une contradiction dans les termes. Ii faut donc admettre qu'à la différence de
tout autre savoir ou connaissance théorique, la gnose est une connaissance qui change et