Performance diagnostique de la radiographie de thorax double énergie par rapport à la radiographie simple V Bricot, O Delval, F Saccardy, S Velasco, M Bihan, F Staub, C Prevost, JP Tasu INTRODUCTION Rappels sur la radiographie pulmonaire - méthode d’imagerie simple - outil indispensable de la pratique clinique quotidienne - la radiographie numérisée constitue une des évolutions majeures de la radiographie conventionnelle - la numérisation des radiographies a ouvert de nouvelles perspectives dans le traitement de l’image comme la possibilité de soustraire des images RAPPELS SUR LA TECHNIQUE DOUBLE ENERGIE - La technique de double énergie est basée sur la soustraction réciproque de deux radiographies exposées à haute et basse énergie - L’ énergie dont il est question correspond à celle des photons X employés - Il s’agit en fait d’une énergie moyenne car les tubes à rayons X ne peuvent fournir un rayonnement mono-énergétique QUELS INTERETS ? Elle permet d’obtenir, par un traitement algorithmique, deux radiographies soustraites 1. - Une radiographie « os » où le contraste des tissus mous est nettement diminué et le contraste des éléments anatomiques calcifiés est « rehaussé » 2.- Une radiographie « tissu mou » où le contraste des tissus calcifiés est presque totalement effacé laissant apparaître les parties molles LA TECHNIQUE DOUBLE ENERGIE SOUSTRACTION Radiographie basse énergie “Os” Traitement Tissus “mous” Traitement Standard “os” Soustraction Images brutes Radiographie haute énergie Traitement “Tissus mous” LA TECHNIQUE DOUBLE ENERGIE LES IMAGES OBTENUES Radio standard haute énergie Image tissu mou (soustraction) Image os (soustraction) Sur quelle base physique repose cette soustraction ? LA TECHNIQUE DOUBLE ENERGIE BASE PHYSIQUE La radiographie double énergie exploite la variation du coefficient d’atténuation µ en fonction de l’énergie du rayonnement X utilisé - le coefficient d’atténuation µ est une caractéristique du tissu traversé - plus le tissu est composé d’élément de numéro atomique (Z) élevé et plus ce coefficient est élevé - ce coefficient est variable en fonction de l’énergie du rayonnement et d’autant plus que le milieu traversé présente un Z moyen élevé Os Tissu mou Os Tissu mou Basse énergie Haute énergie Coefficient d’atténuation en fonction de l’énergie du faisceau incident L’os et les tissus mous ayant un Z différent, ont une atténuation différente, cette différence étant plus importante si l’énergie incidente est faible (zone entourée en vert)) HISTORIQUE DE LA DOUBLE ENERGIE La première technique a été celle de la simple exposition : un filtre était utilisé pour arrêter le rayonnement de basse énergie ce qui permettait d’obtenir deux images, une haute énergie et une basse. Cette technique réduisait le signal (en raison du filtre) de l’image haute énergie, à irradiation équivalente. RAYON X RADIOGRAPHIE BASSE ENERGIE FILTRE RADIOGRAPHIE HAUTE ENERGIE HISTORIQUE DE LA DOUBLE ENERGIE LA TECHNIQUE DOUBLE ENERGIE DOUBLE EXPOSITION La technique double énergie double exposition consiste à réaliser deux expositions successives, une à haute énergie et une à basse énergie. L’intérêt de cette méthode est de conserver un rapport signal bruit optimal et d’obtenir une meilleure séparation énergétique des deux faisceaux. Le problème principal est de limiter les artéfacts de mouvements entre les deux expositions en réduisant la latence inter-exposition. X BASSE TENSION 60 KV X HAUTE TENSION 120 KV RADIOGRAPHIE BASSE ENERGIE RADIOGRAPHIE HAUTE ENERGIE DETECTEUR Sabol JM et al. Proc SPIE 2001 Exposition haute énergie haut kV Illustration du spectre énergétique obtenu avec la technique simple et double exposition. Elle met en évidence l’amélioration de la séparation énergétique par la technique double exposition permettant une meilleure soustraction. QUELS BENEFICES ATTENDRENT DE LA DOUBLE ENERGIE? L’obtention d’un cliché partie molle et d’un cliché os devrait permettre de mieux analyser chacun de ces éléments séparément. Il existe quelques études qui montrent des résultats en faveur de l’utilisation de cette technique par rapport à la technique standard. - une amélioration de le performance diagnostique de détection des nodules pulmonaires en général et une caractérisation plus aisée de la charge calcique des nodules pulmonaires ( Fraser RG Radiology 1986) - une amélioration de la performance diagnostique de détection des lésions thoraciques calcifiées en général ( médiastinales, pleurales, nodules pulmonaires calcifiés) (Fischbach F et al. AJR 2003) - une amélioration de la performance diagnostique de détection des nodules pulmonaires non calcifiés (Ricke J et al. Eur Radiol 2003) QUELS BENEFICES ATTENDRENT DE LA DOUBLE ENERGIE? Néanmoins, cette technique a été peu analysée de façon globale, sans sélection a priori des cas où elle serait intéressante (nodule pulmonaire, calcification..) Ainsi, aucune étude portant sur l’analyse d’autres anomalies que les nodules pulmonaires et des lésions thoraciques calcifiées n’est publiée. Notre objectif est donc d’évaluer l’apport de la technique de double énergie dans la détection de l’ensemble des anomalies pouvant être décrites sur une radiographie pulmonaire en incidence de face . MATERIELS ET METHODES • Étude prospective, mono-centrique, incluant des patients volontaires, sélectionnable s’il avaient bénéficié d’un scanner thoracique le jour même. • Critères d’inclusion : - patient adulte - consentement du patient • Critères d’exclusion - patient mineur -grossesse - patient ne pouvant supporter ou présentant une contreindication à la verticalisation MATERIEL ET METHODES Technique de la radiographie double énergie : - Réalisée dans les deux heures suivants le scanner thoracique - radiographie pulmonaire double énergie de face en incidence postéro antérieure avec la technique de la double exposition - détecteur : capteur plan silicium /CsI ( Revolution XQ/i, General Electric Health Care, USA) MATERIEL ET METHODES Lecture des radiographies radiographie pulmonaire standard Fiche de lecture Lecture première Radiographie standard Fiche de lecture + radiographies soustraites Deuxième lecture Lecture en consensus (JPT, OD, VB) MATERIEL ET METHODES FICHE DE LECTURE Pour chaque lecture, les anomalies étaient regroupées en classe selon les items suivants : - Nodule - Anomalie pleurale - Anomalie bronchique - Anomalie interstitielle - Anomalie du cadre osseux - Anomalie médiastinale - Autres anomalies A chaque anomalie décrite, un indice de confiance a été donné compris entre 1 et 4 ( peu probable, possible, probable, sûr) MATERIEL ET METHODES RELECTURE AVEC L’EXAMEN DE REFERENCE En cas d’interprétation discordante entre la radiographie standard et la radiographie avec images soustraites, les images ont été comparées avec la technique de référence (le scanner thoracique) - La relecture des scanners a été faite en consensus des trois lecteurs radiologues (JPT, OV, VB) - Les anomalies ont été classées en FP (faux positifs) ou VP (vrais positifs) MATERIEL ET METHODES ANALYSE STATISTIQUE • Analyse descriptive - population - anomalie (s) • Analyse comparative - du nombre de VP et FP pour chaque type d’anomalie par test Khi2. - de l’indice de confiance pour chaque type d’anomalie par T-test. RESULTAT ANALYSE DESCRIPTIVE : POPULATION • 97 patients inclus • âge moyen : 64 ans • 69 hommes et 28 femmes ( sex ratio H/F = 2,5) • âges extrêmes : 32 – 94 ans RESULTAT ANALYSE DESCRIPTIVE : LECTURE DES RADIOGRAPHIES • 97 cas au total • 56 cas de lecture concordante, radiographie standard, radiographie double énergie (14 radiographies interprétées comme normales) • 41 cas où l’interprétation de la radiographie standard étaient discordantes avec la radiographie double énergie. Dont un cas de radiographie standard normale interprétée pathologique avec la double énergie RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : NODULE • 11 VP et 4 FP en faveur de la double énergie mais sans différence significative du nombre de nodules détectés (p=0,2796) • Augmentation significative des indices de confiance pour l’ensemble des nodules (+ 0,4 en moyenne, p=0,0028) sauf pour : - nodules non calcifiés (p=0.06) - nodules situés en superposition osseuse (p=0,06) - on note toutefois une tendance à la significativité pour ces deux derniers cas (p ≅ 0,05) RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : NODULE • augmentation significative de l’indice de confiance pour l’ensemble des nodules VP (+ 0,9 p<0,0001) • pas de différence significative d’indice de confiance moyen pour l’ensemble des nodules FP mais une tendance à la diminution ( -0,3 p= 0,063 ≅ 0,05) RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : ANOMALIE PLEURALE • 2 VP en faveur de la technique double énergie et 1 FP en défaveur de la technique double énergie • absence de différence significative du nombre de VP et FP (p= 0,42) • absence de différence significative des indices de confiance (p= 0,13) RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : ANOMALIE MEDIASTINALE • 3 VP supplémentaires en faveur de la double énergie • absence de différence significative du nombre de VP et FP (p=0,42) • absence de différence significative des indices de confiance (p=0,096) RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : ANOMALIE OSSEUSE • 5 VP supplémentaires en faveur de la double énergie • absence de différence significative du nombre de VP et FP (p=0,2951) • absence de différence significative des indices de confiance (p=0,1176) mais tendance à l’augmentation d’environ +0,8 en moyenne RESULTAT ANALYSE COMPARATIVE : AUTRES ANOMALIES Anomalies bronchiques, interstitielles • Absence de paire radiographique discordante ILLUSTRATIONS CAS 1 Nodule pulmonaire et ganglion hilaire calcifié . La radiographie soustraite « os » a permis de bien mettre en évidence la charge calcique et de visualiser un ganglion calcifié supplémentaire (flèche rouge) CAS 1 CONTRÔLE TDM CAS 2 La lésion calcifiée a seulement été détectée sur la radiographie soustraite « os » mais visible a posteriori sur la radiographie standard et interprétée comme un nodule calcifié. CAS 2 CONTRÔLE TDM Il s’agissait en fait d’une plaque pleurale calcifiée. La double énergie a donc amélioré la sensibilité de cette radiographie pour détecter une anomalie calcifiée mais reste moins puissante que la tomodensitométrie, comme toute technique d’imagerie en projection. CAS 3 Un nodule est détecté en projection costale, mais la soustraction « tisssu mou » ne met pas en évidence de nodule au même emplacement. La soustraction « os » montre plutôt une condensation osseuse faisant reclasser cette lésion initialement considérée comme « nodule » en « anomalie costale calcifiée» CAS 3 CONTRÔLE TDM Le scanner confirme l’existence d’une condensation costale focale CAS 4 Dans le cas suivant, le nodule visualisé en projection basi-thoracique droite avec la soustraction « tissu mou » n’a pas été détecté en première lecture avec la radiographie standard, vraisemblablement à cause des multiples superpositions. CAS 4 CONTRÔLE TDM Le scanner confirme la présence du nodule et caractérise mieux la lésion en mettant en évidence une plage de « verre dépoli » périphérique CAS 5 Cette masse pulmonaire apicale droite est bien entendu détectée par la radiographie pulmonaire sans soustraction mais la soustraction « tissu mou » en effacant les superpositions osseuses, nombreuses dans cette région anatomique , permet de mieux délimiter cette lésion. CAS 6 Multiples lésions osseuses condensantes secondaires . Les flèches rouges montrent des lésions condensantes passées inaperçues sur la radiographie standard et plus évidente par la soustraction « os ». CAS 6 CONTRÔLE TDM Le scanner confirme la présence des lésions osseuses condensantes. CAS 7 Lésion costale lytique suspectée sur la radiographie et paraissant évidente avec la soustraction « os » ( amélioration de la confiance diagnostique) CAS 7 CONTRÔLE TDM Le scanner retrouve une lyse de l’arc antérieur de la deuxième cote gauche, d’allure tumorale. CAS 8 Elargissement du médiastin antéro-supérieur avec déviation trachéale et calcification du bouton aortique. La soustraction « os » retrouve une calcification médiastinale supplémentaire. CAS 8 CONTRÔLE TDM Le scanner confirme un processus tumoral du médiastin supérieur comportant la calfication détectée sur la radiographie soustraite DISCUSSION RESULTATS PRINCIPAUX • Augmentation du nombre d’anomalies nodulaires, pleurales, osseuses, détectées avec les radiographies soustraites double énergie dans notre étude. Aucune différence détectée pour les anomalies interstitielles et d’origine bronchique • Pas d’augmentation du nombre de faux positifs ( sauf pour une anomalie pleurale mais de façon non significative) • Augmentation significative de la confiance diagnostique dans la détection des nodules de façon globale ainsi que pour les sous-groupes nodules calcifiés. • Augmentation moyenne de l’indice de confiance des anomalies osseuses de + 0,8 toutefois non significative statistiquement DISCUSSION LIMITES DE L’ÉTUDE • Biais de recrutement des patients volontaires qui viennent passer un scanner dans le service ( privilégiant les patients « oncologiques ») • Effectifs par pathologie insuffisant • Seuls les cas où il y avait discordance de lecture entre la radiographie pulmonaire seule et avec adjonction des radiographies soustraites ont été contrôlées par TDM • Lecture non indépendante des radiographies soustraites par rapport à la radiographie pulmonaire conventionnelle. Néanmoins, la lecture séparée des image soustraites parait artificielle puisque ces images sont de toute façon délivrées avec le cliché standard DISCUSSION Augmentation de la dose reçue par le patient - Dans les deux études récentes évaluant la performance diagnostique de la soustraction double énergie sur capteur plan, l’exposition était doublée de 110 à 220 µGy pour une radiographie pulmonaire de face postéro-antérieure réalisée avec double énergie double exposition sur capteur plan (J. Ricke et al. , F. Fischbach et al.) - Cette augmentation doit être relativisée par le fait que l’utilisation d’un capteur plan permet de réduire d’environ 50% cette exposition par rapport à une radiographie sur film. Pour les capteurs plans basé sur la technologie silicium/ CsI ,comme celui utilisé dans notre étude, cette diminution de dose est de plus de 50% et n’entraîne pas d’augmentation de dose lors de la réalisation d’une radiographie double énergie comparativement à une radiographie pulmonaire conventionnelle sur film ou sur un autre système numérique d’après F. Fischbach CONCLUSION La radiographie double énergie permet une : - Amélioration de la confiance diagnostique - Amélioration de la caractérisation des lésions thoraciques calcifiées Elle représente une faible augmentation de l’irradiation avec les systèmes de type capteur plan. Elle présente donc à notre avis un intérêt dans la pratique clinique pour les patients nécessitant une radiographie pulmonaire.