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© Julien Dutant – « Pour le problème de Gettier est-il si important ? » 65
Je soutiendrai ici qu’au contraire, le problème de Gettier est si important qu’il
porte en lui une leçon sur la connaissance que peu de branches de la philosophie
peuvent se permettre d’ignorer. En effet, quarante-cinq ans après son apparition, un
consensus est en train d’émerger à propos de la façon dont il doit être résolu, à savoir
que la connaissance est soumise à une condition dite de « sécurité » selon laquelle, en
gros, on ne sait que lorsqu’on n’aurait pas pu facilement se tromper. Pour aussi
anodine qu’elle paraisse, cette condition amène plus largement à concevoir la notion
traditionnelle de raisons en termes de relations de faits plutôt que de relations
d’idées, ou, comme je le dirai ici, en termes « modaux » plutôt qu’ « évidentiels ».
Dans la conception traditionnelle, le fait qu’une pensée soit une raison pour une autre
se lit, pour ainsi dire, sur leurs contenus respectifs ; par exemple, l’une est la pensée
qu’il me semble qu’il pleut, et l’autre la pensée qu’il pleut. Dans la conception
modale, c’est une affaire de relation entre les faits que l’une et l’autre se produisent,
et (le plus souvent) d’autres faits. Par exemple, la pensée qu’il me semble qu’il pleut a
tendance à se produire quand il pleut, et donc quand ma pensée qu’il pleut est vraie, et
ce sont ces faits qui font de la première une raison pour la seconde. Les relations que
ces faits entretiennent sont de type « modal », c’est-à-dire causales, probabilistes ou
de co-occurrence nécessaire, possible ou impossible. La conception modale de la
rationalité qui en découle a des implications pour les domaines les plus divers de la
philosophie ; nous essaierons d’en explorer quelques-unes ici, pour l’épistémologie,
l’éthique et la philosophie de l’action, l’esthétique, et la conception de la philosophie
elle-même, mais elles restent pour l’essentiel à découvrir.
Cette leçon est plus aisée à voir si on replace le problème de Gettier dans une
perspective plus large. C’est pourquoi je prendrai ici pour point de départ une énigme
qui, à ma connaissance, n’a jamais été discutée : pourquoi le problème de Gettier
n’est-il pas apparu plus tôt dans l’histoire de la philosophie ? Cette énigme permet
de situer le problème dans un contexte philosophique plus large que de coutume. Pour
y répondre, j’avancerai l’hypothèse de la chute de l’Ur-fondationnalisme, selon
laquelle les philosophes antérieurs au XXe siècle partageaient largement une même
conception de la connaissance, que j’appelle l’« Ur-fondationnalisme », pour laquelle
le problème de Gettier ne se pose pas, mais qui ne résiste pas au problème de
l’induction de Hume. Elle doit donc être révisée ; mais il y a deux façons de le faire,
qui correspondent à l’« internalisme » et à l’« externalisme » au cœur des débats dans
la philosophie de la connaissance des trente dernières années. La révision
« internaliste » apparaît avec Peirce, Popper, et Chisholm, et c’est pour elle que le
problème de Gettier se pose – et avec elle qu’il apparaît. Mais si, comme un
consensus croissant le suggère, la solution au problème de Gettier en termes de
« sécurité » est la bonne, il faut au contraire adopter la conception « externaliste » de
la connaissance. C’est la première leçon du problème de Gettier. La seconde leçon,
que je présenterai simplement comme plausible, est qu’il faut étendre l’externalisme à