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Comprendre la détresse morale pour pouvoir mieux y faire face - Résu
Sylvie Dorris, inf. bachelière, MA bioéthique
Septembre 2012
Bien que la détresse morale soit vécue par plusieurs infirmières dans différents milieux de
soins, peu d’infirmières et gestionnaires sont familiers avec ce concept et en comprennent
toute l’étendue. Pourtant, la détresse morale peut avoir des impacts négatifs autant sur
l’infirmière que sur les patients et c’est pourquoi il s’avère essentiel de mieux la comprendre
pour pouvoir mieux y faire face. Après avoir effectué une revue intégrative des écrits sur le
sujet dans le cadre de mon travail dirigé pour l’obtention de la Maîtrise en Bioéthique, voici
un court résumé qui j’espère, mettra davantage en lumière cette problématique.
Depuis quelques décennies, notre système de soins de santé ne cesse de se complexifier, avec
d’un côté, les avancées technologiques qui repoussent continuellement les limites des
interventions de soins et d’un autre côté, les contraintes budgétaires et les pénuries de
ressources (surtout humaines) qui elles, imposent des limites diverses. L’écart entre les
idéaux infirmiers et la réalité, suscite toutefois des problèmes éthiques qui influent sur
le moral des infirmières, d’où le terme « détresse morale ».
Définition de la détresse morale
Un des premiers auteurs à parler et à définir la détresse morale chez les infirmières est
Jameton (1984), qui la décrit en ses termes : « La détresse morale apparaît quand on connaît
la bonne action à poser ou la bonne chose à faire, mais que des obstacles, contraintes
institutionnelles ou organisationnelles empêchent d’agir en ce sens ». En 1988, Wilkinson
reprend cette définition en y ajoutant : « (…) la détresse est perçue comme un déséquilibre
psychologique et un sentiment négatif ressenti parce que la personne connaît la bonne
décision morale à poser, mais ne peut la mettre en application. Wilkinson (1988), tient à
rappeler que c’est le système de croyances et de valeurs de l’infirmière, jumelée à
l’évènement en cause, qui provoque la détresse morale. Elle cite en exemple, l’infirmière qui
peut éprouver de la détresse morale si son patient âgé est réanimé, tandis qu’une autre peut en
éprouver s’il ne l’est pas.
En 1993, Jameton bonifie sa définition en ajoutant qu’il existe deux niveaux de détresse
morale, soit la détresse morale initiale et la détresse morale réactive ou réactionnelle. La
détresse réactionnelle apparaîtrait lorsque les stratégies de coping (d’adaptation) n’ont pas été
efficaces et n’ont pu évacuer la détresse morale initiale. Ce serait la détresse morale réactive
ou réactionnelle, qui finirait par causer des dommages ou laisser des traces dans la conscience
des infirmières.
Par la suite, d’autres auteurs ont également développé des instruments pour mesurer la
détresse morale. Ces questionnaires ont permis notamment d’évaluer empiriquement, la
nature, les impacts et les effets de la détresse morale sur les infirmières elles-mêmes et sur
leur pratique.
Les impacts sur l’infirmière
Détresse morale initiale : les auteurs ont relevé des sentiments négatifs ressentis comme de la
frustration, de l’anxiété, de la tristesse, de la colère, de l’impuissance, de la culpabilité, un
déséquilibre psychologique et une atteinte à l’intégrité.
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Détresse morale réactionnelle : si l’infirmière n’a pu se débarrasser de la détresse initiale
ressentie, d’autres manifestations peuvent rejaillir et s’exprimer par des cauchemars, de
l’insomnie, des réactions physiques comme des palpitations, diarrhées, maux de tête, par un
sentiment de dévalorisation, de dépression, d’épuisement professionnel ou burnout,
d’insatisfaction au travail, de changement d’assignation et même de départ de la profession.
Les impacts sur le patient
Lorsque les infirmières sont perturbées par la détresse morale éprouvée, elles peuvent avoir
tendance à limiter et éviter les contacts avec certains patients (par mécanisme de défense),
allant jusqu’à négliger certains de leurs besoins de base. Les communications et les échanges
sont diminués, les informations données aux familles sont moindres et des stratégies
d’évitement peuvent être utilisées.
Les facteurs et causes pouvant provoquer la détresse morale :
Le fait d’assister, de participer ou d’être impliquées:
- au prolongement indu de la vie chez des patients ayant un pauvre pronostic ;
- à des tests et à des traitements douloureux jugés non nécessaires ;
- à des traitements ou des interventions pratiqués avec incompétence ou de façon douteuse;
- dans des situations où il faut cacher ou omettre de dire la vérité aux patients ou à la
famille;
- dans des conflits entre ses valeurs personnelles et les valeurs professionnelles ou
institutionnelles;
- dans différentes formes de déséquilibre de pouvoir, par exemple, lorsque l’infirmière
pense savoir ce qui est le plus bénéfique pour le patient, mais qu’elle ne peut exprimer
son avis à cet effet ou lorsque le médecin ne tient pas compte des observations et
jugement clinique émis par l’infirmière, surtout lorsque l’état du patient se détériore;
- dans les carences ou les déficiences en milieu de travail causant des torts ou des
dommages réels ou potentiels aux patients, comme le manque d’effectifs et des
équipements inadéquats.
St-Arnaud (2009), dans son livre sur l’éthique de la santé et la pratique infirmière, présente
également au chapitre 7, un relevé détaillé et exhaustif des facteurs associés à la détresse
morale des infirmières.
Pistes de solutions
Voici maintenant, un aperçu des recommandations émises par les auteurs, regroupées en trois
catégories :
1- Formation de comités ou actions entreprises pour favoriser les échanges et discussions :
- consulter les comités d’éthique en place ou en former s’il y a lieu, développer des groupes
de discussion interdisciplinaires ou des tables rondes pour discuter de questions éthiques ;
- organiser des séances de « débriefing » (compte-rendu, échanges) d’équipe, suite à
l’expérience de « cas » moralement difficiles, afin d’exprimer rapidement et oralement les
émotions ressenties ;
- organiser des rencontres régulières entre infirmières et médecins pour améliorer la
communication et partager leurs valeurs et leurs croyances mutuelles face à certaines
situations.
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2- Enseignement et formations :
- favoriser la poursuite de la formation continue en matière d’éthique pour les équipes de
soins et pour les gestionnaires ;
- savoir reconnaître les symptômes de la détresse morale et explorer des stratégies de coping
pour s’en défaire ;
- inclure des connaissances sur les théories éthiques et les processus décisionnels pour
résoudre les problèmes d’éthique, dans la formation infirmière.
3- Recommandations aux infirmières-chefs et aux gestionnaires :
- guider les personnes ayant besoin d’aide et de support psychologique vers les ressources
appropriées ;
- mettre en place de nouvelles stratégies de répartition et d’organisation du travail ;
- créer un programme institutionnel pour aider les infirmières à développer leurs habiletés et
leurs stratégies de coping ;
- prioriser la mise en place d’une structure qui permet aux infirmières et aux médecins de se
rencontrer régulièrement afin d’améliorer leurs communications.
Conclusion
Il est important comme infirmière de s’arrêter un moment et de reconnaître que nous devrions
avoir les mêmes devoirs et responsabilités envers nous-mêmes, qu’envers les autres,
notamment en cherchant à préserver notre intégrité. En ne répondant pas avec compassion à
notre propre détresse, cela peut amener une capacité moindre à répondre à la souffrance et à
la détresse d’autrui par la suite. Adopter cette responsabilité professionnelle, constitue le
fondement pour la création de stratégies d’autogestion de la santé mentale et physique.
Mais encore une fois, les contraintes actuelles imposées par les milieux de soins ne doivent
pas et ne peuvent pas reposer, que sur les épaules des infirmières et sur leurs stratégies de
coping. Des contraintes entre autres, comme le temps supplémentaire obligatoire imposé aux
infirmières, doit être dénon encore plus haut et plus fort. Certains employeurs n’hésitent
pas à se servir de l’article 44.3 1 du code de déontologie, pour obliger les infirmières à
effectuer du temps supplémentaire, mais l’infirmière ne peut-elle évoquer, l’article 16 2
1 Code de déontologie des infirmières et infirmiers (2003) 135 G.O. II, 98, art. 44.3
« L’obligation de prendre des moyens raisonnables pour assurer la continuité des soins aux patients dont elle a
la responsabilité. »
, pour
ne pas en effectuer. Malheureusement, cette forme d’injustice et d’inégalité peut contribuer à
la détresse morale des infirmières. Un changement de paradigme s’impose à tout prix et
Langlois et coll. (2009), témoignent également dans ce sens : « Dans un contexte de pénurie
de main-d’œuvre, de vieillissement de la population et de questionnements éthiques justifiés,
une remise en question de l’organisation du travail dans ce secteur apparaît criante. Nos
résultats invitent également à poursuivre un questionnement sur la place accordée aux
infirmières dans le secteur de la santé ».
2 Code de déontologie des infirmières et infirmiers (2003) 135 G.O. II, 98, art. 16 « Le devoir de toute infirmière de
s'abstenir d'exercer sa profession lorsqu'elle est dans un état susceptible de compromettre la qualité des soins et
des services. »
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Bibliographie
Jameton,A. (1984). Nursing practice: The ethical issues. Englewood cliff, N.J.:
Prentice Hall.
Jameton,A. (1993). Dilemmas of moral distress: Moral responsibility and nursing
practice. AWHONNS Clinical Issues Perinatal Women Health Nursing, 4 542-551
Langlois, L., Dupuis, R., Truchon, M., Marcoux, H. & Filion, L. (2009). Les
dilemmes éthiques vécus par les infirmières aux soins intensifs. Éthique publique,
vol. 11 (2), 20-30.
Saint-Arnaud, J. (2009). L’éthique de la santé: Guide pour une intégration de
l’éthique dans les pratiques infirmières. (p.101-121). Gaëtan Morin éditeur.
Chenelière Éducation.
Wilkinson, J.M. (1988). Moral distress in nursing practice: Experience and effect.
Nursing Forum, 23 (1), 16-29.
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