94Neurologies • Mars 2012 • vol. 15 • numéro 146
SAVOIR Y PENSER…
mère qui justement oublie aussi,
sans l’abondance de détails qu’au-
rait marqué le discours d’un sujet
anxieux. On note un récit d’am-
nésie rétrograde dont le caractère
disproportionné et bizarre (oublie
ses enfants et surtout le deuxième)
suggère d’emblée un SCF. L’entre-
tien met en évidence un antécédent
de SSM. Il est impossible en si peu
de temps de connaître la personna-
lité de la patiente. Dans le temps de
la consultation, elle n’est pas indif-
férente (10), théâtrale ou anxieuse ;
tout au plus se qualifie-t-elle de ri-
goureuse dans son travail.
LE RÉSEAU DE SIGNIFIANTS
Il est aisé de repérer la place que la
mère occupe dans le discours. La
mère a disparu puis a été retrou-
vée, en ne voulant rien savoir de
son histoire, la mère avec qui elle
oublie. Mme S. a 2 enfants dont elle
n’a pas de souvenirs, surtout son
deuxième enfant, dont elle était
enceinte lorsqu’elle a retrouvé sa
mère. Elle a servi à 15 ans de pe-
tite maman au père. Le chire 2
scande son discours : 2 plaintes de
mémoire, 2 frères, 2 fils, enceinte
de son deuxième fils, 2 ans de talal-
gies. Aide-soignante (figure mater-
nelle), elle est reclassée de nuit, ce
qui lui permet de soigner la journée
sa mère. Elle va jusqu’à “épouser”
les symptômes de sa mère : jambes
et pieds horribles. De plus, Mme
S. demande des explications sur la
mémoire de sa mère alors qu’elle
consulte pour sa propre mémoire.
Tous ces éléments suggèrent une
identification imaginaire. Le même
adjectif “horrible” est utilisé pour
qualifier les ulcères variqueux de sa
mère et ses talalgies.
UNE PROPOSITION
D’INTERPRÉTATION
Dans le discours, nous notons la
place du départ (la confusion des
rôles), l’impossibilité d’envisager
tout ce qui pourrait l’écarter une
deuxième fois de sa mère : s’envisa-
ger à son tour comme mère (symbo-
liquement elle oublie les souvenirs
des enfants), avoir un compagnon
(elle est « tout à fait seule depuis
13 ans» précisera-t-elle), exercer un
travail de jour (est reclassée la nuit),
et au point d’avoir pendant 2 ans un
symptôme qui limite les déplace-
ments et la maintient donc auprès
de sa mère. La seule résolution pos-
sible de la diculté psychologique
semble être la fusion. Encore pe-
tite fille dévouée à sa maman, il est
possible qu’elle puisse ainsi vouloir
oublier cette période qui a marqué
la fin de son enfance. L’expression
«servi de maman »est énoncée sans
que le médecin ne la relève.
L’ACCOMPAGNEMENT
THÉRAPEUTIQUE
L’objectif n’est pas la disparition
à tout prix de la plainte mnésique
mais on peut encourager Mme S.
à “récupérer”. Le terme de symp-
tômes fonctionnels cognitifs, plus
compréhensible que celui de SCF,
est énoncé. La patiente d’elle-
même, traduit : «C’est comme les
pieds ! ». Lorsque Mme S. inter-
roge le médecin sur sa mère, ce-
lui-ci suggère la possibilité (mais
pas l’obligation) de s’autoriser une
mise à distance en évoquant «les
services d’aide à la personne». A
aucun moment Mme S. ne posera
de questions quant au devenir de
sa propre mémoire ou ne fera ex-
plicitement de lien entre sa mé-
moire et celle de se mère. Le méde-
cin ne le fait pas à sa place et juge
inopportun la proposition d’une
psychothérapie. Aucun examen
complémentaire n’est prescrit.
EN CONCLUSION
Une approche clinique issue de
la psychanalyse peut conforter le
diagnostic de symptôme somato-
morphe (et de SCF) et, surtout, per-
mettre un type d’écoute et d’accom-
pagnement thérapeutique nourris
de sens et pas seulement guidés par
une interprétation de “bon sens” et
par un objectif de disparition ou de
soulagement du symptôme “à tout
prix” (11-13). Une pratique clinique
de la neurologie, de la médecine en
général, peut être sous-tendue et
par la médecine scientifique et par
certains concepts psychanalytiques.
Il n’y a là aucune incompatibilité.
Bien au contraire, il y complémenta-
rité entre deux canaux d’écoute, l’un
pour la sémiologie neurologique et
l’autre pour le discours du sujet de
l’inconscient (7). n
1. APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorder, 4th eds.
Washington, DC : American Psychiatric Association, 1994.
2. Aybek S, Kanaan RE, David AS. The neuropsychiatry of conversion disor-
der. Curr Opin Psychiatry 2008 ; 2 : 275-80.
3. Fink P, Steen Hansen M, Sondergaard L. Somatoform disorders among
first-time referrals to a neurology service. Psychosomatics 2005 ; 46 : 540-8.
4. Kanaan R, Armstrong D, Barnes P, Wessely S. In the psychiatrist’s chair:
how neurologists understand conversion disorder. Brain 2009 ; 132 :
2889-96.
5. Stone J, Carson R, Duncan R et al. Symptoms unexplained by organic
disease in 1144 new neurology out-patients. Brain 2009 ; 132 : 2878-88.
6. Friedman JH, La France WC. Psychogenic disorders. Arch Neurol 2010 ;
67 : 753-5.
7. Dubas F, Thomas-Antérion C. Le sujet, son symptôme, son histoire. Etude
du symptôme somatomorphe. Paris : Les Belles Lettres, 2012.
8. Freud S, Breuer J. Etudes sur l’Hystérie (1895). Paris : PUF, 2002.
9. Freud S. Conseils aux médecins. La technique psychanalytique (1912).
Paris : PUF, 2007.
10. Stone J, Smyth R, Carson A. La belle indifference in conversion symp-
toms and hysteria: systematic review. Br J Psychiatry 2006 ; 188 : 204–9.
11. Stone J, Sharpe M, Rothwell PM, Warlow CP. The 12 year prognosis of
unilateral functional weakness and sensory disturbance. J Neurol Neuro-
surg Psychiatry 2003 ; 74 : 591-6
12. Kroenke K. Efficacy of treatment for somatoform disorders: a review of
randomized controlled trials. Psychosom Med 2007 ; 69 : 881-8.
13. McKeon A, Ahlskog JE, Bower JH et al. Psychogenic tremor: long-term
prognosis in patients with electrophysiologically confirmed disease. Mov
Disord 2009 ; 24 : 72-6.
BiBliographie
Mots-clés :
Symptôme cognitivoforme, Troubles
somatomorphes, Inconscient,
Psychanalyse, Cognition, Anxiété