la mort de sara
marc chagall
gouache 1931
Musée Message Biblique Marc Chagall-Nice
La mort dans le judaïsme
Catherine Déchelette Elmalek
Introduction
Avant d’aborder l’approche de la mort dans le judaïsme, ainsi que les rites et les pratiques, il est
important de poser au préalable certains éléments.
Le judaïsme est certes une religion, mais c’est aussi une façon de vivre, une histoire, une culture ce
qui implique qu’il existe aujourd’hui (comme par le passé d’ailleurs) une multitude de manière de
définir «l’être juif».
Le judaïsme n’est pas monolithique, il est pluriel dans ses rites et ses traditions souvent inspirés ou
influencés par les mondes dans lesquels les juifs ont vécu et vivent encore, il est pluriel aussi dans
ses diverses obédiences (orthodoxe, traditionnelle, libérale pour ainsi simplifier et synthétiser tout
en prenant forcément le risque d’être réducteur). Ainsi un juif de New -York originaire d’Allemagne
et fréquentant une communauté libérale a un vécu juif très différent d’un juif originaire du Maroc
vivant à Sarcelles dans une communauté traditionaliste. Ces deux exemples ne sont qu’un infime
échantillon d’une réalité multiforme.
Il est également primordial de faire la distinction entre la Loi (la Halakha) et les traditions. La Loi,
est à priori commune à l’ensemble du judaïsme, chacun choisissant évidemment de la respecter ou
non. Les traditions sont un ensemble extrêmement touffu de coutumes qui ne sont communes qu’à
un ensemble précis de juifs selon leurs origines géographiques et culturelles. Ainsi chaque aspect
de la vie juive, de la naissance à la mort, comme de la vie quotidienne telle que l’alimentation, est
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marqué par des actes qui doivent s’accomplir en obéissance aux commandements de la Torah1 selon
l’orthopraxie de chacun et son libre arbitre. Les pratiques ordonnées ou préconisées par la Loi juive
ne sont cependant pas appliquées de la même façon dans toutes les communautés, selon leur
obédience ou leur origine géographique. Ces approches diversifiées sont une part signifiante de la
présente étude. La façon dont se vivent ces pratiques sont aussi très différentes selon les ambiances
culturelles dans lesquelles baignent les communautés et selon les contraintes imposées par les
espaces sociaux et géographiques dans lesquelles elles sont installées.
Observer et présenter ces pratiques s’avèrent donc complexe tant elles sont diversifiées et répondent
à de multiples paramètres. C’est pourquoi il faut distinguer les pratiques religieuses, qui sont un
ensemble de règles et de traditions ordonnées ou préconisées par la Loi juive, et les coutumes ou
usages qui peuvent avec le temps, avoir fait «force de loi» et ainsi se confondre dans les règles.
La Loi est en principe la même pour tous les juifs même si une fois encore de nombreuses
restrictions ou ajustements existent en fonction des obédiences des uns et des autres. Pour ce qui
concerne les coutumes ou les usages qui découlent de cette même Loi, ils peuvent être différents
d’une communauté à une autre en raison de plusieurs paramètres.
L’exemple le plus évident est celui du port du châle de prières, le taleth, et de la calotte, la kippa. Le
châle de prières, long rectangle de tissus, le plus souvent de laine, et pourvu de franges, tsitsit, porté
sur les épaules ou permettant de s’en envelopper plus largement pour la prière du matin, est un
commandement de la Torah: « Et l'Éternel dit à Moïse : Parle aux Enfants d'Israël et dis-leur qu'ils
se fassent, de génération en génération, des «tsitsit» aux bords de leurs vêtements… » Nombres,
15:37-41. L’injonction se retrouve aussi dans le Deutéronome, 22:12, «Tu mettras des franges aux
quatre coins du vêtement dont tu te couvriras […]».
En revanche la kippa, la calotte, comme tout port d’un autre couvre-chef, n'est pas une obligation
religieuse mentionnée dans la Torah. Le port d’un couvre-chef, kippa ou autre, ne s'appuie donc ni
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1-La Torah ou Pentateuque signifie «enseignement» en hébreu. La Bible hébraïque ou Tanakh (Torah-Pentateuque + Néviim-
Prophètes + Kétouvim-Ecrits, les initiales de ces trois mots composent le mot Tanakh) comprend 24 livres écrits en hébreu (sauf les
livres de Daniel et de Ezra qui comprennent de nombreux passages en araméen). La Torah se divise en cinq livres: la Genèse-
Béréshit «au commencement», l’Exode-Chémoth «les noms», le Lévitique-Vayira «il appela», les Nombres-Bemidbar «dans le
désert» et le Deutéronome-Dévarim «les Paroles». Ecrite sur un rouleau de parchemin (le séfer torah), la Torah est lue selon des
section hebdomadaires (une paracha-des parachot) lors des offices du matin des lundi, jeudi et samedi, jour du shabbat (jour de
repos sanctifié).
Lors de certaines fêtes et célébrations, d’autres sections et, ou, d’autres textes sont également lus en raison de leur lien avec ces fêtes
et célébrations.
sur une prescription biblique ni même sur une ordonnance rabbinique. Cet exemple permet de
considérer comment une coutume peut finir par se confondre avec une règle.
Afin d’illustrer cela, il est intéressant aussi de prendre un exemple dans le sujet développé ici. Au
décès d’une personne, la Loi réclame que l’inhumation (la kevoura) soit faite dans les vingt-quatre
heure en vertu de l'interprétation exégétique du verset : « Si l’on fait mourir un homme qui a
commis un crime digne de mort, et que tu l’aies pendu à un bois, son cadavre ne passera point la
nuit sur le bois; mais tu l’enterreras le jour même »-Deutéronome 21-22/23. Cette obligation est
respectée dans l’ensemble du monde juif.
Par contre, le fait de couvrir les miroirs, de poser un caillou sur les tombes en signe de passage, de
déchirer son vêtement, de consommer des oeufs durs et des olives sont quand à elles quelques-unes
des coutumes que chacun respecte ou non en fonction de son appartenance à telle ou telle
communauté, ou à tel ou tel milieu culturel et géographique.
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Les textes et les sources de référence
1/ la mort, la vie après la mort
La Loi s’appuie sur la Torah, et plus largement sur le Tanakh (souvent évoquée sous le vocable
général de «Bible hébraïque»), et sur le Talmud2 qui signifie en hébreu «étude». Il s’agit d’un vaste
ensemble de commentaires qui consigne les diverses discussions rabbiniques concernant les
manière d’appliquer la Loi selon les situations.
L’aspect mémoriel dans la culture et dans la liturgie juive est très présent: une place importante est
par exemple consacrée à la mémoire des morts, au rappel de leur souvenir et ce afin de les «extraire
de la Géhenne» grâce au recours de la prière intercédant pour la miséricorde divine car le judaïsme
ne développe pas la notion de purgatoire de la même façon que la théologie catholique.
L’eschatologie juive évoque l’âme quittant le corps après la mort mais restant en relation avec lui
durant les douze mois qui suivent. C’est ce temps précis qui apparaît comme une sorte de purgatoire
pour l’âme avant de sombrer dans la Géhenne3 ou de s’élever dans le jardin d’Eden.
Quelques récits bibliques indiquent la réalité d’une pensée selon laquelle l’existence perdure d’une
certaine manière après la mort mais ils restent peu explicites sur cette question. Celle de la
résurrection est abordée dans une abondante littérature rabbinique médiévale à travers le
développement du devenir de l’âme et de la rédemption messianique. Le judaïsme contemporain
dans son ensemble s’attache davantage à oeuvrer pour un engagement dans «ce monde-ci», ba-olam
ha-zeh, tandis que les réflexions sur la vie éternelle demeurent rares.
La littérature talmudique et rabbinique développe les thèmes de la vie après la mort, de la
rétribution des justes, alors que la Torah ne s’intéresse que très peu au sort des hommes après la
mort n’évoquant guère que le Chéol, lieu de séjour des morts :
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2-Le Talmud est lui-même composé de la Mishna, signifiant «répétition», premier texte ( vers 200) consignant par écrit la Loi orale et
la Guémara (vers 500), recueil de textes de commentaires sur la Mishna. La Guémara est la base de la plupart des codes de la loi
rabbinique. Le Talmud qui comprend donc un très vaste matériel de réflexions est classé en deux catégories: la Halakha, en hébreu
«cheminement», et la Aggada, «narration» ou «récit». La Halakha regroupe les lois, sentences et prescriptions religieuses, alors que
la Aggada regroupent les parties non normatives, narratives, édifiantes, ou explicatives telles que des paraboles et des considérations
éthiques ou historiques. Les deux catégories n’étant pas strictement étanches, l’une peut servir à l’explication de l’autre.
3-Le terme de Géhenne vient de celui de la vallée de Ben Himmon, Géhinnom, située au sud de Jérusalem et repérée comme
épouvantable en raison de la présence d’un culte païen qui procédait à des sacrifices d’enfants (vers 1000 av.JC.). L’endroit devient
ensuite une sorte de vaste dépotoir dont les odeurs pestilentielles continuent à contribuer à sa
funeste réputation pour devenir le nom emblématique d’un lieu infernal. L’endroit est aussi attesté au Ier siècle comme lieusont
jetés les cadavres des criminels pour y être brûlés en même temps que les ordures.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Géhenne et WIGODER Geoffrey (édit.), Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Editions du
Cerf, 1996, p.1046.
« ... aussi bien ce n’est pas le Chéol qui te célèbre, ce n’est pas la mort qui te loue, ceux qui sont
descendus dans le sépulcre ne comptent plus sur ta fidélité» -Nombres 16-334,
«... ils descendirent, eux et tous les leurs, vivants dans la tombe, la terre se referma sur eux et ils
disparurent du milieu de l’assemblée...»-Psaumes 6-6,
«... Daigne de nouveau, Seigneur, délivrer mon âme, viens à mon secours en raison de ta bonté, car
dans la mort ton souvenir est effacé, dans le Chéol, qui te rend hommage ?»- Isaïe 38-18.
Le Livre de Job 7-9, affirme : "Ma vie n'est qu'un souffle... Comme la nuée se dissipe et passe, qui
descend au Chéol n'en remonte pas", ce qui semblerait être un constat d’arrêt de toute chose après
la mort, et pourtant un peu loin le texte évoque sinon une résurrection possible, en tout cas une suite
à la vie terrestre comme une espérance de côtoyer l’Eternel: «Quand ma peau sera détruite, il se
lèvera; Quand je n'aurai plus de chair, je verrai Dieu»-Job 19-26.
Deux questions résonnent dans la Torah: pourquoi l’homme doit-il mourir et quelle est la force qui
le prive de la vie ? Quel est le destin de l’homme après la mort ? Dans la Genèse 3-19 il est écrit
que « ..l’homme retournera à la terre d’où il est venu ... » et plus loin, versets 22/23 il est constaté
qu’à la suite de la tentation dans le jardin d’Eden, l’homme perd son immortalité et sa condition
nouvelle de mortel est une résultante de sa faute.
L’enterrement est clairement évoqué : «Et quand le jour de la mort d'Israël approcha, il appela son
fils Joseph, et lui dit: Si j'ai trouvé grâce à tes y eux, mets, je te prie, ta main sous ma cuisse, et use
envers moi de bonté et de fidélité: je te prie, ne m'enterre point en Égypte»-Genèse 47-29/30, ainsi
que dans cet autre extrait de la Genèse 49/29: « Et il commanda, et leur dit: Je vais être recueilli
vers mon peuple; enterrez-moi auprès de mes pères dans la caverne qui est au champ d'Éphron le
Héthien ...C'est qu'on a enterré Abraham et Sara, sa femme; c'est qu'on a enterré Isaac et
Rébecca, sa femme; et c'est que j'ai enterré Léa». Quand à l’explication exégétique du verset
suivant, elle indique que la communication avec les morts est proscrite: «Je n'ai rien mangé de ces
choses pendant mon deuil, je n'en ai rien fait disparaître pour un usage impur, et je n'en ai rien
donné à l'occasion d'un mort; j'ai obéi à la voix de l'Éternel, mon Dieu, j'ai agi selon tous les ordres
que tu m'as prescrits.»-Deutéronome 26-14, tandis que cette interdiction est formulée d’une
manière plus claire dans les versets du Deutéronome 18-10/12: «Qu'on ne trouve chez toi personne
qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue,
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4-KAHN Zadoc (édit.), la Bible, Paris, Editions Colbo, 1994- 8ème édition (1ère édition 1899).
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