UNE DIVERGENCE DE FOND À TIRER AU CLAIR
«La philosophie n’est pas un long fleuve tranquille, où chacun
viendrait pêcher sa vérité. C’est une mer, où mille vagues s’af-
frontent, où mille courants s’opposent, se rencontrent, se mê-
lent parfois, se séparent, se retrouvent, s’opposent à
nouveau... Chacun y navigue comme il peut, et c’est ce qu’on
appelle philosopher.»1 (André Comte-Sponville et Luc Ferry)
Dans leur «livre à deux voix» 2 La sagesse des modernes Dix questions pour notre temps
Essai, André Comte-Sponville et Luc Ferry disent que, pour eux, «la question principale»
est : «Comment vivre d’une façon plus heureuse, plus sensée, plus libre?» ; et «l’action
est le chemin (...) qui ne vaut que par la pensée qui l’éclaire».3 C’est pourquoi chacun de
ces philosophes «essay[ent] de penser par soi-même et pour tout le monde», mais en se
gardant d’un «risque» : celui de «nous enfermer dans une discussion de spécialistes».4
«C’est pour résister à cette tentation ou à ce danger que nous avons rassemblé un public
délibérément hétérogène : une vingtaine de nos amis, dont plusieurs, certes, sont des
professeurs de philosophie, mais dont beaucoup, au contraire, n’avaient aucune forma-
tion philosophique particulière».5
«[L’]essai» se divise en trois «sous-ensembles», dont «la «première partie, la plus fon-
damentale, peut-être la plus difficile, explicite [leur] opposition quant aux principes : le ma-
térialisme de l’un (qui est un matérialisme non dogmatique) s’oppose à l’idéalisme ou à
l’humanisme de l’autre (qui sont un idéalisme critique et un humanisme non métaphysi-
que). C’est où se joue notre rapport à l’être, à la nature, et à l’humanité»,6 exposent-ils.
Cette «opposition quant aux principes» manifeste ainsi une «divergence de fond (...) [à] ti-
rer autant que faire se peut au clair» sur laquelle ils veulent «[s’]expliquer de façon directe,
avec les arguments qui [leur] paraissent aujourd’hui les plus justes».7
Au sujet du «matérialisme», André Comte-Sponville expose que «le mot se prend en deux
sens, l’un trivial, l’autre philosophique» ; «au sens trivial, c’est ne pas avoir d’idéaux (...)
Mais a-t-on besoin d’une philosophie pour cela?».8, précise-t-il. Pour sa part, Luc Ferry dit
qu’il «laissera de côté [ce] sens ordinaire et péjoratif» 9
En faisant de même, examinons la justesse des «arguments qui [leur] paraissent au-
jourd’hui les plus justes» au sujet de leur «opposition quant aux principes», et ce, en
commençant par la thèse d’André Comte-Sponville.
1 La sagesse des modernes Dix questions pour notre temps Essai, Paris, 1998, Robert Laffont, p. 8
2 op. cit, p.9
3 ibidem, p. 7
4 ibidem, pp. 10-11
5 ibidem, pp. 10-11
6 ibidem, p. 11
7 ibidem, p. 21
8 ibidem, p. 33
9 ibidem, p. 21 1