La vie bonne est-elle compatible avec une vie longue

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ROUPE D
ETUDES PARLEMENTAIRE
SUR LA
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ONGEVITE
RĖPUBLIQUE FRANÇAISE
LIBERTÉ – EGALITĖ – FRATERNITĖ
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Ordre du jour :
« La vie bonne est-elle compatible avec une vie longue ? »
par M. Luc FERRY
Philosophe,
universitaire,
ancien ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche
(2002-2004),
Président délégué du Conseil d’analyse de la société, services du Premier ministre,
(depuis 2004)
Présents :
Denis JACQUAT, président (Moselle).
Danièle HOFFMAN- RISPAL, présidente (Paris)
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INTERVENTION DE M. Luc FERRY
Aujourd’hui, face à l’allongement de la durée de la vie, les sondages nous indiquent que
lesEuropéens souhaitent pouvoir vivre le plus longtemps possible dans le meilleur état possible, en
partie grâce à la médecine. Luc Ferry précise que cette attitude, cette volonté de durer n’a pas
toujours été un idéal. En effet, la vie la plus longue possible n’était pas recherchée par les
philosophes grecs pour lesquels une vie bonne pouvait être une vie courte.
Pour expliquer ce changement d’idéal, Luc Ferry évoque l’histoire d’Ulysse. Le mythe d’Ulysse
développe une représentation de la sagesse et de la « vie bonne », au sens d’une vie en harmonie
avec les siens et l’ordre du monde, qui s’accommode d’une vie brève.
Après dix années d’une guerre qui avait pour origine la pomme de discorde jetée par Eris, déesse
de la discorde, à la table du mariage des futurs parents d’Achille auquel elle n’avait pas été invitée,
Ulysse cherche à rentrer chez lui, à retrouver Ithaque et sa famille. Mais ses ennuis ne font que
commencer. Son voyage de retour va durer de nouveau dix ans et il sera rempli d’une série
d’obstacles tous destinés à lui faire oublier le sens de la vie. La nourriture des Lotophages, le chant
des sirènes, des sommeils funestes sont parmi les formes d’oubli, de perte de conscience qui
menacent Ulysse tout au long de son voyage. Un des obstacles sur son trajet est son séjour sur l’île
de Calypso, sublime divinité qui tombe follement amoureuse de lui. Son île est une sorte de paradis
peuplé de nymphes, où le climat est doux, les nourritures délicieuses et les plaisirs de l’amour
permanents. Cependant, Ulysse y est malheureux. Il n’a pas oublié l’harmonie perdue et veut
rentrer à Ithaque. Pour conserver Ulysse, Calypso lui offre d’accéder à l’immortalité et d’être en
plus doté à jamais de la jeunesse. Malgré cette proposition, Ulysse refuse. Il veut absolument
rentrer car il faut accepter la mort, vaincre ses peurs pour s’ajuster à sa condition humaine. En
cédant à la tentation d’être immortel, il cesserait d’être un homme.
Son refus signifie pour toute une tradition de la philosophie grecque que le but de l’existence
humaine n’est pas de parvenir à l’immortalité car une vie bonne , une vie de mortel réussie passe
par l’acceptation de la mort. Une vie loin des siens, de chez soi est pire que la mort. La vie bonne
est une vie près des siens.
Les philosophes grecs pensaient que le passé et le futur sont les deux maux qui pèsent sur la vie
humaine, ils gâtent la seule dimension de l’existence qui vaille d’être vécue, celle de l’instant
présent. Ils soulignent que le passé n’est plus et le futur n’est pas encore.
A vivre dans des dimensions du temps qui sont du néant, on manque le présent. Le présent non
relativisé par le passé ou le futur devient instant d’éternité.
La vie bonne, c’est la vie sans espérances ni craintes, réconciliée avec ce qui est.
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Cette conception va être bouleversée notamment après la Révolution française. Selon Jean Jacques
Rousseau, le sens de la vie humaine repose sur la perfectibilité. L’éducation doit se poursuivre tout
au long de sa vie. Le but de la vie humaine d’expérimenter, de partager avec les autres, de
s’arracher à soi-même, à ses particularités d’origine, devenir plus universel.
La vie vaut la peine d’être vécue tant que l’on peut découvrir et élargir son horizon.
ECHANGES AVEC LES PARLEMENTAIRES ET PERSONNES INVITEES
Le professeur Forette souligne que nous sommes en quête d’une vie bonne en la voulant longue.
Selon Luc Ferry, l’éducation tout au long de la vie est une belle idée. Il cite l’exemple de sœur
Emmanuelle qui, bien que très diminuée physiquement à la toute fin de sa vie, continuait de
progresse grâce à son esprit et à sa tête. Il s’oppose aux partisans de la mort dans la dignité.
L’association dignité et l’autonomie n’a pas lieu d’être. La dépendance n’est pas l’indignité.
Danièle Hoffmann-Rispal, cosignataire, en octobre 2009, de la « Proposition de loi n°1960 rectifié
relative au droit de finir sa vie dans la dignité », souhaite préciser que le droit de mourir dans la
dignité est un choix personnel qui dépend de la façon dont on se ressent soi-même. Le texte de la
proposition vise à éviter les dérives, il n’est pas une incitation à mourir sauf en cas d’affection
grave et incurable, infligeant des souffrances ne pouvant être apaisées.
Luc Ferry se dit inquiet du nombre de personnes qui choisissent de mourir dans certains
établissements, en Suisse notamment, non parce qu’elles sont malades mais sont « fatiguées de la
vie ».
Le professeur Forette considère important d’élargir son horizon vers les autres et pose la question
de savoir si cela pourrait nous conduire vers une société de partage, moins égoïste.
Luc Ferry se méfie de la confusion pouvant être faite avec la morale en mettant en avant la
solidarité et le partage, les valeurs morales et spirituelles ne devant être amalgamées. La morale qui
correspond au respect, à la bonté n’empêche ni le vieillissement, ni la mort. La littérature nous
donne de nombreux exemples de personnes bonnes moralement qui ne sont pas aimées de la
personne qu’elles chérissent et en souffrent terriblement.
Nos sociétés occidentales sont aujourd’hui des sociétés morales, respectueuses et riches auxquelles
manque la valeur spirituelle. Les valeurs spirituelles laïques, les grandes philosophies proposant
une représentation de la vie commune manquent à nos sociétés d’aujourd’hui.
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Le professeur Forette se demande alors s’il ne serait pas bon d’enseigner la philosophie aux
parlementaires.
Luc Ferry précise qu’il a été fait le choix d’enseigner au lycée la philosophie comme discipline
visant à développer l’esprit critique alors que les philosophes cherchent la vie bonne, la béatitude,
le salut par des voies laïques. Notre société est une société morale mais sans spiritualité. Le XX°
siècle a déconstruit les valeurs traditionnelles. Les valeurs traditionnelles du sacré ont été liquidées.
On ne se sacrifie plus pour Dieu, son pays, sa nation ou la révolution. On ne meurt plus guère pour
Dieu, son pays ou la révolution. En revanche, on risquerait sa vie pour ses proches, ses enfants.
Luc Ferry n’a pas la nostalgie des utopies et considère la sacralisation de l’humain très positive.
Sylvain Denis pose la question du plaisir de vivre qui n’a pas été évoqué avec la vie bonne.
Luc Ferry considère qu’il y a un bonheur, une joie et une exaltation dans l’élargissement de son
horizon. La disparition du plaisir fait apparaître la question de la mort.
Les stoïciens avaient la sagesse de considérer la mort comme un passage, une transition qui
permettrait de redevenir une partie du cosmos. Le Christianisme considère que l’expérience de
l’amour permet à l’individu de retrouver après la mort ceux qu’il a aimés « corps et âmes avec le
visage de l’amour ». Il est la seule doctrine de la résurrection des corps et de la chair.
Cette promesse du Christ retrouver un corps glorieux peut être plus tentante que celle des stoïciens
et des bouddhistes pour lesquels la mort est un fragment d’éternité, à condition d’y croire.
Denis Jacquat remercie Luc Ferry d’avoir fait passer un moment inoubliable de « bonne vie » aux
nombreux auditeurs de la conférence de ce soir.
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