L`utilisation des anticorps monoclonaux dans le cancer de l`ovaire

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L’utilisation des anticorps monoclonaux dans
le cancer de l’ovaire
È.-M. Neidhardt
Introduction
Le cancer de l’ovaire est un cancer sensible à de nombreux agents de chimiothérapie, mais malgré l’amélioration de la prise en charge initiale à la fois sur le
plan chirurgical et sur celui des traitements de chimiothérapie, la survie à cinq
ans de cette affection dans les phases avancées reste seulement de 20 à 30 % (1).
Des approches innovantes sont actuellement développées afin d’essayer de
contrôler la maladie résiduelle après la première ligne de traitement dans le but
de diminuer l’incidence des rechutes. L’immunothérapie paraît représenter une
alternative intéressante, en particulier l’utilisation des anticorps monoclonaux
qui connaissent actuellement un développement très important dans différents
types de cancers (en particulier le rituximab dans les lymphomes malins non
hodgkiniens, et le trastuzumab dans le cancer du sein). Des essais de phase II
et de phase III ont d’ores et déjà montré que ces agents étaient parfaitement
tolérés et capables d’induire une réponse immunologique chez des patientes
porteuses de cancer de l’ovaire.
L’utilisation d’anticorps monoclonaux anti-CA125
Le CA125 est une glycoprotéine de surface mucine like exprimée sur plus de
95 % des carcinomes épithéliaux de l’ovaire de stade III/IV et retrouvé sous
forme circulante dans le sang périphérique (2). Des taux sériques élevés de
CA125 sont observés dans d’autres types tumoraux (cancer du pancréas, du
poumon, du côlon et autres tumeurs digestives), mais également dans des
tumeurs bénignes. Le CA125 peut être retrouvé dans certaines sécrétions
comme le liquide amniotique, le lait maternel et les sécrétions cervicales. Il est
normalement exprimé durant la vie fœtale et a donc à ce stade un rôle physiologique dans la croissance et le développement cellulaire. La structure du gène
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du CA125 vient récemment d’être découverte, mais sa fonction reste encore à
déterminer (3, 4).
De nombreuses études ont montré l’intérêt du CA125 dans la surveillance
de patientes traitées pour un cancer de l’ovaire, une augmentation du CA125
sérique pouvant précéder de quelques mois des signes cliniques de réévolution
tumorale. De même, en cours des traitements de chimiothérapie, le taux de
CA125 est un bon indice de réponse clinique.
Oregovomab (OvaRex) est un anticorps monoclonal actuellement développé par Unither Pharmaceutical. Le composant actif est l'anticorps
monoclonal murin modifié B43.13, une IgG1k se liant avec une haute affinité
au CA-125 (1.16 x 1010/M).
L'oregovomab induit à la fois une réponse immunitaire de type humoral
avec induction d’anticorps humain anti-souris (HAMA), d’anticorps anti-idiotypique (Ab2) et d’anticorps anti-CA-125, et aussi de type cellulaire T helper
et cytotoxique (5, 6). En effet, le complexe CA125-B43.3 est capable de se lier
à des cellules présentatrices d’antigènes (macrophages activés ou cellules
dendritiques) de manière beaucoup plus efficace que l’anticorps ou l’antigène
seul (7). De multiples récepteurs on été impliqués dans ce processus d’internalisation, en particulier la partie Fc■ du CD64 et du CD32, le CD35 récepteur
du complément et le mannose récepteur CD206. Il existe une présentation
croisée de ce complexe non seulement dans le contexte des molécules du CMH
de classe I mais également de classe II conduisant à l’induction d’une réponse
T de type CD4 + et CD8 + à la fois contre B43.13 et le CA 125.
Une étude récente a montré, chez des patientes porteuses de cancer de
l’ovaire en rechute en phase avancée, l’émergence d’une réponse immunitaire
humorale de type HAMA et Ab2, ainsi qu’une réponse immunitaire cellulaire
contre le CA-125 et/ou la tumeur autologue qui a pu être corrélée à un bénéfice significatif en terme de survie (8).
Études précliniques et données in vitro
L’équipe de Schultes a pu démontrer à partir du modèle murin NIH :
OVCAR-3 cell-SCID/bg de cancer ovarien un effet protecteur d’un anticorps
B43.13 en utilisant une technique de reconstitution de l’immunité par des
lymphocytes T humains du sang périphérique (9).
Études cliniques chez l’homme
L’intérêt thérapeutique chez l’homme de l’anticorps monoclonal B43.13 a été
suggéré initialement de façon indirecte, par une étude diagnostique qui utilisait cet anticorps couplé au technetium-99m pour détecter par scintigraphie de
L’utilisation des anticorps monoclonaux dans le cancer de l’ovaire 531
possibles récidives chez des patientes porteuses de cancer de l’ovaire. Un effet
net sur la survie a pu être constaté chez certaines patientes (10).
L’anticorps monoclonal B43.13 a pu être utilisé en traitement de consolidation après chirurgie et chimiothérapie de première ligne, dans une situation
de masse tumorale résiduelle. Elhen rapporte les résultats d’une étude multicentrique randomisée portant sur 342 patientes porteuses d’un cancer de
l’ovaire de stade III-IV en rémission complète après une première ligne de traitement (11). Une perfusion d’anticorps ou de placebo était réalisée tous les
trois mois jusqu’à la rechute. L’émergence d’une réponse immunitaire de type
humoral (HAMA et anti-Ab2) était constatée chez plus de la moitié des
patientes et associée de manière significative à une évolution clinique favorable.
En prenant la population dans sa totalité, aucune différence statistiquement
significative en terme de survie sans progression n’a été constatée entre le bras
traitement et le bras placebo. Par contre, en prenant la sous population ayant
eu la meilleure réponse après la première ligne de traitement, la survie sans
progression a été de 20,2 mois pour l’anticorps B43.13 contre 10,3 mois pour
le placebo (p = .029). Le traitement n’a pas entraîné d’altération de la qualité
de vie et aucun effet secondaire significatif n’a été constaté.
L’étude randomisée en double aveugle placebo/oregovomab la plus récente
a porté sur une population de 145 patientes présentant un cancer de stade IIIIV, en rémission complète après une première ligne de traitement comportant
chirurgie et chimiothérapie à base de sels de platine (traitement de consolidation) (12). Les patientes ont reçu une perfusion intraveineuse de vingt minutes
toutes les quatre semaines pendant deux mois, puis tous les trois mois avec un
maximum de 11 injections. L’anticorps était administré à la dose de 2 mg. Il
n’a pas été constaté de différence significative entre les deux bras concernant
l’objectif principal : le temps jusqu’à progression a été de 13,3 mois dans le
groupe traitement et 10,3 mois pour le groupe placebo avec un p = .71. Par
contre, un sous-groupe de 67 patientes considérées comme « bonnes répondeuses au traitement intial » a été isolé avec des résultats plus favorables puisque
le temps jusqu’à la progression a été de vingt-quatre mois avec l’anticorps
contre 10,8 mois avec le placebo. Ces patientes présentaient les caractéristiques
suivantes : traitement chirurgical initial optimal, réduction du taux de CA125
à 65 U/ml ou moins au troisième cycle de chimiothérapie et une normalisation
du taux de CA125 au moment de la randomisation. Une réponse immunitaire
de type humoral (HAMA et Ab2) a été constatée chez plus de 60 % des
patientes, avec une corrélation en particulier dans le sous-groupe de pronostic
favorable entre l’émergence d’une réponse de type Ab2 et le temps jusqu’à
progression (28,2 mois contre 6,4 mois). Là aussi, dans cette étude, peu d’effets secondaires ont été notés, et la qualité de vie était préservée.
D’autres études de phase II ont pu être menées chez des patientes en
rechute. Une réponse immunitaire cellulaire T a pu être constatée et corrélée à
un bénéfice significatif en ce qui concerne le temps jusqu’à la progression et la
survie globale (13). Une étude publiée récemment a montré chez des patients
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en rechute une corrélation entre la survie et l’induction d’une réponse immunitaire humorale de type HAMA, anti-idiotype et anti-CA125 (14).
L’utilisation de l’anticorps monoclonal B43.13 en première ligne de traitement en association avec la chimiothérapie n’a pas été encore envisagée,
probablement du fait de l’idée acquise que la chimiothérapie entraîne une
immunosuppression qui empêcherait tout effet immunostimulant d’un traitement par anticorps monoclonal. De plus en plus d’études rapportent au
contraire un effet bénéfique de la chimiothérapie qui permettrait l’élimination
d’une sous-population de lymphocytes T aux propriétés immunosuppressives
qui empêcherait le développement d’une réaction immunitaire antitumorale.
D’autres anticorps dirigés contre des antigènes tumoraux spécifiques sont
en développement. Il est ainsi possible d’envisager la possibilité de traiter les
patientes avec plusieurs types d’anticorps dirigés contre différents antigènes
permettant une augmentation du spectre de la réponse immunologique et de
la réponse thérapeutique.
L’utilisation de l’anticorps HMFG1
HMFG1 est un anticorps murin de type IgG1 présentant une spécificité contre
un épitope de MUC1, glycoprotéine de surface glycosylée de façon aberrante
et hyperexprimée par plus de 90 % des cancers de l’ovaire et retrouvée également dans d’autres types tumoraux (en particulier cancer du sein et du
pancréas) (15). Des essais de phase I/II utilisant HMFG1 couplé à l’Ytrium 90
ont montré que cet anticorps est particulièrement bien toléré lorsqu’il est administré par voie intrapéritonéale (16). La survie des patientes en première
rémission complète semble augmentée comparée à une série historique
contrôle.
Un essai récent de phase I, réalisé chez une population hétérogène de
26 patientes à différents stades de la maladie, a confirmé la parfaite tolérance
et l’absence d’effets secondaires notables au cours de l’administration répétée
d’HMFG1 initialement en intaveineux ou en intrapéritonéal, puis en intradermique, avec essentiellement la détection d’anticorps anti-idiotype et une
faible émergence d’anticorps anti-MUC1 (17). Aucun effet notable sur la
survie n’a pu être observé dans cette étude. Très récemment (SMART study
ASCO 2004), une étude de phase III (722 patientes) évaluant cet anticorps en
situation de consolidation, n'a pas montré de bénéfice pour le traitement d'entretien versus observation, alors que la qualité de vie des patientes traitées par
l'anticorps était altérée (Seiden et al.).
L’utilisation des anticorps monoclonaux dans le cancer de l’ovaire 533
L’utilisation de l’anticorps anti-HER2
Il est maintenant établi que l’anticorps monoclonal anti-Her2/neu
(Herceptin®) représente une arme thérapeutique importante en association
avec le paclitaxel chez des patientes en rechute de cancer du sein. Son utilisation semble restreinte chez les patientes porteuses de cancer de l’ovaire du fait
de son expression beaucoup moins fréquente, avec des taux de réponse très
faible, de moins de 10 % (communication du groupe d’Oncologie
Gynécologique, Society of gynecologic Oncologists, 2000). Les expériences
cliniques avec le Trastuzumab sont encore très limitées. Les résultats d’une
étude de phase II d’Herceptin en monothérapie du GOG (Gynecologic
Oncology Group) ont été récemment publiés dans le Journal of Clinical
Oncology (18). Sur un total de 837 tumeurs testées, 11.4 % (n = 95) avait une
surexpression 2 + ou 3 +. Sur les 41 patientes traitées (toutes avaient reçu une
chimiothérapie antérieure), le taux de réponse a été seulement de 7,3 % (1RC,
2 RP). Cet agent est actuellement en évaluation associé à de la chimiothérapie
à base de platine ou de taxanes.
Conclusion
Les études actuelles avec des anticorps monoclonaux ont montré, en particulier avec l'oregovomab dirigé contre le CA125, une très bonne tolérance
clinique et l'induction d'une réponse immunitaire de type à la fois humorale et
cellulaire. Leur intérêt en terme de survie reste à établir, l'administration en
consolidation chez des patientes en rémission complète semble être la meilleure
indication.
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534 Les cancers ovariens
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