Cycles de séminaires en coopération entre Sciences Po – CERI et EDF R&D
Géopolitique de l’énergie
Energie et géopolitique : en évolution constante
Samuele Furfari, Commission Européenne, DG Energie et transport, Professeur à
l’Université Libre de Bruxelles
13 mars 2015
Synthèse1
1. L’Union pour l’Energie
La question énergétique est d’une telle complexité qu’il convient de l’envisager dans ses
différentes facettes et d’éviter le manichéisme ambiant. La conférence de Messine de 1955, en
affirmant la nécessité d’une Communauté Economique Européenne, a reconnu la nécessité de
garantir une énergie abondante, bon marché et compétitive pour stimuler l’économie.
Finalement l’Union de l’Energie, actuellement en discussion, reprend ces principes et se
fonde sur 5 piliers. Le premier met l’accent sur la sécurité de l’approvisionnement. Faute de
ressources abondantes en Europe, l’Union de l’Energie doit s’assurer qu’une quantité
suffisante d’énergie converge vers l’Europe. Le 2ème pilier vise à achever le marché intérieur
du gaz et de l’électricité en investissant dans de nouvelles infrastructures. Le 3ème pilier fixe
l’efficacité énergétique comme priorité absolue afin de se libérer de la tutelle de certaines
zones d’approvisionnement. Le 4ème pilier souligne l’importance de l’économie bas carbone
dans la perspective de la Conférence de Paris. Il aborde la place des ENR mais effleure à
peine le rôle du nucléaire dans cette stratégie bas carbone. Enfin le 5ème pilier mise sur le
développement de la recherche et de la technologie pour garantir un monde durable basé sur
la croissance, les emplois et la qualité de vie.
2. Un changement de paradigme
Pour la première fois dans l’histoire des crises pétrolières, le prix du pétrole chute. En outre,
l’abondance des énergies fossiles dans le monde et la crise au Moyen Orient ont changé la
donne énergétique mondiale. En termes géopolitiques, la Russie doit se repositionner, le
Venezuela, les pays asiatiques, le Moyen Orient et une partie de l’Afrique doivent se
recomposer car dans le même temps l’OPEC vacille. Pendant 40 ans, le paradigme du manque
d’énergie a dominé. Aujourd’hui la situation est inversée. Il n’en demeure pas moins
qu’environ 2,7 milliards d’individus cuisinent sans énergie convenable et qu’1,3 milliard
n’ont pas accès à l’électricité. Pour que les pays émergents continuent de s’approcher du
1 Le contenu de ce document n'engage que la responsabilité de son auteur.
niveau de vie des pays développés, un accroissement de la demande en énergie est à prévoir.
Un taux de croissance de la demande d’énergie de 5% par an est ainsi attendu dans les
prochaines années.
3. Un élément structurant : les zones économiques exclusives
Un des éléments structurants du développement des énergies repose sur la convention des
Nations Unis concernant le droit de la mer qui établit les zones économiques exclusives
(ZEE). Cette disposition stipule que tout Etat côtier peut décréter une zone économique
exclusive à 200 milles marins de sa côte pour, entre autres, forer les roches sédimentaires des
océans. Cette convention a changé la géographie du monde. La Méditerranée se répartit ainsi
entre 21 Etats côtiers, y compris le Royaume Uni grâce à Gibraltar. La Crimée, annexée par la
Russie, modifie la géopolitique des ZEE avec le gaz dans la Mer d’Azov. Les ressources sont
certes limitées mais le gain d’espace et l’amélioration des technologies conduisent à rendre les
réserves dynamiques. Ainsi aujourd’hui plus de la moitié des réserves se situent en dehors du
Moyen Orient. Grâce aux ZEE, des pays comme le Mozambique, Israël, Chypre ou le Liban
disposent de gisements gaziers et/ou pétroliers. Bien que la Norvège, la Russie, l’Algérie et la
Libye restent les principaux fournisseurs de l’Europe, la découverte de nouveaux gisements
gaziers ailleurs dans le monde va permettre à l’Europe de diversifier ses sources et, par le jeu
de la concurrence, de se protéger des hausses des prix. Avec le développement des ZEE, une
plateforme gazière européenne en mer Méditerranée pourrait devenir un « hub » important
pour l’UE. La prospection en Méditerranée donne ainsi un pouvoir de négociation à l’Europe
vis-à-vis de ses grands fournisseurs.
4. Les USA et le pétrole de roche mère
Le gaz de roche mère n’est pas nouveau aux USA. Ce qui est nouveau, c’est l’amélioration de
la technique de production. Appliquée au pétrole, la fracturation hydraulique a provoqué un
profond changement : les Etats-Unis n’ont plus besoin d’en importer. Une révolution
identique est en cours au Canada. Avec la chute du prix du pétrole, les investissements ont
ralenti mais la productivité par forage de pétrole et de gaz de roche mère connait une
augmentation exponentielle grâce au développement technologique. Si les investissements
dans la prospection vont pâtir de la baisse du prix du pétrole, les puits vont continuer à
produire.
5. Une nouvelle géopolitique ?
L’ensemble de ces facteurs conduit à une nouvelle géopolitique de l’énergie. Le Bureau des
ressources énergétiques américain ne s’y est pas trompé. Il s’occupe de la nouvelle
géopolitique du monde pour assurer que les relations diplomatiques évoluent en fonction des
intérêts américains à garantir un accès sûr et fiable à l’énergie. L’accord de Genève en
décembre 2014 ou l’appel de l’Iran lancé à Davos aux compagnies pétrolières pour qu’elles
reviennent investir en Iran illustre cette tendance.
6. Le charbon et le changement climatique
Quant au charbon, sa production et sa consommation sont en constante évolution dans le
monde. Il est abondant, bien réparti à travers le monde et exempt de risques géopolitiques. Le
recours au charbon est important en particulier dans l’économie chinoise. L’augmentation de
la part du charbon dans le mix énergétique mondial pose toutefois la question de son impact
sur le changement climatique. Si l’Europe a connu une baisse des émissions de carbone, en
partie due à la crise économique, le reste du monde connaît une progression impressionnante
des émissions de CO2. Comment inverser la tendance ? Comment espérer convaincre Chinois
et Indiens de réduire leurs émissions de CO2 ? Ce sera, probablement, l’un des enjeux de la
COP 21 à Paris.
Discussion
- Comment les grandes entreprises énergétiques européennes régissent-elles à l’Union
de l’Energie ?
- Comment envisager une politique énergétique plus ou moins commune dans l’UE eu
égard aux règles de concurrence chères à l’UE ?
- Concernant le hub gazier en Méditerranée, comme le gaz circulera-t-il ?
- Quel sera l’impact du développement du gaz de roche mère sur les émissions de
CO2 ?
- Avec la convention sur le droit de la mer, y a-t-il des prospections en Europe ?
- L’UE envisage de se concentrer sur les infrastructures : qu’est-ce que cela implique
concrètement ?
- Au sein de la Commission Européenne, quel bilan fait-on du marché de l’électricité en
Europe ?
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