chapitre g1 cles de lecture d`un monde complexe : des cartes pour

publicité
CHAPITRE G1
CLES DE LECTURE D’UN MONDE COMPLEXE :
DES CARTES POUR COMPRENDRE LE MONDE
Introduction
C’est un ressenti qu’on rencontre chez beaucoup de personnes ayant atteint l’âge adulte depuis au
moins une vingtaine d’années. Le sentiment d’un monde qu’on ne parvient plus à comprendre. Comme si
« avant » tout était simple et « aujourd’hui » tout était devenu très compliqué. Il faut se méfier de sensations
qui ne sont que le produit de nos mémoires. Le monde d’avant n’était pas moins complexe mais il était
différent et ceux qui y vivaient en connaissaient les codes, les règles, les logiques. Aujourd’hui, ces règles
paraissent moins claires et, quelles que soient les grilles de lecture qu’on adopte pour observer notre monde,
celui-ci révèle des éléments complexes. Il apparait donc qu’on ne peut pas regarder le monde du XXIème siècle
en faisant l’économie d’une réflexion sur les situations diverses et parfois paradoxales qu’il présente. En
géographe, cette lecture du monde doit se faire à l’aide de cartes permettant d’observer ce monde selon des
angles et des approches différentes. Comment l’étude de cartes diversifiées permet-elle de comprendre la
complexité du monde ? Quatre grilles de lecture, géoculturelle, géo-environnementale, géoéconomique et
géopolitique essayeront ici d’éclairer les mystères du monde actuel.
Grille de lecture : ensemble de questions qu’on se pose pour étudier un problème particulier
Carte : représentation graphique de tout ou partie de la surface terrestre selon un rapport de proportionnalité
appelé échelle
I – Une lecture géoculturelle du monde
Les cultures se sont façonnées au cours des siècles. D’abord locales et régionales, elles sont devenues
nationales à partir du XIXème siècle avec la naissance des Etats-nations. Elles s’appuyaient alors sur une série
d’éléments partagés par des populations (histoire, langue, traditions, religions, modes de vie…), ces éléments
pouvant parfois être communs à plusieurs cultures (la religion chrétienne ou la langue anglaise par exemple).
Le monde actuel, du fait de l’importance croissante des échanges humains et d’informations, voit les cultures
s’influencer mutuellement : on observe ainsi une certaine occidentalisation du monde entamée dès l’époque
des Trente Glorieuses que peuvent symboliser la diffusion de la musique anglo-saxonne, du jean, du cinéma
américain ou des fast-foods… Mais ces mouvements ne se font pas dans un seul sens : on a vu des sports de
combat asiatiques partir à l’assaut du monde et trouver une reconnaissance à travers l’olympisme (judo,
taekwondo…) ; on voit aujourd’hui dans les villes françaises des personnes adopter les vêtements traditionnels
de la religion musulmane tout en conservant des modes de vie et de consommation propres à la France. A
côté d’éléments de différenciation culturelle anciens, on trouve donc des situations où l’uniformité gagne. Les
cultures tendent également à devenir générationnelles : plusieurs cultures-jeunes se sont succédées depuis les
années 60 reposant sur des modes artistiques, vestimentaires ou intellectuelles propres (blousons noirs,
grunge…) ; on peut aussi trouver des cultures professionnelles (celles des cadres par exemple). Ce
foisonnement d’influences peut cependant provoquer des réactions violentes de rejet et conduire à des
attitudes de replis sur des fondamentaux culturels aux origines de phénomènes de communautarisme.
Cette complexité a amené les chercheurs (sociologues, géographes…) à chercher à clarifier les
situations en essayant de regrouper des cultures proches au sein de vastes aires de civilisation. Cette tentative
de simplification pose cependant problème comme l’atteste la différence entre la lecture de l’Américain
Samuel Huntington dans son ouvrage sur Le choc des civilisations (il identifie 9 aires de civilisation qu’il estime
devoir inéluctablement s’affronter) et celle du géographe Yves Lacoste pour qui il n’y en aurait que 5 (et une
partie de l’Afrique se situerait hors de ces cinq aires faute d’unité suffisante). On mesure donc ici à quel point
ces questions culturelles peuvent être mises au service de lectures du monde orientées (les travaux
d’Huntington serviront à justifier la politique de George W. Bush après le 11 septembre 2001). L’utilisation de
cartes pour traduire cette diversité culturelle, les oppositions qu’elle provoque ou les influences nouvelles qui
se font, peut donc être un moyen d’orienter la façon de voir de populations entières.
Culture : Ensemble des modes de vie et des pratiques propres à un groupe humain
Aire de civilisation : Espace dans lequel on rencontre des cultures proches fondées sur des modes de pensée
et de vie semblables
II – Une lecture géoenvironnementale du monde
On a tendance aujourd’hui à considérer que les enjeux environnementaux sont une préoccupation
planétaire. La difficulté à mettre en place des politiques cohérentes de lutte contre le réchauffement
climatique ou la protection de telle ou telle espèce montre bien que sur ces questions, on est très loin d’un
accord entre les individus qui peuplent la Terre.
Les questions environnementales sont apparues de manière relativement récente. C’est à la fin des
années 60 que naît le mouvement écologiste qui pointe du doigt les excès de la croissance économique
(impact négatif sur la nature ; consommation de plus en plus frénétique ; oubli des populations « sousdéveloppées » comme on disait alors). Il faut cependant attendre les années 80 pour que le rapport
Brundtland (1987) parvienne à forger l’idée de développement durable qui va dès lors servir d’étalon.
Cependant, tous les Etats ne font pas une même lecture de cette notion : pour les pays riches, le
développement durable c’est accepter de faire attention aux problèmes environnementaux ; pour les pays plus
pauvres, le développement durable se doit avant tout d’améliorer les conditions de vie matérielles. On voit
bien que les objectifs sont très différents et on comprend pourquoi il est difficile d’obtenir des accords lors des
grands sommets internationaux comme à Rio en 1992, à Kyoto en 1997 ou plus récemment à New York où on
débattait des questions de climat. Il n’existe donc pas en matière climatique une forme de gouvernance
mondiale permettant d’imposer des décisions à tous (ce qui permet à un pays surexploitant une espèce
animale de continuer à le faire sans risque… ou à d’autres de polluer sans crainte).
Dans ces luttes entre catastrophistes (pour qui l’humanité à d’ores et déjà « tué » la Terre et est
condamnée à subir le réchauffement climatique et ses conséquences) et optimistes (qui affirment que les
dérèglements sont naturels et sans origine humaine certifiée), l’utilisation de cartes donne du poids pour
affirmer de manière lisible les idées des uns et des autres. Les cartes permettent en effet de traduire
visuellement des indicateurs divers dont la construction vise généralement à défendre tel ou tel point de vue
(l’empreinte écologique accuse clairement les pays développés de menacer l’environnement quand l’indice de
performance environnementale met en évidence leur investissement dans la protection de celui-ci). Il est donc
difficile en matière environnementale de lire de manière simple la situation du monde actuel, en particulier à
travers des cartes qui sont ici des outils de communication.
Environnement : Ensemble des éléments naturels et sociaux constituant le cadre de vie d'un individu.
Ressource : Richesse potentielle offerte par un milieu et que les hommes peuvent exploiter
Développement durable : Type de développement cherchant à associer la croissance économique,
l’amélioration des conditions de vie et la protection de l’environnement afin de ne pas compromettre la vie des
générations futures. Il est issu des travaux de la commission Brundtland en 1987.
III – Une lecture géo-économique du monde
La lecture économique du monde qu’on pouvait avoir dans les années 70 était relativement simple (en
apparence). Il y avait d’un côté des pays riches et développés (qu’on n’appelait pas encore pays du Nord) et des
pays qu’on désignait par l’expression (non politiquement correcte) de « pays sous-développés » ou « Tiersmonde » (notion plus politique). On pouvait également opposer les pays à économie de marché (capitalistes)
aux pays à économie d’Etat (communistes). La fin de l’URSS, la conversion de la Chine à l’économie de marché,
ont assuré la domination du capitalisme libéral dans le monde (que symbolise l’existence de l’OMC,
Organisation Mondiale du Commerce). Mais cette « simplification » s’est doublée d’une complexification des
situations de développement. On a vu d’abord dans les années 80 des pays-ateliers d’Asie du Sud-est (Corée du
Sud, Taïwan, Singapour) prendre une part croissante dans la production et les échanges, s’enrichir et améliorer
ainsi la vie de leurs populations. Depuis, de nouveaux pays n’ont cessé d’émerger certains devenant de
véritables puissances (parfois qualifiées de « pauvres ») ; on les désigne souvent par l’acronyme BRICS (ou
BRICSAM si on y ajoute le Mexique). En revanche, la situation de certains autres pays du Sud reste très
compliquée ; on les appelle (pudiquement) les PMA (Pays Moins Avancés). Au plan économique, le monde est
donc toujours très inégalitaire mais ces inégalités paraissent plus complexes. Il n’y a plus seulement un Nord et
un Sud mais des Nords et des Suds dont les niveaux de développement sont parfois difficilement définis même
en utilisant un indicateur comme l’IDH (l’IDH de la Chine est plus faible que celui de bien des pays du monde
mais la Chine est bien la deuxième puissance économique mondiale).
La diversité des situations économiques a modifié peu à peu la logique fonctionnelle du monde au plan
économique. Auparavant, on distinguait trois pôles moteurs majeurs qu’on avait qualifiés du nom de Triade
(Etats-Unis, Europe occidentale, Japon). Si ces trois pôles existent toujours, leur situation s’est là aussi
complexifiée avec le renforcement des économies du Canada et du Mexique (profitant de délocalisations
depuis les Etats-Unis), de l’Europe de l’est après la crise de la fin du communisme, des pays-ateliers d’Asie du
Sud-est que couronne la puissance écrasante de la Chine. Le monde actuel est donc un monde polycentrique.
Entre ces différents pôles, ces différents centres où se prennent les grandes décisions, des flux intenses
et croissants existent. Qu’ils soient humains (activités touristiques ou déplacements d’hommes d’affaires),
d’informations, de capitaux ou de marchandises, ils ont tous une importance économique et permettent de
définir le monde d’aujourd’hui comme un seul et même territoire. Cependant, la rapidité des évolutions et la
difficulté à traduire la complexité de ces flux font que les cartes représentant le processus de mondialisation
donnent à lire une réalité temporaire.
Economie : ensemble des activités humaines de production, d’échanges et de consommation de biens et de
services.
IDH : Indicateur de Développement Humain. Il correspond à une valeur entre 0 et 1 calculée à part du PIB, du
taux d’alphabétisation et de l’espérance de vie.
IV – Une lecture géopolitique du monde
Selon qu’on observe la situation de notre monde actuel en la comparant aux années 90 ou aux années
60 ou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la lecture change. Depuis 1945, le nombre des Etats dans
le monde et la longueur des frontières n’a cessé d’augmenter ; il y a d’abord eu les conséquences de la
décolonisation qui a multiplié les Etats en Afrique et en Asie (années 40 à 70) avant que la fin du bloc
communiste fasse apparaître de nouveaux Etats en Europe (fin de la Yougoslavie ; scission de la
Tchécoslovaquie) et en Asie centrale (éclatement de l’URSS). Si le nombre des guerres a diminué dans le
monde actuel, cela ne signifie pas que les tensions géopolitiques ont cessé. Que ce soit sous des formes
pacifiques (référendum écossais, évolution du Groenland vers plus d’autonomie…) ou plus violentes (conflit au
Soudan ayant conduit à la partition du pays ; troubles en Irak avec l’émergence de l’Etat islamique ou en Syrie ;
situation dans l’est de l’Ukraine…), les luttes pour continuer à transformer la carte politique du monde se
poursuivent aujourd’hui. Elles touchent cependant davantage les pays du Sud et en particulier les PMA (80 %
d’entre eux ont été touchés par des conflits armés depuis 1990). Les oppositions ne portent pas seulement sur
la terre ferme ; des tensions, parfois fortes, peuvent exister pour le contrôle de telle ou telle parcelle du
domaine maritime à travers la délimitation des ZEE (par exemple en Méditerranée ou en mer de Chine). Le
monde actuel est donc un monde dans lequel les conflits persistent, conflits armés ou non qui traduisent une
fragmentation toujours en cours.
Les tensions interétatiques ou intra-étatiques, surtout si elles prennent de formes violentes relèvent du
rôle de l’Organisation des Nations Unies. Cependant, l’organisation internationale n’a pas assez de puissance
par elle-même pour imposer la paix partout dans le monde ; elle est largement tributaire du bon vouloir des
Etats (et notamment de ceux qui, au Conseil de sécurité, disposent d’un droit de veto) comme on a pu le voir
par exemple dans l’affaire syrienne où la Chine et la Russie ont bloqué toute possibilité d’intervention. Il faut
dire que l’ONU est encore largement fondée sur un monde qui n’existe plus. Créée en 1945, elle a donné un
rôle prépondérant à cinq puissances considérées comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Etats-
Unis, URSS puis Russie, Chine, France, Royaume-Uni). Le monde actuel a vu émerger de nouvelles puissances
qui, par leur poids économiques (Allemagne, Brésil) ou démographique (Inde) voire les deux souhaiteraient
jouer un rôle plus important dans le « gouvernement du monde ». C’est donc pour cela que de nouvelles
formes de gouvernance se développent comme le G8 ou le G20, réunions internationales d’abord consacrées
aux questions économiques mais devenues des points de rencontres entre dirigeants pour traiter des grandes
affaires du monde.
Géopolitique : Science étudiant les manifestations spatiales des relations politiques entre Etats et internes aux
Etats
Frontière : Ligne imaginaire séparant deux Etats
ZEE : Zone Economique Exclusive : espace maritime sur lequel un État exerce ses droits en matière
d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la côte jusqu'à 200 milles marins (environ 370
km) de ses côtes au maximum
Téléchargement