UNIVERSITE LUMIERE LYON II Institut d'Etudes Politiques de Lyon La construction médiatique de la crise « des subprimes » ou le rôle des médias dans l’émergence d’une crise Soutenu le 03 septembre 2008 Morgane Remy Directeur de mémoire : Jean-Michel Rampon Table des matières 4 4 5 5 6 8 8 9 9 Introduction . . Problématique . . Hypothèse . . Choix du corpus et sa catégorisation . . Méthode d’analyse . . I/ Explications de la crise des subprimes . . 1.1 Qu’est ce que la crise des ‘subprimes’? . . 1.2 Rétrospective . . 1.3 Lexique . . 1.4 La titrisation et la crise des « subprimes » comme crise financière 1.5 D’une crise financière à une crise économique globale 10 6 .. .. II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. . . 2.1 Corpus . . 2.2. Revue linéaire . . 2.3 Evolution de la crise : analyse quantitative . . 2.4. Analyse par rapport aux déclarations publique de la BCE et de la Fed . . III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision . . 3.1 Corpus . . 3.2 Analyse linéaire . . 3.3 Analyse comparée. . . IV/ Mise en perspective des analyses . . 4.1 Analyse du discours inspiré de la méthode de S. Moirand 14 .. 10 13 15 15 17 26 30 33 33 34 42 44 44 4.2 Méthodologie inspirée de l’essai : Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island 17 . .. 4.3 Etudes des discours d’experts relayés par la presse. . . 4.4 Comparaison avec les crises environnementales, la crise de la « vache folle » et celle de l’ « e-krach » en bourse . . V/ La presse et l’événement subprime. . . 5.1 Historique de la relation de la presse à l’événement . . 5.2 Les subprimes ou un « Grand événement » 30 .. 5.3 Les logiques journalistiques et lectures événementielles des faits d’actualité . . 5.4 Typologie de l’événement des subprimes . . 5.5 L’événement subprime est une crise . . 5.6 Du sensationnalisme . . 5.7 Le temps de l’événement . . 5.8 La crise des subprimes, un objet politique de rapport de force . . Conclusion . . Annexes . . Bibliographie . . 46 47 54 58 58 59 60 62 63 64 65 67 68 70 71 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Introduction « Dans un cours d’économie financière à l’université Paris I, un enseignant donnait comme seul conseil à ses étudiants tentés de « jouer » en bourse de ne jamais croire les journaliste. Le mouvement des cours boursiers ne pouvait aller, selon lui, que dans la direction contraire à celle prévue par les médias. Le défaut d’information réellement fiable expliquait l’impuissance médiatique dans le domaine prédictif. La législation boursière interdit en effet tout scoop authentique 1 qu’elle qualifie de délit d’initié » . Pourtant, des institutions comme la Banque de France ont un service dédié entièrement à la presse. Lorsque, lors d’un stage en août dernier, j’y ai travaillé, j’ai vu l’importance accordée au médias. Les publications étaient étudiées quantitativement et qualitativement afin de fournir une analyse de l’actualité aux dirigeants. Ces derniers suivaient d’ores et déjà l’actualité au quotidien grâce à une revue de presse mais aussi grâce à un relais en flux tendu des informations jugées comme primordiales. Un tel décalage entre les propos du professeur d’économie et la réalité au sein de la banque des banques pose clairement la question de l’influence qu’ont les médias sur la sphère économique. Mon étude portera sur la crise dite des « subprimes » (que j’ai vu émerger en étant au service presse de la BdF) et sur le traitement médiatique de celle-ci. L’intérêt du sujet est de s’interroger sur deux domaines très différents qui sont liés de façon temporaire dans la création d’un événement. Pour la crise des « subprimes », il est intéressant d’analyser le surgissement du moment 2 discursif que l’on étudiera plus tard dans ce mémoire. Si le surgissement est parfois brutal et intense comme lors des attentats du 11 septembre, le moment discursif peut être plus discret. Ce moment discursif ne devient ‘événement’ que s’il donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements. Le lien entre la crise financière et les médias, c’est-à-dire entre les faits et les récits, est donc la coproduction d’un événement. L’objet d’analyse résulte de cette interaction entre le domaine économique et la presse. Même si la notion reste à définir, on peut simplifier en disant que l’« événement subprime » est l’objet d’analyse. Problématique L’événement « subprime » est souvent présenté comme étant purement un fait, une réalité économique. Pourtant, l’existence d’une crise ne saurait se faire sans médias. Ceux-ci en 1 Elsa Poudrardin, ‘La crise boursière d’avril 2000 dans les articles autour de la « nouvelle économie »’ in Michèle Gabay, Communiquer dans un monde en crise : images, représentations et médias. 2 Sophie Moirand explique que e moment discursif est constitué quand « un événement donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits à propos d’autres événements ». 4 REMY Morgane_2008 Introduction font un récit, la rendent intelligible et, ainsi, lui donnent corps voire, parfois, l’amplifient par les réactions « en chaîne » qu’ils provoquent. À l’instar d’un documentaire, il y a un préjugé de non-fiction. Pourtant, le récit médiatique est scénarisé avec des acteurs, une narration dramatique des faits et des scenarii prévisionnels sont développés. La médiation serait alors une sorte de fiction basée sur des événements réels qui auraient eux-mêmes une rétroaction sur l’économie. En effet, le domaine financier, par son côté irrationnel et émotionnel, est un lieu très réceptif à la fiction. Les places financières sont très sensibles à la confiance des investisseurs qui sont bercés par tout un imaginaire. On peut donner alors le célèbre exemple de Nathan Rothschild qui a fondé sa fortune sur un mensonge : Le 20 juin 1815, au lendemain de la bataille de Waterloo, Nathan Rothschild accomplit un « coup de bourse » remarquable. Informé de la défaite napoléonienne bien avant les autorités, il se rend à la Bourse de Londres et pleure la perte de son fils, mort lors de la déroute anglaise de Waterloo. Beaucoup croient alors que Napoléon est sorti victorieux du combat et, gagnés par la panique, vendent leurs titres. Les actions chutent à une vitesse folle. Rothschild attend la dernière minute puis les rachète et assoit ainsi la fortune familiale. Dans ce cas-là, la réalité a découlé d’une fiction. Hypothèse Mon hypothèse contient donc deux volets : Le premier volet de mon hypothèse est de prouver que la scénarisation d’un événement cadre la crise. Il ne s’agit plus du discours d’économie mais d’un discours bien plus large sur l’économie et autour de la finance. Ce nouveau discours est plus que la traduction par les médias des dires des économistes. Le discours est construit par une grande diversité de communautés (économistes, politiques, associations de petits porteurs, les industriels, les médiateurs) selon un rapport de pouvoir. Selon la même logique que l’écriture de l’Histoire, le discours dominant est imposé comme une réalité alors que ce n’est que celui qui a pu s’imposer au détriment des autres. Le deuxième volet de l’hypothèse est que le discours dominant qui s’impose est d’autant plus important qu’il influe sur l’événement. Il le cadre. Il a, dans le cas d’espèce, un effet déterminant sur les places financières où la confiance joue un rôle clef. Une spirale vicieuse s’est créée sur la base rationnelle d’indicateurs économiques d’une part et sur la base émotionnelle de croyances et mythes d’autre part. Le but de ce mémoire est de faire une analyse de discours, de confronter les opinions de membres des communautés économiques, politique et médiatique pour confirmer ou infirmer cette hypothèse. Choix du corpus et sa catégorisation REMY Morgane_2008 5 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Par un souci d’efficacité, je me concentrerai sur la presse écrite et la télévision même si je ne peux complètement écarter les autres médias puisqu’il y a une interdépendance. Pour que mon analyse soit valable, il ne faut pas partir d’un cas trop particulier. Toujours dans le cadre de la presse écrite, le corpus sera le plus large possible pour être le plus représentatif à l’instar d’un panel de sondage. Pour cela je vais m’assurer d’une certaine hétérogénéité 3 : - Hétérogénéité sémiotique : articles de différentes tailles, diversité des formes de documents (taille, couleur, caractère), de l’alternance entre l’iconique et le verbal. Cette approche vise à cerner les conditions médiologiques : il est signalé à la une, il forme un dossier, tout cela forme une hyperstructure. - Hétérogénéité énonciative : diversité des scripteurs tels qu’ils sont montrés et désignés par le texte (journalistes, envoyés spéciaux, correspondants, rédacteurs occasionnels), la diversité des lieux (parfois en tête d’article : Bruxelles, Paris, Londres, Hong Kong…). Mais il s’agit également du marquage de paroles ou de mots cités ou empruntés lorsqu’ils sont par exemple guillemetés, ou par la présence de verbes introducteurs de paroles rapportées, ou plus insidieusement par l’usage qui est fait de mots ou de formulations qui ont été prononcés par d’autres mais qui ne fonctionnent comme rappel mémoriel que pour les lecteurs capables de discerner, grâce à leurs connaissances, l’allusion à des dires antérieurs ou extérieurs. Un classement professionnel serait possible selon les catégories : brèves, articles, interviews, enquêtes, reportages, éditoriaux, chronologies, glossaires, dessins de presse. Cependant, à ce stade, il semble plus judicieux de traiter ce corpus chronologiquement, ce qui permettra d’évaluer la façon dont le discours médiatique évolue. En effet, l’étalement chronologique du traitement médiatique se fait sur plusieurs mois. Pour la crise des « subprimes », il est intéressant d’analyser le surgissement du moment discursif puis de voir l’évolution de l’événement. Méthode d’analyse La première étape consiste à mener une analyse chronologique des articles de presse. Pour compléter cette analyse, il conviendra d’étudier d’autres formes médiatiques comme les médias audiovisuels mais aussi la communication institutionnelle des banques et de l’État. L’étude sera générale, ce qui suffit à fournir un cadre de comparaison à l’analyse de départ. Il sera intéressant d’étudier l’étalement chronologique du traitement d’un fait sur 4 plusieurs jours . Mais auparavant, il faudra analyser le surgissement du moment discursif. Si ce surgissement est parfois brutal et intense comme les attentats du 11 septembre, le moment discursif peut être plus discret. Ce moment discursif ne devient ‘événement’ que s’il donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques 3 Sophie Moirand, De la médiation à la médiatisation des faits scientifiques et techniques : où en est l’analyse du discours ? , CEDISCOR-SYLED, université Paris III. 4 Coman Mihai, L’événement rituel : médias et cérémonies politiques, La Place de l’Université à Bucarest en décembre 1990 in Réseaux n° 76 CNET - 1996. 6 REMY Morgane_2008 Introduction traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements. REMY Morgane_2008 7 La construction médiatique de la crise « des subprimes » I/ Explications de la crise des subprimes 5 À l’instar de Eliseo Veron , je mettrai en appendice, une explication technique mais vulgarisée de la crise des subprimes. 1.1 Qu’est ce que la crise des ‘subprimes’? Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, soutenait le météorologue Lorenz. En 2007, le défaut de paiement de ménages de Sacramento et de Detroit a obligé la Banque Centrale Européenne à injecter plusieurs centaines de milliards d’euros sur le marché monétaire. Les banques américaines ont accordé des crédits à des ménages présentant de trop faibles garanties pour accéder à des emprunts normaux, dit « primes ». Ces concours bancaires à risques ont été qualifiés de « subprimes ». Au début, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes : les ménages les plus modestes pouvaient avoir accès à la propriété, les courtiers empochaient des commissions alléchantes et l’activité bancaire était soutenue. Les banques, elles, ne mettaient pas tous leurs œufs dans le même panier en titrisant leurs créances et en vendant ces valeurs mobilières sur les marchés financiers. Ainsi, le risque est réparti sur plusieurs agents économiques. Les investisseurs achetaient ces titres offrant une très forte rémunération, même s’il faut souligner que la rémunération est proportionnelle au risque. Cependant, de plus en plus de ménages ne purent plus rembourser. Ils furent alors obligés de vendre leur maison, les prêts étant garantis par des hypothèques. Suite à une vague massive de vente, la valeur des biens immobiliers s’est effondrée. Les faillites des emprunteurs provoquèrent celles des prêteurs. Il y eut quelques faillites, mais le crédit « subprime » ne représentant que 14 % des crédits américains, il sembla que les dégâts resteraient limités, notamment grâce à la politique de titrisation. Mais de fait, la titrisation a été à l’origine de la crise : les acteurs du marché ne savaient plus où situer les risques, en encore moins les quantifier. Certains fonds ont été bloqués car composés essentiellement de titres « subprime », dont la valeur ne pouvait plus être évaluée et donc qui ne pouvaient plus être échangés contre de la monnaie sonnante et trébuchante. C’est ce qu’on appelle une crise de liquidités. A partir de ces faits, quel a été le rôle des médias ? Quel est leur discours au sujet de la crise, comment la définissent-ils ? Parce que cette crise est en grande partie une crise de confiance, ce qu’en disent les médias a un impact sur celle-ci. 5 8 Eliseo Vieson , Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island, Éditions de Minuit, Paris, 1981. REMY Morgane_2008 I/ Explications de la crise des subprimes 1.2 Rétrospective En cas de panique financière, la référence à la crise de 1929 est toujours tentante mais souvent trompeuse. Dans le cas d’espèce, deux autres références historiques paraissent plus éclairantes. Il y a un siècle, la crise de l’année 1987, à son comble en octobre, a éclaté dans un contexte en partie proche du nôtre, marqué par une forte croissance stimulée par une intégration économique et financière galopante (le pic de la « première mondialisation ») et d’importantes innovations financières motivées par la demande colossale de capitaux nécessaires à l’expansion américaine. Le manque de lisibilité des risques dans le système bancaire américain provoqua, après le tremblement de terre de San Francisco, une défiance généralisée et une panique contagieuse sur les marchés du crédit. Si J. P. Morgan, banquier central de facto, parvint à juguler la crise boursière, qui ne dura finalement que 15 mois, elle conduisit à la rédaction des statuts du Federal Reserve System (Fed), votés en décembre 1913. La différence majeure avec la crise d’aujourd’hui est donc que le banquier central américain est à présent de droit et non de fait, ce qui devrait en principe lui donner davantage d’autorité et de moyens d’actions pour juguler la crise. Un autre précédent pertinent est la crise de 1987, elle aussi à son faîte en octobre. Alan Greenspan, comme Ben Bernanke aujourd’hui, venait d’être nommé président de la Fed. La décision d’augmenter les taux, au printemps 1987, pour contrôler l’inflation se rapproche de celle de l’été 2007 de ne pas les baisser. La baisse des taux directeurs américains de 60 points de base le 1er novembre 1987 permit d’apaiser rapidement la panique naissante. Cependant, la crise affrontée avec succès par Greenspan ne résultait pas directement du contexte légué par son prédécesseur. Or, c’est bien le même Greenspan dont la responsabilité est engagée, pour de très nombreux observateurs, dans la formation de la bulle immobilière après le bref épisode de récession de 2001. 1.3 Lexique Subprimes Le terme désigne des prêts immobiliers dits "à risque" car consentis à des ménages à la solvabilité fragile, à des taux d’intérêt très élevés et surtout variables. Depuis plusieurs mois, les taux ont augmenté, ce qui a provoqué une baisse des prix de l’immobilier, en raison d’une contraction de la demande, diminuant d’autant "l’effet richesse" des ménages propriétaires mais endettés. Cette conjonction d’événements a rendu nombre de ménages incapables de rembourser leurs emprunts, mettant en danger les établissements de crédit. Fonds d’investissements Ces sociétés ont pour objet d’investir sur différents marchés, avec divers degrés de risques financiers. Parmi eux, les "hedge funds" (fonds spéculatifs) sont spécialisés dans les investissements risqués, et certains ont choisi d’investir dans le juteux marché des "subprimes". Les établissements qui ont consenti de tels prêts ont transformé les crédits en "titres financiers" (titrisation), de façon à pouvoir les vendre sur les marchés. REMY Morgane_2008 9 La construction médiatique de la crise « des subprimes » En raison du retournement du marché immobilier américain, les titres dérivés des subprimes ne trouvent plus preneurs. Ceux qui ont acheté ces titres, les "hedge funds" notamment, font donc aussi les frais de la crise. La faillite ou le gel de plusieurs d’entre eux les a amenés à vendre des actions pour se renflouer et a affolé les marchés. Marchés financiers Il existe plusieurs types de marchés financiers : actions, obligations (comme les Bons du Trésor américains), monétaires (échanges de capitaux). Un marché baisse quand il y a plus de vendeurs que d’acheteurs, et peut même s’effondrer si les acheteurs font totalement défaut. Banques centrales Les banques centrales comme la Réserve fédérale américaine (Fed) ou la Banque centrale européenne (BCE) ont pour mission de sauvegarder la stabilité financière et de garder l’inflation sous contrôle, au moyen de la politique monétaire. La politique monétaire s’appuie sur deux piliers : le coût de l’argent et le volume disponible. Les taux d’intérêt directeurs, leviers essentiels, peuvent être baissés pour stimuler l’économie ou au contraire relevé (c’est le "resserrement monétaire") pour contenir l’inflation. Les taux d’intérêt consentis aux banques en découlent et sur ceux des emprunts accordés aux particuliers ou aux entreprises. Les banques centrales peuvent aussi retirer ou injecter de l’argent sur les marchés pour rééquilibrer la quantité de « monnaie Banque Centrale » (dollar, euro,…) disponible et tenter d’éviter des krachs financiers, ce qu’elles ont fait plus ou moins massivement depuis l’été 2007. 1.4 La titrisation et la crise des « subprimes » comme crise financière 6 6 Frank Nathaniel (University of Oxford), Brenda Gonzalèz-Hermosillo and Heiko Hesse (IMF), Transmission of Liquidity Shocks : Evidence from the 2007 Subprime Crisis,2008. 10 REMY Morgane_2008 I/ Explications de la crise des subprimes L’effondrement de la bulle immobilière américaine fut le déclencheur de cette crise. En 2001, après la crise de la bulle Internet (les start-ups levaient des fonds énormes malgré une absence de fonds propres, grâce à des perspectives de plus-value très fortes), les taux d’intérêt ont baissé. La liquidité bancaire est élevée, et les acteurs économiques pensent que les risques ont été considérablement réduits, le marché étant « assaini ». Le fait que les ménages américains se trouvent, parce qu’ils ont été incités à emprunter par des institutions peu regardantes sur la qualité du crédit, dans une situation d’insolvabilité, conduit les banques à lever les hypothèques pour se rembourser sur la valeur du bien immobilier. Cette augmentation massive des ventes va révéler la bulle immobilière et provoquer son explosion. Les prix ont augmenté sans rapport à la valeur réelle de ces actifs, ce qui a permis à des ménages de revendre leur logement avec une forte plus-value. Ces ménages apparaissent comme étant solvables et obtiennent des crédits supplémentaires contribuant ainsi à la flambée des prix. Ils prennent le risque, en fait, de voir la crise immobilière éclater et la valeur de leur bien s’effondrer alors que leur dette reste bien réelle. Mais il n’y a pas eu, aux États-Unis, de crise immobilière à l’échelle de la Nation tout entière depuis les années 1930 et il semble donc impossible qu’il y en ait une nouvelle. La crise des subprimes commence en 2003 : de nombreux ménages commencent à ne plus pouvoir rembourser leurs emprunts. Au deuxième semestre de 2006, plus d’un million de ménages sont en situation de défaut de paiement : la crise se généralise. Des organismes REMY Morgane_2008 11 La construction médiatique de la crise « des subprimes » d’études économiques et financières ont prédit la dépression, mais dans l’euphorie du moment leurs alertes ne sont pas prises en compte. Pour que la prise de conscience ait lieu (ce qui sera fait pour le public en août 2007) il faut que survienne ce qui a priori était réputé impossible, à savoir un retournement du marché immobilier avec une baisse continue du prix des maisons. Cela va avoir un effet sur les fonds de créances : ceux-ci ont été constitués en partant du principe que les risques pris sur différents marchés n’étaient pas corrélés, or la baisse des prix de l’immobilier va avoir un impact sur tous les crédits. Il va y avoir un fort besoin de liquidités sur les marchés financiers. 7 La première catégorie de créances douteuses, la plus risquée, met les fonds spéculatifs en difficulté, ce qui ne semble pas grave ; mais dans une situation de crise généralisée, les fonds spéculatifs, comme les banques au dix-neuvième siècle, financent des crédits à long terme à l’aide de crédits à très court terme. Ils ont besoin de liquidités pour les rembourser. Pour ce faire, ils cèdent leurs créances aux banques. Or la valeur de ces actifs est en chute, et cela ne leur permettra pas d’atteindre le niveau de financement nécessaire pour faire face à leurs engagements. L’assèchement de la liquidité bancaire s’est produit parce que, dans la plupart des cas, les banques ont conservé la propriété des crédits (le fonds commun de créances n’ayant en effet pas la personnalité morale). Dans le cas des SICAV monétaires, on peut obtenir des liquidités en échange du rachat de la SICAV ; dans le cas de ces crédits, les banques veulent du cash et vont devoir le fournir elle-même, ayant finalement dépensé au minimum 1 500 milliards pour faire face à ce problème de liquidités des fonds de pension. Elles vont alors se trouver en défaut de liquidités, c’est pourquoi les banques centrales (BCE, FED) ont injecté des liquidités en rachetant des crédits douteux, prenant ainsi à leur 8 compte le risque que les banques commerciales ne pouvaient plus assumer . Les fonds spéculatifs et les fonds de pension ont enregistré des pertes colossales. Les banques ont dû constituer des provisions, mais ne s’en tirent pas mal, car l’intervention des 9 banques centrales a évité la crise de liquidités bancaires. Ce que Michel Aglietta appelle une « crise de la fonction de banque de marché » va affecter le processus de titrisation de manière durable. Les banques ont été obligées de fournir des liquidités à des acteurs qui n’ont rien à voir avec les opérations bancaires ; peut-être vont-elles limiter, voire renoncer à la titrisation, entraînant un renchérissement du crédit et donc une croissance ralentie. Les banques se sont dit qu’elles pourraient toujours faire des marges par la spéculation, car contrairement aux fonds spéculatifs, les banques peuvent compter sur les dépôts. En période normale, ce calcul est fondé puisque ces dérivés de crédit ont pour fonction de diviser les risques et les banques sont donc moins exposées aux défaillances. Mais contrairement à la logique de ce raisonnement, des anomalies vont se produire sur les marchés de produits dérivés. Quelle est donc la défaillance ? Il y en a à trois niveaux : 1/ les risques juridiques. Tous les pays tertiarisés ont encouragé le développement du marché de ces produits dérivés. Mais l’incertitude porte sur la détermination de la propriété juridique de ces valeurs mobilières. 7 8 Natixis , Patrick Arthus , Global Immo, n°1, mars 2008 Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, Les errements de la confiance : la Fed et la BCE dans la crise, Observations et diagnostics économiques n° 289, lettres de l’OFCE, Mercredi 19 septembre 2007. 9 12 Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, 1997, Editions Odile Jacob, Paris. REMY Morgane_2008 I/ Explications de la crise des subprimes 2/ le risque lié au non-respect des normes prudentielles qui avaient été posées pour protéger les banques. Ainsi, au lieu d’avoir diminué les risques, beaucoup de banques ont concentré ces risques. 3/ le fait pour les banques de sortir de leur bilan des dérivés de crédit. Rien pourtant ne les oblige à sortir des sous-jacents de la titrisation de leur bilan bancaire. Au fond, les banques centrales ont fourni des liquidités pour éviter le retour des créances dans le bilan des banques. Ce sont ces pertes considérables qui font que désormais les banques ne peuvent plus prêter à des taux très bas, et ceci en dépit du fait que les banques centrales ont baissé leurs taux d’intérêt afin de faire augmenter la valeur des titres détenus par les banques. 1.5 D’une crise financière à une crise économique globale 10 Crise immobilière (à partir du printemps 2007) Aux États-Unis, desmillions de ménages peu solvables ont souscrit au cours des dernières années des prêts immobiliers à taux variable, dits subprimes , pour un montant total de 1 200 milliards de dollars. L’effondrement des prix, accompagné d’une hausse des taux d’intérêt, étrangle ces ménages, dont beaucoup, incapables de rembourser leurs emprunts, se retrouvent à la rue. Les sociétés de crédit hypothécaire, qui leur ont attribué des prêts aveuglément, sont à leur tour en difficulté. Crise bancaire (à partir de l’été 2007) La plupart desgrandes banques mondiales, qui ont investi dans des produits financiers composés à divers titres de ces crédits subprimes , sont touchées à leur tour. C’est le cas des géants américains Citigroup ou Merrill Lynch, mais aussi d’établissements européens comme UBS. Ils doivent faire appel à des fonds d’Etat asiatiques ou moyen-orientaux pour être renfloués. Un climat de défiance s’installe entre les banques, incapables de déterminer leurs niveaux d’exposition respectifs aux crédits subprime . Elles deviennent très réticentes à se prêter les unes aux autres. L’assèchement des liquidités fait que certaines banques, soupçonnées d’être particulièrement exposées aux subprimes , se retrouvent totalement asphyxiées. C’est le cas de la Britannique Northern Rock, qui ne doit son salut qu’à l’intervention de l’Etat. Crise financière et boursière (à partir de l’automne 2007) La sphère financière dans son ensemble se trouve contaminée, à commencer parles fonds d’investissement, et notamment les fameux hedge funds. Une grande part de leurs 10 o Problèmes économiques N 2.945, 09 avril 2008, DOSSIER :Retour sur la crise financière de 2007, Subprimes : topographie d'une crise. REMY Morgane_2008 13 La construction médiatique de la crise « des subprimes » activités, qui repose sur un fort niveau d’endettement, se trouve en effet gelée faute de liquidités. Les Bourses mondiales sont prises dans la tourmente, plombées par l’effondrement des valeurs financières. Les marchés sont aussi affectés par les inquiétudes concernant l’économie mondiale, guettée par la stagflation (mélange de stagnation de l’économie et d’inflation). Le spectre d’une faillite d’une grande institution financière plane. Celle de l’américain Bear Stearns est évitée in extremis, en mars, par l’intervention de la Réserve fédérale. Crise économique et alimentaire (à partir de l’hiver 2007-2008) Marasme boursier, dégonflement de la bulle immobilière : les investisseurs en quête de meilleurs rendements se tournent versle marché des matières premières énergétiques et alimentaires. Une envolée des prix en résulte, également nourrie par la forte demande despays émergents. Elle se traduit par une stagnation du pouvoir d’achat dans les pays développés, et des émeutes de la faim dans les pays pauvres. La crise bancaire suscite la crainte d’une restriction de l’offre de crédit. Un credit crunch qui risque d’entraîner une chute de l’investissement desentreprises et de la consommation des ménages. Le ralentissement de l’économie mondiale est désormais acté. 14 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. 2.1 Corpus Le corpus qui correspond à la période de l’émergence de la crise dans les médias se base sur la période des mois de juillet et août 2007. Le but est de pouvoir étudier les modalités de l’émergence de la crise. Dans un premier temps, je n’effectuerai qu’une revue linéaire des textes qui servira ensuite de base pour procéder à une analyse fondée sur des théories du domaine des sciences sociales et des « media studies ». J’ai décidé de prendre des articles dans un temps réduit du 17 juillet au 30 août. Ce moment est choisi en fonction de moment discursif, celui où l’événement subprime arrive sur la scène médiatique (le 9 août). Cela permet de voir l’émergence du moment didactique, la naissance de l’événement. REMY Morgane_2008 15 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Date Journal 17/07 Le Monde Titre Pour une politique économique pertinente 08/08 Le Parisien Les banques françaises peu menacées 10/08 Les Echos Les places boursières affectées par les valeurs financières et leur exposition aux « subprimes » 11/08 AFP Crise des « subprime » ; la presse mondiale inquiète 14/08 Les Echos « Subprimes » : « Ils ne mourraient pas tous… » 16/08 Les Echos Crise des « subprimes » : Fabius critique la BCE 16/08 AFP Miné par les « subprimes », le CAC 40 chute à son plus abs niveau de l’année 17/08 Aujourd’hui « Nous demandons en France au gouvernement de s’expliquer » 17/08 AFP Subprimes : Lagarde a reçu le directeur général de BNP après le gel de trois fonds 17/08 Libération « Un manque de clairvoyance, un défaut de transparence et un effet de contagion » 17/08 Libération La moralisation des marchés en question 17/08 AFP La crise des « subprimes’: quelques repères et 16 termes techniques 17/08 AFP Secouée par les « subprimes », la bourse de Paris peut espérer un rebond 18/08 Le Progrès « Il s’agit d’une crise Rubrique/ Page Type d’article Débat/ P.19 Décryptage Economie/ P.10 résultat en bourse Taux P.26 change – actions/ Article de fond Intervenants/ Journaliste Christian SaintEtienne – professeur des universités, membre du Conseil d’analyse économique. Journaliste : V.H. Journaliste : Stephane Le Page Economie et finance/ synthèse J : Areille Verley Le point de P.10 vue de…/ Idées Dernière P.11 page/ Rubrique En France Economie et finance/ Papier d’angle J : Valérie Plagnol Le fait du P. 3 jour/Propos recueillis Economie et finance Intervenant : Julien Dray Événement/ tribune P.4 Intervenant : Laurent Fabius Événement P.4 J : Laureen Ortiz J : Isabelle TOURNE Economie et finance/ Repères REMY Morgane_2008 Economie et finances/ bourse hebdo Informations Intervenant : II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. 2.2. Revue linéaire �Le Monde, 17/07 Pour une politique économique pertinente L’article ne traite pas de la question des prêts à risques. Le spécialiste, Christian SaintEtienne analyse l’économie française et pour lui la crise économique est une crise de l’offre, c’est-à-dire une insuffisance de biens et services adaptés à la demande sous le double effet d’une capacité d’innovation limitée et d’un effort d’investissement productif réduit. Nous sommes le 13 juillet 2007 et l’ombre de la crise financière américaine due à la crise des crédits hypothécaires à risques n’apparaît pas dans la tribune. �Le Parisien, 08/08, Les banques françaises peu menacées Le terme « crise des subprimes » (notons que le terme est entre parenthèses) apparaît pour la première fois dans ce texte qui ne fait que relayer les cours de la bourse et l’opinion de Chuicuong Dang, analyste chez Richelieu Finance. Ici, le journaliste se fait relais. Selon l’expert et les cours de bourse les banques françaises ne sont pas « menacées ». D’ores et déjà les « subprimes » représentent une menace. Selon Chuicuong Dang : « Les investisseurs ont été rassurés par les clarifications apportées par ces établissements. » Cet article a été écrit le 8 août. � Les Echos, 11/08, Les places boursières affectées par les valeurs financières et leur exposition aux « subprimes » Alors que les banques françaises communiquaient sur le fait qu’elles n’avaient pas de titres comprenant le financement des crédits hypothécaires à risque, la BNP Paribas a diffusé le 9 août un communiqué faisant état de la suspension temporaire du calcul de la valeur de trois de ses fonds. Cela a provoqué la baisse des principaux indices boursiers. Le journaliste commente : « Cette fois-ci le foyer d’infection était en France ». Le vocabulaire est ici médical. Si le mot « crise » n’est pas utilisé, le fait de faire une métaphore se référant à la maladie introduit l’idée de crise au sens traditionnel du terme. C’est l’usage médical du mot qui s’impose : au cours d’une maladie, la crise désigne la courte période où des réactions violentes (comme une forte fièvre) mènent soit au sursaut décisif du malade, soit à la victoire de la maladie. Le journaliste commente ensuite le communiqué de la BNP qu’il qualifie de « laconique » : « Le communiqué �…� a fait l’effet d’une bombe ». En effet, « il y a une semaine, la banque française s’était montrée plutôt confiante sur son exposition à ce marché du crédit immobilier à risque aux États-Unis. Hier, elle a apporté un démenti timide. Il n’en fallait pas plus pour que, d’entrée de jeu, son cours accuse le coup : - 2,21 %. Puis plonge de 6,28 %. » L’expression « il n’en fallait pas plus » souligne la volatilité des cours en bourse dans une période pendant laquelle on ne saurait dire si la crise des crédits hypothécaires va devenir une crise financière généralisée et globale. Il semblerait que les marchés soient « schizophrènes. Un jour, ils saluent les bons résultats des entreprises et le lendemain, ils paniquent à propos des informations concernant les expositions aux crédits « subprimes ». Ce climat de perte de confiance est exprimé par un champ lexical relevant de la psychologie filé tout au long de l’article : « extrêmement nerveux » « schizophrénie », « paniquent », « pour calmer les esprits », REMY Morgane_2008 17 La construction médiatique de la crise « des subprimes » « suspicion ». Le terme de « crise de confiance » n’est pas employé, cependant tout le lexique de psychose qui l’entoure l’est. Lors de l’arrivée d’une crise, en termes médicaux, tout le corps est en danger. Ici, le système financier est atteint par ce « cataclysme sur les marchés boursiers ». Comme le corps se protège par une forte fièvre, les banques centrales sont intervenues en injectant des liquidités. « Elles ont mis de l’huile dans les rouages ». Cette phrase introduit l’idée que le système entier était grippé et que le salut ne pouvait venir que de l’action des banques centrales. Enfin, tout le vocabulaire de crise est là mais le mot n’est jamais prononcé. Il y a deux sortes de stade dans la crise décrite ici : le choc qualifié de « cataclysme » et la « période d’incertitude » où l’incompréhension règne, due à l’obsolescence de grilles de lecture. Reste la période du sursaut décisif qui n’est pas encore abordée ici. � AFP, 11/08, Crise des « subprime » : la presse mondiale inquiète L’article de l’AFP est une synthèse du traitement médiatique de la crise des subprimes sur la scène internationale : 18 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. JournalCitation Financial « Pour l’instant le verdict sur Times l’issue de la crise est encore incertain » The « Réaction surprenante des Times marchés » - « marchés effrayés » Commentaires L’idée du sursaut décisif de la crise (médicale ou financière) est ici exprimée. On ne sait pas si le corps malade va s’en sortir ou non. Les marchés, ici, sont humanisés. Ils deviennent un corps homogène et non l’amalgame artificiel d’investisseurs et d’entrepreneurs du monde entier. De plus, ces marchés sont dotés de sentiments et de pouvoir de décision. Il y alors création d’un mythe, d’une chimère composée de plusieurs corps réels, ceux des investisseurs. Ceux-ci n’ont pas été rassurés par l’intervention des banques centrales. Ils craignent que les institutions ne leur cachent des informations. Déjà la question de transparence est posée. L’opacité est montrée du doigt. The « On a certainement besoin Il y a une critique de l’action des banques Guardian d’un peu de calme, mais centrales qui ont introduit beaucoup de liquidités il n’est pas sûr que les sur les marchés. Elles réagissent à une crise d’un gesticulations des banques type nouveau. On ne sait si l’action est la bonne et centrales le permettent les médias s’interrogent, voire prennent position, réellement » vis-à-vis de cette initiative. « Juste une tempête La question est propre à la thématique de crise. éphémère �…� ou le début En effet, il s’agit de savoir si le corps malade REMY Morgane_2008 19 La construction médiatique de la crise « des subprimes » The d’un ralentissement sérieux Daily de l’économie après la Telegraph prospérité torride de ces cinq dernières années » Le « La crise financière Figaro s’étend » - « les banques centrales sur le front » - Le quotidien rappelle que la BCE a placé 155 milliards en deux jours, soit « un record historique » Libération Titre : « Machine folle » « des montagnes de dettes qui fragilisent tout l’édifice » Le Titre : La tempête Parisien La « Le vendredi noir des Repubblica bourses » - « contagion globale » Die Welt Edito intitulé « Méfiance mondiale » - « le revers de la médaille de la mondialisation » Süddeutsche « Il ne semblerait ces Zeitungderniers mois n’y avoir qu’une tendance boursière : à la hausse �…� 20 Maintenant, la fête est finie, et probablement pour longtemps » - « la crise est en partie irrationnelle » va être convalescent ou non. Un des grands enjeux qui se dégage de ce corpus de texte est de déterminer si la crise est conjoncturelle ou structurelle. Le vocabulaire militaire est utilisé ici avec le terme de « front ». Il y aurait donc un ennemi qui n’est pourtant pas matérialisé. Ensuite, on peut noter le rôle de la BCE qui à situation inédite, propose une réponse inédite. Le terme de « record historique » souligne le manque de compréhension qui apparaît lors de l’émergence d’une crise dû à l’absence de repère. Ici, la métaphore médicale laisse la place à une métaphore « mécanique ». La machine ne répond plus. Ce serait alors une sorte de monstre dont l’homme à accouché et perdrait le contrôle à l’instar des androïdes décris dans le roman de science-fiction « E-Robot » de Isaac Asimov. L’idée d’une machine qui s’émancipe et qu’on ne peut plus contrôler véhicule les mêmes peurs que celle filées dans le roman : la machine prend le pas sur son créateur et le met en danger. Métaphore de la catastrophe naturelle. Il y a une idée d’absence de contrôle comme pour Libération mais la responsabilité des hommes n’est plus impliquée. Sans redire ce qui a été dit auparavant sur la psychose et les termes médicaux, les mots employés révèlent ici quelque chose de nouveau. L’appel à la mémoire : le vendredi noir rappelle à toute personne ayant une connaissance minimale de l’histoire économique le terme de « jeudi noir » qui a qualifié le basculement des bourses mondiales en 1929 qui fut la première crise économique mondiale ayant un tel impact dans la presse puis dans les mémoires. Mémoires vis-à-vis des crises économiques : l’idée de crise économique appelle des représentations collectives dramatiques : queues de chômeurs, soupes populaires, paniques boursières… Le système est ici intégralement remis en cause avec une dénonciation de la mondialisation. L’expression « revers de la médaille » sousentend que c’est le prix à payer pour la croissance. Le mieux reste peut être d’attendre que « la tempête », évoquée par Le Parisien, passe pour ensuite réparer les dégâts. Il est temps de se mettre à la diète : « la fête est finie ». La deuxième chose à souligner est l’utilisation du terme « irrationnelle » dans le sens émotionnel. panique boursière tient à une REMYLa Morgane_2008 asymétrie d’informations qui débouche sur une panique qui, elle, est irrationnelle. II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. � Les Echos, 14/08, « Subprimes » : « Ils ne mourraient pas tous… » Le titre cite un vers de La Fontaine, un de ses plus acerbes : « lls ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » par la peste, un mal envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs crimes. Les « subprimes » ainsi associés à ce vers suggère un rapprochement entre la crise économique et une sorte de peste moderne. Le fait de ne pas citer le vers dans son entier semble un message d’espoir. A moins que cela ne soit dû à une manœuvre du secrétariat d’édition pour que le titre tienne dans la limite spatiale de la page et du nombre de colonnes attribuées à l’article ? Dans le titre du point de vue de Valérie Plagnol, le terme de subprimes est pratiquement devenu un nom commun, alors que seuls quelques spécialistes le connaissaient quelques jours avant. Il constitue déjà un mot-événement et évoque tout un imaginaire. Le terme de crise des subprimes est plus utilisé que crise des crédits hypothécaires a haut risques. Cela fait penser à la ‘vache folle’pour l’ESB, à la manière d’un synonyme et même un hyperonyme. ‘Subprime’, désigne tout autant l’événement que la maladie ou un type de crédit. C’est une sorte de mot-évenement. Parfois les deux expressions perdent leurs guillemets. Certaines désignations finissent par fonctionner comme des dénominations partagées, ce qui explique la suppression des guillemets. L’expression devient alors le rappel mémoriel de la crise et de tous les événements l’environnant. C’est un mot-évenement décrit par Sophie Moirand dans Le discours de la presse quotidienne. Elle donne l’exemple du 11 septembre comme archétype du mot-événement. L’intérêt de l’article relève des mêmes champs lexicaux que ceux traités auparavant. Le plus intéressant et le plus notable dans ce texte est sa structure : il y a une introduction qui définit la crise en elle-même. Elle est définie comme « américaine » exclusivement. Ensuite il y un retour en arrière pour trouver les causes de la crise comme lorsque l’on enquête sur les causes d’un incendie. On détermine d’où vient la crise : « de la formidable croissance de la titrisation des actifs financiers et plus particulièrement des créances assises sur des prêts immobiliers ». Puis, la recherche de causalité cède la place à une analyse prospective des conséquences. Valérie Plagnol se pose la question : « l’intervention de la BCE est-elle compatible avec la poursuite du resserrement monétaire annoncé ? ». Il y a donc dans cet article une dynamique passé-futur autour du présent de l’incertitude de la crise. L’analyse pose également la question de l’irrationalité des marchés : « La contagion à laquelle nous assistons n’est pas seulement du ressort de l’irrationnel. �…� L’absence de marché et de capacité à indiquer une valeur liquidative à tout moment incite à se débarrasser au plus vite des actifs en question. Quand il n’y a plus que des vendeurs, la crise est là ! La défiance s’installe, les pertes sont progressivement révélées et la panique gagne quand les opérations au jour le jour entre les banques risquent de ne plus être couvertes ». Ainsi, si la panique reste du domaine de l’irrationnel et relève à la fois des peurs des individus et d’un syndrome de Panurge, ce qui a provoqué cette panique s’explique de façon tout à fait rationnelle. �Les Echos, 16/08, Crise des « subprimes » : Fabius critique la BCE L’article reprend les propos de L. Fabius et les met en scène avec des morceaux choisis. � Aujourd’hui en France, 17/08, « Nous demandons au gouvernement de s’expliquer » La crise financière est abordée ici de façon partisane. Julien Dray et le parti socialiste interpellent le gouvernement via une interview réalisée par Le Parisien – Aujourd’hui en France. REMY Morgane_2008 21 La construction médiatique de la crise « des subprimes » � AFP, 17/08, Subprimes : Lagarde a reçu le directeur général de la BNP après le gel de trois fonds. A nouveau, le terme « subprime » perd ses guillemets et ce dès le titre. Un pas de plus est fait vers la construction du mot-événement. Le communiqué de l’AFP reflète celui de Christine Lagarde, ministre de l’Économie. Le papier est purement descriptif et ne fait que donner un cadre aux citations. �Libération, 17/08, « Un manque de clairvoyance, un défaut de transparence et un effet de contagion » Laurent Fabius, ancien ministre des finances, analyse la crise des subprimes. Il accuse les spécialistes qui sont, pour lui, les responsables de la crise : « il y a eu un défaut de prévoyance considérable de la part des prêteurs américains, puis des banques et ensuite des autorité(s) de régulation(s) et des agences de notations. » Pour lui « il finit forcément par y avoir un retournement » et « la crise était prévisible ». Pour lui l’action des banques centrales était nécessaire « pour éviter la thrombose ». L’utilisation de ce terme médical a un double intérêt qui est de relever d’une pathologie soulignant le parallèle qu’il peut y avoir entre un corps vivant et le système économique. Cela permet également de souligner la fonction d’une injection de liquidité. Mais, à l’instar d’un traitement médical, il fait peur par son ampleur,« révélant aussi que la crise était plus grave que prévue ». Fabius s’inquiète ouvertement des conséquences qu’il peut y avoir sur la France. C’est également l’occasion de critiquer la politique du gouvernement en matière d’économie. Il joue son rôle d’opposant et d’ex-ministre des Finances. Il critique « les décisions ponctuelles du gouvernement qui vont avoir des effets sur la consommation, telles la hausse de l’électricité et aussi l’augmentation des prix de l’alimentation. » Le journaliste pose alors la question prévisible et nécessaire : « Aux manettes, que feriez-vous ? » �Libération, 17/08, La moralisation des marchés en question « L’ambiance devient kafkaïenne sur les marchés », nous dit-on. Qu’est-ce qu’une ambiance kafkaïenne sur des marchés financiers ? Il semblerait que « tout le monde est désigné coupable de la chute des cours, mais en réalité, on ne sait pas qui et de quoi ». La mise en récit est également intéressante. Le récit est rythmé par des phrases nominatives parfois réduites à leur plus courte expression : « Désert. », « Et puis badaboum » et « Code conduite. » Le deuxième paragraphe oppose Angela Merkel à Nicolas Sarkozy. Celle qui « avait prêché dans le désert » en disant que « Nous nous exposons à des risques incalculables » et celui qui demande tardivement de la transparence, « sa dernière trouvaille » et « une idée loin d’être neuve ». Quoi qu’il en soit, cette transparence est nécessaire pour calmer les « ardeurs de ces hors-la-loi de la finance ». On retrouve ici, l’idée de la créature qui s’émancipe de son créateur. En effet, la titrisation des crédits hypothécaires à risques a créé une certaine opacité du fait que les crédits ont été répartis dans des actions et obligations en bourse qui n’avaient rien à voir avec le produit financier d’origine. Pour la première fois, la crise financière devient un élément sur lequel il fonde sa critique du gouvernement en disant « Il y aurait 8 000 hedge funds dans le monde qui géreraient 1 500 milliards de dollars. À cette échelle, la transparence et la moralisation 22 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. évoquée par Nicolas Sarkozy, qui concocte un projet de loi à ce sujet, pourraient n’être qu’un pansement. » � AFP, 17/08, La crise des crédits « subprimes » : quelques repères et termes techniques L’agence de presse fait ici de la véritable news to use pour les journalistes. Ceux-ci sont alors dotés d’un lexique qui leur permet d’aborder la crise avec une série de définitions établies qui leur facilite le travail. Il s’agit d’une étape importante. En effet, proposer des définitions du vocabulaire de la crise des subprimes va homogénéiser le discours. Il est très probable que les médias reprennent ces repères à leur compte pour en faire un encadré ou un éclairage de l’article principal. Cela joue un rôle important dans l’homogénéisation du discours de la presse déjà favorisée par ailleurs par un comportement de mimétisme exacerbé par la concurrence entre les médias. �Le Parisien, 22/08, L’Europe en très petite forme L’article traite de la situation des Bourses. Il s’agit ici de news to use pour les élites économiques. L’article n’est pas facile à lire mais les cotations en bourses et les informations chiffrées peuvent être directement utilisées. Ainsi, si l’article n’est pas facile à lire, les données sont faciles à utiliser immédiatement. La deuxième partie de l’article, après l’intertitre « De lourdes pertes pour les banques allemandes », se veut plus analytique et pose la question du développement de la crise. La crise des subprime va-t-elle traverser l’Atlantique ? La réponse apportée par le journaliste est plutôt pessimiste : « Après IKB et Sachsen LB [deux banques allemandes reconnues pour leur stabilité sur la scène internationale], d’autres banques pourraient dévoiler dans les jours à venir les lourdes pertes essuyées à l’occasion de la crise des « subprimes ». Bref, le sujet n’a pas fini d’agiter les marchés financiers. » �Le Progrès, 18/08, « Il s’agit de crise de confiance » La parole est donnée ici à Ivan Monème, directeur de la communication institutionnelle de Fidelity Investissements. Pour cet expert, « nous sommes plus dans une crise de confiance que dans une vraie crise économique […]. À présent, il faut savoir si la virtualité va rejoindre la réalité ». De mon point de vue, différencier la crise de confiance de la crise économique a un effet pervers. Cela revient à écarter la possibilité que la crise de confiance ne soit qu’une des étapes de la crise économique : c’est le manque de confiance qui a transformé la crise des crédits hypothécaire en une crise économique. En effet, le manque de confiance provoque à la fois une crise de liquidité puisque les banques ne veulent plus se prêter entre elles et une crise d’investissement puisque l’avenir devient incertain. Enfin, le propos est quelque peu déplacé sous l’angle social : comment parler de « virtualité » alors que des milliers d’Américains ont tout perdu et se retrouvent sans logement ? La deuxième partie de l’interview concerne les conseils à donner aux épargnants. Les recommandations sont tellement génériques qu’elles ne sauraient être d’une quelconque utilité pour quelqu’un qui a un tant soit peu l’habitude d’investir en bourse. Le dernier conseil, notamment, relève d’un sens commun que l’on ne pourrait contester : « il faut acheter des entreprises qui ont des comptes extrêmement solides, et qui ont des cours attractifs ». �Le Nouvel Observateur, 23/08, La crise en neufs points L’article fait partie d’un dossier de cinq pages au cœur de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur. Il établit une chronologie simplifiée de la crise permettant ainsi au commun des mortels de comprendre cette crise complexe. REMY Morgane_2008 23 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les deux dernières parties de la chronologie sont particulièrement intéressantes car elles sortent du champ purement financier et économique. En effet : « Le 16 août, les hommes et les femmes politiques se réveillent. Le mot « krach » est prononcé par Christine Lagarde, ministre de l’Économie, qui assure qu’il n’y a pas de risque de krach. » L’ironie du sort est que la formulation négative a été oubliée et seul le mot krach est resté dans les esprits. La dernière partie est purement prospective et est intitulée Les scénarios du futur. Le journaliste parle de « fièvre estivale ». Le terme « estival » renvoie à une notion d’éphémère qui est renforcé par les phrases : « l’optimisme naturel reprendra le dessus ». �Le Monde, 28/08, Patrick Arthus : « le monde va perdre 6 ou 7 dixième de point de croissance en 2008 » L’article est une interview de Patrick Arthus, directeur de la recherche et des études de Natixis. À l’instar d’Ivan Monème interviewé par le Progrès, Patrick Arthus fait une différence entre la composante réelle de la crise et celle irrationnelle. Il parle également de la « vraie crise » : « celle des crédits hypothécaires à risques ». Il ne précise pas clairement qu’elle est la composante irrationnelle de la crise, mais on devine qu’il s’agit de la crise de confiance, celle qui a transformé la crise financière circonscrite aux ÉtatsUnis en une crise économique plus globale. Patrick Arthus dit que la « crise du subprime a dégénéré en une crise des marchés ». Le terme dégénéré, ici, est intéressant. Cela rejoint l’idée de construction qui échappe à notre contrôle. Pour lui la conséquence peut déjà se prévoir : « Le monde va perdre 6 ou 7 dixième de croissance en 2008 du fait de la situation américaine, mais seuls en souffriront ceux qui ont par ailleurs des problèmes intérieurs comme l’Hexagone. » �Le Monde, 28/08, Touchés par la crise, les hedge funds devraient ralentir leur activité L’article est rédigé selon un plan rétrospectif – prospectif. Le premier paragraphe décrit la situation actuelle. Elle semble clairement exprimée par la journaliste Claire Gatinois mais on ressent la confusion par l’apposition de termes essentiellement contradictoires comme « tempête » et « apaisement », « redoublé de vigilance » et « méfiantes » c’est pas contradictoire ! et, enfin, « victime » et « audace ». Ces termes apparemment contradictoires suggèrent la confusion qui existe dans toute crise. Le deuxième paragraphe définit les causes. Le vocabulaire évoque alors une prise de risque démesurée. On parle alors de « dopage », de « montage périlleux jusqu’à dix fois la mise nécessaire ». Les journalistes concluent : « Il y a des abus ». Il s’agit d’une véritable mise au pilori des hedges funds. Le troisième et le dernier paragraphes sont prospectifs. Le troisième paragraphe est circonscrit à la sphère économique. On y parle de « menace », « d’effet boule de neige », de « scénario catastrophe ». Face à cela on s’interroge sur l’efficacité de « l’intervention salutaire », « du sauvetage des banques ». Quant au dernier paragraphe, la prospective relève du plan politique : « Angela Merkel pourra reprendre son cheval de bataille pour imposer aux fonds spéculatifs le code de bonne conduite qu’elle n’avait pas su faire adopter par les États-Unis et le Royaume-Uni lors du dernier G8 ». Pour appuyer ce propos, les journalistes citent Christian de Boissieu, président du Conseil d’analyse économique (CAE), qui prédit : « La crise devrait persuader les Anglo-Saxons de se mettre autour de la table ». � Challenges, 30/08, L’été mouvementé de BNP Paribas. 24 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. L’article prend le parti de faire une histoire de la mésaventure de BNP Paribas presque à l’image de ces récits au coin du feu. Comme le présente le journaliste : « Petite histoire d’un gros coup de tabac ». L’introduction fait penser à un conte de fée : « Dans son vaste bureau de la rue d’Antin à Paris… » La situation est recadrée avec le rappel de la suspension des fonds le 9 août. Le ton est plutôt sarcastique : « Alain Papiasse, directeur du groupe, est revenu bronzé et détendu de ses vacances au Seychelles » alors même que la crise s’annonçait. Pire, il a confirmé « l’exposition directe très réduite de la banque à la crise de l’immobilier américain » une semaine avant la fermeture de trois fonds de la banque. Le 27 juillet, le communiqué de la banque dit : « La liquidité des fonds est assurée pour les porteurs ». Comme le commente le journaliste, « a priori tout baigne ». Mais, le 9 août, trois des fonds sont fermés. Le journaliste, en soulignant cette différence entre la communication et les faits dans un intervalle très court en terme bancaire amène en filigrane la question : Que s’est-il passé entre-temps ? Le décor est planté. Le récit commence. Nous sommes alors au cœur de l’action : « la tension monte d’un cran ». Alain Papiasse commente : « Il fallait très vite mettre le gilet pare-balles et le casque lourd ». En effet, « la situation se dégrade à toute allure ». Et même « Black-out ». Les phrases courtes, souvent nominales donnent un rythme vif au récit. La tension est palpable. Le journaliste termine ce paragraphe par une exclamation : « Du jamais vu depuis le 11 septembre 2001 ! ». L’ambiance de crise est créée, le journaliste nous fait vivre la crise de l’intérieur : « La situation se dégrade à toute allure ». Dans les salles de marché spécialisées, les traders stupéfaits regardent leurs écrans noirs. Plus aucun signe d’activité. Plus de prix ni de volumes. Black-out. Tous tentent de joindre leurs courtiers. Les téléphones sonnent dans le vide. Du jamais vu depuis le 11 septembre. » On va même jusqu’à savoir que lors de la réunion de la cellule de crise, c’est : « Régime sandwich et pizza pour tout le monde ». Cet article beaucoup moins scientifique que la plupart des articles précédents joue sur la corde de l’émotion. Le vocabulaire est plus romanesque que journalistique : « les rumeurs les plus folles courent », « c’est l’étincelle qui allume le brasier », « dans l’œil du cyclone », « éteindre l’incendie ». Encore une fois, le vocabulaire de la catastrophe naturelle est de mise. Le dernier paragraphe introduit par l’interligne « Explications sur les ondes » traite de l’utilisation des médias, ici de la radio, pour le jeu de rapport de force sous-jacent à cette crise. Sur RTL, la ministre de l’économie et des finances Christine Lagarde et Alain Papiasse font le point sur la crise pendant quarante-cinq minutes. Il semble que ce dernier ait gagné la bataille des mots puisque la « même ministre se déclare rassurée par les propos du banquier » quelques heures plus tard sur Europe 1. Le journaliste précise : « Pendant que les uns combattent l’incendie médiatique, d’autres travaillent sans relâche à la réouverture des fonds. » Il y a donc deux fronts dans cette gestion de crise : le front économique et celui de la communication. � Le Monde économie, 30/08, La théorie économique malmenée par la crise financière. L’article traite de la politique économique menée par Jean-Claude Trichet au nom de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de cette situation de crise. La question centrale tourne autour des taux d’intérêt fixés par la BCE. La situation peut rappeler selon le journaliste le discours dit « de la Croix d’or » du grand orateur William Jennings Bryan. Outre l’ironie de la comparaison entre l’effet de l’étalon-or sur les populations et la couronne d’épine sur le front du christ, l’idée qui ressort du discours dit de la Croix d’or est REMY Morgane_2008 25 La construction médiatique de la crise « des subprimes » que « la population ne doit pas payer pour les erreurs des décideurs politiques fascinés par telle ou telle théorie économique dépassée ! » Une véritable critique du système est alors entreprise. La première critique porte sur l’aveuglement idéologique des « agents économiques ». « Les décideurs politiques et les gourous en la matière ont porté toute leur attention sur le « risque subjectif » : les « profiteurs » doivent payer pour leurs erreurs, afin qu’ils ne recommencent pas. » � Le Nouvel Observateur, 30/08, Vous avez dit subprimes ? Le titre est : « le rêve fracassé de Zelma Johnson ». L’imaginaire du rêve et celui de la crise sont intimement liés : on peut presque penser à « death of a salesman ». Le rêve américain est alors confronté à la réalité des crises. À la place d’un commis voyageur vieillissant nous avons une femme de 49 ans ruinée. Pour le reste, on transpose l’histoire de nos jours et le tour est joué. Les propos rapportés font preuve de naïveté : « une amie » – « je pensais y arriver ». On la présente alors comme une victime à l’innocence d’un enfant. Une vraie « proie ». Le journaliste justifie cette innocence par un rêve individuel trouvant un écho dans les valeurs nationales prônant un accès pour tous à la propriété. Un expert financier explique que la maison prenant de la valeur, les Américains contractaient de nouveaux emprunts. L’expert rectifie : ils confondaient la « dette avec le capital » et donc la dépensaient en bien de consommation. Il y a une opposition entre spécialiste et américain moyen, comme si le fait qu’on les qualifie de « subprime » influe sur la façon dont on les perçoit. L’histoire se construit autour de Zelma qui personnifie tous les Américains dans la même situation. Cela constitue un recadrage de la crise, qui est également sociale. Le journaliste utilise l’adjectif « infortunée », puis « encore dans le rouge », et « proie ». Le tout s’accompagne d’une photo représentant la femme assise, comme résignée et dans l’ombre comme n’ayant pas le droit de s’exprimer. Il y a une véritable dramatisation du récit. 2.3 Evolution de la crise : analyse quantitative Pour analyser sous l’angle quantitatif le traitement médiatique de la crise des subprime par l’Agence France Presse, le logiciel Factiva-Dow Jones permet de dénombrer, par mois, les articles contenant le mot « subprime ». Il est important de noter que Factivia, malgré un catalogue impressionnant, n’est pas exhaustif. Aussi, les chiffres obtenus ne sont intéressants à analyser que les uns par rapport aux autres. 26 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. Date Étapes Date de la crise en fonction des Nombre de périodes étudiées dépêches AFP Juin Juin : La banque d’investissement 3 américaine Bear Stearns, qui annonce la faillite de deux fonds spéculatifs, est la première grande banque à subir les dommages des "subprimes". JuilletJuillet : La banque allemande IKB est 16 mise en difficulté. Août 10 août : Les Bourses plongent. Les 237 grandes banques centrales injectent de nouveau des liquidités dans le système bancaire. Septembre 14 septembre : La Banque 85 d’Angleterre accorde un prêt d’urgence à Northern Rock, cinquième banque de Grande-Bretagne, pour lui éviter la faillite. Des clients paniqués se précipitent pour retirer leur épargne. Octobre 1er octobre : UBS, première banque 40 suisse, annonce une dépréciation d’actifs de 4 milliards de francs suisses (2,4 milliards d’euros), principalement sur le marché des "subprimes". La banque américaine Citigroup annonce être aussi touchée par cette crise et prévoit une chute de son bénéfice. Novembre 76 Décembre Décembre : L’économie américaine 52 souffre des effets de la crise de l’immobilier et du crédit. Les craintes de récession augmentent. Janvier 22 janvier 2008 : La Fed baisse son 133 taux directeur de trois quarts de point à 3,50 %, une mesure d’une ampleur exceptionnelle. Février 17 février : La banque Northern Rock, 75 en situation critique, est nationalisée par le gouvernement britannique. Mars 11 mars : Les banques centrales 71 conjuguent de nouveau leurs efforts pour soulager le marché du crédit. La Fed se dit prête à fournir si besoin jusqu’à 200 milliards de dollars à un groupe restreint de grandes banques. 16 mars : Le géant bancaire américain JP Morgan Chase annonce le rachat de la banque en difficultés Bear Stearns, pour seulement REMY Morgane_2008 236 millions de dollars, une opération soutenue financièrement par un prêt de la Fed. Le prix, très modique, sera quintuplé une semaine plus tard. Avril 74 Mai 87 Nombre d’articles publiés en français 190 577 2 472 1 691 1 112 1 723 1 310 1 563 1 372 1 086 27 963 801 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les évolutions quantitatives des dépêches AFP et des articles de presse sont fortement corrélées. Cela montre l’influence des agences sur la presse. Le recours aux agences de presse permet aux journaux et autres publications de fournir, notamment, des informations sur des pays dans lesquels ils n’ont pas de correspondant, ou sur des activités sur lesquelles ils n’ont pas les moyens d’enquêter eux-mêmes. En l’occurrence, c’est plutôt la réactivité des agences de presse qui permet aux journalistes de suivre l’évolution rapide des cours de la bourse et de réagir après des décisions de politique monétaire qui sont dévoilées lors de conférence de presse relatées quasi instantanément par l’Agence France Presse. Il peut également être intéressant de comparer le nombre d’articles à l’évolution des cours de la bourse (ici, le CAC 40). L’objectif est de voir s’il y a une corrélation. Explications, au vu de du CAC 40, de l’évolution du nombre d’articles paru dans la presse écrite quotidienne et hebdomadaire. 28 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. Période Évolution nombre d’articles Éléments explicatifs. et typologie de Eliseo Veron (entre guillemets) Août Forte augmentation d’articles. On passe de 577 articles à 2 472, soit près de quatre fois plus. « Première montée de l’événement » Le 9 août 2007, le CAC 40 perd 2,17 % pour finir à 5 624,78 points. Cela correspond au fait majeur évoquer dans le tableau précédent avec le 10 août, une chute vertigineuse de la bourse. C’est le catalyseur pour les médias. À partir de cet instant les subprimes deviennent événement. Septembre Le nombre d’articles est en Le nombre d’articles est en recul tout - Octobre très fort recul. d’abord parce que la bourse semble repartir au même niveau qu’avant le « clash ». On voit même une légère amélioration. On peut aussi imaginer que le choc étant passé, l’effervescence journalistique s’est calmée. Peut-être aussi que cette effervescence a été régulée par action des banques centrales. Par exemple, la réserve fédérale des États-Unis a décidé le mardi 18 septembre la baisse d’un demi point de ses taux directeurs, ramenés de 5,25 % à 4,75 % Le nombre d’articles Le traitement quantitatif des médias varie réaugmentent en novembre en fonction des cours de la bourse. Le REMY Morgane_2008 29 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Novembre- puis baisse en décembre et Décembre - réaugmente en janvier de Janvier manière peu conséquente cependant. « Sommet informatif » nombre d’article baisse en décembre alors même qu’une action de poids a été menée par la Banque Centrale Européenne. Après une action concertée des principales banques centrales concernées, le 18 décembre 2007 la BCE s’est engagée à prêter en quantité illimitée et en garantissant l’anonymat au taux de 4,21 % pour deux semaines pour réduire les difficultés à emprunter sur le marché interbancaire. Février – Mars Le–nombre Avril – Mai d’article diminue La situation semble se réguler. Les banques Juin progressivement. Le centrales semblent commencer à avoir désintérêt de la part de la la crise sous contrôle. Cependant, si les presse se fait sentir. « Le articles diminuent, on peut aussi parler creux de la vague » d’un effet d’agenda. Dans le domaine économique, la crise alimentaire et celle, plus générale, des matières première occupe la Une. En effet, ces crises concernent plus de monde et, dans le cas de la crise alimentaire, impressionne par son ampleur. 2.4. Analyse par rapport aux déclarations publique de la BCE et de la Fed Déclarations et communiqués rendus publics par la Fed et la BCE (repris dans lettre de 11 l’OFCE n° 289 ), entre le 31 juillet et le 18 septembre 2007, mis en relation avec le nombre d’articles publiés en français. Mon but est de voir, sans préjugé, si les communiqués provoquent une réaction des journalistes ou si les banques centrales réagissent en fonction de l’impact médiatique et réél de la crise. 11 Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, Les errements de la confiance : la Fed et la BCE dans la crise, lettre de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 289 Mercredi 19 septembre 2007 30 REMY Morgane_2008 II/ La construction de l’événement « crise des subprimes » par la presse écrite. Fed 7 août 2007 « Même si le risque de ralentissement de la croissance a quelque peu augmenté, la préoccupation première du Comité demeure que le risque d’inflation ne se modère pas comme prévu. » BCE Date – nombre d’articles 31/07 – 048 01/08 – 051 02/08 – 082 2 août 2007 « Le risque d’augmentation de l’inflation à un horizon moyen et long est confirmé par la vigueur du taux de croissance de la masse monétaire : une grande vigilance permettra que ce risque ne se matérialise pas. » 17 août 2007 « Les conditions 14 août 2007 « Nous traversons 08/08 – 059 09/08 – 103 10/08 – 167 sur les marchés financiers se sont une période de nervosité des dégradées, et un resserrement du marchés… Dans une certaine crédit doublé d’une plus grande mesure, nous assistons à une incertitude peuvent ralentir la normalisation de l’évaluation progression de la croissance. Dans desrisques. Les conditions ces conditions… le Comité juge sur les marchés de crédit que les risques de baisse de la reviennent à présent à lanormale. croissance se sont significativement L’Eurosystème continuera de accrus. Le Comité surveille surveiller la situation jusqu’à ce l’évolution de la situation et se tient que les marchés financiers de prêt à agir autant que de besoin la zone euro reviennent à leur pour contrecarrer les effets néfastes état normal defonctionnement. que les turbulences sur les marchés J’appelle chacun à faire preuve financiers pourraient avoir sur de sang-froid. Cette attitude s’est l’économie dans son ensemble ». révélée efficace ces derniers jours. Elle permettra de faciliter un retour en douceur à l’évaluation normale des risques sur les marchés du crédit ». 22 août 2007 « La position du 21/02 – 083 22/02 – 063 23/03 – 081 Conseil des gouverneurs de la BCE au sujet de sa politique monétaire a été rendue publique par son Président le 2 août dernier ». 31 août 2007 « Les turbulences 27 août 2007 « Ce que j’ai 25/08 – 029 26/08 – 007 27/08 – 085 financières que nous avons dit le 2 août, je l’ai dit avant observées trouvent leur origine les turbulences du marché… immédiate dans les problèmes J’ai dit très clairement, au nom rencontrés par les marches du Conseil des Gouverneurs, hypothécaires subprime, mais que ce qui constituait notre leurs effets ont été ressentis évaluation de la position de plus largement sur le marché politique monétaire se situait hypothécaire et, au-delà, sur les après la réunion du 2 août. C’est marchés financiers, entraînant la dernière évaluation en date des conséquences potentielles de politique monétaire faite par pour toute l’économie. La Réserve le Conseil des Gouverneurs… fédérale se tient prête à prendre et il n’y a pas de changement… des mesures supplémentaires, La prochaine évaluation doit autant que nécessaire, afin de REMY être faite le 6 septembre. Nous Morgane_2008 31 fournir de la liquidité et d’assurer devrons alors évaluer tous les le fonctionnement normal des éléments… de l’économie. marchés. Le Comité continue de Nous évaluerons les risques… surveiller la situation et agira autant et prendrons les mesures que de besoin pour limiter les effets appropriées à ce moment-là. néfastes sur l’économie résultant Nous avons fait ce que nous La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les communiqués des banques centrales correspondent au pic du nombre d’articles. La première chose à observer est que ces communiqués semblent être une réaction à un traitement massif de l’événement subprime. Ainsi le 12 août, il n’y a que 15 articles publiés en français et le lendemain, le nombre explose littéralement à 150 articles. Le 14, la Banque Centrale Européenne communique à propos de la « nervosité des marchés ». Le phénomène s’observe également pour la Federal Reserve. Le 15 août, il n’y a que 55 articles contre 145 le lendemain. La réaction de la Fed ne se fait pas attendre, la banque centrale américaine communique dès le lendemain et affirme que « le comité surveille d’évolution de la situation et se tient prêt à agir ». La même situation s’observe avec les déclarations du 6 septembre pour le BdF et le 18 pour la BCE. Si la presse joue un rôle de catalyseur sur les déclarations des banques centrales, les déclarations de ces dernières sont aussi largement commentées. Ainsi, la déclaration de Jean-Claude Trichet revenant sur ces propos rassurant du 2 août a eu un impact sur la publication d’articles. Ayant travaillé le mois d’août dernier au service presse de la Banque de France, j’ai pu constater la multiplication de coups de téléphone de la part des journalistes après une déclaration de Jean-Claude Trichet sur la crise des subprimes. Ce détail peut paraître trivial, mais il constitue bel et bien une preuve que les communiqués influent sur la publication d’articles sur les subprimes. 32 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision Étant donné que de moins en moins de gens lisent des quotidiens ou d’autres sources d’information, la télévision détient « une sorte de monopole de fait sur la formation des 12 cerveaux d’une partie très importante de la population. » Ce monopole dans l’information est un problème réel, car la télévision tend ainsi à imposer ses systèmes de classement, de pensée, sa façon d’ordonner le réel et de classer à une frange importante de la population. Ce poids du champ télévisuel s’exerce dans plusieurs domaines et plusieurs champs. En imposant des « lunettes », des manières de percevoir, il va indirectement forcer les autres champs à s’exprimer ou à devoir adopter les catégories de pensée propres au champ médiatique. Des études tendent à démontrer que les évaluations et les opinions du public reflètent beaucoup plus les conceptions et les représentations que se font les médias que 13 la réalité elle-même . 3.1 Corpus CNN, Business, financial, personal finance news – CNN Money, July 23, 2007. How subprime mess started. Richard Bitner, author of « Confessions of a subprime lender », talks about rising foreclosures. http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2008/07/23/ am.intv.bitner.subprime.loans.cnn?iref=videosearch CNN, Real Estate News - Prices, Mortgages, and Calculators from CNNMoney , August 10, 2007.U.S. subprime mortgage crisis. Surprime loans in the U.S. are proving an Achilles heel for otherwise strong global markets. CNN’s Maggie Lake reports. http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2007/08/10/ lake.subprime.explainer.cnn?iref=videosearch LCI, 10 août 2007 - 18 h 14 Bourse : Crise des marchés financiers : les explications de Thomas Blard. Le spécialiste de la bourse sur LCI explique pourquoi le subprime, un crédit à risques qui existe aux États-Unis, a des répercussions sur les marchés du monde entier. http://tf1.lci.fr/infos/economie/0,,3520414,00-crise-marches-financiersexplications-thomas-blard-.html France 2, Complément d’enquête, Lundi 5 novembre 2007- 23h15, Scandales, faillites, délits d’initiés… la crise de confiance. Le malheur est dans le prêt . Un reportage de Edouard Perrin. Ils habitent la Californie, et ont acheté leur maison à crédit, sur 30 ans, à taux variable. Mais à la première baisse de l’immobilier, les voilà ruinés ! C’est le scandale 12 Bourdieu, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996. 13 Bourdieu, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996. REMY Morgane_2008 33 La construction médiatique de la crise « des subprimes » des "subprimes", ces créances pourries qui ont contaminé tout le système financier, aux États-Unis et en Europe. Pourquoi les banquiers ont-ils favorisé ces prêts à haut risque ? Sommes-nous les prochaines victimes de cette crise sans frontière ? http://info.france2.fr/complement-denquete/emissions/35811826-fr.php CNN.com International , December 23, 2007, Surprime woes. CNN’s Ines Ferre takes a look at the U.S. subprime crisis. http://edition.cnn.com/video/#/video/business/2007/12/23/ ferre.subprime.2007.cnn?iref=videosearch France 5, C’est dans l’air, panique à la bourse, mardi 22 janvier 2008 Panique à la bourse : qui ? , Panique sur les places boursières depuis les chutes vertigineuses de lundi. Après les États-Unis, l’Asie et l’Europe redoutent d’être contaminées par la crise des subprimes . A l’origine : la crainte de voir l’économie américaine tomber en récession et contaminer l’Europe. Le plan de relance de l’économie américaine présenté par George W. Bush n’ayant pas convaincu. http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php? date=2007-12&id_article=145&page=resume TF1, le 20 h du18 février 2008, Grande-Bretagne : la banque ''Northern Rock'' temporairement nationalisée. C’est une première en Grande-Bretagne depuis plus de trente ans. La banque avait été victime de ses placements malheureux dans les produits ''subprime''. http://tf1.lci.fr/infos/jt/0,,3716808,00-grande-bretagne-banque-northern-rocktemporairement-nationalisee-.html TF1, le 20 h du 27 mai 2008, Le Royaume-Uni rattrapé par la crise immobilière.La crise américaine des ''subprime'' atteint à son tour le Royaume-Uni. Le pays fait face à une crise immobilière sans précédent depuis 20 ans. ht tp://tf1.lci.fr/infos/jt/0,,3860879,00-royaume-uni-rattrape-par-criseimmobiliere-.html 3.2 Analyse linéaire �CNN, Business, financial, personal finance news - CNNMoney subprime mess started . , July 23, 2007. How L’intervenant est présenté : on apprend que Richard Bitner est l’auteur de Confessions of a Subprime Lender, un livre qu’il a écrit après la décision d’arrêter le métier de coursier. Il présente la crise comme différente des précédentes. Contrairement à la crise Enron ou la crise World.com (aussi appelée crise internet) où il y avait quelques personnes qui jouaient avec le feu, là c’est tout le système qui est en cause. « It is a breakdown of the entire system.” Le problème est que l’argent est devenu peu cher : « Money became so cheap”. Il parle du coût de l’argent. Le coût de l’argent correspond au taux auquel l’argent est prêté. Ce taux est la rémunération du service, fixé en fonction de la hauteur du risque, de l’agent prêteur. C’est un coût pour l’emprunteur. Or, avec des taux bas aux États-Unis depuis des 34 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision années, les banques ont dû trouver des secteurs plus risqués et plus rémunérateurs pour être rentable et financer le crédit. Le discours de l’expert est concis mais peut rebuter quelqu’un qui n’a eu aucune formation en économie d’autant plus qu’il utilise beaucoup plus de raccourcis que dans ce résumé. Il dit juste : « Money was so cheap that lenders has to take more risks to make some benefits”. La journaliste en studio interroge l’expert qui est dans son bureau. L’écran sert d’intermédiaire. Sur cet écran, en plus de l’image prédominante de l’expert, on distingue des images de maison vendues et saisies diffusées en boucle. La mise en scène est quelque peu dramatique. Elle demande alors « How could it go right in the first place ?”. Comment ce système a pu fonctionner dès le départ alors qu’il consistait à prêter à des personnes qui n’étaient pas capables de rembourser ? La réponse du spécialiste est intéressante. Tout d’abord, sur le fond, dans le domaine purement économique, il explique que le problème n’est pas nouveau. La finance a toujours créé des outils qui encourageaient des ménages, même peu solvables, à emprunter. Il en est ainsi des cartes de crédit par exemple. La différence, dans cette situation, est que c’est allé beaucoup trop loin. Il a ensuite fait la différence entre les prêts à la consommation et les prêts utilisés pour investir, notamment dans le cas des “self-employed”, des professions libérales. En effet, ces derniers vont tirer un revenu des sommes prêtées, ce qui permettra de rembourser. Le problème dans les crédits “subprimes” est que cette distinction n’a pas été faite entre ces deux types de clients. Sur cette analyse, la journaliste apporte des chiffres sur le nombre de maisons saisies (home foreclosure) qui apparaissent sur un fond rouge : Année 2005 2006 2007 Nombre de maisons saisies 846 982 1 259 118 2 203 295 Augmentation en pourcentage 42 % 75 % La conclusion du spécialiste est qu’il faut une aide extérieure (sous-entendue du gouvernement) pour éviter de courir à la catastrophe. �CNN , Real Estate News – Prices, Morgages, and Calculators from CNN Money August 10, 2007. « Going. Going once. Going twice. Gone. Sold ?” La formule rituelle des ventes aux enchères introduit le reportage. Il rythme les images martelées de panneau maison à vendre (for sale) ou vendu (sold). Cela fait directement référence aux maisons saisies pour cause de défaut de paiement, et, qui sont ensuite vendues aux enchères. Cela concerne plus d’un demi-million de maisons, nous informe le reportage. Le coup de marteau de la vente résonne. L’image se fige. Le destin est scellé. REMY Morgane_2008 35 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Après cette introduction dramatique, les explications sont données. Au départ les taux d’intérêt étaient bas. Quand le marché s’est calmé, les taux indexés sur le prix des maisons ont augmenté. « Those rates jumped”. L’image de maison servant de background tourne au rouge sang. Le plan suivant se centre sur un spécialiste dans son cadre de travail, les salles de marchés. Il souligne la soudaineté de la fermeture des fonds et la peur que cela a provoqué sur les marchés. La journaliste conclut « Bank became reluctant to loan anyone even each other. Clearly action was needed.” L’image qui accompagne ce commentaire est la planche à billet en train de produire du cash. Sur ces images, la voix-off du journaliste commente de façon inquiétante : « The worst may not be over”. Pendant des années, ce fut le temps du cheap money avec des taux d’intérêt peu élevés. Les banques centrales augmentaient leur taux directeur pour éponger (to mop up) l’excès de crédit. Le cheap cash a continué à se déverser sur les marchés. Les derniers mois, il y a eu un resserrement des conditions de crédit. Les entreprises ne peuvent alors plus collecter de fonds. La peur d’une crise de crédit apparaît. L’image de fond est encore une fois la fabrication en usine des billets de banques. La journaliste interroge en voix off : « What is the worse scenario ?” Le pire à craindre selon l’expert est de ne plus avoir de liquidités. Celui-ci fait une distinction entre la crise immobilière et la crise financière de liquidité. Pour lui, la crise immobilière n’a été que le catalyseur, le déclencheur (trigger). Les crédits dits subprimes ont été victimes de leur succès. Ce succès était dû au fait que le crédit hypothécaire à risque “gave to the famillies a shot of the american dream”. Ils avaient pour la première fois la possibilité d’être propriétaire alors qu’ils n’en avaient pas réellement les moyens. 36 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision La conclusion du reportage est que cela va prendre des années pour savoir combien d’argent a été perdu dans cette crise. Tout le monde va suivre les conséquences de la crise : investisseurs, propriétaires fonciers et même tous ceux qui ont un compte bancaire. �LCI, 10 août 2007 - 18 h 14 Bourse : Crise des marchés financiers : les explications de Thomas Blard. L’introduction du reportage comme par la phrase : « Rien ne va plus sur les marchés ». Le reportage fait suite à l’actualité du gel de trois fonds de la BNP. La situation est présentée. La bourse de Paris a chuté de 3,13 % le jour du reportage et les autres places boursières suivent le même chemin. La Fed a injecté de nouvelles liquidités au marché à hauteur de 35 milliards de dollars. Thomas Blard est introduit comme le « spécialiste de la bourse sur LCI ». Il explique la crise : « Le problème est que l’on ne sait pas très bien ce qui se trouve le placard. Baudoin, Prot, directeur de la plus grande banque française, annonce il y a une semaine que tout est sous contrôle. […] Hier, on apprend, à la surprise générale, que la même BNP Paribas gèle trois fonds. Ce qui signifie qu’on ne connaît pas bien même au sein de ces grandes institutions financières l’ampleur du problème et c’est ce qui inquiète les marchés financiers en ce moment. » La journaliste qui mène l’interview pose alors la question qui émerge à ce moment de la crise : « Pourquoi ce problème avant tout américain affecte toute l’Europe ? » L’explication ensuite est très banale. Il s’agit de la titrisation mais, cette fois, le mot titrisation n’est pas prononcé seul et sans explication. L’expert, qui est aussi journaliste (volonté d’être, avant tout, compris), explique que la crise se propage à l’Europe parce que les organismes de crédits américains ont découpé ce risque en petits morceaux et les ont vendus à toute la planète financière, y compris aux banques européennes. « Tout le monde était content », précise-t-il. Il conclut en disant qu’on « pensait que c’était une dilution du risque. On pensait que le risque était nulle part, on se rend compte qu’il est partout. » L’idée du fait que tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu’à l’éclatement de la crise est mise en exergue ici avec la phrase « Tout le monde est content ». Mais, ce n’est qu’une apparence. La crise trouve ses racines bien avant que l’on prenne conscience de son émergence selon le même fonctionnement que celui d’un abcès. Cependant, il est vrai qu’il y avait une certaine euphorie due au fait que l’accès à la propriété était facilité. La journaliste termine son interview par la question : « Comment sortir de cette crise, de ce piège ? » L’utilisation du terme piège peut amener à se poser la question de qui est l’auteur de ce piège. La réponse de Thomas Blard est très imagée : « Les pompiers de services, c’est-àdire les banques centrales, ouvrent les robinets des liquidités pour remettre de l’huile dans les rouages. Parce que les banques ont peur de prêter, les banques centrales jouent ce rôle. » Le discours de l’expert est simple, métaphorique et laisse tout un chacun comprendre, certes de façon globale, la crise. Il conclut alors : « Cela risque de tanguer sur les marchés quelque temps ». � France 2, Complément d’enquête, Lundi 5 novembre - 23h15, Scandales, faillites, délits d’initiés… la crise de confiance. Le malheur est dans le prêt . Un reportage de Edouard Perrin. La présentation commence sur fond d’impression de billets, d’images d’EADS, de panneau de salle des marchés effervescente, et de panneau “ à vendre”. Le reportage de complément d’enquête fait un lien entre l’affaire EADS, la crise immobilière aux États-Unis, REMY Morgane_2008 37 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Northen Rock proche de la faillite et le rôle de la BCE. Toutes ces crises et institutions sont liées dans une crise de confiance généralisée dans la sphère financière et économique. L’introduction de l’émission annonce l’angle des reportages : « Faut-il douter de nos banquiers ? Peut-on avoir confiance dans un système où la connivence semble la règle ? En Californie qui savait quoi ? Qui savait que le système était au bord du gouffre ? Qui est responsable ?” Un climat de défiance est inscrit dans le reportage. Il y a une véritable volonté de débusquer les responsables. L’enquête journalistique s’apparente alors à une enquête judiciaire. L’introduction du reportage Le malheur est dans le prêt est que la crise des subprimes a d’ores et déjà coûté 170 milliards de dollars (la source n’est pas citée) et le présentateur pose la question est de savoir su la crise est devant ou derrière nous ? Le reportage commence avec Mike, le stéréotype de l’individualiste opportuniste américain qui tire profit de la crise immobilière. Il construisait des maisons et maintenant, il a trouvé une activité plus lucrative en Californie, à savoir l’inspection des maisons qui ont été saisies par les banques. Son boulot va de la chasse aux squatters des maisons vidées par l’huissier aux réparations pour rendre la maison la plus présentable possible pour la vente. Du point de vue de Mike, les ménages expulsés ne sont pas à plaindre puisqu’ils vivaient au-dessus de leurs moyens : « They were living on the hedge”. Les ménages en question ont en effet dépensé tout leur crédit pour des biens de consommations. Le résultat est, qu’en Californie, plus de 50 000 maisons ont été saisies rien qu’en 2007. En background, les images de carte postale californienne défilent sur une musique de rap américain. Le contraste illustre la désillusion. Cela fait une transition idéale vers l’interview et la rencontre d’un émigré mexicain qui explique sa situation. C’est un peu le point de vue opposé à Mike. L’émigré mexicain est une des victimes du crédit hypothécaire. Il voulait accéder au rêve américain, offrir une maison à sa famille. Un courtier lui a dit que c’était possible. Il a signé. Maintenant, son seul espoir est de revendre la maison avant qu’elle ne soit saisie. Le contrat subprime qu’il a signé semble aberrant. Le mot n’y est pas prononcé mais le journaliste souligne que la traite du crédit s’élève à 3 600 dollars par mois, alors que le ménage et leur fille en gagnent que 3 800 dollars. Après avoir rencontré une association spécialisée, on se rend compte que le contrat contient des informations falsifiées. Par exemple, le salaire mensuel de cet émigré mexicain était évalué à 7 800 dollars. Le reportage se poursuit en caméra cachée auprès du courtier responsable de ce prêt. Pour lui, si le contrat a été signé, alors il ne saurait être responsable. La partie contractante a approuvé les termes du contrat. La transition du journaliste est “Bienvenue au pays des subprimes”. L’ironie est à peine cachée. Le reportage continue sur des images d’une publicité qui peut sembler agressive pour des Européens. La publicité promeut les produits financiers de l’entreprise Quickloan funding, spécialisée en produit financiers subprime. Cette entreprise n’existe plus. Elle a fait faillite comme la plupart des entreprises spécialisés dans ce genre de prêts. Le reportage continue dans une banlieue chic et ultra-sécurisée de la Californie afin d’y rencontrer Daniel Sadak, le dirigeant de Quickloan funding. Il a écoulé” quatre milliards de dollars en empochant la somme de 80 millions. Aujourd’hui, il dit avoir tout perdu, que même sa maison est gagée. Il parle en présence de son avocat et le journaliste annonce : “Sa ligne de défense est simple. Si les subprimes ont existé, c’est parce que tout le monde y gagnait”. Sans parler de l’argument en lui même, il est intéressant de relever le terme de ligne de défense utilisé par le journaliste. S’il est légitime de spécifier que la personne 38 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision interviewée est secondée de son avocat, un journaliste peut-il parler de ligne de défense alors que Daniel Sader n’est pas sur le banc des accusés ? Le reportage serait-il alors une nouvelle sorte de jugement populaire ? Le dirigeant de Quickloan termine en disant que ce sont principalement les investisseurs qui ont souffert et non pas les ménages ou wallstreet. Ces derniers ont profité des crédits pendant plusieurs années. Il glisse, insidieusement, qu’il connaît une banque française qui a perdu deux milliards de dollars dans cette crise. Il ne donne bien sûr pas de nom. Cette phrase semble être faite sur le ton de la confidence. Le paradoxe de la confidence à un journaliste est quelque chose de fréquent : cela créé un climat d’exclusivité mais des milliers de téléspectateurs jouent le rôle de confident. Le montage vidéo joue sur l’ironie. Après l’annonce des pertes d’une de nos banques nationales, le slogan publicitaire “Thank you Quickloan funding” est scandé et apparaît à l’écran. L’ironie est marquée. L’accusation est à peine voilée. Après cela, le journaliste se rend dans une université californienne pour avoir une explication de la crise et comment elle s’est répandue à travers le monde. Le cours d’économie en accéléré est alors très confus, le schéma complexe et même les explications du journaliste ne semblent pas à la portée de n’importe quel quidam. Cela rajoute un côté confus à cette crise sur laquelle même les experts ne s’accordent pas. Le reportage continue quelques minutes dans une société qui gère les crédits à risque et se termine par la plaque d’immatriculation de Mike, décrit comme étant “dans le camps des gagnants”, qui annonce la couleur : EVICTEM. Cela signifie Evict them, c’est-à-dire : les expulser. �France 5,C’est dans l’air, panique à la bourse : qui ?, mardi 22 janvier 2008 Dans l’émission C’est dans l’air, il y a un reportage d’une demie heure environ pour préparer à un débat d’experts. Je ne vais pas étudier le débat d’expert, mais juste des extraits du reportage. EXTRAIT 1. Le reportage commence dans une salle des marchés effervescente. L’introduction décrit la situation : « Paris, une salle des marchées avec une dose destress bien plus forte que d’habitude. Ce début 2008 vient de connaître son Black Monday . La bourse de paris a clôturé hier en baisse de 6,83 %”. Les décors sont plantés. André Chassagnol, responsable des actions H.P.C. dans la salle des marchés qui sert de lieu d’ancrage au reportage est interviewé. “Vous avez vu, il n’y a que du rouge sur les écrans. Et, quand, il n’y a que du rouge, en général, les clients ne sont pas très contents”. On peut dire que ce responsable sait manier l’euphémisme. Il explique le désarroi sur les places boursières “La bourse a peur du vide, de l’inconnu. Aujourd’hui, la question se pose : est-ce qu’on va suivre le déclin américain ou est-ce qu’on va être sauvé par les pays émergents ?” Cependant, au jour du reportage, toute les bourses chutent, y compris celles d’Asie du sud-est incluant la Chine et l’Inde. Jean-Claude Juncker, président de l’eurogroupe, fait alors une déclaration officielle : « Un ralentissement de la croissance américaine ne restera pas sans conséquence dans la zone euro”. A la fin du discours, une musique stressante se fait entendre. La bande sonore n’est pas sans rappeler la musique des films d’Hitchkock. Sur ce son, l’image d’un trader se prenant la tête dans les mains trahit son désespoir. A cette image succèdent celles de courbes dont on ne comprend pas la signification mais plutôt le symbolisme : elles chutent toutes, c’est la crise. Ce symbole est inscrit dans l’imaginaire collectif, il n’y a même pas besoin de savoir ce que ces graphiques représentent. EXTRAIT 2. George W. Bush a décidé d’intervenir en permettant une réduction fiscale à hauteur de 140 milliards de dollars, soit 1 % du PIB américain. Le but est de relancer la croissance afin d’éviter une récession. Cette mesure qui a agis sur les conséquences de la REMY Morgane_2008 39 La construction médiatique de la crise « des subprimes » crise plutôt que sur les causes n’a fait qu’aggraver la crise de confiance et, donc, la crise économique dans son ensemble. David Wyss, économiste à Standard and Poor’s, commente la situation. On ne sait pas ce qu’est cette entreprise et seuls les initiés comprendront qu’il s’agit d’une filiale de la banque McGraw-Hill et qui publie des analyses financières sur des actions et des obligations. Encore une fois, l’introduction des experts manque de précisions pour être comprise de tous. Selon cet expert, le plan de Bush pourrait éviter une récession. “Le mot récession est lâché”, commente le journaliste. Ce n’est pas un mot anodin. Il est chargé de sens et connoté négativement. A la suite de cet expert, la parole est donnée à Nicolas Bouzou que l’on nous présente comme ayant été fondateur d’Astères. Après des recherches sur Internet, on peut savoir qu’Astère est une entreprise de conseil en matière d’économie qui vend ses services auprès d’autres entreprises. Pour Nicolas Bouzou, “ la crise est conjoncturelle. Des crises, il y en a toujours eu et elles sont même, en quelque sorte, nécessaires. Il faut voir cela comme une purge.” Ce genre de discours répandus dans la sphère économique peut être interrogé : Ne s’agit-il pas ici d’une façon de défendre le système qui leur a permis de réussir ? N’est-ce pas ce système qui les a reconnus comme experts ? EXTRAIT 3. Les images des crises précédentes sont montées ensemble comme un extrait de toutes les images qui viennent à l’esprit quand on parle de crise économique en Occident. Comme le dit le journaliste : “1929 est l’année où l’Amérique a dévissé. Quatre ans de croissance négative, de chômage, de misère se sont succédé. Des images qui reviennent à l’esprit dès qu’une crise économique se profile”. En 1973-1974, c’est l’apparition du chômage de masse qui se pérennise avec la crise de 1993. Une transition est faite entre les deux périodes avec la même image de jeunes pointant à l’ANPE. Seuls vingt ans ont passé comme le témoigne la couleur qui apparaît sur la deuxième scène. Des archives sont alors diffusées : Édouard Balladur, alors Premier ministre, s’exprime sur la crise : “La production n’augmente plus. On ne peut plus créer l’emplois nécessaires pour accueillir toute la jeunesse.” Ce reportage illustre bien que le spectre de la récession de 1929 reste dans tous les esprits car “si le contexte financier est différent, l’effondrement économique avait aussi démarré par un krack boursier.” �TF1, le 20 h du 18 février 2008, Grande-Bretagne : la banque ''Northern Rock'' temporairement nationalisée.Le sujet est le dixième traité sur dix-huit. Le reportage dure 2 minutes et 20 secondes. Patrick Poivre d’Arvor introduit le sujet : « Pour la première fois depuis plus de trente ans, la banque Northen Rock va être nationalisée temporairement. Elle a été victime de ses placements malheureux dans les produits dits subprimes. » Le reportage commence sur un taxi londonien roulant dans une rue bordée de pavillons de briques rouges. Une image d’Épinal qui permet au téléspectateur de voir immédiatement où se déroule l’action. En introduction on apprend que Northen Rock est un symbole pour les Anglais, « la banque surnommée le rock ». « Mais, continue la voix off, la banque faisait grise mine aujourd’hui, attirant plus de journalistes que de clients. » Le reportage diffuse ensuite un extrait du discours de Gordon Brown. « Au nom des contribuables, nous avons acheté la banque pour la revendre en temps voulu. » Comme le journaliste le souligne, le mot nationalisation n’est jamais prononcé. Ce mot fait peur dans un pays marqué par une tradition libérale. Nous avons ensuite un cadrage sur quelqu’un que l’on devine être un expert. Pourtant, il n’est pas présenté. On ne sait rien de lui. On ne sait s’il est légitime dans la dénonciation 40 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision qu’il fait : « L’activité bancaire doit être régulée. Les dirigeants de Northen Rock ont fait n’importe quoi avec l’argent des clients qui sont les véritables investisseurs. Au final, c’est à nous contribuable de payer l’addition. » La conclusion du journaliste est simple mais met bien en exergue le véritable risque de cette nationalisation : « s’il y a des défauts de paiement, ce sera au gouvernant de faire la chasse au mauvais payeur ». Bien qu’on ne puisse pas nier le besoin d’avoir un angle pour présenter un sujet, il faut néanmoins souligner la partialité du traitement. Le reportage souligne la peur qui ressort de cette nationalisation, le fait que le gouvernement prend un gros risque. Cependant, s’il est vrai que cette nationalisation dédouane la banque de ses responsabilités, elle est cependant nécessaire pour éviter la banqueroute de la huitième banque du pays qui entraînerait inévitablement une crise bancaire générale qui pourrait ruiner le Royaume-Uni. �TF1, le 20h du 27 mai 2008, Le Royaume-Uni rattrapé par la crise immobilière. Le sujet est le huitième traité sur seize. Le reportage dure 2 minutes. La présentation de la crise au Royaume-Uni par Patrick Poivre d’Arvor met l’accent sur le fait que c’est une « situation sans précédent depuis vingt ans ». Le célèbre présentateur lance ensuite le reportage catégorisé comme une enquête. Une voix off féminine prend le relais. Le reportage commence sur l’image de la ministre du logement du Royaume-Uni qui semble décontractée et « souriante » selon la voix off. Mais, les zooms des photographes dévoilent une partie du contenu d’un rapport que la ministre tient contre elle, seulement protégé d’une pochette plastique transparente. Le contenu entier n’est pas encore dévoilé mais on a glané la phrase : « We can’t tell how bad it will get ». À partir de cette phrase est tirée la conclusion que la phrase signifiant « Nous ne savons pas à quel point la situation va se détériorer » concernait la crise des crédits hypothécaires. Les hommes et femmes politiques sont alors pris à défaut d’incompétence ou du moins, on prouve que la crise n’est pas encore sous contrôle. La différence entre le sourire qu’elle affiche et le dossier inquiétant fait par ailleurs ressortir le côté factice de la façade publique. La scène suivante montre que la crise immobilière et financière est quelque chose de palpable est mets en à la rue une classe moyenne qui a eu recours à ces prêts à risques. Une courbe rouge ensuite apparaît et s’affadit alors qu’elle descend sur l’écran évoquant la chute des cours en bourse. Elle est là comme un spectre que l’on aperçoit, qui fait peur. Il s’agit là d’une image qui parle à tous directement sortie de l’imaginaire collectif, évoquant tous les films qui ont porté sur la crise de 1929. Le troisième tableau est celui d’un père et son enfant bricolant le moteur d’une voiture dans un quartier populaire. La voix off commente : « la baisse des cours de l’immobilier conduit à des drames humains. » Cette constatation est alors ponctuée par un panneau « For Sale » martelé. Les images montrées mettent en scène la famille vivant un drame personnel. Par exemple les jardins des maisons filmés contiennent des jeux d’enfants. On ressent que l’avenir de ces enfants sera forcément touché par la crise en cours. On dramatise une situation qui se prête au sensationnalisme car tout le monde peut s’identifier notamment à la mère que l’on voit en pleurs dans la scène suivante. La mère en pleurs explique ses désillusions : « On pensait que l’on avait de la chance d’être propriétaire à notre âge ». La scène tient presque du voyeurisme. On ne peut qu’être touchée par la détresse de cette femme que l’on filme à l’intérieur de la maison que l’on peut supposer en vente. Puis soudain, un expert apparaît. Il ne dit pas grand-chose. Il coupe juste la dramatisation de la scène précédente par un ton professionnel et posé. Son analyse REMY Morgane_2008 41 La construction médiatique de la crise « des subprimes » n’apporte pas d’information et est réduite à son strict minimum. Il dit juste qu’il faut « Tirer la sonnette d’alarme ». De cet expert, on ne connaît que le nom, Matthew Sherwood et l’étiquette qui apparaît sur l’écran nous signale juste qu’il est un « expert économique ». On ne sait s’il est professeur, s’il travaille pour une banque, une entreprise de conseil. Il est quand même ironique de faire parler quelqu’un qui s’appelle Sherwood dans une situation où les plus démunis sont exposés à perdre leur logement. L’allusion à Robin Hood ne devait cependant pas être volontaire. L’ironie qui en ressort mérite quand même un sourire. Le reportage conclut que, en plus de toutes les familles qui perdraient leur logement, doivent s’ajouter la tragédie personnelle de tous ceux qui vont perdre leur emploi dans le domaine bancaire. Le reportage se termine, PPDA reprend la parole et aborde le prochain sujet : les spéculateurs profitent de la flambée des prix des matières premières en investissant dans des denrées de base comme le sucre et le blé, « ce qui a choqué bien sûr ». Cette transition renforce le sentiment de dénonciation. 3.3 Analyse comparée. La première comparaison que l’on peut faire est entre les reportages de CNN et de TF1. La comparaison est possible parce qu’ils ont par leur forme des similarités qui rendent adéquate la comparaison sur le traitement de la crise par la chaîne américaine et la chaîne française. Tout d’abord soulignons les points communs de ces deux chaînes : ce sont des chaînes privées qui vivent des revenus tirés de la publicité, ce sont deux chaînes majeures dans leur pays respectif et quand il en vient à un journal télévisé, il y a entre une dizaine et une vingtaine de sujets traités, la plupart étant illustrés d’un reportage et introduits par le présentateur. Les reportages parlant des subprimes sur ces chaînes sont donc une partie du journal télévisé, fonctionnent selon le même schéma journalistique et durent tous entre 2 minutes et 3 minutes. CNN met en scène les experts qu’elle interviewe. Ils sont présentés et le reportage tourne autour d’eux. Pour TF1, les experts restent anonymes, on ne sait qui ils sont et “d’où” ils parlent. Cela s’accompagne du fait que CNN est en train de chercher jusqu’où ira la crise, de comprendre où le système a failli comme avec Richard Bitner. TF1 présente plus une situation, montre une famille qui risque de se faire expulser : le public ciblé est beaucoup plus populaire. Cela peut s’expliquer par le fait que TF1 s'est associé avec LCI dont les reportages sont beaucoup plus proches du système de CNN. L’interview de Thomas Blach, expert en économie de LCI, parle beaucoup des tenants et des aboutissants de la crise. Le discours du spécialiste français est très similaire à celui de Richard Bitner pour CNN mais il est quand même plus imagé, plus vulgarisé. Cette différence ne tient pas des différences entre les deux chaînes mais plus du fait que l’un est avant tout un économiste qui intervient à la télévision (Richard Bitner) et l’autre un journaliste spécialisé en économie (Thomas Blard). Que ce soit LCI, TF1 ou CNN, les emprunteurs sont présentés comme de véritables victimes aveuglées par le rêve américain et qui voient leur famille en danger (expulsion, dettes) à cause de produits financiers qu’ils ne connaissaient pas. Cette victimisation peut aller dans l’extrême dramatisation, dans le sensationnalisme. Dans le reportage Real Estate News - Prices, Mortgages, and Calculators from CNNMoney de CNN, la scène de la vente aux enchères, qui n’est pas filmée mais juste introduite par la voix off, démontre à la fois la dramatisation de la crise mais aussi que 42 REMY Morgane_2008 III/ Analyse du traitement médiatique par la télévision ce sensationnalisme fait référence à des symboles communs. Ces symboles reviennent souvent dans les reportages. Il y a la crise immobilière représentée par les panneaux “à vendre”, des cadenas sur les portes des maisons saisies afin d’éviter que les squatters s’installent. La crise boursière est représentée par des écrans chargés de signaux rouges, des courbes en chute libre et des salles des marchés effervescentes. Malgré le fait que, par manque d’explications de la part des journalistes, on ne peut deviner ce que les signaux, les courbes et l’effervescence des courtiers en bourses représentent. Le téléspectateur sait néanmoins que cela symbolise la crise boursière que nous sommes en train de vivre. Pourtant, l’effervescence dans une salle des marchés pourrait témoigner du dynamisme et de la croissance de celle-ci. Personne ne pense à cette interprétation. Le partage d’une mémoire commune fait que certaines images accompagnent le concept de crise économique. Ces images clefs, et c’est peut être le plus intéressant, sont les mêmes en France et aux États-Unis. Le sensationnalisme est présent dans les deux traitements. On peut aussi se poser la question : Y-a-t-il une différence de traitement entre les chaînes privées françaises (LCI, TF1) et les chaînes publiques (France 2 et France 5) ? L'intérêt est plus de voir ce qu’apporte en plus les reportages-enquêtes et de les comparer entre eux. Le premier est Complément d’enquête diffusé en prime-time sur France 2 et le deuxième reportage est celui qui introduit le débat qui a lieu dans l’émission C dans l’air diffusée en début de soirée par France 5. Le public visé n’est pas le même mais ils ont tous deux une volonté de vulgariser : le premier pour faire la plus grande audience possible, l’autre pour introduire les bases d’un débat et le rendre accessible à tous. La différence se joue plus sur le sensationnalisme et la dramatisation. En effet, Complément d’enquête introduit des rôles préfabriqués pour raconter l’histoire du reportage. Il y a celui de la victime (l’immigré qui ne peut plus rembourser son prêt subprime) et les “carnassiers” du système, plus “charognard” que coupables : le courtier, Daniel Sadak le directeur de Quickloan funding et “Mike” qui, insensible, a su se situer sur le marché de la réparation de maisons saisie pour défaut de paiement. Le reportage est centré autour de personnages auxquels on peut s’identifier ou que l’on peut montrer du doigt. Un parallèle peut être fait entre la mise en scène de ce reportage qui se termine sur un plan montrant la plaque d’immatriculation EVICTEM comme Cruella d’enfer à DEVIL sur le film animé Les 101 dalmatiens produit par Disney. Les symboles sont compréhensibles par tous et les experts peu présents. Il y a peu de débats, juste des individualités mises en scène autour de la crise économique. Au contraire, le reportage pour C dans l’air s’articule autour de trois minireportages qui agissent ensemble comme une sorte de recueil d’opinion théâtralisé organisé autour de trois actes. Le premier concerne la panique à la bourse. Le deuxième est plus sur l’action de G.W. Bush pour combattre les subprimes et le dernier acte rappelle les crises économiques présentes dans l’imaginaire collectif : la crise de 1929, la crise de 1974 puis celle de 1993 en France. La dramatisation est moins marquée. Plus que l’émotion, les explications apportées par les journalistes montrent de façon intelligible comment les différents acteurs de la crise n’ont pu empêcher celle-ci. Le dernier reportage est particulièrement intéressant pour comprendre tout l’imaginaire réveillé dès que les mots récession et crise sont prononcés. REMY Morgane_2008 43 La construction médiatique de la crise « des subprimes » IV/ Mise en perspective des analyses 4.1 Analyse du discours inspiré de la méthode de S. Moirand 14 Sophie Moirand s’appuie sur les concepts opératoires de l’analyse du discours, aussi bien que sur les notions de dialogisme et de mémoire collective. Elle parvient ainsi à élaborer une méthode d’analyse qui lui permet d’observer le traitement médiatique des mots et des manières de dire. Cette approche, élaborée pendant plusieurs années de recherche, est appliquée à l’étude des événements scientifiques ou techniques à caractère politique évoqués dans la presse quotidienne généraliste française (la vache folle, les ogm, la grippe aviaire, etc.). Il s’agit tout d’abord d’établir quand un événement correspond à un moment discursif , à savoir lorsqu’il "donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements". Nous entendons par Moment discursif le surgissement dans les médias d’une production discursive intense et diversifiée à porpos d’un même événement (Sophie Moirand donne l’exemple de la crise de la vache folle, la coupe du monde de football ou encore la décision d’une intervention en Irak), qui se caractérise par une hétérogénéité multiforme (sémiotique, générique, énonciative). Ainsi, la disposition des titres témoigne du traitement de ce moment discursif. On peut alors baser notre analyse sur les titre répertoriés pour le corpus qui a été étudié en premier lieu dans le tableau 1, page 15. Il y a une double évolution que l’on peut observer dans les titres puis dans le corps des textes étudiés. Tout d’abord, on parle de banques, de bourses et au fur et à mesure on passe des marchés à l’économie tout entière. De même, le terme subprime subit une évolution intéressante. Tout d’abord, le terme « subprime » est entre guillemets et est toujours accompagné du mot « crédits ». Les « crédits subprimes » sont alors un synonyme pour le terme qui peu semblé barbare à un non-spécialiste de crédits hypothécaires à risque. Petit à petit, le terme subprime, toujours entre guillemets sera seul à référer à se genre de crédit. Souvent les titres commencent par « Subprimes » : etc. Dans une troisième et dernière phase, le mot subprime, indifféremment au pluriel ou au singulier, désigne la crise tout entière. Il perd en même temps les guillemets. Le mot-événement s’impose alors comme un domaine de mémoire. 14 Sophie Moirand, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre , Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p. 44 REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses Mot -événement 15 L’émergence de nouvelles notions s’avère souvent à l’origine de jeux langagiers qui sont richement illustrés par la formule vache folle , dont la diffusion médiatique a favorisé le développement sémantique de l’adjectif fou — qui a fini par se rapprocher du sens de "malsain", "contamination", "incontrôlable" — et du stéréotype du savant fou. Les formules qui s’imposent pour désigner des notions émergentes deviennent généralement des mots clés qui désignent l’événement lui-même, c’est-à-dire des mots-événements : c’est le cas de vache folle , tout aussi bien que de principe de précaution , de traçabilité , ou encore de 11 septembre , etc. Le terme « subprimes » composé de sub (sous) et prime (premier, meilleur) est alors connoté comme contagieux. Un peu comme une sous-classe sous l’ancien régime ou un sous-homme sous des régimes totalitaires. Il y a derrière la construction de cette nouvelle notion, une idée de rejets de ces produits financiers. Le terme nouveau n’est pas non plus sans rappeler un mot scientifique. Ceci ajouté au fait que la métaphore de la crise médicale est omniprésente, semble faire des subprimes un nouveau virus s’attaquant au corps financier. Domaine de mémoire 16 L’abandon progressif des guillemets, qui encadraient auparavant le terme de subprime, est l’indice du fait que la formule cesse d’être perçue comme un emprunt au discours d’autres communautés langagières. À côté de cette particularité, Moirand parvient à identifier d’autres caractéristiques, sémantiques et formelles, qui concourent à donner un air de famille à certains événements et à les inscrire dans une sorte de mémoire collective, telles que le recours à des désignations qualifiantes à charge émotionnelle forte, ou bien à des constructions comparatives ou analogiques qui permettent des associations à des événements antérieurs. Ces événements sont des références directes à la crise de 1929 qui a plongé les États-Unis dans une récession qu’elle revivra en moins impressionnante en 1973 après les chocs pétroliers. Il y a ainsi beaucoup de références au Lundi noir pour les subprimes qui se réfèrent au tristement célèbre Jeudi noir comme dans le reportage de C dans l’air diffusé sur la cinq. Le parallèle et le jeu de mémoire, souvent inconscient pour la plupart des consommateurs de médias, sont alors très bien explicités et illustrés. Quand on parle des crises économiques, un passé est évoqué, une mémoire commune est mobilisée. Cela correspond à une institution. Pourtant c’est une notion dynamique qui a évolué en fonction des époques : Au début parfait pour 1929 : un effondrement des cours boursiers met fin à une période d’expansion d’un déséquilibre, et le début d’une phase de récession. Mais depuis 1973, la crise désigne la plupart des difficultés subies par l’économie. Arrive alors le paradoxe des crises chroniques. Polyphonie Sophie Moirand fait remarquer que les moments discursifs analysés relèvent, en fait, d’une situation d’interaction plus complexe, en considération de l’inscription d’autres voix 15 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire , Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p. 16 Sophie Moirand, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre , Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p. REMY Morgane_2008 45 La construction médiatique de la crise « des subprimes » que celles des scientifiques, à savoir les discours d’autres communautés langagières, représentées par des ministres, des économistes, des industriels, des syndicalistes, ou d’autres "experts", qui filtrent, reformulent ou dissimulent le discours. Le texte journalistique devient ainsi un intertexte de nature plurilogale, caractérisé par la diversité des genres, des localisations et des locuteurs impliqués. idération, en premier lieu, la situation trilogale classiquement reconnue dans le discours de diffusion des connaissances scientifiques, afin de mettre en relief — grâce à l’examen des procédés de désignation et de caractérisation — les modalités d’inscription des trois instances impliquées : le médiateur (la presse ordinaire), le public des lecteurs, la communauté scientifique qui fournit les sources. Pour étudier ce rapport, nous allons utiliser la méthode d’Eliseo Véron. 4.2 Méthodologie inspirée de l’essai : Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island 17 . Une opposition entre le discours technique et le discours non technique. Ici, cela peut s’appliquer au discours économique et celui de vulgarisation, plus proche du quotidien des gens touchés par la crise. L’analyse peut se faire par tableau. Eliseo Veron ne fait qu’opposer les discours techniques et ceux non techniques, de vulgarisation. Je pense rajouter une division au sein de la colonne des discours techniques afin de différencier la parole du journaliste et celui des spécialistes qu’il faudra identifier. Je vais faire l’analyse sur l’ensemble des articles étudiés ci-dessus. Le journaliste est celui qui écrit le papier et dont c’est le métier. Le spécialiste peut être un économiste ou quelqu’un issu de la sphère financière qui écrit le papier car il apporte une valeur ajoutée. Il peut également être simplement cité ou interviewé. 17 46 Eliseo Vieson , Construire l’événement. Les médias et l’accident de Three mile island, Éditions de Minuit, Paris, 1981. REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses Tableau 5 Discours techniques Journaliste Événement Le discours en lui-même technique des journalistes ne parle que des faits. Les journalistes dans leur ensemble donnent le cadre, les cours en bourse et les événements racontés la plupart du temps de manière chronologique. ConséquencesLes de conséquences l’événement abordées par les journalistes sont, dans cette période, exclusivement d’ordre économique. Certains abordent les conséquences politiques. Spécialiste(s) Les spécialistes commencent d’ores et déjà à chercher les causes de la crise et base leur discours sur les problèmes de liquidité, de titrisation et de notation des agences bancaires. Il y a beaucoup de questions posées sur la transparence des comptes des banques. Discours non technique, vulgarisation. On parle des effets visibles sur la vie des individus comme le fait que des Américains se retrouvent sans toît. Le rôle de l’émotion et de l’identification est primordial. Il y a aussi beaucoup de termes imagés, utilisant abondemment des métaphores de corps vivant pour les marchés boursiers. Par contre, les journalistes expliquent très peu la notion de « krach », « choc », « crise financière », de « crise de liquidité », etc. Pour les spécialistes, Les conséquences sur la la question est vie quotidienne avec les de savoir si les questions de récession, conséquences de de l’impact sur le « pouvoir la crise financière d’achat » ne sont que ne seront pas une très peu abordées. Ces crise d’économie explications sont néanmoins globale, signant plus présentes pendant ainsi, comme en l’automne 2007 et encore 2000 lors de l’eplus dans le premier semestre crise, le début d’un 2008 alors que le pouvoir ralentissement de d’achat semble menacé. croissance. 4.3 Etudes des discours d’experts relayés par la presse. Exemples de discours d’experts par catégorie (la classification est personnelle) : Article, référence Leurs explications de la crise Leur communication et le rôle de la presse Experts Les Echos, Michel Pébereau est interviewé. Tout d’abord, il est à noter « sur 3 décembre « Une banque a connu une que les questions du le 2007, Pébeareau crise de liquidité, la hantise des journaliste ne sont pas banc Michel, Premiers banquiers et des régulateurs ? trop incisives et ne mettent REMY Morgane_2008 47 La construction médiatique de la crise « des subprimes » enseignements 48 Cela a abouti aux files d’attente pas l’interviewé en danger. REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses des de la crise accusés financière » des clients de Northen Rock devant les agences pour se retirer de leur dépôt ; une image désastreuse, rappelant les années 1930, qui, relayée par la télévision, a diffusé l’inquiétude dans le monde » « Le rôle du marché est de fixer un prix. Or, du fait de l’inquiétude née de la crise des « subprimes », le mécanisme s’est enrayé pour tous les produits structurés ». « N’y a-t-il pas de leçon à tier du passé ? Si, bien sûr : la grande leçon c’est l’existence de cycles dans l’activité bancaire comme dans l’économie. Et ces cycles n’existent que du fait de l’oubli du passé : on redécouvre périodiquement que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel » Lorsque Michel Pébereau ne parle que de Northen Rock pour donner un exemple de banque mise en danger par la crise des subprimes, il ne fait pas du tout mention au fait que la BNP a gelé trois fonds durant le mois d’août. Le journaliste ne lui fait pas remarquer cet oubli. De même, M. Pébereau définit la crise comme une crise de confiance, ce qui repousse la responsabilité sur la presse et particulièrement sur la télévision. Enfin quand le journaliste pose une question sur les leçons à tirer, sa réponse est générale et il parle de tous les acteurs économiques en leur donnant ainsi une part de responsabilité partagée. France2, Daniel Sadak, le dirigeant de La mise en scène du Complément Quickloan funding. « Sa ligne reportage est ambiguë : d’enquête, Lundi de défense est simple. Si les l’interview donne une 5 novembre subprimes ont existé, c’est parce ambiance entre la - 23h15, que tout le monde y gagnait”. confidence et le jugement. Scandales, Sans parler de l’argument en On pourrait presque faillites, délits lui-même, il est intéressant de croire à un entretien au d’initiés… la crise relever le terme de ligne de commissariat. L’interviewé de confiance. défense utilisé par le journaliste. est même accompagné S’il est légitime de spécifier que de son avocat. On peut la personne interviewée est aussi penser, par le secondée de son avocat, un caractère démocratique journaliste peut-il parler de ligne de la télévision, qu’il s’agit de défense alors que Daniel d’un jugement populaire. Sader n’est pas sur le banc des L’écran tiendrait alors lieu accusés ? de nouvelle agora et les téléspectateurs seraient les citoyens sur lesquels repose le jugement. CNN, Richard Bitner est l’auteur de L’intervenant se pose en Business, Confessions of a Subprime juge. Il a fait partie du financial, personal Lender , un livre qu’il a écrit système mais, face aux finance news après la décision d’arrêter le vices qu’il y a détectés, CNNMoney , métier de courtier. Il présente il a décidé de sortir du July 23, 2007. la criseREMY comme différente des système. Ca fait de cet Morgane_2008 How subprime précédentes. Contrairement à la expert quelqu’un qui fut mess started . crise Enron ou la crise World.com trader mais qui dénonce (aussi appelée crise internet) où le système. Pour lui les il y avait quelques personnes fondements du système qui jouaient avec le feu, là c’est étaient en mauvais état, la tout le systeme qui est en cause. crise pouvait être prévue « It is a breakdown of the entire sous cette forme ou sous 49 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les 2007, Jeanexperts Louis Missika : académiques. « La stratégie médiatique de Nicolas Sarkozy finira par avoir un coût politique » Le Monde, 21 août 2007, « Les fonds spéculatifs ne sont pas à l’origine des excès du marché » 50 Le Nouvel Observateur, de Paris. Son domaine de de la communication spécialité est la communication excessive du président politique. Son discours sur la crise de la république. Le concerne plus la médiatisation dossier des subprimes qu’en a fait le président de la dans cette politique de république. Pour lui, la crise du communication n’est alors « subprime » a permis à Nicolas qu’un dossier médiatique Sarkozy d’envoyer une lettre à de plus. Sur le plan réel, Angela Merkel préconisant plus la représentation met en de transparence sur les marchés œuvre des institutions et financiers. Il a « envoyé la lettre des acteurs qui donnent dans un timing médiatique une consistance politique excellent, au sommet de la à la représentation du 18 couverture médiatique de la peuple . Pour J.-L. crise. Du coup il a été repris dans Missika, les médias sont tous les médias, non seulement instrumentalisés et ne français mais internationaux. « dictent rien du tout ». Mais il a beaucoup irrité Mme Les médias relayent alors Merkel perce que celle-ci avait une accusation qui les mis le sujet à l’ordre du jouir du touche directement, un G8 plusieurs mois auparavant peu comme lorsque la […] Nicolas est un voleur de presse écrit sur la crise de lumière. Et cela finira par avoir la presse… une pratique un coût politique ». « Il se sert atypique pour ce qui reste de l’actualité pour « dialoguer » une entreprise. avec les Français, montrer qu’il est sensible à leurs émotions. » Noël Amen, professeur à Il n’est pas possible de l’EDHEC, récuse les attaques savoir pour le lecteur, contre les hedge funds. Selon d’après l’article, si Noël lui, la tempête actuelle est Amen est impliqué « une crise de confiance dans dans des activités de l’information sur les risques » hedge funds. On peut « La crise financière que nous légitimement se poser connaissons est essentiellement la question de savoir s’il une crise de confiance dans défend le système après l’information sur les risques une analyse académique des établissements de crédit. et systémique de la Ceux-ci sont pourtant soumis à situation ou s’il défend un dispositif réglementaire en un système dont il tire terme de prévention. » « Il y a parti. Outre cette question, toujours un danger à protéger on discerne l’idéologie les investisseurs par des interdits du libéralisme. A chaque quand les autorités de contrôle fois qu’il y a une crise, n’ont pas les moyens de faire les politiques sont tentés appliquer ou de vérifier l’effectivité de recourir plus à la de la réglementation. Cela conduit régulation. C’est alors les investisseurs à se reposer aux économistes de s’y sur une réglementation inefficace opposer afin de rester et à ne plus faire leur travail de maîtres en la demeure. vérification de la qualité et des La crise change les REMY Morgane_2008 risques. » repères, ce qui mène à un basculement de pouvoir, l’économiste en est conscient. Interview de Michel Rocard, Michel Rocard entame une ancien premier ministre et critique de la société en IV/ Mise en perspective des analyses Les 13 décembre experts 2007, Les politiques débats de l’Obs, p102-106, La crise mondiale est pour demain. député européen depuis 1994. Il précise qu’aujourd’hui, la critique vient du cœur du système. Il cite ainsi un des livres de Patrick Arthus : « Le capitalisme est en train de s’autodétruire ». Il explique cela : « depuis 1980, la sphère financière a pris une importance colossale. Du coup, nous sommes confrontés à des crises financières de grande ampleur récurrentes […] ». Il définit le rôle des banques centrales : « pour contrer le retour de l’inflation, les banques centrales sont obligées de relever leur taux d’intérêt. C’est le devoir de Jean-Claude Trichet… » Il termine en politisant la question : « Je crois que la clé du problème, c’est le changement du statut juridique de l’entreprise. Au lieu d’appartenir à des apporteurs extérieurs de capitaux, elle doit être faite de la communauté des hommes et des femmes qui gagnent leur vie en partageant le même projet économique. » « Il va falloir protéger tout ce qui produit contre tout ce qui spécule. » général et du capitalisme en particulier. Pour lui, le système nous échappe. Par la globalisation, il a pris une ampleur qui donne également de l’envergure à n’importe quelle crise. Dans un deuxième temps, il justifie aussi la stratégie de la Banque Centrale Européenne dans sa décision de garder un taux directeur fort. Cet appui envers Jean-Claude Trichet s’inscrit dans un climat de tension entre le directeur de la BCE et Nicolas Sarkozy, qui pour tenir ses promesses de campagne, faisait pression sur l’ancien gouverneur de la Banque de France pour qu’il change sa politique monétaire. En effet, des taux bas permettent de relancer le crédit et donc la consommation. Enfin, il s’appuie sur l’analyse de la crise pour proposer une refonte complète de l’éthique qui régit le système capitaliste. AFP, Relèvement Christine Lagarde commente la La dépêche AFP est un du taux de la décision de la Banque Centrale choix de citations. Christine BCE : Lagarde Européenne qui a décidé de Lagarde a un objectif avant seulement relever le taux directeur à tout de croissance. Un « à demi4,25 %. « La décision de la BCE euro fort pénaliserait les satisfaite », 7 juilletcreuse le déséquilibre avec la exportations françaises 2008 politique monétaire américaine. au profit des Américaines, Avec des taux à 4,25 % en les produits exportés Europe contre 2 % aux Étatsétant achetés dans la Unis, on va rester avec une devise du pays vendeur. La surévaluation et un dollar faible ». transparence demandée Elle demande également plus par ailleurs n’est que de transparence afin « de crever le relais du discours de l’abcès et de commencer enfin à Nicolas Sarkozy et de sa soigner la crise » lettre envoyée à Angela Merkel. Le Monde, L’expert, ici, est un Il y a clairement la 13 septembre correspondant à New recherche d’un coupable. REMY Morgane_2008 51 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les 2007, « La journalistes crise financière experts suscite une polémique sur l’ère Greenspan » Les Libération, 17 grands septembre noms2007, Faut-il 52 York, Sylvain Cypel. Selon lui, il y aurait une fracture entre « bernakiens » et « greenspaniens ». Pour les premiers, ils accusent Alan Greenspan, ancien directeur de la Fed, d’avoir encouragé la production de bulles boursières à répétition avec une politique de taux directeur bas. « En un mot, M. Greenspan, surnommé le « Maestro », n’aurait été qu’un fabriquant de bulle ». Pour la seconde catégorie, le coupable serait Ben Bernanke, le successeur d’Alan Greenspan à la tête de la Fed, n’aurait pas pris conscience de la dimension de la crise. Quoi qu’il en soit, il y a par ce discours une précarisation des hommes politiques et économistes qui ont géré la politique monétaire américaine. Tous les lundis, un expert décrypte une question d’actualité. Aujourd’hui John Taylor. Il dénonce la faillite de la Ici, la responsabilité est établie au niveau du contrôle. Le journaliste expert cherche à savoir qui a laissé la crise se former. Ce genre d’accusation est relayé par la presse. L’événement s’impose et tranche dans l’ordre supérieur qui est celui du politique. Dans la dimension politique, l’événement tient une place éminente puisqu’il conditionne tout le politique, en le fragilisant et en le précarisant. L’événement conditionne l’activité de l’homme politique. Il est rare qu’un expert critique l’accusation que l’on porte aux victimes des subprimes d’autant plus REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses de encore prêter aux régulation. « Depuis dix ans, les l’économie pauvres ? ONG signalent à la Fed (banque fédérale américaine) le problème de ces prêts. Ben Bernanke, le président de la Fed, a reconnu qu’il aurait dû réagir plus tôt. » Pour lui, la crise des subprimes vient d’un défaut de supervision des risques par les organismes de régulation et les marchés de capitaux. Il dénonce également le discours qui dénonce les consommateurs : « On entend dire « La crise, c’est la faute des emprunteurs ! » Scandaleux ! Il faut une loi de protection des consommateurs pour interdire ce genre de prêts » Challenges, jeudi Patrick Arthus, directeur 3 avril 2008, des études économiques de « Ben Bernanke Natixis. Pour Patrick Arthus, a remis les « Le pire est passé. C’est fini. » marchés dans le Quand on lui oppose à cette bon sens ». affirmation que Jean-Claude Trichet n’est pas du même avis, il précise « Je reviens des ÉtatsUnis. Les acteurs de marché sont unanimes ». Plus tard il confirme sa foi envers les interventions américaines. « Ben Bernanke a joué un rôle prépondérant. C’est lui qui a remis les marchés dans le bon sens. […] Injecter des liquidités ne servait plus à rien puisque, de toute façon, plus personne ne voulait investir nulle part. En acceptant de devenir détenteur d’action en dernier ressort, la banque fédérale a donné le signal du retour à la confiance » REMY Morgane_2008 que le discours dominant des médias victimise plutôt ces derniers plus qu’il ne les accuse. De plus son argument a l’avantage de changer de l’éternel souhait de transparence. Plus qu’une standardisation, il souhaite une protection des ménages les plus faibles autant sur un plan financier que sur un plan éducatif : certains ne lisent pas l’anglais quand ils signent le contrat de crédit hypothécaire. Patrick Arthus a choisi son camp entre les deux façons de faire américaine et européenne. Il critique le fait que la Banque centrale européenne ne fasse qu’injecter des liquidités sans pour autant agir directement. Par ailleurs, il faut rappeler que Patrick Arthus est directeur des études économiques de Natixis. Le Monde publiait le 28 août un article intitulé « Crédit agricole et Natixis sont plombés par la crise financière ». Son analyse doit-elle pour autant être remise en cause ? 53 La construction médiatique de la crise « des subprimes » À l’instar du partage des risques pour les produits subprimes, il semble que les responsables essayent de partager les responsabilités. Ainsi, la responsabilité est partout et nulle part ! Les experts impliqués dans la crise se défendent également en recourant à une définition de la crise comme étant un sursaut conjoncturel salutaire pour le système. Il s’agit d’un moyen de désengager leur responsabilité. Dans le reportage de France 2, le journaliste explique que Daniel Saker se défend. “Sa ligne de défense est simple. Si les subprimes ont existé, c’est parce que tout le monde y gagnait”. Le discours des experts souligne une double opposition : la première est entre ceux qui présentent la crise comme jugulée et un simple réajustement du système, à l’instar de Patrick Arthus ou même Christine Largarde, s’assurent une défense parce qu’ils sont d’ores et déjà impliqués dans la crise de part leur position professionnelle et de l’institution qu’ils représentent (Natixis et le gouvernement). Il y a une deuxième opposition entre les politiques monétaires européenne et américaine. A cette opposition on peut ajouter l’opposition entre Ben Bernanke et Alan Greenspan dans la recherche de responsabilité. 19 Comme le souligne Pierre Lejeune , à l’heure du tout économique et des discours martelés sur les lois du marché et la globalisation, le quatrième pouvoir que constituent les médias se présente comme une alternative à la pensée unique, celle des experts. Son livre amène, cependant, plusieurs questions : Est-ce que la vulgarisation économique est aussi efficace que celle scientifique ? Le lecteur a-t-il les clefs de compréhension de la situation et une lecture critique d’un article ? Au contraire, peut-on parler d’aliénation ? Les informations économiques concernent-elles seulement la « température » et les perspectives de l’économie ? À la vue de l’analyse effectuée, il semble que la vulgarisation économique ne soit pas aussi poussée que celle scientifique. En effet, il n’est pas sûr que le lecteur dit « lambda » comprenne tout d’un article sur la crise des subprimes. Il faut cependant noter, à l’instar de Sophie Moirand que les journalistes comme les experts ont recours à des reformulations. Cet effort est produit pour répondre à la nécessité d’intéresser des classes de destinataires potentiels que l’on présume davantage accrochés par l’incidence de ces objets sur la vie 20 sociale et la polémique économico politique que cette crise suscite. 4.4 Comparaison avec les crises environnementales, la crise de la « vache folle » et celle de l’ « e-krach » en bourse Il peut être intéressant de comparer la crise avec d’autre et de voir si le discours est construit de la même façon. Je me base alors sur deux crises : la première, volontairement différente, dite de la vache folle et celle, dans le même domaine, de l’e-krach. 19 Pierre Lejeune, Discours d’experts en économie, Lambert-Lucas, Limoges, des Notes de l'Insee a la Rubrique Economie du "Monde", 2004 20 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire , Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p. 54 REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses Crise environnementale 21 Une des thèses principales de Ulrich Beck concernant la société du risque est que « la production sociale des richesses » est désormais inséparable de « la production sociale de risques », et, par conséquent, l’ancienne politique de distribution des « biens » (revenus, travail, sécurité sociale) de la société industrielle est relayée par une politique de distribution des « maux » (dangers et risques écologiques). Induits et produits non intentionnellement par la modernisation même, les hasards écologiques et l’expropriation écologico-économique qui s’ensuit (faillite des éleveurs de bœufs, déconfiture des pêcheurs normands, débâcle du secteur touristique, etc.) deviennent un des thèmes principaux des discussions privées et publiques des citoyens qui exigent une régulation politique. Contrairement aux catastrophes naturelles de la société pré-industrielle, qui étaient le fruit du « hasard », et aux dangers de la société industrielle – qui étaient, eux, le résultat de décisions sociales et politiques mais sont toujours restés limités dans le temps et dans l’espace, et qui étaient perceptibles, prévisibles, contrôlables et assurables –, les risques de la société post-industrielle sont fabriqués socialement et présupposent la prise de conscience d’un danger dont la probabilité est prédictible, mais contre lequel on ne peut néanmoins plus s’assurer – les assurances s’y refusant en effet au regard de l’ampleur potentielle du drame tant au plan écologique qu’au plan économique. À la différence des dangers et des risques « classiques », ces nouveaux risques ne sont donc pas des effets externes, mais bien des effets internes à la société (manufactured uncertainty), présupposant une auto-attribution des dangers. Ce caractère interne du risque ici attribué à des catastrophes environnementales est le même lors d’une crise économique qui a été produite et générée par le même système qu’elle met en danger. Les crises économiques depuis 1929 sont générées par la finance internationale et non plus à cause d’une mauvaise récolte due à une météo peu favorable. La crise de la vache folle 22 Selon Daniel Schneidermann , un emballement médiatique s’est produit autour de la crise de la maladie de kreutzfeld Jacob. « Un emballement est une symbiose miraculeuse entre les discours publics et les attentes intérieures. C’est un moment de superposition où la légende cauchemardesque colpportée par l’extérieur vient exactement recouvrir les représentations qui nous obsèdent ». Cet emballement médiatique s’est également manifesté lors de la crise des subprimes. Dans ce cas, les représentations qui nous obsèdent sont celles décrites par le troisième reportage de C dans l’air : la récession, le chômage et toutes les représentations issues des précédentes crises économiques. Il n’y a pas de crise sans retentissement médiatique, sens cet emballement dont parle Schneidermann. L’analyse systémique oblige, bien au contraire, à identifier les forces en présence et les interactions, les enjeux de pouvoir. A chaque crise les médias sont en position centrale au cœur même des prises de parole et des mises sur agenda. Les journalistes jouent le rôle d’arbitre et possède à la fois le pouvoir de conclure et d’orienter le débat. Dans le cas de la crise de la vache folle, fin 1995, la presse dévoile que dix personnes ont été contaminées par la maladie de Creutzfled-Jacob. Cela suscite de nombreuses polémiques. Des associations demandent le retrait du bœuf dans les cantines. La presse 21 Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Éditions Aubier, 2001 ; édition originale : Risikogesellschaft, Francfort, 22 Suhrkamp Verlag , 1986. Daniel Schneidermann, in Rémi Mer, Vache folle : les médias sous pression, dossier environnement INRA numéro 28. REMY Morgane_2008 55 La construction médiatique de la crise « des subprimes » relaie les inquiétudes croissantes de la population. Dans ce cas, la presse s’est faite le relais des pressions de l’opinion. En ce qui concerne la crise des subprimes, les médias ne se sont pas fait le relais de l’opinion publique mais du vent de panique qui courait sur les places boursières. D’autres points communs sont à noter. Tout d’abord, dans les deux crises, on a du mal à identifier les modalités de transmission, à comprendre l’ampleur et les conséquences à terme de la crise en question. Pour la crise de la vache folle on ne comprenait pas comment des animaux avaient pu contaminer des êtres humains. Pour la crise des subprimes, on ne comprend pas les causes de transmission entre le marché américain des crédits hypothécaire et Wall Street puis les places boursières à travers le monde. Ce phénomène de globalisation est découvert dans les deux crises : on essaye de circonscrire la crise à un pays mais elle semble échapper aux frontières nationales. Dans le cas de l’ESB, la menace apparaît de l’autre côté de la Manche, pour les subprimes de l’autre côté de l’Atlantique. Il faut croire que les crises n’ont pas peur de l’eau puisqu’elles ont traversé mer et océan avec la globalisation. Une façon de contrôler la crise est la labellisation. Dans la crise de la vache folle, une grande communication s’est faite autour du label AOC, pour les subprimes, les Etats demandent aussi beaucoup une traçabilité plus grande avec des catégorisations de produits. Avec l’introduction de la labellisation, il y a l’idée de reformer et de construire de nouveaux cadres de réflexions et repères afin de remplacer ceux qui ont été délégitimées par la crise. Ainsi, les agences de notation dans la crise des subprimes ont été montrées du doigt pour avoir construit des repères de qualité en matière de produits financiers qui n’avaient pas pu déceler le problème de ces crédits subprimes. Les labels ne veulent plus rien dire, donc les économistes appellent à une standardisation des produits financiers afin de savoir de quoi ils sont composés. D’après tous les spécialistes, le remède miracle serait l’introduction d’une nouvelle transparence. Dernier point commun entre ces deux crises, chaque mesure de sécurité ou de communication cherchant à rassurer en, premier lieu aliment les craintes et relance les doutes sur l’état de la sécurité intérieure. Les deux crises deviennent une vraie mine de rebondissements autoproductrice d’événements : la presse fait réagir l’opinion publique qui fait ensuite réagir de nouveaux les médias. L’événement est alors une mine d’or pour la presse et une vraie bombe pour 23 la filière incriminée . Faute d’éclaircissement notoire, les informations se succèdent, et, parfois, se contredisent. Les experts sont également divisés. Les médias cherchent à tout savoir, et encore plus ce qu’on leur a caché. Le risque est à la Une. Les médias ont un rôle révélateur et amplificateur. Avec le recul, ceux-ci mettent à nu des risques auparavant cachés, en les rendant précisément visibles. Ils révèlent également des procédés de rétention et d’occultation des informations sur ces risques de plus en plus proches et perçus comme menaçants. Dans la crise des subprimes, les banques sont clairement incriminées. Le journaliste Stephane Le Page dans l’article des Echos du 17, août 2007 intitulé Les places boursières affectées par les valeurs financières et leur exposition commente le communiqué de la BNP qu’il qualifie de « laconique » : « Le communiqué �…� a fait l’effet d’une bombe ». La banque qui avait pourtant, seulement une semaine auparavant, confirmé que la banque contrôlait la situation. A partir de là la crise passe en Une. Le danger se fait plus oppressant. Les médias alimentent d’autant plus le débat public et mettent en scène les multiples acteurs et protagonistes et font de la crise un drame collectif 23 24 56 24 . Rémi Mer, Vache folle : les médias sous pression, dossier environnement INRA numéro 28. Ibid REMY Morgane_2008 IV/ Mise en perspective des analyses L’impact de la crise tient-il à l’emballement médiatique ? Le rôle révélateur et l’état de sensibilité des esprits tiendraient alors de l’alchimie de l’actualité, à la merci des accidents de la vie : les faits, les fautes, les fraudes et les fuites qui forment les quatre « F » maléfiques 25 de toute crise . L’e-krach, la crise de l’Internet 26 Le travail d’Elsa Poudardin sur l’emballement médiatique qui a entouré l’expression « nouvelle économie » nous a montré que l’information boursière occupait une place dominante dans les articles économiques publiés entre 1999 et 2001. L’entrée fulgurante sur la scène médiatique de cette expression « nouvelle économie » a transformé les modes de présentation et les contenus de l’information économique grand public. « Nouvelle économie » est devenue en peu de temps, ou la cause ou l’explication de toute l’actualité, des résultats sportifs aux bilans comptables des entreprises. Cette utilisation d’un mot symbolique est commune au terme de nouvelle économie et à celui de subprimes. La différence entre les deux appellations est que le terme subprime désigne les crédits, 27 la cause de la crise et l’événement de la crise elle-même (mot-événement ). Pour la crise Internet de 2000, l’événement était désigné par le terme d’e-krach qui désigne le dégonflement par paliers successifs de la bulle spéculative créée autour des valeurs des nouvelles technologies et de l’Internet. Au départ, la chute des cours n’apparait pas dramatique. Beaucoup d’articles la présentent même comme intégrée à un cycle économique classique pouvant lui-être bénéfique. Cette thèse est reprise régulièrement à chaque crise. La crise des subprimes n’y faisait pas exception. Cependant, cette thèse n’a pas résisté longtemps face à l’ampleur que prenait la crise que nous étudions. Dans le cas étudié par Elsa Poudardin, l’« ajustement » est nécessaire selon les journalistes de Libération. C’est un « retour à la normal » « souhaitable » et « un avertissement salutaire » pour le Monde. Pour la crise des subprimes, on retrouve ce discours de la part d’experts, mais le discours journalistique est plutôt alarmant parlant de crise, de récession et de risque de chômage engendré et exacerbé par la crise. L’explosion du nombre d’articles témoignant de l’importance de la crise est un autre point commun entre les deux crises. Dans les articles traitant de l’e-krach, les journalistes protègent l’institution boursière en soulignant le caractère rationnel, économiquement et socialement salubre de l’arrivée dudit krach. Ils s’emploient à justifier le système dans son entier. Elsa Poudrardin explique cela : « les économistes imputent généralement a posteriori à la presse économique une responsabilité dans la survenue des crises boursières. Ils lui reprochent d’avoir déclenché la panique et/ou d’avoir entretenu l’euphorie. » Les journalistes préfèrent se protéger. Les vrais responsables de la crise seraient à leurs yeux les autres, les experts dont ils n’ont fait que retranscrire les avis. L’analyse des articles sur l’e-krach révèle l’existence d’une crise relationnelle entre experts et médiateurs. 25 26 Ibid Elsa Poudardin, La crise boursière d’avril 2000 dans les articles autour de la « nouvelle économie » in Michèle Gabay, Communiquer dans un monde en crise : images, représentations et médias. 27 Sophie Moirand, De l'aire de la page à l'hyperstrucutre et à l'écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire , Paris, Presses Universitaires de France, 2007, 186 p. REMY Morgane_2008 57 La construction médiatique de la crise « des subprimes » V/ La presse et l’événement subprime. 5.1 Historique de la relation de la presse à l’événement Avant la presse moderne, la presse commentait et expliquait un événement. Celui-ci etait diffusé dans le journal qu’après son occurrence. Aujourd’hui, les médias provoquent la constitution de l’événement et parfois, le choc des réactions d’une opinion sensibilisée 28 provoque un événement plus important que celui qui a mobilisé l’opinion . Il faut cependant différencier l’événement de l’avènement. Les exigences de la « nouvelle » journalistique 29 décrite par Boorstin : court, actuel, inattendu, dramatique et sensationnel. La différence entre un événement et un « avènement » est la coupure occasionnée par celui-ci par rapport aux flux des autres faits de l’époque. À partir de cette définition de l’événement, on peut d’ores et déjà classer la crise des subprimes comme un événement. L’événement avant la grande presse d’information Au XIXe siècle la typologie d’un événement dépendant de la notabilité des personnes impliquées et de la prépondérance de l’événement politique et économique. Les événements majeurs sont souvent en une mais aussi dans la chronique boursière à une époque où le lecteur est le plus souvent bourgeois. Depuis la grande presse d’information De 1880 à la Seconde Guerre mondiale, la presse devient la principale source de connaissance de l’événement. Elle joue également le rôle de relais d’opinion. Il ne suffit plus à la presse de commenter l’événement, elle va à sa recherche. Il y a plusieurs évolutions. Tout d’abord, l’événement est politisé, c’est-à-dire expliquer en fonction d’une idéologie. Il y a l’apparition d’événement dans les champs scientifique et économique. Enfin, les faits divers prennent le statut d’événement. L’omniprésence du visuel Avec l’arrivée de la télévision puis d’internet, le visuel est devenu prédominant. Cette analyse est également valable pour la presse quotidienne qui a dû à plusieurs reprises changer de maquette pour devenir, elle aussi, plus visuelle. Cela marque aussi une évolution de la presse d’opinion à la presse d’information (news to use) : il y a beaucoup d’événements, peu de commentaires. Dans le cas de la crise des crédits hypothécaires à risque cela signifie que les informations données sont essentiellement d’ordre boursier ou parlent de décisions de politique monétaire. Ce sont des informations que les investisseurs peuvent directement utiliser même si les propos des journalistes portent principalement sur l’incertitude propre à la situation de crise. Il y a cependant un glissement après la 28 29 André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986. Daniel J. Boorstin, L'Image, ou ce qu'il advint du Rêve américain ( The Image: A Guide to Pseudo-Events in America, éd. Vintage Books), éditions Julliard, coll. « 10/18 », Paris, 1961 (1963 pour la France) 58 REMY Morgane_2008 V/ La presse et l’événement subprime. première phase d’incompréhension : on essaye de comprendre ce qu’il se passe, ceux qui ont provoqué la crise. 5.2 Les subprimes ou un « Grand événement » 30 Les Caractères du grand événement selon Jean-Guy Sarkis : Propriétés d’ordre temporel et structurel L’imprévisibilité : On ne peut savoir sûrement à l’avance si, quand et comment il va se produire : Spontanéité : L’homme n’a plus d’emprise absolue sur les événements malgré une volonté de contrôler tous les paramètres L’imprévisibilité peut être d’ordre naturel comme le tsunami ou peut être de nature humaine. L’homme peut être débordé par les conséquences tout à fait inattendues de ses actes. L’imprévisibilité prospective opposée à la prévisibilité Rétrospectivement, l’événement qui a lieu semble tout à fait prévisible. rétrospective : L’irréversibilité : L’événement produit ne peut être inversé et les conséquences de celuici ne peuvent qu’être limitées. L’irrésistibilité : L’événement s’impose et tranche dans l’ordre supérieur qui est celui du politique. Dans la dimension politique, l’événement tient une place éminente puisqu’il conditionne tout le politique, en le fragilisant et en le précarisant. L’événement conditionne l’activité de l’homme politique La crise des subprimes était bel et bien imprévisible même si certains, comme Angela Merkel, avaient tiré la sonnette d’alarme. Les divers commentateurs, qu’ils soient experts, journalistes ou victimes, n’avaient pas vu venir la crise. Le spécialiste de LCI, Thomas Blard, dit que « Tout le monde est content ». La femme en pleurs interviewée par TF1, de la même façon, n’a pas vu venir la crise. Les économistes ont perdu prise sur les produits financiers qu’ils avaient créés. Ils sont « débordés par les conséquences tout à fait inattendues de leurs actes ». Les aspects relatifs de l’importance de l’événement Importance différentielle : La classification des événements se fait en fonction de leur importance respective en les considérant les uns par rapport aux autres. Importance référentielle : L’Histoire donne un élément de comparaison et donne une idée de l’importance de l’événement. La portée concerne alors non seulement la dimension spatio-temporelle mais aussi le domaine des conséquences et répercussions (dans un rapport direct de cause à effet pour le premier et indirect pour le second). Certains événements ont une portée telle qu’elle s’impose aux journalistes : l’Homme a marché sur la Lune. Dans la plupart des cas, le rôle du journaliste tient de la reconnaissance à la révélation d’un fait en tant qu’événement. Les journalistes peuvent augmenter ou diminuer l’importance de tel ou tel événement même si 30 Sarkis Jean-Guy, La notion de grand événement, passages, CERF, 1999 REMY Morgane_2008 59 La construction médiatique de la crise « des subprimes » les extrêmes leur sont interdits. Pour la crise des subprimes, la chute des cours a bel et bien imposé l’événement aux journalistes. Par ailleurs, l’événement doit exprimer quelque chose de fort pour l’homme. Il doit être en relation avec ce que l’homme a de plus cher : la vie, la liberté, la sécurité, les valeurs et les croyances… Plus l’homme se sent impliqué, plus l’événement gagne en importance. Par exemple, sur des événements sociaux, le nombre de « victimes » est un élément de base. Dans le cas de la crise des subprimes, la crise immobilière met des individus dehors, ce qui atteint non seulement leur sécurité mais aussi toutes les croyances réunies sous l’appellation de l’american way of life. 5.3 Les logiques journalistiques et lectures événementielles des faits d’actualité 31 Pour Pierre Nora , l’événement est par essence médiatique. Il n’existe plus sans sa médiation. Il y a alors deux postures sur la définition de l’événement. Les médias maturent l’événement existant et en font un objet du réel, lui donnent un corps. En réaction, l’histoire du temps présent entreprend de renverser le stigmate événementiel, au risque, parfois, de confondre l’événement avec sa manifestation spectaculaire. Un article classique de Pierre Nora sur « le retour de l’événement » (1973), qui fixe aussi le programme théorique d’une « histoire contemporaine », illustre bien ce parti pris. L’événement, rapport au temps, à l’histoire et à l’actualité, caractérise selon l’historien la modernité démocratique. « Son apparition paraît dater du dernier tiers du XIXe siècle, explique-t-il d’entrée. Ainsi l’affaire Dreyfus constitue-t-elle peut-être, en France, la première irruption de l’événement moderne, le prototype de ces images d’Épinal sorties tout armées du ventre des sociétés industrielles et dont l’histoire contemporaine ne cessera plus de reproduire les exemplaires, à partir d’une matrice comparable. » Ce qui définit l’événement dans sa modernité, c’est qu’il n’existerait que par les mass media : « Dans nos sociétés contemporaines, c’est par eux et par eux seuls que l’événement nous frappe, et ne peut pas nous éviter. » La médiatisation ne se contenterait pas de relayer l’événement. Pour Pierre Nora, elle le constitue : « Presse, radio, images n’agissent pas seulement comme des moyens dont les événements seraient relativement indépendants, mais comme la condition même de leur existence. La publicité façonne leur propre production. « Des événements capitaux peuvent avoir lieu sans qu’on en parle », concède l’historien. Mais « le fait qu’ils aient eu lieu ne les rend qu’historiques. Pour qu’il y ait événement, il faut qu’il soit connu ». Aussi l’événement existerait-il uniquement dans ce rapport au temps qui accompagne la médiatisation, celui de la modernité. 32 31 Pour le philosophe Gilles Deleuze , « les événements sont idéaux ». En effet, « la distinction n’est pas entre deux sortes d’événements, elle est entre l’événement, par nature idéale, et son effectuation spatio-temporelle dans un état de choses. Entre l’événement et l’accident ». L’événement, ce n’est pas qu’il se passe quelque chose, quelque important Pierre Nora, le retour de l'évènement, dans Faire l’Histoire, dirigé par Jacques Le Goff et Pierre Nora, Gallimard, Paris 1974, vol.7. 32 60 Deleuze G., 1969. Logique du sens, Paris, Ed. de Minuit. REMY Morgane_2008 V/ La presse et l’événement subprime. que ce soit, mais plutôt que quelque chose se passe – un devenir. On n’est pas, comme pour l’accident, dans l’ordre des faits, mais dans celui des « incorporels » : l’infinitif, et non le substantif. Il ne faut donc pas confondre l’événement avec sa manifestation, comme le proposait Pierre Nora : la médiatisation n’est en effet que la matérialisation de l’événement, qui nous fait basculer dans le registre « corporel ». Ainsi, l’événement n’est pas défini par son importance médiatique : « Le mode de l’événement, c’est la problématique. Il ne faut pas dire qu’il y a des événements problématiques, mais que les événements concernent exclusivement les problèmes et en définissent les conditions. » Bref, « l’événement par luimême est problématique et problématisant ». Avec l’événement, c’est l’intelligibilité qui fait problème – qui devient problématique, qui est problématisée. N’allons pas croire pourtant que la référence philosophique nous éloigne de l’histoire. Gilles Deleuze retrouve l’Affaire, et dans la même page, pour penser la singularité de l’événement, il cite Charles Péguy : « Il y a des points critiques de l’événement comme il y a des points critiques de température, des points de fusion, de congélation, d’ébullition, de condensation ; de coagulation ; de cristallisation. » Les journalistes ne font pas advenir une réalité inexistante, mais leur mise en scène de l’information contribue à doter un fait d’une valeur relative, en lui donnant une plus grande visibilité, au point, parfois, d’écraser tous les autres faits. Il est intéressant de noter un certain mimétisme, une auto-alimentation au sein des médias, qui contribue à amplifier le phénomène de médiatisation de l’événement par un effet d’emballement désormais bien repéré 33 . Il y a une véritable lutte sur la scène médiatique pour la définition des termes. Cela semble anodin mais il est courant de dire chez les avocats que définir le problème selon ses mots, c’est déjà gagner le procès. Le cadrage donc est très important puisqu’on impose ses valeurs. La définition d’un problème est un véritable enjeu politique : celui qui le définit pose également les règles du jeu. Il ne faut cependant pas réduire le rôle des journalistes à celui de victimes. Ils ont la capacité d’annoncer, de définir et d’amplifier l’état de crise. Le sensationnalisme dont fait preuve le Nouvel Observateur a un rôle d’amplificateur. Une crise crée une situation de stress, « un état socio-émotionnel de la collectivité, marqué par des phénomènes psychologiques : rédaction de défense, démoralisation, dissociation, rumeurs…” ( A. Mucchielli, 1993). Jouer sur cette corde sensible, dramatiser la situation équivaut a une fusion entre l’informatif et le sensationnalisme. 34 Selon Dan Berkowitz , la première réaction d’un journaliste lors du déclenchement d’une crise est de s’écrier « what a story !”, Mais après un temps, les journalistes cherchent des ressources disponibles, apportant ainsi une valeur ajoutée : c’est pour cela que les experts sont si convoités. Ce sont les positions dans l’espace social qui déterminent les conditions de prise de parole. Les médias peuvent difficilement se passer de l’avis d’économistes pour décrire une crise. Mais ces derniers ont leurs pratiques langagières propres : un vocabulaire, des tournures privilégiées. Par leurs jeux de langage, ils imposent un cadre aux journalistes. 33 34 Jocelyne Arquembourg, De l'événement international à l'événement global in Hermès n°46 - 2007 Dan Berkowitz , Social Meanings of News, Sage publication, 1997 REMY Morgane_2008 61 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Les conditions de l’émergence médiatique d’un événement à l’échelle internationale sont les suivantes : 35 Intensité émotionnelle, Possibilité d’accéder au terrain, Existence d’acteurs sociaux à même de valoriser un phénomène et de fournir une interprétation événementielle, Possibilité de recordage des faits qui permet aux journalistes de lui plaquer des schémas préalables d’appréhension du monde, en le considérant comme exemplaire ou au contraire comme une rupture, un moment qui oblige à revoir nos cadres interprétatifs, Degré de concurrence avec d’autres faits éligibles au rang d’événement. Cette éligibilité est elle-même conditionnée par la concurrence médiatique. Les médias influent les uns sur les autres, au point que des phénomènes d’auto-alimentation apparaissent, Effet d’agenda. 5.4 Typologie de l’événement des subprimes Aujourd’hui l’événement médiatique peut être caractérisé et analysé grâce à la 36 typologie établie par André-Jean Tudesq . Grâce à celui-ci, on peut comprendre que l’événement de la crise des crédits à risque a été constitué comme tel par la presse par son extra-ordinarité. Comme le dit l’auteur de 'La presse et l’événement', « certaines réalités s’imposent à la presse comme une guerre, une révolution, un changement de chef d’État. » La crise financière bouleverse les codes établis et le système financier mondial est ébranlé. Il est probable que dans ce cas, l’événement retenu par les journalistes le soit aussi par les historiens, même si « les événements retenus par l’histoire ne sont pas forcément ceux retenus par la presse. » La crise touche de nombreux Américains dont le mode de vie et de consommation est souvent érigé en modèle. La première relativité de l’événement est donc sociologique. Des croyances profondément ancrées dans l’imaginaire occidental avaient déjà été fortement ébranlées par le 11 Septembre. Il semble que la crise des « subprimes » engendre une nouvelle faille dans le système américain et surtout dans cet American way of life que l’on continuait d’admirer malgré les critiques d’ordre politique. Il semblerait que la désillusion soit la même que celle décrite dans la pièce de théâtre Death of a Salesman d’Arthur Miller. La situation est celle d’une famille moyenne américaine désillusionnée par le rêve américain dans les années 30, à la suite de la crise de 1929. Pour compléter la définition de cet événement, on peut utiliser la typologie de Molotoch et Lester, l’événement des subprimes n’est pas « un événement de routine » 35 Arnaud Mercier, Logiques journalistiques et lectures événementielle des faits d’actualité in Événements mondiaux-regards nationaux, Hermès n°46 - 2007. 36 62 André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986. REMY Morgane_2008 V/ La presse et l’événement subprime. 37 ni un « accident ». Elle peut tenir du « scandale », avec la recherche du coupable l’accompagne, Cependant cela semble encore insuffisant pour encadrer cet événement. Je vais donc utiliser la typologie nouvelle d’un professeur d’Histoire genevois 38 . Il est vrai que notre champ d’analyse est focalisé sur les médias mais l’étude de l’événement ressortit à plusieurs domaines, notamment les sciences humaines et politiques, Elle ne saurait être restreinte à celle des media studies. Je prendrai donc la liberté d’utiliser la typographie ci-dessous pour pouvoir montrer, autrement que par les dires des journalistes, que l’événement « subprimes » est bien de l’ordre de la crise. 5.5 L’événement subprime est une crise Il y a crise quand l’issue de l’événement est incertaine, quand les informations dont on dispose sur l’événement ne permettent pas d’en prévoir l’issue. Une crise désigne, par conséquent, un événement considéré comme une déconstruction de la sociabilité : les acteurs se jugent les uns les autres et nous devons repenser notre appartenance, notre sociabilité, notre existence sociale 39 . Il y a déconstruction de trois façons. Les institutions bancaires et économiques n’ont plus été en mesure de jouer pleinement leur rôle dans l’espace public. Les médias économiques et l’information économique des médias généraux n’ont plus été en mesure de prévoir et, par conséquent, n’ont plus assuré leur rôle dans l’espace des médias. Les "victimes" individuelles, personnelles, de la crise, se sont vues perdre leur sociabilité et la dimension collective de leur identité. Il y a crise quand l’issue de l’événement est incertaine, quand les informations dont on dispose ne permettent pas d’en prévoir l’issue. Une crise désigne, par conséquent, un événement considéré comme une déconstruction de la sociabilité : les acteurs se jugent les uns les autres et nous devons repenser notre appartenance, notre existence sociale 40 . La déconstruction a trois causes : Les institutions bancaires et économiques n’ont plus été en mesure de jouer pleinement leur rôle dans l’espace public. Les médias économiques et l’information économique des médias généraux n’ont plus été en mesure de prévoir et, par conséquent, n’ont plus assuré leur rôle. Les "victimes" de la crise ont perdu leur sociabilité et la dimension collective de leur identité. 37 Harvey Molotch and Marilyn Lester, News as Purposive Behavior: On the Strategic Use of Routine Events, Accidents, and Scandals , A merican Sociological Review , Vol. 39, No. 1 (Feb., 1974), pp. 101-112 , 38 American Sociological Association Michel Hammer, Histoire et politique internationale, Cours de l’année académique 1999/2000, Graduate Institute of International Studies, Geneva 39 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006 40 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006 REMY Morgane_2008 63 La construction médiatique de la crise « des subprimes » La crise ! Le mot a été lancé, souvent sans définition. On peut trouver des définitions de crise financière, de crise économique, mais le mot crise est utilisé sans explication, comme s’il était évident pour chacun, une institution. Étymologiquement, il vient du grec krisis utilisé dans le domaine médical, puis pour caractériser une situation, d’abord militaire puis politique. Il y a aussi une dynamique dans la crise : il faut la comprendre, trouver ses racines pour ensuite intervenir, corriger le tir. Dès lors, diagnostiquer une crise sert à justifier une intervention. Il faut analyser les groupes d’intérêts, leurs discours de crises, quelles vues ils cherchent à imposer. La typographie de Michel Hammer permet de voir que la crise, si elle est soudaine dans sa manifestation, trouve ses racines profondément dans l’histoire. Il parle d’extériorisation du cache, de l’occulter, du résiduel ». Cette expression, qui peut paraître anodine donne les raisons de la chasse au bouc émissaire inhérente au traitement médiatique de la crise. Il est important de comprendre ce que les journalistes entendent par crise économique. Quand on parle de ces crises, un passé est évoqué, une mémoire commune est mobilisée. Cela correspond à une institution. C’est pour cela que les journalistes ne définissent pas clairement ce qu’est une crise économique. Pourtant c’est une notion dynamique qui a évolué en fonction des époques. En 1929, un effondrement des cours boursiers met fin à une période d’expansion déséquilibre et l’économie entre en récession. Mais depuis 1973, crise désigne la plupart des difficultés subies par l’économie. Arrive alors le paradoxe des crises chroniques. L’idée de crise économique appelle des représentations collectives dramatiques : queues de chômeurs, soupes populaires, paniques boursières… Si l’utilisation du terme crise économique sans explicitation peut-être justifiée par un passé connu des lecteurs, il est plus étonnant de voir la façon dont les journalistes utilisent le mot « subprime » comme s’il résumait l’événement à lui seul, alors que la réalité est, évidemment, bien plus complexe. « subprime » n’est que la note accordée à un type de crédits. Leur développement incontrôlé, l’augmentation, due à des facteurs exogènes, des taux d’intérêts qui en a renchéri le coût au-delà du supportable et le retournement du marché immobilier permettent de décrire brièvement une situation qui ne saurait être réduite à une cause unique et résumée en un mot. 5.6 Du sensationnalisme Le sensationnalisme médiatique paraît être l’amplification temporaire de la tendance naturelle des journalistes à privilégier le côté négatif des événements (les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne…). Pendant les épisodes de sensationnalisme, pour répondre rapidement à une demande d’information de la part du public, les journalistes gardent essentiellement la même posture mais multiplient les articles ou les reportages alarmistes sur un sujet particulier. Ce qui conduit notamment un chercheur comme Glassner 41 à soutenir que les médias cherchent à faire peur afin d’en tirer des avantages économiques, plutôt que d’informer de façon rigoureuse et équilibrée. Evoquant l’affaiblissement de la fonction de chien de garde du journalisme d’enquête pratiqué chez les grands réseaux de télévision commerciale aux États-Unis, Kovach et 41 64 Glassner, Barry. The Culture of Fear: Why Americans are Afraid of the Wrong Things, New York, Basic Books, 1999, 276 p. REMY Morgane_2008 V/ La presse et l’événement subprime. Rosenstiel sont d’avis que plusieurs de ces émissions ont des apparences de journalisme d’enquête, sauf qu’au lieu de surveiller les puissants et de protéger la société de leur tyrannie, ils s’intéressent surtout à la sécurité personnelle des gens ou à leurs portefeuilles en dénonçant les mécaniciens douteux, le manque de sécurité des piscines publiques, etc. Ils se réfèrent notamment à une étude réalisée en 1997 concernant ces newsmagazines, présentés aux heures de grande écoute, selon laquelle ce genre de journalisme ignore la plupart des enjeux typiquement reliés à la fonction de chien de garde de la presse. Ils déplorent également le traitement sensationnel d’enjeux parfois de grande importance dont traitent ces émissions 42 . 43 Frost estime que les probabilités de sensationnalisme médiatique sont plus élevées au début de la couverture médiatique d’un événement qui suscite l’intérêt du public, quand les journalistes cherchent à répondre à cette demande subite pour une information de qualité difficile à obtenir 5.7 Le temps de l’événement Selon Paul Ricœur, il y a trois phases dans la genèse et le dévelope de l’événement 44 : Émergence de l’occurrence proprement dite, Recherche de sens, Dilution de l’événement dans le récit construit à son propos. Les récits journalistiques comportent une triple projection dans le temps 45 : Un mouvement en arrière dans le but de découvrir certaines causes, provisoirement présentées comme étant primordiales, Une reconstitution de l’ensemble des chemins possibles depuis les causes détectées jusqu’aux effets observés, Une approche prospective, en anticipant les conséquences. Le présent se situe entre la « nécessité rétrospective » et une « contingence prospective ». Si, en amont, l’événement est coupé de son ascendance, il engendre en aval une descendance innombrable. Des crises et des sorties de crise, de la refondation d’un ordre politique ou de l’arrivée des étrangers qui 'ont tout bouleversé', le souvenir est conservé, la mémoire élaborée, de génération en génération, dans des paysages, des objets, des généalogies, des récits, des commémorations. Car, comme le rappelle Paul Ricœur 42 46 Kovach, Bill et Rosenstiel, Tom. The Elements of Journalism: What Newspeople Should Know and the Public Should Expect, New York, Crown Publishers, 2001, 205 p. 43 44 Frost, Chris. Media Ethics and Self-Regulation, Harlow, Longman, 2000, 271 p. Paul Ricoeur, Evénement et sens publié dans la revue raisons pratiques, 1991, P 41-55. 45 46 Alain Flageul, Dossiers de l’audiovisuel, 2002, p21-25. Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli , Le Seuil, 2000 . REMY Morgane_2008 65 La construction médiatique de la crise « des subprimes » , « l’événement, en son sens le plus primitif, est cela au sujet de quoi on témoigne. Il est l’emblème de toutes les choses passées (praeterita) ». Point d’événement donc sans récit, sans remontées vers la rupture initiale et, de là, redescentes jusqu’au narrateur. Ainsi, le temps contracté de l’événement accouche d’une logorrhée narrative qui, à travers chroniques, épopées et histoires diverses, énonce encore et encore de ce par quoi l’époque nouvelle est advenue. La crise comme événement discontinu 47 C’est toujours a posteriori qu’un événement peut être reconnu comme une crise : au cœur du réel qui nous est imposé, nous ne sommes pas en mesure de prendre la distance qui nous permet de repenser notre identité. La crise économique, financière, politique de 1929 est considérée comme LA crise car à l’issue de cet événement de nouvelles logiques ont commencé à structurer le monde. Le temps et les acteurs de la crise 48 La représentation de l’événement sous la forme d’une crise lui donne une temporalité : différents moments qui marquent l’historicité d’une crise. En créant l’attente du dénouement prévisible de la crise, les médias inscrivent la représentation de l’événement dans les logiques d’un récit avec sa temporalité, son suspens (l’effet d’attente produit par la dramatisation de l’information), mais aussi la détente que constitue son dénouement. Au cours d’une crise, les acteurs ont à se situer, à adopter une certaine position les uns par rapport aux autres, à faire face à certains enjeux de pouvoir, d’identités qui définissent la dimension proprement politique de la crise. Représentation et implications des crises 49 « Sur le plan réel, la représentation met en œuvre des institutions et des acteurs qui donnent une consistance politique à la représentation du peuple La représentation symbolique signifie les choix, les orientations et les opinions du peuple assemblé, qui, de ce fait, voit reconnaître la signification de ses choix, d’un engagement politique. L’imaginaire politique donne à voir de façon fantasmatique et immédiate, les acteurs du politique désormais structurés dans leur pratique symbolique. » Le discours médiatique remet en cause la vision linéaire de la communication et relève plutôt d’un modèle circulaire : "les médiateurs construisent une communication qui tient compte des discours qui les informent à destination, entre autres, de ceux-là même qu’ils convoquent et qu’ils interrogent, lesquels reprennent à nouveau ces discours reconstruits à destination d’autres communautés mais aussi de ces mêmes médias, qui les retransmettront à nouveau, etc." 47 48 49 50 66 50 Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006 Idem Idem Sophie Moirand, p. 158 REMY Morgane_2008 V/ La presse et l’événement subprime. 5.8 La crise des subprimes, un objet politique de rapport de force La société se manifeste d’habitude comme « un système bien structuré, différencié et 51 hiérarchisé de positions économiques, juridiques et politiques. » Cette structure, que Turner dénomme 'societas', se sent menacée par toute forme de changement. Au moment où ce changement peut se produire (catastrophes naturelles, conflits sociaux, modifications dues au cycle de la vie et de la mort), les collectivités mettent en marche un ensemble de rites qui doivent contrôler le flux du changement. Dans le langage journalistique, l’événement est confondu avec la simple occurrence mais il y a une différence entre un événement et "l’événement". L’événement implique alors deux autres notions : l’événement imbrique le regard d’un public et il est ce qui se remarque. Il y a trois types d’acteurs dans une crise 52 : Les médias sont confrontés à ce qui fait rupture. Ils participent à la construction du sens de ce qui arrive. Les acteurs impliqués dans l’événement qui ont un rôle dans elles médias qui peut aller d’une collaboration consensuelle à un rapport de force ouvert. Le public sur lequel les médias ont un impact supposé. Ils peuvent vouloir anticiper, instituer ou susciter telle ou telle réaction du public. Le traitement médiatique d’un événement implique la présence d’un public qui affecte en retour l’événement lui-même. La construction d’un événement n’est donc pas du simple ressort des acteurs. Ainsi, la définition médiatique de la crise des subprimes, ainsi que la façon dont le public la perçoit joue sur la construction de l’événement subprime. D’après le sociologue Frédéric Lebaron, la presse économique a une vision du monde favorable à l’ordre établi 53 : La « naturalisation de l’ordre économique » passe par l’emploi de système d’opposition de termes dont l’un est valorisé et l’autre non (mobile/immobile, fermeture/ouverture, défense de privilèges/modernité) et qui s’avère efficace pour peu que ces termes réactivent des dispositions sociales assez profondes : la valorisation de l’avenir, donc de la jeunesse par exemple. L’imposition d’un « point de vue de certains acteurs » comme celui des actionnaires. Le développement du « journalisme économique » entendu comme spécialité journalistique, professionnelle, allant de pair avec un regard et un ton technique et expert. 51 Turner V., 1969, The ritual process, New York,Adline Publ. Process. 52 53 Arnaud Mercier,Logiques journalistiques et lectures événementielle des faits d’actualité in Hermès N°46. Frédéric Lebaron, Sociologie en Trente cinq fiches, Dunod, Express, 2007, p160. REMY Morgane_2008 67 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Conclusion le rôle des médias dans l’émergence d’une crise David Vannier, représentant du FMI, explique que les médias jouent un rôle important, si ce n’est primordial. « En effet, les marchés répondent aux émotions. Or, si les médias n’avaient pas parlé de la crise du sub-prime, les acteurs des marchés n’auraient sans doute pas répondu avec la même urgence lors des premiers remouds. Sans cette réaction immédiate, il est possible que les remous ne restent que cela : une légère perturbation. Cependant, la concentration médiatique a fait de ces quelques remous une tempête, et les petits porteurs d’actions, ainsi que les plus gros, ont cherché logiquement à se défaire des ses éléments d’investissements. Et la tempête se traduit par les événements de ces derniers mois ». Dans les mêmes conditions, Christian Chavagneux, rédacteur à Alternatives économiques prend le contre-pied : « Les médias n’ont fait que présenter la crise de confiance que les banques leur montraient. Les paniques boursières n’ont été que des épiphénomènes. Le problème central est celui de la qualité du contrôle des risques 54 dans les banques » . Après l’analyse menée lors de ce mémoire, on voit le rôle de la presse dans la définition de la crise qui a ensuite nécessairement eu un impact sur les marchés. Cependant, si le traitement médiatique cadre la crise, il s’agit clairement d’une interaction. Il est permis de se demander si Internet n’a pas augmenté la désinformation et si l’affluence d’articles sur le Web a inquiété les marchés. Après un rapide panorama de la toile, la conclusion que l’on peut en tirer est qu’il y a une véritable rigueur complétée par un jugement qualitatif de l’ensemble des internautes. Ainsi, sur les sites de presse exclusivement en ligne, les articles ne contiennent pas d’erreurs et le rôle des commentaires permet aux internautes une véritable interaction. Le plus important à noter est que les articles sur des sites comme Rue 89, Bakchich ou Media Part apportent un traitement de la crise véritablement alternatif sur deux points : la vulgarisation est beaucoup plus poussée, il y a une véritable démocratisation du sujet, et la toile offre une véritable tribune pour la critique du système. Rue 89, dans un article titré « Crise financière : pas de panique ! », explique le mécanisme de la crise comme un professeur d’économie le ferait au lycée. Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances préalables pour le comprendre. L’article est écrit par Charles Wyplosz, Professeur à l’Institut Universitaire de Hautes études internationales,. L’explication n’a rien de révolutionnaire mais elle a le mérite d’être simple : il a reçu une note de 5/5 des internautes. Par ailleurs, le véritable intérêt est plus dans l’opportunité de débattre sur la toile. Il y a des dizaines de réactions qui vont de la simple question de compréhension 55 à une tribune politique . Mediapart, lui, prend le parti de politiser le sujet. Le lien est fait entre les subprimes, la guerre en Irak et le déficit américain dans l’article « L’Irak = Crise des subprimes ? 54 55 68 Voir Interviews dans les annexes. Charles Wyplosz, Crise financière : pas de panique ! http://www.rue89.com/2007/08/10/crise-financiere-pas-de-panique REMY Morgane_2008 Conclusion 56 Oui » écrit par Magnum (pseudo)qui se définit comme étant « analyste financier, banque d’Investissement ». Il faut noter que ces informations sont fournies par l’internaute au moment de l’inscription et ne peuvent être vérifiées. Le ton est ironique presque cynique. Le troisième site de presse en ligne utilisé comme exemple est Bakchich. Ce site choisit d’être une véritable alternative en offrant son espace médiatique comme tribune 57 à ATTAC dans l’article « Crise des subprimes : ATTAC contre-attaque ». Un des débats récurrents dans le champ des médias radicaux est de savoir s’il faut concevoir les médias militants comme une alternative à l’espace médiatique conventionnel, cherchant à le concurrencer, le réformer ou lui imposer un nouvel agenda, ou bien comme des « médias 58 citoyens » cherchant à multiplier les dispositifs réflexifs au sein de la sphère militante, à favoriser les expériences de mise en récit des engagements et à faire de la question de la « démocratisation de l’information » un enjeu local, ciblé et spécifique à chacune des luttes engagées. A l’issue de cette étude, le fait que les médias jouent un rôle clé dans l’émergence d’une crise s’impose comme une évidence. Il apparaît, en plus, que par le traitement qu’ils lui réservent ils peuvent l’amplifier tant dans son ampleur que dans sa durée.` 56 Magnum, L’Irak = Crise des subprimes ? Oui, http://www3.mediapart.fr/club/edition/inside-banking/article/100608/l-irak- crise-des-subprimes-oui 57 58 ATTAC, Crise des subprimes : ATTAC acontre-attaque http://www.bakchich.info/article4725.html?var_recherche=subprime C. Rodriguez, Fissure in the Mediascape. An International Study of Citizen’s Media, Hampton Press, Cresskill, 2001. REMY Morgane_2008 69 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Annexes Ces annexes sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon 70 REMY Morgane_2008 Bibliographie Bibliographie Le corpus est classé par ordre d’apparition dans le mémoire : Elsa Poudrardin, La crise boursière d’avril 2000 dans les articles autour de la « nouvelle économie » in Michèle Gabay, Communiquer dans un monde en crise : images, représentations et médias. Sophie Moirand, De la médiation à la médiatisation des faits scientifiques et techniques : où en est l’analyse du discours ?, CEDISCOR-SYLED, université Paris III. Frank Nathaniel (University of Oxford), Brenda Gonzalèz-Hermosillo and Heiko Hesse (IMF), Transmission of Liquidity Shocks : Evidence from the 2007 Subprime Crisis, 2008. Patrick Arthus , Natixis , Global Immo n°1 mars 2008 Jean-Paul Fitoussi et Éloi Laurent, Les errements de la confiance : la Fed et la BCE dans la crise, lettre de l’OFCE, Observations et diagnostics économiques n° 289 Mercredi 19 septembre 2007 Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, 1997, Editions Odile Jacob, Paris. o Problèmes économiques N 2.945, 09 avril 2008, DOSSIER :Retour sur la crise financière de 2007, Subprimes : topographie d’une crise. Bourdieu, Pierre, « Sur la télévision », Paris, Raisons d’agir, 1996. Sophie Moirand, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre , Paris, Presses Universitaires de France, 2007. Sophie Moirand, De l’aire de la page à l’hyperstrucutre et à l’écran : comment lire et analyser la presse quotidienne ordinaire , Paris, Presses Universitaires de France, 186 p. Pierre Lejeune, Discours d’experts en économie, Lambert-Lucas, Limoges, des Notes de l'Insee a la Rubrique Economie du "Monde", 2004 Turner V., 1969, The ritual process, New York, Adline Publ. Process. Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Éditions Aubier, 2001 ; édition originale : Risikogesellschaft, Francfort, Suhrkamp Verlag , 1986. Daniel Schneidermann, in Rémi Mer, Vache folle : les médias sous pression, dossier environnement INRA numéro 28. André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986. Daniel J. Boorstin, L’Image, ou ce qu’il advint du Rêve américain ( The Image : A Guide to Pseudo-Events in America, éd. Vintage Books), éditions Julliard, coll. « 10/18 », Paris, 1961 (1963 pour la France) REMY Morgane_2008 71 La construction médiatique de la crise « des subprimes » Sarkis Jean-Guy, La notion de grand événement, passages, CERF, 1999 Pierre Nora, le retour de l’évènement, dans Faire de l’Histoire, dirigé par Jacques Le Goff et Pierre Nora, Gallimard, Paris, 1974, vol. 7 Deleuze G., Logique du sens, Paris, Ed. de Minuit, 1969. Jocelyne Arquembourg De l’événement international à l’événement global in HERMÈS n°46 2007 Dan Berkowitz, Social Meanings of News, Sage publication, 1997 Arnaud Mercier, Logiques journalistiques et lectures événementielle des faits d’actualité in Événement mondiaux-regards nationnaux, Hermès n°46, 2007 André-Jean Tudesq, La presse et l’événement, Publication de la maison des sciences de l’homme de Bordeaux, 1986. Harvey Molotch and Marilyn Lester, News as Purposive Behavior : On the Strategic Use of Routine Events, Accidents, and Scandals, A merican Sociological Review , Vol. 39, No. 1 (Feb., 1974), pp. 101-112, American Sociological Association Michel Hammer, Histoire et politique internationale, Cours de l’année académique 1999/2000, Graduate Institute of International Studies, Geneva Lamizet Bernard, Chapitre 11 : La crise ou l’envers du sens, Sémiotique de l’événement, Lavoissier, 2006 Glassner, Barry. The Culture of Fear : Why Americans are Afraid of the Wrong Things, New York, Basic Books, 1999, 276 p. Kovach, Bill et Rosenstiel, Tom. The Elements of Journalism : What Newspeople Should Know and the Public Should Expect, New York, Crown Publishers, 2001, 205 p. Gloria Awad, Du sensationnel, Place de l’événementiel dans le journalisme de masse, L’Harmattan, 1995. Frost, Chris. Media Ethics and Self-Regulation, Harlow, Longman, 2000, 271 p. Paul Ricoeur, Événement et sens publié dans la revue raisons pratiques, 1991, P 41-55. Alain Flageul, Dossiers de l’audiovisuel, 2002, p21-25. Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli , Le Seuil, 2000 . Frédéric Lebaron, Sociologie en Trente cinq fiches, Dunod, Express, 2007, p160. C. Rodriguez, Fissure in the Mediascape. An International Study of Citizen’s Media, Hampton Press, Cresskill, 2001. 72 REMY Morgane_2008