La grammaire générative

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Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte La grammaire générative Noam Chomsky, né en 1928 à Philadelphie (Etats‐Unis) But : expliquer que : ‐
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Une langue puisse être acquise par l’enfant en si peu de temps (voir les progrès si rapides entre 0 et 4 ans) Des phénomènes de langue soient immédiatement interprétés sans besoin d’apprentissage particulier, par exemple : o Structure en constituants des phrases (comment savoir le morceau de phrase qu’on doit déplacer quand on transforme une phrase affirmative en une question en oui/ non) o Liens de coréférence dans la phrase entre des unités distinctes, par exemple un nom et un pronom (savoit que dans « Pierre croit qu’il est malade » le « il » peut renvoyer à Pierre, mais pas dans « il croit que Pierre est malade ») Quelques idées : ‐
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La langue est enracinée dans l’appareil biologique du cerveau. Il existe une « faculté de langage » innée chez l’homme. Elle le distingue de l’animal. (cf. on a pu essayer d’apprendre des rudiments de langage à des chimpanzés mais cela n’a pu aller très loin et surtout cela a nécessité un apprentissage laborieux, à la différence de l’enfant humain). Une propriété remarquable du langage humain est sa capacité à engendrer toujours des phrases nouvelles (que l’on a n’a encore jamais produites, cf. la littérature) et aussi à interpréter toujours des phrases nouvelles. Or, nous ne disposons en principe que de moyens finis (les dictionnaires sont des listes finies de mots, les phonèmes sont en nombre fini etc.). D’où le rôle d’une grammaire : être un dispositif qui explique comment on peut engendrer un nombre potentiellement infini de phrases à l’aide de moyens finis. C’était déjà ce que Humboldt avait posé comme problème. Cette propriété est la créativité du langage. Une autre propriété, reliée à la précédente, est le fait que l’on peut toujours construire des phrases arbitrairement complexes par enchâssements (par exemple des relatives). Autrement dit, quand on a appliqué une opération pour construire une phrase à partir d’une phrase antérieure (par exemple ajouter une relative à un nom à l’intérieur d’une phrase donnée, comme « donne‐moi de la farine » Æ « donne‐moi de la farine que je donnerai au boulanger »), on peut réappliquer la même opération à la phrase qu’on vient juste d’obtenir (« donne‐moi de la farine que je donnerai au boulanger qui me donnera du pain »). Cette propriété est nommée récursivité. Quelques solutions : ‐
1 Au début (années cinquante), Chomsky a proposé comme schéma de grammaire un système de règles, que l’on peut appeler des règles de production. Si on part d’un répertoire de catégories syntaxiques (qui comprend les abbréviations : S, pour « phrase », SN, pour Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte « syntagme nominal », SV, pour « syntagme verbal », SP, pour « syntagme prépositionnel », SA, pour « syntagme adjectival », N, pour « nom », V, pour « verbe », A, pour « adjectif », P, pour « préposition » etc.) on peut par exemple exprimer l’idée que toute phrase se décompose en un syntagme nominal suivi d’un syntagme verbal par la « règle » : S Æ SN SV Et l’idée que tout syntagme verbal se décompose en un verbe éventuellement suivi d’un syntagme nominal et/ou d’un syntagme prépositionnel par les règles : SV Æ V SV Æ V SN SV Æ V SP SV Æ V SN SP Par exemple, le syntagme verbal « donne une lettre à Marie » correspondrait à la règle 4, alors que « monte sur une chaise » correspondrait à la règle 3, « regarde Marie » à la règle 2, et « éternue » à la règle 1. En mettant ces règles bout à bout et en supposant qu’on a aussi des règles pour le SN, du genre : SN Æ N SN Æ Det N SN Æ Det A N SN Æ Det A N A Ainsi que des appartenances lexicales comme le fait que « chat » appartient à la catégorie N, « le » à la catégorie Det, etc. on voit qu’on peut obtenir des phrases comme : Marie dort Le chat éternue Le petit chat donne une souris à Marie Le petit chat noir donne une souris à Marie Etc. Autrement dit, on part du symbole S et on applique les règles dont le symbole gauche est S, puis pour chaque symbole ainsi introduit, on fait la même opération qui consiste à appliquer une règle quelconque ayant ce symbole en partie gauche, jusqu’à ce qu’on n’obtienne plus que des mots du lexique. L’ « historique » de l’application des règles s’appelle une dérivation. Par exemple, pour la phrase « le chat éternue », on a la dérivation : 2 Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte S SN SV (par la règle S Æ SN SV) Det N SV (par la règle SN Æ Det N) Det N V (par la règle SV Æ V) Le N V (par appartenance de « le » à la catégorie Det) Le chat V (par appartenance de « chat » à la catégorie N) Le chat éternue (par appartenance de « éternue » à la catégorie V) Une dérivation possède une représentation au moyen de la notion d’arbre. Un tel arbre est appelé arbre syntaxique (ou arbre de dérivation). Ex : S SN SV Det le N chat V éternue La représentation sous forme d’arbre nous permet de définir des positions structurelles pour les différents éléments de la phrase. Ainsi, dans le cas ci‐dessus, le SN « le chat » a la position structurelle qui consiste à être immédiatement dominé par le nœud S et à avoir pour nœud frère le nœud SV. Une telle position est associée à celle de sujet grammatical. L’arbre de la phrase « Marie regarde le chat » ferait apparaître « le chat » dans la position d’un nœud immédiatement dominé par un nœud SV, et précédé d’un nœud V. Une telle position structurelle est associée à celle de complément d’objet direct. Les notions d’objet et de sujet peuvent donc se définir de manière configurationnelle. Exercice : écrire sur ce modèle une grammaire qui engendrerait des phrases contenant des relatives, comme Le gâteau que la boulangère a vendu ressemblait à un animal Le gâteau que la boulangère que l’épicier a dénoncé a vendu ressemblait à un animal Pierre a acheté un sac de farine qui contenait du sable Pierre a acheté un sac de farine qui contenait du sable qui venait de la rivière 3 Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte Pierre a acheté un sac de farine qui contenait du sable qui venait de la rivière qui délimite le champ Sur ces derniers exemples, qu’est‐ce que nous constatons ? Prenons par exemple le syntagme nominal : « le gâteau que la boulangère a vendu ». Il faut traduire l’idée que « le gâteau » en question est l’objet de « vendre », même s’il n’est pas à la place régulière de l’objet (ce qui serait le cas dans « la boulangère a vendu le gâteau »). Dans ce syntagme, « gâteau » est un nom qui est modifié par la relative « que la boulangère a vendu ». « que » sert en quelque sorte de pont pour établir un lien entre le nom « gâteau » (qui est juste à gauche de « que ») et la phrase incomplète « la boulangère a vendu ». On appelle ce « que » un complémenteur (parce qu’il sert à introduire une phrase complément, on dit aussi une complétive). Une idée pour représenter ce phénomène complexe est de dire que la structure qu’on obtient par application des règles est : Le gâteau1 que1 la boulangère a vendu [e]1 La répétition de l’indice « 1 » indique que les unités qui en sont affectés renvoient à la même chose (ici, un « gâteau ») et le « [e] » indique seulement qu’il y a là un élément non prononcé. On pourrait imaginer des langues où ce « e » serait prononcé, des langues où on dirait par exemple : Le gâteau1 que1 la boulangère a vendu le gâteau1 Mais il se trouve que, probablement pour des raisons d’économie, dans la plupart des langues, ce n’est pas le cas : on ne prononce pas le deuxième membre identique à celui qui est devant. Plus tard, nous dirons que s’il en est ainsi, c’est parce que le SN « le gâteau », qui était au départ dans la position du [e] s’est ensuite déplacé, en laissant derrière lui une trace, et que cette trace lui demeure coindexée. Pour l’instant, imaginons simplement qu’il y a désormais, dans la phrase des éléments qui peuvent ne pas se prononcer (on les appelle parfois des catégories vides). Nous pourrions représenter la structure du syntagme nominal « le gâteau que la boulangère a vendu » par l’arbre : SN
SN SComp
Det
le N
gâteau
Comp
SN
que
SN
SN SN
la
4 SN
boulangère
SN
a vendu SN [e] Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte Il y aurait néanmoins quelques petites difficultés : la complétive « que la boulangère a vendu » ne se rattache‐t‐elle pas plutôt au nom « gâteau » tout seul qu’au syntagme entier « le gâteau » ? Et puis comment faire pour que, en utilisant seulement des règles de production, on puisse à coup sûr identifier [e] et « le gâteau » comme ayant même indice ? Il faudrait à la rigueur les insérer en même temps dans l’arbre, ce qui n’apparaît pas possible avec l’état actuel de notre théorie. C’est d’observations de ce genre que viendra l’idée d’insérer « que » à la place de [e], puis de le déplacer dans l’arbre vers le nœud Comp. On voit alors qu’aux étapes d’engendrement d’arbre au moyen des règles de production, se rajoute une couche de transformations des arbres. Ces « transformations » se résument presque entièrement à des déplacements : on fait « voyager » le contenu d’un nœud de ce nœud vers un autre. La position qui supporte Comp est ainsi un lieu de destination privilégié… Exercice : sur ce modèle, faire une grammaire des questions, du genre : Qui Marie a (t‐elle) rencontré ? Qui tu crois que Marie a rencontré ? Quel livre penses‐tu que Marie aimerait lire ? (Dans le premier exemple, on ne tiendra pas compte de l’insertion de « t‐elle ». Noter que les inversions comme « tu sais » Æ « sais‐tu » ou « elle a » Æ a‐t‐elle » sont une autre sorte de transformation que les déplacements). On peut dire : Quel livre tu penses que Marie aimerait lire ? Mais peut‐on dire : Quel livre tu penses que plairait à Marie ? Les règles de production sont‐elles vraiment nécessaires ? On se rend compte très vite qu’elles servent uniquement à fabriquer des arbres. S’il s’avère que les différents domaines syntaxiques (ceux du nom, du verbe, de la préposition, de l’adjectif) ont des structures similaires, alors on pourra se passer de règles pour chaque domaine et en rester à des schémas de règles très généraux qui s’instancieront de manière particulière pour chaque domaine. C’est ce que tente de faire la théorie dite « X‐barre ». La structure du SN est bien représentative : elle comporte (sauf si elle est occupée par un nœud vide !) un N directement puisé dans le lexique, qui peut avoir des modifieurs et des compléments. Un modifieur de N est un adjectif, ou bien un syntagme prépositionnel, ou bien (comme on l’a vu) une relative. Un complément de N est un syntagme que le N rend en principe nécessaire (ou bien quand il est absent, il est sous‐entendu). Par exemple le nom « fils » sous‐entend un complément : fils… de qui ? donc on a naturellement « fils de Pierre » ou « fils de la boulangère ». De même certains noms, qui dérivent morphologiquement de verbes, comme « destruction », sous‐entendent aussi un complément : « la destruction de l’immeuble », par exemple. Et puis, à un niveau supérieur, le regroupement fait à partir du N 5 Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte de ses modifieurs et de ses compléments éventuels finit par recevoir un déterminant ou bien un syntagme qui indique la présence d’un agent ou d’un possesseur. Par exemple, en français : « le fils de la boulangère » (déterminant « le »), en anglais : « John’s book on Linguistics » (le livre de John sur la linguistique). Il est intéressant de noter que dans la syntagme anglais, « John » tient le rôle de possesseur. Dans une phrase, on aurait : « John a un livre sur la linguistique », autrement dit, John aurait une position de sujet. Ceci fonde à considérer que la position de « John » ou bien celle du déterminant est analogue à celle qu’occupe le sujet dans une phrase. D’une manière générale, on appelle position de spécifieur cette position immédiatement dominée, dans un cas par S, dans l’autre par SN, et qui est suivie par un nœud qui contient le verbe (dans le cas de la phrase) ou le nom (dans le cas du SN). Et on continue d’appeler complément la position qui suit celle du nœud V ou celle du nœud N. Mais comme on voit, il y a au moins une position intermédiaire entre la position dominante et celle où s’insère l’unité lexicale. Dans le cas de la phrase, jusqu’à présent, nous avons considéré que cette position intermédiaire était celle du SV. Dans le cas du syntagme nominal, nous la noterons N1. Nous pouvons donc avoir désormais : SN
N1
Spec
N
Compl
où Spec est occupé par un déterminant (en français) ou par un autre SN avec ‘s (en anglais), et Compl en général par un SP (syntagme prépositionnel). Nous admettrons qu’un modifieur s’applique à un N pour redonner un N (on ne change pas de catégorie), de sorte que « le petit chat jaune de Marie » puisse se représenter par : SN
le N
N1
Spec
A SP
de Marie N petit N chat A jaune Le modèle général de ces structures est fourni par ce que Noam Chomsky a appelé la « théorie X‐barre », l’idée étant qu’à partir d’une catégorie majeure de la syntaxe, X (X = N, V, P ou A), on peut toujours avoir une structure avec au moins trois niveaux : le niveau 0 6 Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte (correspondant à 0 barre !), qui est celui où on insère X, le niveau 1 (une barre !) qui correspond au niveau intermédiaire (N1 ou bien SV) et le niveau 2 (deux barres !) qui correspond au niveau le plus haut (SN ou S). On appelle alors X : la tête du syntagme (quand X correspond à une unité lexicale, on parle de tête lexicale), le niveau 1, ou X’ la projection intermédiaire de la tête, et le niveau 2, ou X’’ la projection maximale. Les schémas de règles valables pour toutes les catégories seraient : X’’ Æ (Spec) X’ X’ Æ X (Compl)* (où les parenthèses signifient l’optionalité et l’étoile une répétition possible). Les modifieurs sont introduits par des règles : X Æ (Mod) X X Æ X (Mod) Comme on le voit, ce sont des règles récursives, ce qui correspond à l’idée qu’on peut toujours ajouter autant de modifieurs qu’on veut. Par exemple : Le charmant petit bonhomme tout en jaune avec une capuche rouge qui se promène au parc Une question qui apparaît tout de suite est celle de savoir où se situe la phrase désormais. Fait‐elle bien toujours partie de ce qu’on a appelé les domaines majeurs de la syntaxe ? Correspond‐elle au modèle X‐barre ? Jusqu’ici, on a fait comme si le nœud S était une projection maximale, celle du verbe (V), avec SV pour projection intermédiaire. Mais alors ce serait SV qui échapperait au modèle X‐barre ? Comment ne pas penser que SV est un syntagme du même type que les autres, simplement de tête V, avec une projection intermédiaire qu’on appellerait V1, comme c’est le cas du SN ? En fait, il y a évidemment une différence entre : grimper au Mont‐Blanc dans « Pierre propose à Jean de l’emmener [e] grimper au Mont‐Blanc », et grimpera au Mont‐Blanc dans « ce week‐end, Jean grimpera au Mont‐Blanc ». « grimper au Mont‐Blanc » n’est tout simplement pas une phrase susceptible de donner une proposition indépendante, même si on lui rajoute un sujet, car *Pierre grimper au Mont‐
Blanc n’est pas une suite acceptable. Il faut qu’une phrase enchâssante (une « matrice ») lui donne un sujet, ici représenté par un nœud vide (e), mais encore cela reste une proposition dépendante. A l’opposé, « grimpera au Mont‐Blanc » devient une phrase dès qu’on lui ajoute un sujet (ici Jean). Cela signifie qu’il existe un élément de plus que le sujet, dont dispose déjà « grimpera », qui manque à « grimper » pour que « grimper au Mont‐Blanc » devienne une phrase. Cet élément est évidemment le temps. Le temps (réalisé en général par une inflexion verbale, mais aussi par un auxiliaire) est donc la catégorie dominante pour la phrase, qu’on 7 Grammaire et Discours Cours de master 1 DDLE – par A. Lecomte identifiera à un syntagme tensé, ST (ou, dans la terminologie anglophone TP), et dans ce contexte, le syntagme verbal (SV) devient complément de la tête T d’un ST. Si nous représentons Pierre emmène Marie grimper au Mont‐Blanc par un arbre, nous obtenons : ST (Spec) T’ T SV (Spec) V1 Pierre
V SN SV emmène Marie
[e] V1 V grimper SP Prep SN au Mont‐Blanc Il reste à savoir ce que devient le sujet « Pierre » dans cette représentation. Dans beaucoup de langues, en particulier en Français, la marque de temps se trouve soit intercalée entre le sujet et le verbe (« Peter will come »), soit agglomérée au verbe sous forme de terminaison verbale (« viendra »), mais en tout cas, le sujet est avant la marque de temps. On propose donc de déplacer le SN sujet de la position de spécifieur de SV à celle de ST. Quant au sujet de « grimper », dans l’exemple, il est indiqué par une catégorie vide, et il restera à dire comment cette catégorie vide en vient à être coindexée avec le complément SN « Marie » qui est juste « à côté » et dominé par le même nœud V1. 8 
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