
La responsabilité administrative de l’établissement pratiquant du soin psychiatrique 75
l’hospitalisation libre constitue le mode privilégié de prise
en charge du patient psychiatrique vers lequel il faut tendre
dès que possible. À l’inverse, le soin sous contrainte doit
être conçu comme une exception strictement encadrée
par le législateur. Le Parlement a d’ailleurs bien pris soin
de rappeler en qu’« une personne ne peut sans son
consentement ou, le cas échéant, sans celui de son repré-
sentant légal, faire l’objet de soins psychiatriques »
. La
contrainte doit par conséquent être exceptionnelle et être
utilisée dans le cadre xé par le législateur .
Ce principe entraîne des conséquences importantes
à la fois sur les droits des patients et sur les obligations
à la charge du service. À titre d’illustration, MmeC. était
accueillie dans un service psychiatrique sous le régime
de l’hospitalisation libre . Vingt-six jours plus tard,
comme elle en avait le droit puisqu’elle ne faisait pas
l’objet d’une hospitalisation sous contrainte, elle a quitté
l’établissement. Très peu de temps après, elle s’est préci-
pitée dans le vide du haut d’un viaduc urbain. Devenue
paraplégique, elle souhaite voir engagée la responsabi-
lité de l’hôpital qui, selon elle, aurait dû l’empêcher de
quitter l’établissement. La Caisse primaire d’assurance
maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme se joint à l’instance
en vue d’obtenir le remboursement des frais de dépenses
de santé présents et futurs. En appel, les juges
avaient
refusé de reconnaître l’existence d’une faute commise
par l’institution hospitalière en estimant que la liberté
de circulation des individus devait demeurer la règle tant
que les circonstances n’imposaient de modier la prise
en charge. Le Conseil d’État conrme cette analyse en
précisant l’importance du mode de prise en charge sur
l’application du régime de responsabilité. Les obligations à
la charge de l’institution hospitalière ne sont en eet pas les
mêmes pour l’hospitalisation libre qu’en matière de soins
sous contrainte. Dans le premier cas, lorsqu’un patient
quitte l’établissement, il s’agit juridiquement d’une sortie
contre (ou sans avis) avis médical et dans le second d’une
« fugue ». Dans les deux situations, les services soignants
se doivent de réagir mais en tenant compte des condi-
tions juridiques de la prise en charge. Il n’est en eet pas
question d’user de la force et de la coercition contre un
patient admis en hospitalisation libre. Les seuls moyens
d’action oerts à l’équipe soignante, lorsqu’elle estime
que la sortie de l’établissement et l’arrêt des soins sont
problématiques, consistent à tenter de « faire entendre
raison au patient » ou d’alerter l’autorité administrative
compétente an que celle-ci modie dans les plus brefs
délais la prise en charge (PI ou SDRE).
Dans cette aaire, personne ne contestait la réalité
des troubles psychiatriques dont souffre la victime.
L’expert désigné en référé par le président du tribunal
administratif rappelle que la patiente avait été hospitalisée
à plusieurs reprises à partir de et qu’elle présentait,
en avril, « une pathologie psychotique du registre
de la schizophrénie avec extériorisation polymorphe qui
a conduit à la prescription de traitements psychotropes et
de mesures de surveillance ». La discussion portait surtout
sur l’existence de fautes qui auraient été commises par le
personnel soignant et l’hôpital. Fallait-il ne pas respecter
le choix d’une patiente ? Pour écarter dénitivement la
responsabilité de l’établissement, le Conseil d’État insiste
sur l’importance du mode d’hospitalisation. Lorsqu’un
patient entre dans un service librement et consent aux
soins, il « dispose des mêmes droits liés à l’exercice des
libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux
malades hospitalisés pour une autre cause » . Ce renvoi à
l’esprit du Code de la santé publique est primordial à la fois
pour les patients et pour les soignants. D’un côté, il permet
de ne pas stigmatiser la maladie mentale et de respecter les
droits fondamentaux de la personne humaine, y compris
lorsqu’elle soure de pathologie mentale. De l’autre, il
ore à l’établissement de santé un cadre d’action plus
prévisible. À chaque type de prise en charge correspondent
une réglementation et des obligations particulières. Il
n’est pas possible pour l’équipe soignante d’en modier
unilatéralement le contenu en basculant vers un régime
de soins sous contrainte. Elle est uniquement tenue de
proposer des traitements adaptés à la pathologie et à son
évolution. Si l’état du patient suppose l’instauration d’un
régime contraignant, les soignants ne peuvent que signa-
ler cette dégradation aux personnes compétentes pour
enclencher une telle procédure (représentant de l’État,
directeur d’établissement ou tiers). Ayant sollicité sans
succès de la part de l’entourage du patient une transfor-
mation en hospitalisation à la demande d’un tiers (ce qui
correspondrait désormais à une admission sur décision
du directeur d’établissement à la demande d’un tiers), le
service n’a commis aucune faute puisque l’état du patient
ne permettait pas d’envisager une mesure préfectorale
(ADRE : admission sur décision du représentant de l’État).
Le juge administratif s’appuie enn sur l’avis de l’expert
qui rappelle l’imprévisibilité du passage à l’acte : la « prise
en charge était […] adaptée à sa pathologie, laquelle, selon
ses conclusions, ne manifestait aucun élément dépressif ou
mélancolique et ne pouvait laisser présager de quelconques
idées suicidaires ». En procédant de la sorte, le juge évite
l’écueil d’une analyse globale de la prise en charge de la
maladie mentale. Il refuse toute idée de socialisation du
risque de passage à l’acte et replace la faute de service au
cœur du débat contentieux. Cela ne signie nullement
qu’il soit impossible d’obtenir une indemnisation des
préjudices subis lors d’un traitement psychiatrique. Il
faudra simplement parvenir à démontrer l’existence d’une
faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service.
4. Art.L.3211-1 du Code de la santé publique (CSP).
5. Art.3212-1 sq. CSP.
6. CE, CPAM du Puy-de-Dôme, 12mars 2012, nº342774.
7. CAA Lyon, 29juin 2010, nº08LY02790.
8. Art.L.3211-2 CSP.