emergence et evolution du concept de soins centres sur le patient

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UNIVERSITÉ DE NANTES
FACULTÉ DE MÉDECINE
Année
2015
N°…… 033
THÈSE
Pour le
DIPLÔME D’ÉTUDES SPÉCIALISÉES
MÉDECINE GÉNÉRALE
Laurène BELLIOT
Née le 05/12/1986 à Les Ulis
Présentée et soutenue le 30 juin 2015
E MERGENCEETE VOLUTIONDUCONCEPT
DESOINSCENTRE SSURLEPATIENT :
ENQUE TEDOCUMENTAIRE
Président : Monsieur le Professeur Pierre Pottier
Directeur de thèse : Monsieur le Professeur Jean-Paul Canévet
REMERCIEMENTS
À Monsieur le Professeur Pierre Pottier d’avoir accepté de présider le jury.
À Monsieur le Professeur Jean-Paul Canévet de m’avoir suggéré ce thème très intéressant
qui m’aura permis d’enrichir mes connaissances sur ce vaste sujet qu’est la Médecine
Générale ! Merci pour vos conseils avisés.
Merci à tous les membres du jury d’avoir pris le temps de juger ce travail.
Merci également à Marc Jamoulle, France Legaré, Filipe Luis Gomes, Veronica Casado et
Michel Roland d’avoir partagé leurs connaissances du sujet et leur passion pour la médecine.
À Jacques, merci pour ta disponibilité et ta constance, ton amitié et ton soutien précieux !
À mes parents, merci pour votre amour, votre aide, et vos judicieux conseils !
À Frédéric, merci pour tout ton amour, ta bonne humeur quotidienne et ta présence
rassurante !
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
MÉTHODES ................................................................................................................................. 3
1
ÉVOLUTION DU STATUT DU PATIENT AU COURS DU TEMPS ............................................. 4
1.1 Émergence du statut social du patient : vers un contrepoids au savoir/pouvoir du
médecin .................................................................................................................................. 4
1.2
Un contexte sociétal et philosophique ........................................................................ 5
1.3 Évolution des modèles de relation médecin-patient : prise en compte du patient en
tant que sujet autonome ........................................................................................................ 6
1.3.1
La relation médecin-patient paternaliste ............................................................ 6
1.3.2
Carl Rogers : pionnier de l’approche centrée sur la personne en psychologie ... 9
1.3.3
Szasz et Hollander ................................................................................................ 9
1.3.4
Le rôle de la psychanalyse et de Michael Balint ................................................ 10
1.3.5
Georges Canguilhem .......................................................................................... 11
1.4
2
Apport de l’anthropologie à la compréhension du patient ...................................... 12
LE MODÈLE BIOMÉDICAL ET SES LIMITES ......................................................................... 14
2.1
Définition actuelle du patient .................................................................................... 14
2.2
Découvertes scientifiques et personnalisation des soins.......................................... 14
2.3 Émergence d’un questionnement sur le modèle biomédical à travers un échantillon
de six études de médecine générale de 1977 à 1995 .......................................................... 15
3
VERS UNE AUTONOMIE PLUS GRANDE DES PATIENTS ..................................................... 17
3.1 Quelques exemples des nouveaux droits des usagers : du paternalisme au
partenariat ............................................................................................................................ 17
4
3.1.1
Droit à l’ information .......................................................................................... 17
3.1.2
Comité Consultatif National D’Éthique .............................................................. 17
3.1.3
États Généraux de la Santé de 1999 .................................................................. 18
3.1.4
Loi Kouchner ....................................................................................................... 18
3.1.5
L’accès au dossier médical ................................................................................. 19
3.1.6
Loi Léonetti ......................................................................................................... 19
3.2
Participation active du patient à la prise de décisions .............................................. 19
3.3
Réticence et freins à l’émancipation et à l’autonomisation des patients ................. 20
LE MODÈLE BIOPSYCHOSOCIAL ........................................................................................ 22
4.1
George L. Engel .......................................................................................................... 22
5
4.2
A. Chauvenet.............................................................................................................. 23
4.3
Marco Vannotti .......................................................................................................... 23
L’EVIDENCE-BASED-MEDICINE OU LA MÉDECINE BASÉE SUR LES PREUVES .................... 24
6 LA REMISE EN CAUSE DE L’EVIDENCE-BASED-MEDICINE ET L’ESSOR DU PATIENTCENTRED-CARE EN MÉDECINE GÉNÉRALE ............................................................................... 26
6.1
L’approche centrée sur le patient ............................................................................. 26
6.1.1
L’approche centrée patient, plus qu’une médecine fondée sur les preuves .... 26
6.1.2
La communication, base de la relation de soin.................................................. 30
6.1.3
Les bénéfices d’une telle pratique d’approche centrée sur le patient .............. 34
6.2 Le concept de décision médicale partagée : une dimension de l’approche centrée
sur le patient (ACP) ............................................................................................................... 34
6.3
La Narrative-Evidence-Based-Medicine, un outil de l’ACP........................................ 37
7 L’ACP : UNE NOTION INCORPORÉE DANS LES PRINCIPES DE LA MÉDECINE DE SOINS
PRIMAIRES ................................................................................................................................ 39
7.1
WONCA Europe 2002 ................................................................................................ 39
7.2
Compétences en médecine générale : l’exemple du Canada ................................... 40
7.3
Principes théoriques français de Médecine Générale .............................................. 41
DISCUSSION .............................................................................................................................. 42
CONCLUSION ............................................................................................................................ 46
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 48
INTRODUCTION
L’approche centrée sur le patient, nouveau paradigme médical, fait apparaître des enjeux
dans les champs de l’éthique, de l’efficience des soins, et de la relation médecin-patient.
Cette approche implique un renouvellement de l’entrevue médicale. Le modèle biomédical
et l’approche biopsychosociale sont des modèles que l’on oppose souvent l’un à l’autre et
qui ont évolué au cours du temps. Si l’approche centrée sur le patient semble prévaloir
aujourd’hui en médecine générale dans le cadre des maladies chroniques notamment, cela
n’a pas toujours été le cas.
Pourquoi devrait-on centrer l'approche médicale sur le patient, autrement dit placer le
patient au centre des préoccupations médicales, lui donner (ou redonner) la primauté dans
la relation ? Car quel est le rôle du médecin si ce n'est s'occuper du patient, et de son
problème de santé ? Il s'agit de le soulager, le restaurer si possible dans son état ante
d'individu bien portant.
Il y a eu différentes étapes – comme il y a / il y a eu différents degrés – dans la prise en
compte des maladies et des malades, et dans l’analyse de la relation médecin-patient. Il y a
eu l'époque du médecin tout puissant, dominée par la médecine hospitalière. Dans une
période où prévalait la prise en charge des maladies aiguës, Talcott Parsons (1) a mis en
évidence les caractéristiques dissymétriques et cependant consensuelles d’une relation
médecin-patient qualifiée de paternaliste, qui est une sorte de centrage de la relation sur le
médecin. Puis l’émergence progressive des maladies chroniques a permis l’évolution de
cette relation. Le renoncement à l’idée de guérison, la prise en compte de la durée dans la
relation, l’impact sur tous les secteurs de la vie des patients atteints de ces maladies
chroniques ont accompagné l’émergence des modèles informatifs puis délibératifs de la
relation médecin-patient donnant une part progressivement plus importante au patient
dans les décisions concernant les soins. Parallèlement, un grand nombre d'évolutions
sociologiques et de découvertes scientifiques se sont produites au cours des soixante
dernières années, sans doute les plus importantes s'agissant du domaine médical, de la
profession médicale, de ses moyens et de l'approche de son métier et de son objet.
Dans ce contexte, deux notions sont progressivement apparues dans des champs différents
de la pratique médicale : l’approche centrée sur le patient (ACP) présentée en tête des
principes essentiels de médecine générale dans le Collège Français (2) qui fait référence dans
la discipline. Selon ce principe, la médecine générale s’adresse à la personne dans son
ensemble. Parallèlement à l’émergence de cette médecine de la personne, la notion de
médecine personnalisée est apparue dans le champ des disciplines biomédicales les plus
spécialisées, sous l’égide de la génomique et de l’industrie pharmaceutique.
La contemporanéité de l’émergence de ces deux concepts et les malentendus possibles ont
conduit à une interrogation sur le contexte et les modalités de l’apparition de la notion de
personne ou de centrage des soins sur le patient en médecine générale.
1
Les différentes définitions données à ce concept, énoncé comme un principe, en font plus
une philosophie de soins qu’un guide pour la pratique médicale. L’une de ces définitions a
été retenue pour sa complexité : celle donnée par Moira Stewart, médecin de famille
canadien, en 1995, proposée dans le Collège National des Généralistes Enseignants (2), qui
repose sur six préceptes centraux cohérents et indivisibles :
-
-
« Explorer la maladie dans sa dimension biomédicale, et en reconnaître les
perspectives du patient à travers sa représentation de la maladie, ses attentes, ses
préférences.
Comprendre la personne dans sa globalité biopsychosociale et sa dimension
contextuelle.
S’entendre avec le patient sur le problème, et négocier les solutions, le partage des
responsabilités et des décisions.
Valoriser la prévention et la promotion de la santé à travers une relation
collaborative, partenariale et responsabilisante.
Etablir et maintenir une relation médecin-patient, une alliance thérapeutique, une
attitude compréhensive vis-à-vis des défenses et résistances.
Faire preuve de réalisme, s’adapter à chaque situation et tenir compte de ses
limites ».
Dans cet exposé, nous examinerons les évolutions sociétales, philosophiques et médicales
ayant conduit à l’émergence et à l’utilisation du concept de soins centrés sur le patient en
suivant les différents auteurs du sujet dans leur démarche et leurs réflexions.
2
MÉTHODES
Le but de cette thèse est d’éclairer la genèse du concept de médecine centrée sur le patient.
Ce travail s’est appuyé sur une recherche documentaire qui, contrairement aux travaux
habituels de thèse de médecine, n’a pas suivi une méthode classique de revue systématique
de la littérature. L’objectif était de repérer l’émergence du concept et son cheminement
jusqu’à nos jours, dans la littérature médicale et dans les productions de sciences humaines
et sociales. Dans ce but, un travail réflexif dont la construction s’est faite progressivement, a
été mené, appuyé sur une analyse de textes. Ceux-ci ont été soit signalés par des personnes
ressources, soit retrouvés par une démarche bibliographique de proche en proche, ou
encore approfondis au cours des lectures d’ouvrages et de textes sélectionnés par mots clé
sur les moteurs de recherche (CISMEF, PUBMED).
Les recherches ont été guidées par de précieuses personnes ressources, européennes pour
la plupart, toutes impliquées dans la réflexion sur les concepts fondamentaux de l’exercice
médical, tels que les Docteurs :
-
-
-
Marc Jamoulle : Médecin de famille, spécialiste en gestion de données au Ministère
Belge de la Santé Publique, Maître de stage en Médecine Générale, membre du
Wonca Informatics working party et du Wonca International Classification
Committee, président honoraire et cofondateur de l’association francophone des
utilisateurs de la CISP, une association dédiée aux méthodes de recherche dans le
secteur de l’information en médecine de famille ;
France Legaré : Professeur au Département de médecine familiale et médecine
d'urgence, Université Laval, chercheur au Centre de recherche du CHUQ, titulaire de
la Chaire de recherche du Canada en implantation de la prise de décision partagée
dans les soins primaires ;
Filipe Luis Gomes : Médecin de famille au Portugal ;
Veronica Casado : Médecin généraliste et membre de la Société Espagnole de
Médecine de Famille et Communautaire ;
Michel Roland : Médecin généraliste belge, Président de Médecin du Monde
Belgique.
Jean-Paul Canévet : Professeur Associé de Médecine Générale et Médecin de famille
à Nantes ;
Jacques Humbert : Médecin de famille en Vendée et Maître de stage universitaire à la
Faculté de médecine de Nantes.
3
1
ÉVOLUTION DU STATUT DU PATIENT AU COURS DU TEMPS
1.1 Émergence du statut social du patient : vers un contrepoids au savoir/pouvoir
du médecin
Dans la médecine hippocratique, la maladie et la santé reposent sur un équilibre entre
quatre humeurs (bile noire, bile jaune, flegme, sang) qui s’intègrent dans un système de
correspondances plus vaste liant les éléments cosmiques (feu, air, eau, terre), les saisons, la
météorologie (chaud, froid, sec, humide) et les quatre points cardinaux (3). Le médecin à
cette époque, fait correspondre les humeurs avec l’observation attentive de l’état du
malade. Il n’y a pas de participation du patient aux soins.
À la fin du Moyen-Âge, on fait appel aux guérisseurs pour une conjuration magique de la
maladie. Cependant, la notion de confiance que les malades ont envers les gardiens de la
santé, qu’ils soient religieux, guérisseurs ou autres est palpable, et est déjà perçue comme
un socle nécessaire aux soins (3).
L’évolution des maladies est progressivement marquée par une rupture entre les maladies
sociétales épidémiques et les maladies individuelles modernes. Au temps des épidémies
(maladies qui touchent toute la société), il s’agit d’une médecine collective. À partir du
XIXème siècle en revanche, les épidémies diminuent en nombre, et on peut voir apparaître
des maladies infectieuses, dont la propagation et l’évolution naturelle sont moins rapides,
telles que la tuberculose, qui met en avant un acteur ignoré jusqu’ici : le « malade, sa
condition et son mode de vie » (4). L’individu malade bien identifié prend place au centre des
préoccupations.
L’intérêt porté au statut social du malade a continué de faire l’objet de travaux, comme celui
de Marcel Mauss (1872-1950 : père de l’anthropologie française) qui déjà, en 1926, écrit que
« la maladie et la mort ne sont plus des réalités décryptables uniquement sur le plan
biologique » (4). On peut donc penser que si la biologie et plus largement le biomédical n’est
pas seul acteur dans la maladie, d’autres paramètres sont à prendre en compte, et pourquoi
pas le statut social, que d’autres travaux sociologiques démontreront plus tard.
Les représentations sociales de la santé et de la maladie font l'objet d'études en France à
partir des années 1970 (4). Avec elles, se développe progressivement une épidémiologie
sociale de la maladie. Nombre de médecins attribuent l’origine des maladies au milieu social
et à ce que Claudine Herzlich (sociologue et ingénieur d’études au Centre national de
recherches scientifiques) appelle en 1969 « le mode de vie » (5). L’environnement social du
patient a semble-t-il une importance tout aussi réelle que les facteurs organique et
psychologique dans la genèse des maladies. Mais, comme le souligne le sociologue français
Jacques Maître (1925-2013) en 1973, la plupart des travaux sociologiques sont faits sur le
système hospitalier et non sur le système libéral, plus difficile à évaluer (6).
4
1.2 Un contexte sociétal et philosophique
La démarche qui met la personne du malade au centre de la préoccupation médicale s’inscrit
dans l’évolution des pathologies et de la médecine, mais elle apparait aussi dans un contexte
historique et social qui contribue à s’intéresser à l’individu en tant que sujet, c’est-à-dire à la
personne. Le personnalisme, courant philosophique français né dans la crise des années
trente sous l’autorité du philosophe français Emmanuel Mounier (1905-1950) illustre ce
contexte : la notion de personne y est présentée en opposition à la fois à l’individu libéral,
agent économique soucieux de son seul intérêt et à la fois à une vision marxiste des
individus fondus dans une collectivité (7).
L’histoire de la personne est parallèle à l’histoire du personnalisme. « Le premier souci de
l’individualisme est de centrer l’individu sur soi, celui du personnalisme est de le décentrer
pour l’établir dans les perspectives ouvertes de la personne. L’acte premier de la personne est
de susciter avec d’autres une société de personnes dont les structures, les mœurs, les
sentiments et finalement les institutions soient marquées par leur nature de personne (…).
Elles se fondent sur une série d’actes originaux (…) :
1/ Sortir de soi. La personne est une existence capable de se détacher d’elle-même, de se
déposséder, de se décentrer pour devenir disponible à autrui (…).
2/ Comprendre. Cesser de me placer de mon propre point de vue pour me situer au point de
vue d’autrui.
3/ Prendre sur soi, assumer le destin, la peine, la joie, la tâche d’autrui.
4/ Donner. La force vive de l’élan personnel n’est ni la revendication ni la lutte à la mort, mais
la générosité ou la gratuité. L’économie de la personne est une économie de don et non pas
de compensation, ou de calcul. La générosité dissout l’opacité et annule la solitude du sujet,
même quand elle ne reçoit pas de réponse.
5/ Etre fidèle. L’aventure de la personne est une aventure continue de la vie à la mort. Le
dévouement à la personne, amour, amitié, ne sont donc parfaits que dans la continuité » (7).
La méthode anatomo-clinique du XVIIIème détache la maladie du malade, et fait de ce dernier
un individu dans une population de patients, un cas parmi d’autres. Le personnalisme tente
de reconsidérer la personne comme un être singulier, indivisible pourvu d’une identité
propre.
5
1.3 Évolution des modèles de relation médecin-patient : prise en compte du
patient en tant que sujet autonome
Pendant la Révolution se crée progressivement un statut de médecin fonctionnaire en
charge de la Santé Publique. On peut voir un embryon de professionnalisation médicale en
France avec la création d’École publique de santé en 1795. Les hygiénistes, dans la lignée de
Louis Pasteur, Louis René Villermé et Ange Guépin entre autres, qui croient à
l’importance du rôle social du médecin s’emploieront déjà au début et durant tout le XIXème
siècle à démontrer le rôle crucial pour la santé, des mœurs et des conditions
d’environnement physique et social (4).
À cette époque, on peut voir quatre grands Corps dans la société : l'Armée, l'Église, l'École,
et le Corps médical (8). Chacun est respecté par le peuple. Au cours du temps, le niveau des
connaissances globales s'est sensiblement accru au sein de la population avec l'avènement
des grands moyens de communication (journaux, radio, télévision sans parler bien sûr de
l'Internet) et les hiérarchies d'autrefois sont tombées, avec une certaine dévalorisation au
moins partielle des rôles et des statuts. Le pouvoir de ces quatre instances s’est érodé du fait
des évolutions sociétales, facilitant l’émergence du sujet en tant que tel. Les médecins n'ont
pas échappé à cette remise en question de leur condition, et ont vu leur pouvoir médical
s’affaiblir lui aussi. Les contraintes sont plus importantes et les pratiques font l’objet d’une
surveillance plus étroite, contrôlées par les pouvoirs publics avec la naissance des
recommandations médicalement opposables depuis 1993 (convention nationale des
médecins), permettant la « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé (9). Ils sont dans
l’obligation d’avoir une médecine conforme à la science. Toutes ces évolutions ont entrainé
quelques bouleversements dans les relations entre les médecins et les patients.
1.3.1 La relation médecin-patient paternaliste
1.3.1.1 Point de vue d’un philosophe
Michel Foucault (philosophe français du XXème siècle) met en avant, dans Naissance de la
Clinique (10) en 1963, le paternalisme médical du début du XXème siècle : « Si la maladie
délivre la vérité de la santé, les médecins ne peuvent alors que défendre la maladie comme
une chose, comme leur chose ». Il parle de pouvoir médical : « Avant de fonctionner comme
savoir, l’instance médicale fonctionne comme pouvoir ». Le médecin est le tout-puissant et la
relation se limite aux critères médicalement objectivés : « Nul besoin de faire intervenir la
conscience ou la représentation d’un sujet du côté du médecin ou du patient. Il s’agit de
mettre entre parenthèses les représentations de l’un et de l’autre dans le jeu croisé qui les
unit pour problématiser le champ d’expérience médical dans lequel ils sont pris ».
Selon M. Foucault, la figure du médecin est appelée logiquement à occuper une place de
plus en plus centrale au prix d’un réaménagement de son identité. « Le pouvoir du médecin
est fondamentalement d’ordre social et moral. Le couple médecin-malade devient
absolument central (...). Une complicité s’installe entre le malade et son médecin à mesure
que celui-ci cherche dans celui-là les signes de sa toute-puissance » (10).
6
1.3.1.2 Point de vue médical
En France, dans les années 1950, le médecin est celui qui détient les connaissances, la vérité
scientifique et qui impose au patient son point de vue et sa thérapeutique. Le patient a
confiance en son médecin et ne discute pas les décisions médicales. La médecine, selon le
médecin français Henri Péquignot en 1953, est « la rencontre d’une technique scientifique (le
médecin qui récuse une partie de l’expérience du malade (diagnostic, pronostic, traitement))
et d’un corps (le patient avec ses souffrances, angoisses, espérances) » au profit de ce que
Jacques Monod (1910-1976 : biologiste et biochimiste français) appelle « la connaissance
objective comme seule source de vérité authentique » (11).
Georges Duhamel (1884-1956), médecin, écrivain et poète français, cité par Anne-Chantal
Hardy dans son livre Travailler à guérir ; Sociologie de l’objet du travail médical (12), définit
la médecine comme « un ensemble de connaissances scientifiques ou empiriques dont le
juste usage permet au praticien de reconnaître, de distinguer les maladies, de prévoir et de
modifier leur évolution qui s’exerce par essence dans le cadre d’un acte singulier, d’homme à
homme ». Il défend le paternalisme médical. Il reconnaît le pouvoir du médecin, accepté par
le patient sous forme de contrat moral dont il accepte les hasards. « En échange du secret,
le malade accepte ce qu’on lui fait et qui n’est jamais garanti ». Cette asymétrie
décisionnelle suggère que « le risque n’est pas partagé et le contrat moral entre le médecin
et son patient n’est pas, loin s’en faut synallagmatique » ; « Le colloque du médecin et du
malade est essentiellement un colloque singulier, un duo entre l’être en souffrance et celui
dont il attend la délivrance ».
Le terme de « colloque singulier » est employé par Louis Portes en 1943, alors Président du
Conseil de l’Ordre des médecins : « Je dirai donc que l’acte médical normal n’étant
essentiellement qu’une confiance (celle du patient) qui rejoint librement une conscience (celle
du médecin), le consentement « éclairé » du malade (...) n’est en fait qu’une notion mythique
que nous avons vainement cherché à dégager des faits. Le patient, à aucun moment, ne
connaissant au sens strict du terme, vraiment sa misère, ne peut vraiment consentir à ce qui
lui est affirmé, ni à ce qui lui est proposé si du moins nous donnons au mot consentement sa
signification habituelle d’acquiescement averti, raisonné, lucide et libre » (13).
En France, en 1955, le premier congrès international de juridiction professionnelle de morale
et de droit médical comparé (3) propose un débat sur l’information et le consentement du
patient. L’impossibilité d’informer le patient à la mesure de la connaissance du médecin
serait liée au fait qu’il ne possède pas les outils de la rationalité scientifique. « Ce n’est donc
pas l’information qui devient impossible mais sa transmission et plus généralement les
conditions de l’accès préalable à une connaissance théorique intellectuelle que les malades
n’ont pas » (3). Par ailleurs, le défaut d’information aux malades et à leurs proches est
présenté à cette époque comme nécessaire pour préserver leur moral et leur donner ainsi
de meilleures chances de guérir.
7
Pourtant, dès cette époque, des interrogations sur l’attitude paternaliste commencent à
émerger et des voix s’élèvent contre ces pratiques, comme celles de René Savatier
(Professeur de droit à la fac de Poitiers) en 1956 qui dénonce l’infantilisation des patients
par des médecins trop paternalistes en particulier lorsque ces derniers refusent de les
informer sous prétexte de les protéger (3). Plus tard, Didier Sicard, médecin français né en
1938, membre du comité national consultatif d’éthique de 1999 à 2008 dénonce la pratique
anatomo-clinique du début du XXème siècle qui isole la maladie du malade et ne prend pas en
compte la parole du patient, jugée « non fiable » car ne pouvant établir une « chaîne
rationnelle de causalité ». Selon lui, l’interrogatoire essaie d’écarter les termes subjectifs du
patient : « Répondez à mes questions ! Ne vous égarez pas ! ». Pour lui, le patient ne sait plus
« parler subjectivement, mais utilise des termes objectifs : céphalées, dorsalgies, fibromyalgie
(…). Les examens remplacent les symptômes : mon échographie pour mon foie, ma coro pour
mon cœur (…). Le malade éprouve même une certaine surprise quand un médecin d’un autre
âge, attentif, lui demande de préciser plus avant la nature du symptôme. La parole se
transfère sur des examens, preuve objective de l’instrumentalisation de la parole (…) ». À la
question : « Depuis quand avez-vous mal à la tête ? », on peut entendre la réponse suivante
du patient : « le scanner de l’année dernière était normal » (11). La prise en compte de ces
failles va aboutir à une modification progressive de l’approche du patient.
1.3.1.3 Points de vue sociologiques
La relation médecin-patient fait l'objet de recherches sociologiques importantes seulement à
partir des années 1950, d'abord dans les pays anglo-saxons.
1.3.1.3.1 Talcott Parsons
Pour T. Parsons, sociologue américain (1902-1979), le « rôle du malade » se définit par son
exemption des responsabilités habituelles, et l’obligation de consulter un spécialiste et de
suivre ses recommandations. Le médecin possède une compétence scientifique qui le
désigne comme spécialiste de la santé et de la maladie. Il fait preuve de neutralité affective
face au malade (alors qu’il a accès à l’intimité personnelle et psychique du patient, lequel est
vulnérable du fait de son état d’impuissance et de trouble) (1).
Son analyse s’appuie sur la notion d’ « autorité professionnelle » fondée sur un haut niveau
de savoir formel et spécialisé. « Les patients ont besoin de l’aide des médecins et les
médecins se comportent de manière altruiste et disposent de connaissances spécialisées
permettant d’atteindre le but commun du malade et du médecin : la guérison ». Il ne définit
qu'un seul type de relation médecin-malade qui ne correspond pas à l'évolution des
pathologies dans les sociétés occidentales. Or dès cette époque les affections chroniques
prennent une place de plus en plus importante. C’est la maladie et non le malade qui a une
place centrale dans cette relation médecin-patient telle qu’il la définit. Le modèle parsonien
est un modèle asymétrique (médecin actif, malade passif) et malgré tout consensuel (le
malade reconnaît le pouvoir du médecin) (14).
8
1.3.1.3.2 Eliot Freidson
E. Freidson, sociologue américain (1923-2005), propose en 1984 une évolution du modèle
biomédical en mentionnant que la médecine n’est pas caractérisée par son universalisme et
son souci unique du bien du patient. « Le médecin perçoit le malade et ses besoins selon les
catégories de son savoir spécialisé : (…) il entend définir lui-même le contenu et les formes du
service qu’il lui rendra. Le malade, en revanche, perçoit sa maladie en fonction des exigences
de sa vie quotidienne et en accord avec le contexte culturel qui est le sien ». Le médecin a un
rôle actif, et le patient a un rôle passif et réciproquement (patient guide et médecin
coopératif versus patient actif et médecin passif). En revanche, le traitement des maladies
chroniques et la psychothérapie requièrent « une participation mutuelle ». Pour E. Freidson,
la « configuration actif/passif » s’applique plus volontiers si le statut social du malade est bas
et s’il s’agit d’une pathologie stigmatisée comme l’alcoolisme (15).
1.3.2 Carl Rogers : pionnier de l’approche centrée sur la personne en psychologie
Dès les années 1930, Carl Rogers (1902-1987), psychologue humaniste nord-américain
introduit la notion de counseling aux États-Unis dans le cadre d’un mouvement de réformes
sociales en psychologie clinique. Cette notion renvoie à une démarche de conseil et
d’accompagnement du patient. Elle repose sur des bases d’empathie envers la personne, de
respect pour sa vie privée, ses sentiments, son attitude et ses besoins. Carl Rogers conseille
aux thérapeutes de ne pas se focaliser sur l’établissement d’un diagnostic, mais de laisser la
place à l’expression du patient, en adoptant une « attitude psychique d’ouverture et de
réceptivité ». Trois conditions doivent être remplies pour qu’advienne cette ambiance
propice à la relation d’aide (16) :
1/ « L’authenticité, la vérité ou la congruence ». Le thérapeute s’ouvre au patient, et
manifeste les sentiments qui l’animent à un moment donné. Il y a concordance, ou
congruence, entre ce qu’il ressent au plus profond de lui-même, ce dont il est conscient, et
ce qu’il montre à son client.
2/ « Un regard inconditionnellement positif », c’est-à-dire la disponibilité, l’ouverture,
l’affection, et la valorisation, qui accroissent la probabilité d’un progrès thérapeutique.
3/ « Une compréhension empathique ».
Il est le premier à utiliser les termes d’ « approche centrée sur la personne » pour définir son
approche non-directive de la relation psychothérapeutique au début des années 1940.
Parallèlement à la psychologie, cette approche de soins centrés sur la personne a
progressivement émergé dans d’autres domaines, grâce aux évolutions sociétales et
médicales.
1.3.3 Szasz et Hollander
Quelques années plus tard, en 1956, Szasz et Hollander (17), deux psychiatres américains,
identifient trois types de relation médecin-patient en fonction de l’état physique du patient.
Le médecin a un rôle toujours actif, et le patient a un rôle actif ou passif selon sa pathologie.
9
Deux de ces modèles ont longtemps été caractéristiques des soins concernant les
pathologies aiguës :
-
Le modèle informatif dans lequel la relation est asymétrique : le médecin informe et
le patient consent (consentement éclairé).
Le modèle paternaliste du type « direction-coopération » : le médecin est dans une
situation d'autorité vis-à-vis de son patient qui l'admet volontiers par « Docteur, c'est
vous qui savez ».
Avec l’augmentation progressive de la prévalence des maladies chroniques, qui impliquent
de passer d’un objectif de guérison à un objectif de gestion de la maladie et de qualité de
vie, un troisième modèle commence à voir le jour dès cette époque ; c’est le modèle de la
participation mutuelle. Le souci de l’autonomie du patient, atteint dans tous les domaines de
sa vie par la maladie et acteur de son traitement, y apparait explicitement.
1.3.4 Le rôle de la psychanalyse et de Michael Balint
En 1957, Michael Balint (1896-1970), psychiatre et psychanalyste d’origine hongroise,
propose à ses confrères généralistes, une approche réflexive appuyée sur la psychanalyse au
moyen de groupes de médecins généralistes et de discussion de cas sur lesquels les
techniques biomédicales butent. Son objectif est de leur permettre de reconsidérer leur
expérience quotidienne, de comprendre le mode relationnel spécifique à chaque praticien et
d’améliorer leur capacité thérapeutique. Les médecins discutent de leurs sentiments et
partagent leurs expériences à propos de situations cliniques, et les participants
communiquent leur ressenti face au récit de leur collègue. Selon lui, les découvertes
médicales florissantes mettent en danger la qualité du lien médecin-patient, et ces groupes
de travail permettraient de le préserver en identifiant les failles.
La relation spécifique qui existe en médecine générale entre le médecin et le patient l’a
amené, en 1964 en Angleterre, à utiliser l’expression « remède-médecin » et à en étudier la
« pharmacologie », c’est-à-dire le bon usage et les effets indésirables (18). Pour M. Balint,
utiliser l’interaction de la consultation comme un outil thérapeutique est une particularité
spécifique à la médecine générale. Le médecin, soucieux d’établir un diagnostic biomédical
doit apprendre à compléter son expertise. Cette conception a ouvert la porte à une
médecine centrée sur la personne du patient, mais ses travaux sont surtout centrés sur la
technique relationnelle du médecin et des trois compétences nécessaires selon lui à cette
approche, que sont la qualité d’écoute, la capacité à comprendre les symptômes physiques
et psychologiques du malade et à les utiliser en vue d’une prise en charge appropriée.
L’approche psychanalytique a fortement influencé sa réflexion, le poussant à dire que le
modèle biomédical ne permet pas d’aboutir à un « diagnostic global ». Ce dernier tient
compte d’un sens caché possible des demandes adressées au médecin, or, « quand on pose
des questions, on n’obtient que des réponses et rien d’autre » (18). Sa perspective centrée
sur le « remède-médecin » ne trouve son sens qu’en fonction du diagnostic approfondi qui
10
tient compte des symptômes physiques et psychiques, de la personnalité et de
l’environnement global du patient.
1.3.5 Georges Canguilhem
Parallèlement aux travaux de Carl Rogers en psychologie aux États-Unis, puis de Michael
Balint en psychanalyse en Angleterre, d’autres travaux philosophiques ont permis dans les
mêmes périodes, en Europe, l’émergence d’un questionnement sur le patient en tant que
personne autonome dans la société.
En 1943, le philosophe et médecin français Georges Canguilhem (1904-1995), souligne dans
Le Normal et le Pathologique (19) que la norme qu’est la santé ne renvoie pas qu’à l’état
organique individuel : « C’est au-delà du corps qu’il faut regarder pour déterminer ce qui est
normal pour ce corps même ». La médecine devra toujours rester « une technique ou un art
au carrefour de plusieurs sciences ». Pour G. Canguilhem il paraît « urgent de s’interroger sur
la place que l’attention accordée par un médecin singulier à un malade singulier peut
prétendre encore tenir dans un espace médical de plus en plus occupé, à l’échelle des nations
dites développées, par les équipements et règlements sanitaires et par la multiplication
programmée des ″machines à guérir ″ ».
En 1965, il s’oppose au concept du « corps-machine » et à une conception scientiste de la
médecine qui ne doit pas, selon lui, considérer le corps comme une batterie d’organes. En
effet, « pour une machine, l’état de marche n’est pas la santé, le dérèglement n’est pas une
maladie » ; « la relation thérapeutique ne peut se réduire à une relation instrumentale ». Peu
à peu, le médecin se décentre de l’objet « maladie » pour se centrer sur le malade en tant
que « personne ». Pour G. Canguilhem, il faut voir en dehors du biomédical pour soigner un
patient, car on peut avoir des constantes physiologiques normales et ne jamais guérir d’une
maladie chronique : « le concept de normal, est un concept original qui ne se laisse pas, en
physiologie plus qu’ailleurs, réduire à un concept objectivement déterminable par des
méthodes scientifiques » (20).
L’expérience des maladies chroniques met en avant le savoir expérientiel du patient et sa
compétence de soin et d’adaptation. L’écoute active et empathique du médecin prend en
compte les connaissances propres du patient, complémentaires de celles objectivées et
théorisées par le médecin dans sa prise en charge. Pour Dominique Lecourt, philosophe
français, l’un des auteurs de La Mort de la Clinique ?, « l’évitement du corps en médecine
moderne apparaît indissociable d’un évitement de la parole du patient comme du médecin »
(20). Autrement dit, la surutilisation des techniques de diagnostic moderne (qui est
l’expression du concept de « corps-machine ») éloigne le médecin du patient, et
redeviendrait en quelque sorte une médecine plus centrée sur la technique et la maladie
que sur le patient.
11
1.4 Apport de l’anthropologie à la compréhension du patient
Centrer la médecine sur le patient suppose de comprendre le vécu de la maladie par le
patient, sa subjectivité, et ce qui fait d’elle un handicap dans sa vie quotidienne. François
Laplantine (né en 1943, chercheur français en ethnologie et en anthropologie, spécialiste en
ethnopsychiatrie) fait le constat en 1993 dans Anthropologie de la maladie (21) que lorsque
l’on parle d’étiologie, il s’agit de l’ « étiologie scientifique » de la médecine contemporaine,
et non de l’ « étiologie subjective et simultanément sociale » du malade. Or la causalité
biomédicale des maladies est indissociable des représentations subjectives du malade, et de
son vécu de la maladie. La médecine possède trois champs de connaissance, plus ou moins
intriqués, que sont « les systèmes biomédicaux de nature physico-chimique, largement
dominants, les systèmes psycho-médicaux (psychiatriques, psychosomatiques,
psychanalytiques), et les systèmes relationnels », appelés par Serge Genest (1978),
anthropologue à Laval, « socio-médicaux ». François Laplantine souligne « l’importance
équivalente du discours du malade, avec ses représentations (discours collectif) et ses
fantasmes (discours individuels en rapport avec sa culture ou une culture qui lui est
étrangère) de celui du médecin » ; « Les processus d’échange entre soignants et soignés ne
s’effectuent pas seulement entre l’expérience vécue du malade et le savoir scientifique du
médecin, mais aussi entre le savoir du malade sur sa maladie et l’expérience vécue du
médecin » (21).
Remarquons d’ailleurs (Figure 1) que par rapport à la langue française, la langue anglaise
offre trois termes pour désigner la maladie, ce qui laisse une certaine liberté d’expression au
patient : disease, maladie telle qu’elle est appréhendée par le savoir médical ; illness,
maladie telle qu’elle est éprouvée par le malade ; sickness, état beaucoup moins grave et
plus incertain que le précédent.
12
Figure 1. La maladie et son vécu selon Moira Stewart d’après Tratado de medicina de
familia e comunidade des auteurs portugais Gustavo Gusso et José Auro Ceratti Lopes (22)
13
2
LE MODÈLE BIOMÉDICAL ET SES LIMITES
Le cheminement du concept de soins centrés sur le patient ou de la médecine de la
personne dans les disciplines de sciences humaines et sociales, psychologie, sociologie,
anthropologie et philosophie, vient impacter la pratique médicale en redéfinissant la
médecine, le malade et le médecin.
2.1 Définition actuelle du patient
Dans le dictionnaire français Larousse 2013, le patient est celui qui consulte un médecin (23).
Le mot patient est dérivé du latin patiens, participe présent du verbe pati, signifiant « celui
qui endure » ou « celui qui souffre ». Le patient est la personne soignée, le bénéficiaire de
soins, le client, voire le cas en recherche médicale (24).
La définition du patient a changé depuis les années 1950, soulignant son rôle d’acteur dans
la démarche de soins. En 2006, la Picker Institute Europe (organisation caritative qui travaille
sur la promotion des soins centrés sur la personne) définit les rôles du patient (8) :
-
-
« Rechercher des conseils de spécialistes ou d’assistance pour une expérience
considérée comme ayant à voir avec la santé. On devient patient, lorsque l’on
contacte un professionnel de santé. Le principal changement des dernières années est
la propension accrue des patients à demander l’avis de thérapeutes alternatifs afin de
compléter l’avis des thérapeutes conventionnels.
Consulter ou avoir un contact avec un travailleur de santé.
Prendre une décision sur un plan d’action avec le praticien qui lui viendra en aide pour
les problèmes l’ayant conduit à consulter.
Suivre un traitement ou gérer sa pathologie.
Les patients sont une collectivité ayant une identité en tant que telle (…) ».
2.2 Découvertes scientifiques et personnalisation des soins
Le modèle biomédical a longtemps été le modèle par excellence, avec les nombreuses
découvertes anatomo-pathologiques, scientifiques, médicales et thérapeutiques, sonnant
comme une révolution dans le monde de la médecine. Ce modèle est largement connu de la
médecine hospitalière particulièrement, malgré quelques échecs, qu’ils soient humains ou
financiers, avec l’utilisation de protocoles standardisés, quelquefois peu adaptés à la
médecine ambulatoire. Néanmoins, on ne peut retirer au modèle biomédical ses bénéfices
sur l’évolution majeure des paramètres de référence de la nosologie et la conception même
de la maladie. Mais un certain nombre d’articles montrent que l’organisation des maladies
dépasse souvent la simple symptomatologie organique et appelle à l’analyse de la
dynamique systémique de l’individu.
Dès 1927, le docteur Francis Peabody, médecin, professeur et humanitaire américain émet
l’idée dans The care of the patient (25), qu’un nombre important de patients souffrent de
troubles dont les causes organiques ne peuvent être déterminées, et constate déjà que si
« le traitement d'une maladie doit être complètement impersonnel », au contraire, « le
14
traitement d'un patient doit être tout à fait personnel ». Il souligne que « la critique la plus
communément apportée aujourd’hui par les praticiens plus âgés est que les jeunes diplômés
ont beaucoup appris sur le mécanisme de la maladie, mais très peu sur la pratique de la
médecine, ou, pour être plus clair, qu’ils sont trop scientifiques et ne savent pas s’occuper des
patients ».
À cette époque, la science est en plein essor, et ses progrès sont prometteurs. Les
découvertes dans les domaines de l’imagerie et de la pharmaceutique se multiplient à partir
de 1950. Mais, « plus les recherches s’affinent, plus la connaissance détaillée des infimes
parties qui constituent notre corps s’approfondit, et moins nous sommes capables de faire la
synthèse des informations acquises, de les relier entre elles et de les intégrer dans une vision
globale de l’être humain » (26).
Les énormes progrès médicaux ont fait bénéficier la population occidentale notamment
d’une plus grande longévité. Cependant, l’utilisation du modèle biomédical comme seule
réponse aux demandes des patients a favorisé l’invention de maladies ou pseudo-maladies
modernes telles que la spasmophilie, la fibromyalgie, avec une volonté de désigner chaque
trouble en maladie. L’industrie pharmaceutique en a sa part de responsabilités. Ceci entraîne
des déviances diagnostiques et thérapeutiques avec la prescription d’examens et de
médicaments inutiles, coûteux, voire parfois dangereux. Ainsi s’explique la trop grande
prescription de psychotropes chez les sujets âgés dont les plaintes sont liées principalement
à l’absence de lien humain. Cette réponse biologique et pseudo-scientifique aux problèmes
humains correspond en partie à la demande des patients qui attendent des experts qu’ils
consultent, une réponse scientifique à leur malaise (27). Le rôle du médecin non paternaliste
est alors de comprendre ce besoin de médicalisation en intégrant toutes les données du
patient et en le plaçant au centre de la démarche de soins. De plus, les avancées
technologiques ainsi que les sources d’informations de plus en plus florissantes, puissantes,
et accessibles, rendent le patient plus actif de par la démocratisation de son savoir.
2.3 Émergence d’un questionnement sur le modèle biomédical à travers un
échantillon de six études de médecine générale de 1977 à 1995
De nombreux auteurs se sont intéressés aux limites du modèle biomédical en soulignant son
inefficacité dans certaines situations cliniques. Les symptômes ne sont pas tous attribuables
à une cause organique (28)(29)(30). En effet, beaucoup de visites chez le médecin sont
occasionnées par la détresse psychosociale. Même chez les patients souffrant de troubles
médicaux organiques, l'état de santé est fortement influencé par des facteurs extérieurs tels
que l'humeur, la capacité d'adaptation et le soutien social. Mais l'approche prédominante
jusqu’à il y a peu, en médecine, était de soigner les patients avec des traitements physiques
et chimiques qui négligeaient les dimensions mentales, émotionnelles et comportementales
du patient. Cette inadéquation critique entre les besoins de santé psychosociale des
personnes et l'intervention médicale habituelle conduit à « la frustration, l'inefficacité et le
gaspillage » des ressources de soins de santé (31)(32).
15
Il arrive fréquemment que la maladie dont est atteint un patient n’explique pas
adéquatement sa souffrance. Son intensité est alors en rapport avec la signification que le
malade attribue au fait de se sentir malade, plus qu’avec la réalité organique de la maladie.
Une enquête auprès de quarante médecins pratiquant dans six unités de médecine familiale
du réseau de l’Université de Laval au Canada en janvier 1989 (33) réalisée par Fernand
Blondeau, médecin de famille canadien, montre que « les patients ne consultent pas pour le
symptôme », mais plutôt pour « la force psycho-sociale ou socio-culturelle du
symptôme ». De plus, il distingue les termes « malade » et « malaise » (pensées et
sentiments d’une personne qui se sent malade). La différence entre les deux réside dans le
vécu des symptômes par le patient, et l’intérêt porté par le médecin aux sentiments du
patient. L’auteur oppose les intérêts scientifique et médical du médecin pour la maladie qui
l’amène à poser des questions précises : « Où avez-vous mal ? Depuis quand ? Comment ?
Pourquoi ? », de son intérêt du patient : « Qu’est-ce qui vous inquiète ? Quel en est le
retentissement ? En quoi puis-je vous aider ? ». On voit certes une évolution dans la prise en
considération du patient, mais il s’agit de questions posées par le praticien et non les dires
spontanés du patient. L’auteur parle d’ « anamnèse centrée sur le patient ». Les informations
de cette approche relevées par cette étude concernent les croyances (perceptions) :
« Qu’est-ce qui cause votre…. ? Qu’est-ce que c’est…. ? Pourquoi….à vous… maintenant ?
Quelle en est la signification ? Qu’est-ce qui pourrait vous aider ? » ; les sentiments (peurs) :
« Que craignez-vous ? Une maladie ? Une complication ? Est-ce que ça vous est déjà arrivé ?
Connaissez-vous quelqu’un qui a eu le même problème ? » ; les attentes (demandes) :
« Qu’attendez-vous de moi ? Ecoutez ? Faire ? Qui d’autre pourrait aider ? ».
16
3
VERS UNE AUTONOMIE PLUS GRANDE DES PATIENTS
3.1 Quelques exemples des nouveaux droits des usagers : du paternalisme au
partenariat
L’évolution sociale des Trente Glorieuses a confirmé cette tendance de la valorisation de
l’individu par rapport au groupe. La médecine centrée sur le patient vient s’inscrire dans le
droit. Les usagers ont le droit à l’accès aux soins mais aussi et surtout le droit à l’information,
au dossier médical, et à la participation aux décisions médicales. Tout ceci place le patient au
centre des préoccupations médicales et des soins. Le médecin est légalement invité à
l’informer de ses actes et à recueillir son consentement.
3.1.1 Droit à l’ information
Différentes lois ont guidé la pratique des médecins afin d’amener le patient à agir en
connaissance de cause. Pourtant, les médecins ont longtemps fait figure d’exception en
étant autorisés de façon quasi unanime à user du « mensonge charitable » (3) :
- Au début du XXème siècle, l’ensemble de la société demande aux médecins de cacher aux
malades leur pronostic et leur mort prochaine. Exemple : « Ayant quitté Paul Lecène
agonisant, Henri Mondor dira : " J’ai recueilli ses dernières paroles avec la terreur de le
découvrir tout d’un coup instruit du dénouement " » (3). Cette « terreur » des médecins à
cette époque est bien réelle et l’éthique professionnelle est déjà présente. Mais
l’impuissance fréquente des médecins face à la maladie et la mort est en lien avec l’état de
la science. En d’autres termes, n’ayant rien à proposer aux patients mieux vaut qu’ils restent
ignorants de leur état.
- En France, en 1936, l’arrêt Mercier de la Cour de Cassation assimile la relation médecinpatient à un rapport contractuel. Le premier repère bien identifié en faveur de l’information
des patients se trouve dans un document sur la recherche médicale, le Code de Nuremberg
1947 (3).
- En 1970, les lois hospitalières successives ont chaque fois renforcé les dispositions en
faveur de l’information des patients, rassemblées dans la Charte du patient hospitalisé (3).
- En 1997, Arrêt de la Cour de Cassation (exercice privé) - du Conseil d’Etat (exercice public)
sur l’importance de l’information des malades et ses conséquences pour la pratique
courante, reprises dans la loi du 4 mars 2002 (3).
3.1.2 Comité Consultatif National D’Éthique
En 1983 est créé le premier Comité Consultatif National d’Éthique. L’éthique médicale est
née en France lorsque quelques professionnels se sont posé la question de l’efficacité et de
l’utilité des pratiques médicales, c’est-à-dire du bénéfice que leur mise en œuvre pouvait
apporter aux malades et à la population, et celle de l’autonomie du patient et de son rôle
dans les procédures qui le concernent. En 1987, des principes d'éthique médicale
européenne sont établis, fixant les devoirs du médecin vis à vis des malades.
17
Avant 1995, la déontologie imposait de mettre en œuvre pour un malade tous les moyens à
la disposition des professionnels, mais le code de déontologie ne mentionnait aucune
obligation dans le domaine des résultats et de la santé publique. L’autonomie et la
satisfaction des malades n’entraient pas en compte dans les décisions thérapeutiques qui
relevaient exclusivement de l’autorité, parfois bienveillante mais toujours silencieuse et
paternaliste des médecins. En 1995, le code de déontologie a été révisé et précise
notamment que le médecin est au « service des malades et de la santé publique », et qu’il
doit « limiter ses prescriptions à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité, et à
l’efficacité des soins » (34).
La marge de manœuvre du praticien diminue par sa nouvelle fonction, dorénavant plus
orientée vers la santé publique. Le médecin prend en charge un patient au sein d’une
population de patients.
3.1.3 États Généraux de la Santé de 1999
Cinq messages ressortent de ces États Généraux (34), comme l’information avec la
transparence de l'acte médical, le respect de la personne avec la recherche de son
consentement, la prévention, l’accessibilité aux soins pour tous, et la participation aux soins
des usagers, afin de promouvoir la démocratie sanitaire.
Paradoxalement, l’efficacité d’un traitement est démontrée statistiquement sur une
population et non sur un malade donné. Il ne suffit pas de choisir le meilleur traitement pour
une pathologie donnée, mais de sélectionner pour un patient donné, la meilleure stratégie
thérapeutique. Dans le cas contraire, le patient n’est pas pris en compte dans sa globalité.
3.1.4 Loi Kouchner
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (35) relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé. « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé, et plus
précisément sur :
-
les différents traitements, actes et investigations proposés,
leur utilité,
leur nécessité ou leur urgence éventuelle,
leurs conséquences directes et celles en cas de refus,
leurs risques fréquents ou graves normalement prévisibles,
l'existence d'alternatives ».
L’information et sa compréhension par le patient, ainsi que le recueil du consentement du
patient renforcent encore l’autonomisation des patients.
18
3.1.5 L’accès au dossier médical
Article L 1111-7 du Code de la Santé Publique du 4 mars 2002 (36).
La demande des patients d’avoir accès à leur dossier médical exprime ce droit à
l’information et concomitamment, à la responsabilisation. Ceci a provoqué quelques
contestations de la part de certains médecins avant même que ce droit ne soit reconnu. Ils
évoquaient les risques pour les malades de la connaissance de ces informations, craignant
peut-être que ce partage ne fasse des malades des partenaires exigeants.
3.1.6 Loi Léonetti
Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 (37) relative aux droits des malades et à la fin de vie.
3.2 Participation active du patient à la prise de décisions
Le paternalisme médical s’efface peu à peu en reconnaissant une autonomie aux patients et
leur émancipation à partir des années 1980 : « Le médecin ne peut substituer sa propre
conception de la qualité de vie à celle de son patient » (3). Cette révolution a été favorisée
par le succès des Principles of biomedical ethics de Thomas Beauchamp (également coauteur d’un livre sur le consentement éclairé en 1985) et James Childress dont la première
publication remonte à 1982 aux États-Unis. Ces deux philosophes américains considèrent
l’autonomie comme l’un des quatre principes fondamentaux en bioéthique, parmi les
principes de bienfaisance, de non-malfaisance et de justice. Cette autonomie n’est possible
qu’avec une bonne information (3).
Déjà en 1978, le rapport Belmont publié par le Département de la santé, de l’éducation et
des services sociaux des États-Unis posait trois principes éthiques de base que sont le
respect des personnes par leur consentement libre et éclairé, la balance des bénéfices et des
risques de la recherche et la justice : « Une personne autonome est une personne capable de
réfléchir sur ses objectifs personnels, de décider pour elle-même et d’agir conformément à
cette réflexion » (38).
La participation du patient nécessite une information de la part du médecin et une
éducation. Ses croyances et ses attentes influencent directement les résultats des
traitements. Le patient gère sa maladie et contribue au traitement par des changements de
comportement. Il devient un auto-soignant acteur de sa santé.
Dans les sociétés industrielles d’aujourd’hui, la raréfaction des maladies infectieuses et leur
maîtrise possible par les antibiotiques, la prédominance des maladies chroniques et
dégénératives comme par exemple les maladies cardio-vasculaires et le diabète, renforcent
l’individualisation des maladies. La médecine ne guérit pas les maladies chroniques. Le
malade doit donc apprendre à composer entre les limitations que son état lui impose et les
contraintes de la vie sociale, professionnelle et familiale. Être atteint d’une maladie
chronique impose une surveillance à long terme et suppose un rapport étroit avec la
médecine. En effet, le malade ne délègue plus au médecin les initiatives, mais il intervient
19
dans le processus de décision. En affirmant sa liberté de choix, le patient devient un
consommateur de soins et un actif dans la relation.
Cette valorisation du patient reflète le développement d’une notion nouvelle, celle
d’empowerment, née au début du XXème siècle aux États-Unis qui est « l'octroi de plus de
pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques,
politiques ou écologiques qu'ils subissent ». Diverses traductions ont été proposées en
français : « capacitation », « développement du pouvoir d'agir », « autonomisation »,
« responsabilisation », « émancipation » ou « pouvoir-faire », et par la suite de
« participation » (39).
Malgré un contexte d’évolution favorable à l’autonomisation des patients, il y a quand
même eu quelques allers-retours à cette approche de soins centrés sur le patient.
3.3 Réticence et freins à l’émancipation et à l’autonomisation des patients
À la fin du XXème siècle, la pensée libérale est fortement défendue par un certain nombre de
médecins, qui prônent leur liberté de prescription et dénoncent l’intervention des pouvoirs
publics sur leur pratique. Le modèle biomédical et les progrès médicaux ont conduit les
médecins et la population à une consommation effrénée des moyens du système de santé
(examens et médicaments).
Différente de l’approche centrée sur le patient, la médecine personnalisée s’attache à la
thérapie ciblée en intégrant le profil génétique des individus. Dans La médecine
personnalisée (26), livre écrit à propos du mode d’exercice du Docteur Lapraz, installé
comme médecin généraliste parisien dans les années 1970, il est fait l’éloge « d’une
médecine plus personnalisée » en prônant « l’efficacité de l’action ciblée de traitement moins
iatrogènes ». Mais, à cette époque, la surveillance des autorités sur l’exercice médical et les
prescriptions s’intensifie, limitant le champ d’action des professionnels. Il faut prescrire la
« bonne » catégorie de molécules décidée par le système, ce qui réduit « toute liberté de
penser et de prescrire ». Les prescriptions sont « pensées en amont du patient dans le
système de références médicales opposables et des conférences de consensus » et
« échappent à leur réflexion ». Ce système est, selon l’auteur, voué à l’échec à une époque
où le patient réclame parallèlement plus d’attention. « Plus question de malades réels, en
chair et en os, seule la maladie compte (…) avec, en arrière-plan, la préoccupation
économique. Il faut à tout prix faire des économies car notre système de santé explose. Et
tant pis si c’est le malade qui paie ». Ce livre pointe les dérives possibles d’une approche non
centrée sur le patient, biomédicale, coûteuse, dans un système de santé déficitaire déjà à
cette époque, qui place le patient au second plan.
Par ailleurs, au-delà de la pression des institutions médicales sur le contrôle des
prescriptions, l’auteur nous informe, à travers son livre, de la pratique médicale de l’époque
avec une réflexion sur le désintérêt voire les méfaits d’une prescription médicamenteuse
abusive : « cette volonté d’intoxiquer le moins possible cette patiente ». Il suggère d’avoir
20
une approche plus globale du patient en faisant notamment référence aux situations
complexes en médecine générale, où le diagnostic n’est pas évident, et qui relèvent d’une
approche non-directive du patient, comme le suggérait déjà Carl Rogers. Il faut chercher plus
loin, c’est-à-dire en dehors du biomédical. Il fait le constat « qu’une réponse moléculaire à un
trouble n’est pas satisfaisante à long terme » en faisant référence au « patient qui revient
sans cesse », sans que la cause réelle de sa venue ne soit élucidée.
21
4
LE MODÈLE BIOPSYCHOSOCIAL
Le modèle biopsychosocial est un élargissement du modèle biomédical, réductionniste dans
l’approche d’un sujet. Il s’agit de comprendre l’être humain dans ses trois dimensions
équivalentes biologique, psychologique et sociale, qui participent simultanément au
maintien de la santé ou au développement de la maladie. Les auteurs cités dans le
paragraphe suivant constatent qu’il ne s’agit pas simplement de corriger la « machine
corporelle » tel que le fait le modèle biomédical. En plus de l’évaluation somatique initiale, il
s’agit d’analyser les attitudes, les croyances, les attentes, les comportements, les facteurs
émotionnels et relationnels, ainsi que le contexte social, culturel et professionnel du patient
(4).
À partir des années 1970, sociologues et médecins s’intéressent de plus près aux liens étroits
entre les caractéristiques sociales de l’individu et son état de santé. À cette époque, un
changement s’opère dans le domaine socio-médical, qui, comme l’écrit Marc Renaud,
professeur français en sociologie « délaisse l’épidémiologie descriptive un peu grossière, pour
tenter de comprendre avec plus de précision les chemins par lesquels le social interagit avec
le biologique pour créer la maladie » (4). La sociologie est quelque peu délaissée au profit de
la psycho-sociologie, avec une plus grande mise en avant des variables individuelles comme
« le stress, les événements de vie, et le type de personnalité » (4). Le but ultime étant de faire
le lien entre les défaillances biologiques et l’aspect social ou psychosocial du patient.
4.1 George L. Engel
George L. Engel, psychiatre américain, est le père du concept biopsychosocial. En 1977, dans
The Need for a New Medical Model : A Challenge for Bio-medicine (40), il cible l’importance
d’un changement de pratiques, en faisant l’éloge de la psychologie et de la psychanalyse,
comme étant deux approches fondamentales dans la connaissance d’un patient. Il critique
vivement le modèle réducteur biomédical, sans le remettre en cause totalement. Il propose
d’élargir la démarche diagnostique en s’intéressant au statut social du malade, et soutient
que « la science et la méthode scientifique ont affaire avec la compréhension et le traitement
de la maladie et non pas avec le patient et les soins du patient ». Ceci peut entraîner la
« non-obédience et un désinvestissement du système de soin voire un recours dispersé et
nomadique à de multiples instances de soins ». En d’autres termes, personne ne se sent
responsable, ce qui entraîne l’errance médicale du patient. La médecine doit prendre en
compte les dimensions psychologiques et sociales. Il s’agit d’un modèle holistique et
systémique : « Des modifications peuvent survenir au niveau des cellules, des tissus, des
organes, des systèmes organiques ou même du système nerveux, mais la maladie et la
souffrance ne deviennent des données phénoménologiques réelles qu’à partir du moment où
le niveau " personne " est impliqué, c’est-à-dire à partir du moment où le sujet fait
l’expérience d’un malaise ou d’une détresse, ou manifeste un comportement pouvant être
interprété comme indiquant une maladie » ; « Pour le médecin réductionniste, un diagnostic
d’infarctus suffit à caractériser le problème d’un patient et à définir la tâche du médecin » ;
« L’erreur qui fait de ce modèle (biomédical) un modèle estropié, réside dans le fait qu’il
22
n’inclut pas le patient et ses attributs en tant que personne, en tant qu’être humain ». En
1980 dans The clinical application of biopsychosocial model (41) il étend son intérêt du
statut social du patient au subjectif, c’est-à-dire à ses pensées, émotions, sentiments.
4.2 A. Chauvenet
A. Chauvenet (sociologue) confirme en France, en 1977, cette tendance à
« penser biopsychosocial ». Selon elle, le modèle biomédical réduit l’humain à un « être
accessoire et subordonné au scientifique ». En conséquence, la médicalisation de la vie
quotidienne est une réponse inadaptée aux malaises dont souffrent la moitié des patients
qui pénètrent dans un cabinet médical (34).
4.3 Marco Vannotti
La révolution de ce nouveau modèle n’a pas eu de frontières. Marco Vanotti (médecin
psychiatre à l’université de Lausanne) écrit en 2000 dans L’expérience intersubjective de la
maladie chronique (42) :
« L’évolution clinique des patients chroniques n’est pas déterminée par les seuls facteurs
biologiques, mais est influencée par les configurations et les événements psychosociaux qui
sont co-contributifs de la vie du sujet :
-
expérience " pathique " de la maladie par le patient
réponse de la famille à la maladie
modalités de la rencontre entre le patient et le système de soins » ;
« La maladie est un événement qui atteint un corps vivant habité par un sujet, mais aussi un
corps vivant social ; un organisme marqué de part en part par la structure de l’échange et,
plus spécifiquement, par celle de la communication intersubjective. La maladie, en
perturbant le fonctionnement biologique, perturbe l'homme en tant que sujet de relations
(…) ; l'évolution de la maladie est "sensible" à ce qui se passe entre le patient et son
entourage humain ».
23
5
L’EVIDENCE-BASED-MEDICINE OU LA MÉDECINE BASÉE SUR LES PREUVES
Le regard critique de la profession médicale sur sa pratique, ainsi que les différentes
évolutions sociétales ont permis d’une part l’évolution du modèle biomédical en modèle
biopsychosocial et d’autre part, grâce à la recherche scientifique, les essais randomisés et la
méta-analyse apparus dans les années 1960, l’émergence de l’evidence-based-medicine
(EBM), dont les traductions françaises sont nombreuses (médecine fondée sur les faits,
médecine basée sur des faits prouvés, médecine basée sur des données probantes). Celle-ci
est née au Canada dans les années 1980 comme nouvelle méthode d’enseignement. Il
s’agissait d’une technique d’évaluation de la qualité de la littérature médicale destinée à ne
retenir que les données crédibles. Elle s’est inscrite à partir des années 1990 dans la pratique
médicale comme méthode de travail et outil thérapeutique pour les praticiens, hospitaliers
notamment (43)(44).
À la différence du modèle biomédical qui est un modèle plus général, l’EBM s’applique à une
population donnée en situation clinique. David Sackett, William Rosenberg, Muir Gray, Brian
Haynes et Scott Richardson en sont ses principaux fondateurs. Comme le décrit David
Sackett, médecin Canadien, dans un article du British Medical Journal en 1996 (45), « la
médecine fondée sur les preuves consiste à utiliser de manière rigoureuse, explicite et
judicieuse les preuves actuelles les plus pertinentes lors de la prise de décisions concernant
les soins à prodiguer à chaque patient. Sa pratique implique que l’on conjugue l’expertise
clinique individuelle avec les meilleures preuves cliniques externes obtenues actuellement par
la recherche systématique. Par expertise clinique individuelle on entend la capacité et le
jugement que chaque clinicien acquiert par son expérience et sa pratique clinique ».
En 2000, D. Sackett enrichit sa définition en y intégrant les « valeurs du patient » (43).
Figure 2 : L’Evidence-based-medicine
L’EBM est née d’une volonté de transformer la médecine en discipline scientifique.
24
Quatre étapes sont nécessaires à la médecine basée sur les preuves :
1. La formulation du problème médical en une question claire et précise.
2. La recherche dans la littérature des articles les plus pertinents en rapport avec la
question posée.
3. L'évaluation de la fiabilité et de l’applicabilité des conclusions extraites des articles
retenus, la pertinence clinique.
4. L’intégration des conclusions retenues pour répondre à la question initiale posée.
En pratique, si l’EBM ne semble pas idéal, c’est que la « dimension trilogique est souvent
méconnue » : la part « données de la recherche » passe au premier plan dans la prise de
décision, qui voit disparaître l’ « expérience clinique du praticien » et les « valeurs du
patient ». Les études cliniques randomisées et les méta-analyses, qui sont à la base de l’EBM,
sont insensibles aux données contextuelles. Or celles-ci sont à prendre en compte au niveau
du « jugement clinique » (46).
De manière plus générale, pour Alain C. Masquelet (chirurgien orthopédiste), « la pratique
médicale n’est pas restreinte à l’EBM car la connaissance au sens large du terme excède le
cadre nécessairement réducteur de la rationalité scientifique » (46). Ainsi, la principale dérive
de l’EBM est de « transposer les conclusions des données probantes in extenso à un patient
particulier » (46). Nous reviendrons sur ce point dans le paragraphe suivant.
Une deuxième dérive possible est liée au fait que des études randomisées nécessitent un
financement. Ainsi des biais dans l’étude peuvent être utilisés soit par l’industrie
pharmaceutique pour augmenter artificiellement l’efficacité d’un traitement, soit par une
institution pour justifier des « programmes de rationalisation des ressources » (46).
Pour conclure ce paragraphe, l’EBM ne peut être qu’une aide à la décision médicale. Elle ne
saurait se substituer à la décision elle-même.
Dans la suite de cet écrit, nous considèrerons l’EBM sous sa forme la plus courante en
pratique (c’est-à-dire une hypertrophie de la prise en compte des données de la recherche
dans la prise de décision médicale).
25
6
LA REMISE EN CAUSE DE L’EVIDENCE-BASED-MEDICINE ET L’ESSOR DU
PATIENT-CENTRED-CARE EN MÉDECINE GÉNÉRALE
6.1 L’approche centrée sur le patient
6.1.1 L’approche centrée patient, plus qu’une médecine fondée sur les preuves
Selon les auteurs contemporains français de La mort de la clinique ?, la médecine par les
preuves est la résultante des grandes séries statistiques et protocoles divers qui effacent le
lien étroit entre un médecin et son patient, en relayant la relation au second plan. « Si dans
75% des cas, le traitement X fait mieux que le traitement Y, je vais le prescrire. Mais rien ne
dit que pour le patient en face de moi, le traitement Y n’est pas au moins aussi efficace »
(20).
Dans Médecine de la personne (11) écrit en 2012, Simon-Daniel Kipman, psychiatre,
psychanalyste, président-fondateur de la fédération française de psychiatrie et président de
l’observatoire francophone de la médecine de la personne fondé en 2013, fait remonter la
médecine centrée sur la personne aux années 1950 avec la psychiatrie. Pour lui, « la
médecine centrée sur la personne s’oriente vers la pratique d’une médecine de la personne
(la santé globale de la personne, pathologies et aspects positifs compris), pour la personne
(pour aider la personne à réaliser son projet de vie), par la personne (les cliniciens exerçant
en tant qu’êtres humains avec des compétences professionnelles et un code d’éthique
personnel) et avec la personne (en collaboration respectueuse avec le patient qui consulte). À
l’origine de la médecine centrée sur la personne naît une confiance sans laquelle aucune
médecine ne peut exister ».
En 1969, Enid Balint, femme de Michael Balint, écrit en collaboration avec des médecins
généralistes The possibilities of patient-centered-medicine (47). Michael Balint opposera les
termes « patient-centered-medicine » et « illness-centered-medicine ». Le concept
d’approche centrée sur le patient a désormais un nom dans les sciences psychanalytiques.
Ce n’est qu’en 1984, que le sud-africain Joseph Levenstein, applique ce concept à la
médecine générale en tant que médecin généraliste. Il analyse plusieurs centaines de ses
consultations médicales et comprend l’importance d’intégrer les motivations du patient
dans l’entretien clinique (48). La prise en compte par le médecin des inquiétudes et des
attentes du patient pendant la consultation influence favorablement le degré de satisfaction
de ce dernier. L’ACP offre au médecin qui l’applique une vision plus globale du patient et de
sa maladie (49). En 1986, il publie en collaboration avec son équipe de médecins de famille
de l’Université Western Ontario composée des Docteurs Stewart, Brown, Mc Cracker, Mc
Whinney, The patient-centred clinical method. 1. A model for the doctor-patient interaction
in family medicine (50), à l’origine du développement du concept de la méthode clinique
centrée sur le patient (comprendre le patient et sa maladie), et sa généralisation à la
médecine de famille (Figure 3).
26
Figure 3 : Méthode clinique centrée sur le patient (The patient-centred clinical method. 1.
A model for the doctor-patient interaction in family medicine)
Parallèlement, Jean Carpentier, médecin généraliste français, dans son livre Medical Flipper
(51), souligne que sa spécialité commence à répondre en France en 1985 à l’ACP, en tant
qu’approche empathique, globale, favorisant la communication. Selon lui, faire un diagnostic
global aboutissant à un traitement adapté, nécessite de prendre en compte des facteurs
subjectifs. Il dénonce l’ « impérialisme médical » : comprendre un symptôme, faire un
diagnostic et proposer une thérapeutique nécessitent la prise en compte de facteurs non
scientifiques. Une position rassurante pour le médecin consiste à s’en tenir au symptôme et
à ses signes : « la gorge est rouge, les amygdales gonflées et recouvertes d’un enduit
purulent, un ganglion cervical douloureux est perçu à droite… une antibiothérapie s’impose ».
Or ceci reviendrait à s’en tenir au biomédical pur. Que faire de l’« angine qui n’en finit pas,
celle qui se répète, celle qui survient au moment le plus inattendu, il fait un temps splendide
et je pars en vacances… ». L’un des moyens établi par l’auteur est l’utilisation non brevetée
d’une « valise à symptômes » pour rendre compte de la subjectivité du patient sur sa
maladie et ses symptômes. En laissant libre cours à la parole du patient, et en se détachant
des symptômes et de la maladie, l’entretien est plus enrichissant : « Il permet d’accélérer la
prise de conscience et la verbalisation de ce qui peut être à l’origine du symptôme ». Ceci
nous rappelle l’expérience de Carl Rogers en psychologie clinique.
En 1989 dans The doctor-patient relationship (52), Mc Whinney (1926-2012), médecin
généraliste canadien décrit la relation médecin-patient avec deux confrères, Moira Stewart
et Carol Buck, comme un « pacte qui a ses propres effets thérapeutiques ». Dans son
essence, la médecine centrée sur le patient implique que le médecin s’occupe des
27
sentiments, des émotions et des humeurs en même temps qu’il précise le diagnostic qui
sous-tend les problèmes du patient (Figure 4). « À l’exigence de précision du quantitatif
(résultats médicaux) s’ajoute de plus en plus clairement le besoin du qualitatif (relationnel) »
(53), dont l’écoute attentive en est la qualité principale. « La recherche des liens de la
maladie avec l’individu et son histoire a permis le développement de la médecine
psychosomatique » (53). Le médecin généraliste a une fonction de personnalisation des
soins. Il ne peut se réfugier dans ce que Balint appelle la « collusion de l’anonymat » (18).
L’approche centrée sur le patient décrite dans la revue Canadian Family Physician (33) en
1990 par F. Blondeau, montre que le rôle du médecin est d’aider son patient à faire face à
tous les aspects de son problème de santé, ses peurs, ses croyances, ses représentations.
Pour lui, il est tout aussi important de s’occuper du vécu de la maladie que de la maladie
elle-même, car cette approche améliore la satisfaction du patient et son niveau
d’observance. Le patient dirige l’anamnèse et le médecin s’adapte. Cette approche met
l’accent sur la réceptivité du médecin à tous les indices offerts par le malade et aux sujets
que celui-ci semble vouloir aborder ou éviter.
Cependant, en avril 1996, dans The importance of being different (54) publié dans le Royal
College of General Practitioners en Ecosse, Mc Whinney exprime quelques difficultés face à
cette approche. En effet, « la relation entre un médecin et son patient est soumise aux
mêmes faiblesses auxquelles sont confrontées toutes les autres relations humaines
(amour/haine, confiance/non-confiance, pardon/traîtrise, rupture irréconciliable/survie). Des
émotions non reconnues comme la crainte, le sentiment d’impuissance, l’anxiété, la colère et
la culpabilité peuvent être exprimées par le médecin sous forme de réaction d’évitement,
d’indifférence, de rejet et même de cruauté ».
Par ailleurs, il souligne dans la même étude quatre différences qui distinguent selon lui la
médecine générale des autres spécialités et qui facilitent l’approche centrée sur le patient :
1- C’est la seule discipline à se définir en termes de relation. La relation précède les
investigations et le diagnostic. L’auteur va plus loin en parlant de relations familiales
en tant que médecine de famille.
2- Le médecin de famille raisonne en termes de personnes malades plutôt qu’en termes
de maladies.
3- Le malade n’est pas une machine endommagée dans laquelle la réparation d’une
pièce suffirait à la remettre en état (métaphore du « corps-machine »). Mc Whinney
met en avant la complexité de l’organisme et l’incertitude de la connaissance précise
de la cause de son dérèglement : « De toutes les disciplines cliniques, c’est la
médecine familiale qui fonctionne au niveau le plus élevé de complexité ».
4- La notion de causalité de la maladie est dépassée : la transition d’une pensée
mécaniciste à une pensée organiciste nécessite un changement radical de nos
notions entourant la causalité des maladies. La médecine a été dominée par une
doctrine basée sur une étiologie spécifique : une cause pour chaque maladie.
28
Figure 4 de Luis Filipe Gomes (55), d’après Stewart, Brown, Weston, Mc Whinney, Mc
William, Freeman. Patient-centered-medicine. Londres 1995.
À la même époque, Denis Pouchain, médecin généraliste français, insiste sur le fait que la
médecine générale a un rôle de premier recours, de prise en charge globale, de continuité et
de suivi, de coordination des soins et de santé publique. Il s’agit d’un « modèle global, centré
sur le patient, ouvert sur l'extérieur » (2). La médecine générale nécessite la prise en compte
de l’environnement biopsychosocial et des attentes du patient. Elle requiert des
compétences scientifiques et relationnelles. L’ « agenda caché » ou le motif caché de
consultation du patient est recherché de façon active pour satisfaire à l’approche centrée sur
le patient (56).
On distingue donc la médecine basée sur les preuves qui a pour objectif d'offrir aux cliniciens
les meilleures données disponibles sur le traitement le plus approprié pour leurs patients et
la médecine centrée sur le patient avec une perspective humaniste biopsychosociale. Ces
deux approches sont différentes et souvent présentées comme incompatibles dans la
pratique. Or les auteurs s’aperçoivent pourtant que ces deux médecines sont
29
complémentaires et que les bénéfices que l’on peut en tirer quant à la satisfaction des
patients sont énormes. Le lien entre les deux est la communication qu’il faut développer,
dont l’écoute active est une compétence. Il faut donc apprendre à écouter les indices des
patients (57) car ils précisent rarement d’emblée leurs symptômes face aux questions du
médecin.
On constate dans la littérature une croissance simultanée de ces deux approches (EBM et
ACP) à partir des années 1990 (Figure 5). D’autres articles confirment cette tendance ; par
exemple Evidence-based medicine and patient-centred medicine : the need to harmonize
écrit par J. Health en 2005 (58).
Figure 5 : Comparaison du nombre de publications dans Medline sur la médecine centrée
sur le patient et la médecine basée sur les preuves entre 1970 et 2000 (57).
La pression vers la médecine centrée sur le patient est augmentée par le nombre croissant
de publications sur ses avantages. Il existe des preuves convaincantes que les patients
veulent un rôle plus actif et qu’ils souhaitent être impliqués dans les soins (8).
6.1.2 La communication, base de la relation de soin
L’entretien médical a évolué depuis le siècle dernier. De la pratique paternaliste d’une
médecine « de la maladie », sans empathie, avec un interrogatoire précis, loin de l’entretien,
ne laissant pas la place à l’expression du patient, s’est progressivement développée une
médecine « du patient », basée sur le libre-échange bidirectionnel et une bonne
communication.
30
6.1.2.1 Les différents types de communication
6.1.2.1.1 Aspects non-verbaux de la communication
Dans les années 1950, des anthropologues et psychiatres effectuent des travaux sur les
aspects non-verbaux de la communication. Le mouvement et la gestuelle dans la
communication ont été décrits dès 1956 par Gregory Bateson (1904-1980 anthropologue,
psychologue, sociologue américain) et Ray Birdwhistell (1918-1994 anthropologue
américain). Fernand Blondeau reprend dans son étude de 1990 (33) les différentes
techniques d’entrevue décrites par les anthropologues américains, avec notamment la
proxémique, qui étudie l’espace dans la communication par les distances que l’on garde
entre soi et autrui, ou par la façon dont les espaces sont structurés dans une telle relation.
Edward Hall (anthropologue américain 1914-2009) évoque cet espace interpersonnel
comme une « dimension cachée » de la communication.
6.1.2.1.2 Fred Siguier
Dans les années 1960, Fred Siguier (1909-1972), médecin interniste français cité par Didier
Sicard dans La Mort de la Clinique ? (20), déplore que le médecin n’écoute pas assez le
patient. Il faut un échange entre les deux protagonistes, et cet échange est plus qu’une
simple information. Il s’agit de s’intéresser à l’insignifiant, à la parole de seconde ligne :
« Écoutez le malade, il vous donne, vous offre généreusement le diagnostic ». Selon lui,
l’inquiétude du médecin est de passer à côté du diagnostic par absence d’examens
complémentaires plutôt que par absence d’écoute. Le paradoxe est que la plainte se fonde à
peu près toujours sur une absence d’écoute et rarement sur l’absence d’examens
complémentaires : « Donner des informations est parfois une façon de nier la parole et de
l’empêcher d’advenir. Échanger des informations n’est pas nécessairement communiquer.
Informer ne veut pas dire rencontrer. Écouter, oui ».
6.1.2.2 Effets positifs d’une bonne communication sur les patients
La communication est une compétence essentielle du médecin. D’une communication
satisfaisante pour le médecin et le patient découlent des résultats positifs en termes
d’observance, de suivi, et de réponse au traitement.
De nombreuses études ont montré dès les années 1980 une corrélation entre
une communication médecin-patient efficace et une meilleure santé (59)(60)(61). Tous les
aspects de celle-ci peuvent être impactés, aussi bien physiologiques (pression artérielle,
glycémie…), comportementaux (état fonctionnel), que plus subjectifs (état général,
inquiétude, sentiment de contrôle de leur vie) (59). On note également une plus grande
participation des patients aux soins, une meilleure observance, et de manière plus générale
une plus grande satisfaction (61)(62). Avec une communication efficace, les patients sont
plus satisfaits de leurs soins et peuvent mieux comprendre leurs « problèmes et les options
de traitement ». Ainsi, la « détresse des patients et leur vulnérabilité à l'anxiété et à la
dépression » sont atténuées (63).
31
La majorité des qualifications de « fautes professionnelles » (et plus généralement des
plaintes déposées par les patients) sont dues à des problèmes de communication (64). Il a
par ailleurs été montré en 1991 qu’après une consultation, une proportion élevée de
malades n’avaient pas compris ou retenu ce que leur médecin leur avait dit à propos du
diagnostic ou du traitement (64). Ce défaut de communication peut en partie s’expliquer par
son absence d’enseignement dans la formation médicale traditionnelle (64). Moira Stewart
relèvera à plusieurs reprises que la communication doit être utilisée à la fois lors de
l’éducation des patients mais aussi dans la formation des étudiants en médecine (60) (64).
Nous reviendrons sur cet aspect dans le prochain chapitre.
Pour certains auteurs, les médecins auraient appris à réprimer leurs réponses émotionnelles
face aux patients dans le but de « maintenir l’objectivité clinique » (65). Or ces réactions
naturelles pourraient faciliter le développement de la relation médecin-patient (65). Le
médecin, avant de se réfugier derrière une apparente objectivité, doit d’abord analyser ses
propres croyances, attitudes, et réactions émotionnelles (66).
La difficulté principale semble alors de définir concrètement ce qu’est la « bonne » stratégie
de communication à mettre en œuvre avec son patient. Tout ce qui va dans le sens d’une
prise de décision conjointe (soit en éduquant le patient dans ce sens, soit en coécrivant une
« charte ») améliorera d’autant les résultats. De la même manière, un patient qui a appris à
poser plus de questions et à participer d’avantage à ses soins en sera d’autant plus satisfait
(64).
Lors de l’entretien, le patient doit pouvoir exprimer ses préoccupations sans être interrompu
(64). Il a été démontré que lorsqu’un patient commence à parler d'un problème, ce n’est
généralement pas le motif principal de la consultation, qui est souvent gardé pour la fin. Or il
est souvent interrompu avant 20 secondes de parole par le médecin qui l’assomme de
questions : « La grande question, donc, n’est jamais discutée » (67).
Dans un sondage d'opinion publique sur ce qui fait un bon médecin, menée par l'Association
américaine des facultés de médecine, les participants ont indiqué que les attributs
importants du médecin étaient une « attitude bienveillante et les compétences de
communication (85% des participants), la capacité d'expliquer une procédure médicale
compliquée (77%), de bonnes compétences d'écoute (76%), et un esprit ouvert sur les
thérapies alternatives (29%) » (67). La communication efficace permet au médecin d’obtenir
plus d’informations concernant son patient (68), améliore l’encodage de l’information, « le
respect des consignes, la satisfaction et le bien-être psychologique », et in fine, « les
résultats » (67).
6.1.2.3 L’apprentissage de la communication
L’hypothèse diagnostique la plus probable est souvent annoncée dès l’interrogatoire, avant
même l’examen physique et la prise en compte des examens complémentaires. Encore faut-
32
il savoir communiquer avec le patient. La communication, compétence indispensable en
médecine, s’acquiert (20).
Jean Carpentier, dans Medical Flipper (51) en 1985, pointe un problème de formation des
médecins généralistes en communication. D’après lui, les médecins et les patients possèdent
les informations, mais manquent de formation pour les traiter correctement. Par-là il sousentend un problème dans la communication de ces informations : « Ou bien l’idée de
revaloriser la médecine générale constitue l’aveu implicite de l’échec d’une conception
étriquée, à plat, de la maladie et de la médecine. Et alors il vaudrait mieux le dire pour que
l’on puisse reprendre le projet médical à partir de là, en le recentrant d’une manière plus
correcte ; et du même coup, prendre les mesures qui s’imposent au plan de la formation des
futurs professionnels (…). Mais c’est d’autant plus difficile que tout un état d’esprit devrait
alors dominer, car la médecine générale serait le point de départ, la préoccupation centrale,
l’axe des études ; ou bien on tient à garder, pour d’obscures raisons, la maîtrise de l’affaire ;
et on se moque du monde et de soi-même en racontant ou en se racontant que quarante
après-midi chez un ou deux médecins de quartier pourront rééquilibrer sept ans de
l’enseignement que nous avons vu » (51).
Il exprime son souci de placer la médecine générale à sa juste place, c’est-à-dire en tant que
médecine de famille, avec une prise en charge biopsychosociale des patients, non-directive,
adaptée aux souhaits et attentes des patients. Il souligne dès cette époque l’importance du
juste partage des connaissances : « les gens sont informés, surinformés quelques fois, mais ils
sont seuls devant leur écran ou leur journal, encore plus paniqués qu’avant » (51).
Des études ont été faites sur l’apprentissage de la communication en médecine. Elles
montrent la difficulté des médecins à « identifier les problèmes de leurs patients » (63). Les
étudiants eux-mêmes sont concernés car l’apprentissage de la communication améliore leur
vécu de l’échange et augmente leur confiance (69). L’enseignement d’une communication
efficace, possible par divers moyens (jeux de rôles, utilisation de feedback vidéo…), est déjà
proposé au début des années 1990 à Manchester (64).
Par ailleurs, les médecins qui n’ont pas été formés à la communication obtiennent peu
d'informations sur le vécu du problème par le patient ou sur son « impact physique,
émotionnel et social ». Or l’intérêt du médecin pour le bien être psychosocial de son patient
doit être primordial pour augmenter « son adhésion aux soins ». Cela passe par exemple par
« un résumé ou une reformulation des problèmes évoqués », permettant au patient d’une
part de s’apercevoir que le médecin l’a écouté et compris et d’autre part de le corriger si
nécessaire (63).
Lorsque les médecins fournissent des informations, ils ont « tendance à ignorer ce que les
patients veulent savoir » (63). Les explications fournies par certains sont d’une part la crainte
d’augmenter la « détresse du patient, de prendre trop de temps, et de menacer leur survie
émotionnelle » (63), et d’autre part le manque de formation à la communication (70). Une
33
étude réalisée au Japon en 2006 compare la satisfaction du médecin à celle du patient en
termes de communication, basée sur le niveau d’explications, et conclut que lorsque le
médecin est plus satisfait que le patient, les résultats sont moins bons en terme de vécu de
la maladie et de réponse au traitement, et inversement. Mais d’autres facteurs interviennent
dans cette analyse, comme la durée de la consultation, ou encore l’éducation du patient sur
un éventuel changement de mode de vie (71).
6.1.3 Les bénéfices d’une telle pratique d’approche centrée sur le patient
La gestion de la maladie chronique par l’auto-soignant et sa participation active, relève
d’une santé qualitative, et non plus seulement quantitative, d’une santé de la norme
individuelle et non plus collective. De nombreuses études témoignent des bénéfices pour les
patients de cette approche.
En effet, en améliorant la satisfaction du patient, l’ACP améliore son « adhésion aux soins »,
son « observance » et sa « confiance » envers le praticien, ce qui permet également d’avoir
des « résultats sur le plan physiologique » (72). De même, elle diminue ses « inquiétudes » et
ses « limitations fonctionnelles » (73). Les patients posent des questions au médecin,
comprennent leurs troubles, ce qui améliore leur satisfaction (74). Autrement dit, la
compétence du praticien à faire le point sur la situation globale du patient, son vécu et ses
attentes permet de répondre plus efficacement à sa réelle demande (75)(76).
Par ailleurs, il semblerait que cette approche réduise les dépenses de santé publique en
limitant le nomadisme médical (76). Une étude américaine de 2014 suggère même un
nouveau mode de rémunération pour les praticiens, basé sur les « résultats cliniques et la
satisfaction des patients » (77).
De plus, l’ACP diminue les situations d’incompréhension voire de conflits. En effet, le
médecin qui l’utilise prend du recul face à son patient, ce qui lui permet de mieux
appréhender ses demandes. Les situations cliniques difficiles le sont, la plupart du temps, en
rapport avec leur aspect psycho-social et non simplement médical. Le médecin peut
améliorer le vécu de sa pratique et sa relation avec son patient grâce à « l’empathie, la
tolérance, l’écoute sans jugement » qu’il développe (78). Le point de vue du patient sur sa
maladie (« patient’s perspective on illness ») est recherché activement par un
questionnement successif, ce qui améliore la satisfaction du patient sans prendre plus de
temps au médecin : gain de temps efficace (79).
6.2 Le concept de décision médicale partagée : une dimension de l’approche
centrée sur le patient (ACP)
La stabilité du médecin généraliste dans son lieu d’exercice au cours du temps en fait
l’interlocuteur en santé principal des familles. La relation qui se crée est stable, facilitant la
continuité des soins, primordiale lors de pathologies chroniques permettant une confiance
partagée. Le médecin généraliste est au centre de la coordination des soins, en relation avec
tous les acteurs du parcours de santé (Loi de réforme de l’assurance maladie 2004) (80).
34
Le terme de « décision médicale partagée » vient de l’expression anglaise « shared-decisionmaking model » développée dans les années 1990. La prise de décision partagée se définit
comme un « processus nécessitant la participation conjointe du patient et de son médecin et
constitue une stratégie optimale d’application des connaissances dans les consultations
cliniques. Ce processus décisionnel doit reposer sur des données scientifiques solides et
mettre en évidence les risques et les bénéfices de toutes les options disponibles, y compris
celle de ne rien faire » (81). De plus, la décision partagée doit tenir compte des valeurs et des
préférences du patient. Charles Cathy (professeur au département d'épidémiologie et de
biostatistique, également professeur de philosophie au Canada) en a décrit 4
caractéristiques (82) :
-
« Implication d’au moins deux personnes
Partage mutuel de l’information entre les deux acteurs
Participation du médecin et du patient au processus de décision
Prise de décision commune avec consensus sur l’option choisie »
Mais ce concept connaît selon elle quelques obstacles, comme :
-
« Le manque de temps
Le défaut de compétences dans le partage des décisions et l’implication du patient
Le défaut de connaissance du médecin sur les risques et bénéfices des traitements
Tout ce qui rend une information complète difficile
Les difficultés à transmettre l’information (manque de compétence en
communication, manque d’outils)
La peur du partage du pouvoir avec le patient
Le sentiment que les patients n’aiment pas l’incertitude du médecin »
Le modèle de décision médicale partagée - modèle d’action plus que de relation - s’inscrit
dans la continuité des modèles de pratiques médicales déjà existants. En 1992, les époux
américains Ezekiel et Linda Emanuel (respectivement docteur en médecine et en bioéthique,
et docteur en médecine et en sciences) distinguent quatre modèles médicaux : paternaliste,
informatif, interprétatif et délibératif (14).
35
Tableau des quatre modèles de pratique médicale : (Santé Publique 2007, volume 19, n°5,
p417) (14)
Informatif
Interprétatif
Délibératif
Ouvertes à un Objectives
et
développement
partagées par le
et à une révision patient
à travers un
débat moral
Valeurs
patient
du Définies, fixées
et
communiquées
au patient
En construction,
et conflictuelles,
nécessitant une
élucidation
Devoirs
médecin
du ●Fournir
une
information
factuelle
pertinente
●Mere
en
œuvre
l’intervention
choisie par le
patient
●Elucider
interpréter
valeurs
patient
●Informer
patient
●Mere
œuvre
l’intervention
choisie par
patient
Paternaliste
et ●Arculer
et
les convaincre
le
du patient
des
valeurs les plus
le admirables
●Informer
le
en patient
●Mere
en
œuvre
le l’intervention
choisie par le
patient
●Promouvoir
le
bien-être
du
patient
indépendamment
des préférences
qu’il exprime
Conception de Choix et contrôle Compréhension
AutoAssentiment à des
l’autonomie du du soin médical
de soi utile au développement
valeurs objectives
patient
soin médical
moral utile au
soin médical
Conception du Expert technique Conseiller
rôle du médecin compétent
Ami
enseignant
ou Gardien, tuteur
36
Le modèle de décision médicale partagée se situerait à la frontière entre les modèles
interprétatifs et délibératifs :
ECHANGE
D’INFORMATION
DELIBERATION
QUI
PREND
DECISION ?
PATERNALISTE
DECISION MEDICALE INFORMATIF
PARTAGEE
●Unidireconnel
(médecinpatient)
●Contenu médical
●Informaon
minimale requise par
la loi
●Bidireconnel
(médecinpatient)
●Contenu médical et
personnel
●Toute informaon
pertinente pour la
prise de décision
●Unidireconnel
(médecinpatient)
●Contenu médical
●Toute informaon
pertinente pour la
prise de décision
Médecin et patient
Médecin et patient
Patient
Patient
Médecin
LA Médecin
6.3 La Narrative-Evidence-Based-Medicine, un outil de l’ACP
Rita Charon, professeur de médecine clinique et directeur du programme de médecine
narrative au Collège Université de Columbia des médecins et chirurgiens, spécialiste en
médecine interne, est la première à avoir utilisé le terme de médecine narrative en 1993
dans Medical interpretation: implications of literary theory of narrative for clinical work (83).
La médecine narrative est un concept récent qui s’inscrit dans le prolongement des travaux
de Michael Balint. Son but est de comprendre la vision du monde et les valeurs du patient à
travers son récit, son utilisation du langage.
Rita Charon souligne dans son article Narrative Medicine : A Model for Empathy, Reflection,
Profession, and Trust (84) l’importance d’écouter le récit du patient et de ses proches, tout
comme celui des autres acteurs de soin. Écouter ce qui est raconté, établir le premier
contact, l’écrire, permet de saisir plus clairement les tensions intérieures : questions, doutes,
vécu affectif, savoir-faire, capacités, valeurs. C’est l’union entre la « dimension technique et
la dimension qui donne du sens », et qui permet de « reconnaître, absorber, interpréter et
être ému » par les « stories of illness » (illness et non disease) (84) :
1/ « Comprendre l’expérience d’un patient
2/ Encourager l’empathie et favoriser la compréhension entre le clinicien et le patient
3/ Encourager une approche holistique
4/ Faciliter la pratique réflexive
5/ Améliorer l’écoute et l’interprétation des compétences
6/ Donner un sens à l’expérience du patient »
La médecine narrative est un outil de l’approche centrée sur le patient qui semble
actuellement peu développée en médecine générale. L’une des raisons est sans doute le
37
manque de temps ou le manque de compétences à l’enseigner. Son enseignement s’inscrit
en France dans le prolongement de celui de la psychologie médicale, de la communication
médicale et de l’éthique médicale.
38
7
L’ACP : UNE NOTION INCORPORÉE DANS LES PRINCIPES DE LA MÉDECINE
DE SOINS PRIMAIRES
7.1 WONCA Europe 2002
Les institutions internationales n'ont pas été sans se pencher sur les statuts respectifs des
médecins et des patients, et la manière d'aborder la pratique de la médecine de façon plus
moderne et peut-être plus efficace. La première définition de la médecine générale est
donnée en 1974 par le groupe de travail européen de Leeuwenhorst. Elle est centrée sur la
description des activités professionnelles du médecin généraliste.
La WONCA (World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations
of General Practionners / Family Physicians) définit ce qu’est (ou doit être) la médecine
générale en 2002 (85):
1/ « Premier contact avec le système de soins. Prise en compte de tous les problèmes de
santé, indépendamment de l’âge, du sexe, ou de toutes autres caractéristiques de la
personne concernée ;
2/ Coordination des soins ;
3/ Approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelles, familiales et
communautaires. Quatre conséquences en découlent :
- la décision résulte d’une négociation avec le patient
- la prise en compte des aspects personnels demande un travail relationnel et donc une
formation adaptée
- la relation médecin-malade qui procède de cette approche, inclut le médecin dans le
processus thérapeutique
- dans les études épidémiologiques, la primauté du patient nécessite l’utilisation de
classifications à plusieurs entrées comme la Classification Internationale des soins Primaires
(CISP) ;
4/ Utilise un mode de consultation spécifique qui se construit dans la durée, et une relation
médecin-patient basée sur une communication appropriée ;
5/ Responsabilité d’assurer des soins continus et longitudinaux ;
6/ Base sa démarche décisionnelle spécifique sur la prévalence et l’incidence des maladies en
soins primaires ;
7/ Gère simultanément les problèmes de santé aigus et chroniques de chaque patient ;
8/ Intervient à un stade précoce et indifférencié du développement des maladies ;
9/ Favorise la promotion et l’éducation pour la santé ;
10/ A une responsabilité spécifique de santé publique dans la communauté ;
39
11/ Répond aux problèmes de santé dans leurs dimensions physique, psychologique, sociale,
culturelle et existentielle ».
Six compétences fondamentales de médecine générale ressortent de ces onze critères :
1/ « Gestion des soins de santé primaires
2/ Soins centrés sur la personne
3/ Aptitude spécifique à la résolution de problèmes
4/ Approche globale
5/ Orientation communautaire
6/ Adoption d’un modèle holistique »
7.2 Compétences en médecine générale : l’exemple du Canada
Le Collège de Médecine Générale du Canada a défini en 2010 des compétences spécifiques
(86) pour les médecins qui pratiquent l’approche centrée sur le patient, semblables à celles
données quinze ans plus tôt par Moira Stewart :
1/ « Explorer activement le vécu des patients en s’informant de :
- ce qu’ils ressentent en relation avec leur problème (sentiments)
- comment ils expliquent ce qu’ils vivent (idées)
- la conséquence de ce problème sur leur vie (impact sur le fonctionnement)
- comment ils espèrent que le médecin pourra les aider
2/ Évaluer un problème clinique. Le médecin tente d’obtenir une meilleure connaissance et
compréhension de la personne dans sa globalité en la questionnant sur son contexte (par
exemple qui d’autre partage sa vie : famille, conjoint, enfants), qui ou quels sont les soutiens,
les autres facteurs sociaux (travail, finances, éducation…)
3/ Intégrer le problème du patient avec le vécu de la maladie de façon claire et empathique.
4/ Travailler avec le patient pour en venir à une compréhension commune du problème et du
rôle de chaque personne en :
-
Encourageant la discussion
Offrant au patient les occasions de poser des questions
Obtenant une clarification et un consensus
Encourageant la rétroaction
Abordant les divergences d’opinion
5/ Trouver un terrain d’entente autour de la ligne de conduite à adopter, il incorpore la
promotion de la santé et la prévention de la maladie.
6/ Aborder les problèmes du patient dans une perspective réaliste et longitudinale qui
respecte et équilibre adéquatement les priorités du patient et celles du médecin ; prendre en
considération les ressources des individus et de la collectivité ».
40
7.3 Principes théoriques français de Médecine Générale
La Société Française de Médecine Générale, société savante fondée en 1973, a publié en
2013, grâce au travail de thèse d’une interne en Médecine Générale Marie-Alice Bousquet,
dirigée par le Docteur Kandel, une liste de 41 concepts théoriques de la discipline.
Initialement 32 items étaient répertoriés, dont l’approche centrée sur le patient. Ses
recherches complémentaires lui ont permis de regrouper certains items dont le sens était
proche, et une nouvelle liste de 41 items a finalement été retenue. L’item d’approche
centrée sur le patient a été intégré au modèle biomédical versus holiste (87). Or nous
venons de voir que le concept de l’approche centrée sur le patient est plus complexe que le
modèle holistique biopsychosocial. Il faudrait peut-être réintégrer cet item en le valorisant
en tant que concept moderne de la médecine générale.
41
DISCUSSION
Discussion de la méthode :
Ce travail a été guidé par des personnes ressources dont certaines sont reconnues sur le
plan international et qui ont eu l’amabilité de contribuer à la constitution du corpus.
La méthode de recherche documentaire et historique de proche en proche, peu familière
aux disciplines médicales et peu codifiée, a laissé part à l’intuition. Elle a néanmoins permis
d’avoir une vue d’ensemble du sujet, sans les contraintes d’une revue de littérature. Elle
souffre certainement des lacunes d’une bibliographie non exhaustive, et d’une analyse
quelquefois subjective des textes.
Un tel travail aurait pu être enrichi par des compétences sociologiques et sémantiques pour
une compréhension plus aboutie du sens pris par l’essor du concept de soins centrés sur le
patient dans la société contemporaine.
Discussion des résultats :
Contrairement à l’Evidence-Based-Medicine où la méthode est définie sur des critères
scientifiques et où les résultats sont quantifiables objectivement, l’approche centrée sur le
patient en médecine générale laisse plus de liberté dans son utilisation et dans
l’interprétation de son efficacité.
L’étude publiée par le Picker Institute Europe (8) en 2006, a tenté de lever certaines
difficultés dans l'approche du concept, en posant une question loin d'être anodine : Associer
les patients étroitement aux décisions de traitement et de gestion : qu’est-ce-que cela
signifie et jusqu’où aller ? Le terme de partenariat est généralement utilisé en référence à
des personnes qui collaborent pour atteindre des objectifs communs. Pour les docteurs Aora
et Mc Horney cités dans cette étude, le concept d’approche centrée sur le patient est
largement utilisé mais mal codifié dans la pratique médicale, et peu évalué : « il est plus
facile de le définir par ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire centré sur la technologie, le médecin,
l’hôpital, la maladie. Tous les patients ne sont pas prêts à une telle démarche. Les résultats
sont notoirement difficiles à évaluer, en particulier dans le domaine des soins de santé où ils
peuvent impliquer :
-
Les connaissances des patients
La satisfaction des patients ou la qualité de vie
L’utilisation des services et des coûts
L’hygiène de vie
La gestion des symptômes
L’amélioration de l’état de santé » (8).
Actuellement, la décision médicale partagée, concept plus restrictif que l’approche centrée
sur le patient prend une place de plus en plus grande du fait d’une intolérance à l’échec plus
42
importante (obligation de moyens/résultats). On peut penser qu’en partageant la décision
médicale, le risque est lui aussi partagé. Ce concept fait partie des grands principes
théoriques de la médecine générale. L’autonomie du patient, l’amélioration de ses
connaissances médicales, dans une société de plus en plus procédurière favorisent cette
approche. D’ailleurs, au moment de l’élaboration de ce travail, ce concept est beaucoup plus
référencé dans les bases de données que l’approche centrée sur le patient. On retient 183
033 articles pour « shared-decision-making » sur Pubmed contre 15 744 pour « patientcentered-care ».
Mais il ne faudrait pas aller trop loin. La peur de l’échec et l’angoisse de la plainte pourraient
nous conduire à centrer notre médecine sur le protocole, sécurisant pour certains patients
et médecins, mais aux antipodes de notre qualité première de médecin généraliste, et
constituerait un retour en arrière vers une forme de paternalisme. Les dérives du concept de
la décision médicale partagée seraient effectivement de paraître respecter l’autonomie
décisionnelle du patient tout en se protégeant du risque médicolégal.
Le concept de l’approche centrée sur le patient est aussi utilisé pour critiquer ou dénoncer
des pratiques médicales pouvant aboutir à un certain nomadisme, comme le déplore le
psychiatre français Frédéric Rouillon (11) en 2012 avec la surspécialisation et l’errance
médicale des patients qui vont voir de multiples spécialistes (chimiothérapeute,
radiothérapeute, chirurgien, généraliste qui n’a d’ailleurs pas souvent tous les éléments
diagnostique et thérapeutique en cours). Il s’agit, comme le disait Balint, d’une « dilution des
responsabilités » (18) aboutissant à une déresponsabilisation préjudiciable au patient. « De
nombreuses organisations ont mis en avant l’utilité de services plus intégratifs, plus centrés
sur les patients, et un grand nombre d’entre elles sont regroupées au sein de Réseau
international pour la médecine centrée sur la personne. » (11)
Les dérives possibles d’un tel concept offrant le pouvoir décisionnel au patient seraient une
surmédicalisation de la vie quotidienne en réponse à un mal-être des citoyens plus général,
et à une organisation de la société moderne préoccupée par le « risque zéro », n’épargnant
pas le domaine de la santé. L’approche centrée sur le patient prend du temps, et s’intéresser
au vécu et aux attentes du patient pourrait finalement permettre d’éviter cette
surmédicalisation. Le concept récent de prévention quaternaire défini par Marc Jamoulle
(88) tend à en limiter les dérives. La prévention quaternaire est la « réponse de médecins
conscients de leurs limites et désireux d’appliquer à leurs pratiques les principes de la
médecine basée sur les preuves autant qu’une écoute humaine et empathique qui ne tente
pas de médicaliser les problèmes de vie (…). La prévention quaternaire repose sur la maîtrise
de l’information médicale scientifique et son application dans les décisions du quotidien. On
peut ajouter à la définition de la prévention quaternaire, qui fait la part belle à la
surmédicalisation, son corollaire obligé, soit la sous-médicalisation ou l’absence de prise en
compte par la médecine de problèmes de santé patents et ce pour des raisons morales,
sociales, économiques, politiques ou idéologiques. Pratiquer la prévention quaternaire, c’est
43
reconnaître, écouter et aider un patient dans l’incertitude, mais aussi lui reconnaître sa
souffrance et la rencontrer avec tous les moyens disponibles, tout en pratiquant en
permanence une analyse critique de son propre agir. » Il s’agit en quelque sorte d’un
complément au concept de soin centré sur le patient.
Par ailleurs, les limites actuelles d’un tel concept se trouvent en partie dans l’évolution de la
démographie médicale ainsi que l’évolution de l’identité professionnelle du médecin qui est
marquée par un désengagement de type sacerdotal de la profession médicale avec la
possibilité d’un travail à horaires aménagés, entraînant quelques difficultés pour le médecin
et le patient d’avoir un suivi sur la durée. Or c’est sur la durée que se construisent les
relations médecins-patients de qualité, facilitant également la prévention et l’éducation
thérapeutique par des messages brefs et personnalisés au fil des rencontres de soin. Le
recours par le patient à divers médecins au sein d’un même cabinet, ou plus récemment au
sein des pôles de santé, pour des raisons variables (mi-temps, congés etc…) rend la relation,
la communication, la confiance, et l’adhésion plus difficiles à établir.
De plus, l’ACP inclut le rôle d’éducateur en santé du médecin, et implique la valorisation de
l’éducation avec un transfert de savoir du médecin au patient. La réceptivité à la sur/ou
désinformation cacophonique des différentes sources d’informations varie beaucoup d’un
patient à l’autre. C’est finalement le « colloque singulier » qui permet, très souvent dès la
première rencontre, de définir l’angle d’approche des notions de santé et de maladie du
patient qui dès lors devient le fil conducteur de l’action de soin du médecin. L’EvidenceBased-Medicine considérée par certains comme seule source et modèle médical fiables pour
la prise en charge d’un patient subit quelques critiques de la part de divers médias. En effet,
si quelques les découvertes scientifiques font beaucoup de bruit, créent une certaine
effervescence médicale (tant du côté des médecins que des patients) et font l’unanimité,
d’autres sont contestées à distance par des contre-études dont la diffusion est beaucoup
plus discrète et quelque fois ignorées du grand public qui continue de fonder son jugement
sur une idée fausse ou mal interprétée. « Les distorsions du discours de la biologie dans les
médias peuvent donc entraîner des décisions individuelles et collectives inadaptées » (89).
Comme me l’a souligné Michel Roland, l’approche centrée sur le patient n’implique pas
uniquement le système relationnel mais fait intervenir également la structure-même dans
laquelle se déroulent les soins, avec par exemple aux Etats-Unis le concept de « maisons
médicales (« patient-centered medical home » ou PCMH) animées par le médecin autour
duquel se construit une équipe intégrée pour la prise en charge des patients, ce qui la
différencie de la maison de santé française dans laquelle l’exercice est simplement
coordonné », ou encore en Belgique, pays qui compte actuellement 130 maisons médicales,
la première ayant été construite en 1972. « Il s’agit de structures d’initiative privée, mais
actuellement reconnues et agréées par les pouvoirs publics, comme structures autogérées,
non hiérarchisées, et collaborant étroitement avec des comités de patients. Le souci initial
d’intégrer organiquement des patients dans les structures décisionnelles n’a jamais abouti, et
44
c’est sans doute là un des grands échecs de ces expériences. » Initialement, les PCMH
regroupaient des soins pédiatriques vers la fin des années 1960, avant de se développer en
médecine générale suite à des réformes sur les soins de santé et la protection des patients,
permettant à la fois d’améliorer les résultats en termes de satisfaction des patients et de
réduire les coûts de santé (90).
En France, la volonté des pouvoirs publics de faire participer les citoyens au système de
santé et de les associer aux prises de décision a abouti à la notion de « démocratie
sanitaire ». Celle-ci a émergé lors des Etats Généraux du cancer et de la santé de 1998 et
1999. Différentes lois ont recentré le citoyen reconnu pour ses droits individuels et collectifs
dans le système de soins en tant qu’acteur incontournable. Les lois du 2 janvier 2002 portant
rénovation de l’action sociale et médico-sociale et du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé placent l’usager au cœur de l’organisation
sanitaire. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la
santé et aux territoires (HPST), les outils de la démocratie sanitaire sont renforcés et précisés
et de nouvelles instances sont mises en place, notamment les Conférences de Territoire et la
Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie (CRSA).
Si l’ACP semble l’idéal de la médecine générale, d’autres disciplines ont recours à la
médecine personnalisée, notamment la cancérologie. La médecine personnalisée consiste à
« traiter chaque patient de façon individualisée en fonction des spécificités génétiques et
biologiques de sa tumeur mais également en tenant compte de l’environnement du patient,
de son mode de vie, etc. » (91). Or les thérapies ciblées, le séquençage du génome à haut
débit, l’utilisation des biomarqueurs entres autres, techniques révolutionnaires en médecine
hospitalière moderne laissent peu de place à la singularité du patient et relèvent surtout du
biomédical. De plus, si l’ACP prétend diminuer les coûts médicaux en limitant le nomadisme
médical, la médecine personnalisée en revanche est source de dépenses pharaoniques. Mais
l’ACP et les thérapies ciblées ne sont pas incompatibles. L’une n’est pas réservée
exclusivement à la médecine générale et l’ACP peut succéder à la médecine personnalisée
notamment lors d’une orientation vers une prise en charge palliative.
45
CONCLUSION
Notre préoccupation d’être de « bons » médecins est à son paroxysme. Des chercheurs dans
le domaine de la santé ont longtemps manifesté un intérêt pour le rôle des médecins et leur
évolution au fil du temps, depuis l’image parsonienne du médecin paternaliste qui pratiquait
dans l’intérêt du patient et de la société, à celle d’aujourd’hui, du médecin vu en tant que
partenaire, expert et faisant partie d’une équipe.
L’approche centrée sur le patient est probablement un idéal médical qui place le patient au
centre de la relation de soins. Toutes les évolutions, qu’elles soient médicales, sociétales,
éthiques, philosophiques ou juridiques et les programmes de formation des étudiants nous
ont montré que cette façon de pratiquer la médecine n’était ni évidente, ni consensuelle
dans le corps professionnel.
Le concept d’approche de soins centrés sur le patient, né de la psychologie humaniste de
Carl Rogers dans les années 1930 aux Etats-Unis avec une notion plus large d’approche de
soins centrés sur la personne, a ensuite évolué en Angleterre grâce à l’apport de Michael
Balint et de son épouse, à partir des années 1950, avec une année phare 1969 où le terme
d’approche centrée sur le patient apparaît dans les sciences psychanalytiques en s’appuyant
sur l’étude des modes de relation entre médecins et patients. L’intérêt porté au statut social
et au mode de vie du patient a permis l’émergence du concept biopsychosocial grâce à Engel
en 1977. L’entrée en médecine générale de l’approche de soins centrés sur le patient a eu
lieu plus tard, dans les années 1980 grâce au médecin généraliste sud-africain J. Levenstein
et de son équipe de médecins canadiens dans une période d’émancipation du patient et de
prise d’autonomie. Ainsi, le cadre paternaliste du médecin a laissé place peu à peu à une
mise en avant du patient en tant que sujet autonome acteur de ses soins.
L’évolution des maladies chroniques, la relativisation des pratiques anatomo-cliniques et
l’intérêt de plus en plus marqué pour le statut social du patient et son mode de vie ont
également eu un rôle crucial dans l’émergence de cette approche. C’est finalement l’intérêt
des auteurs portés aux relations médecins patients dans une société évolutive, qui a favorisé
son essor en médecine générale. Cette philosophie de soins fait consensus actuellement,
mais reste discutée, notamment en ce qui concerne le partage des risques, et ouvre sur une
dimension plus collective de la gestion de la santé avec la notion de démocratie sanitaire.
Beaucoup d’investissements restent à faire pour faire vivre et perdurer un tel concept,
notamment dans son apprentissage aux étudiants.
Ce travail n’est pas clos, et ouvre sur la thèse d’un autre médecin généraliste, Alexis
Drougard, qui réalise une revue de la littérature sur l’utilisation actuelle du concept en
médecine générale.
46
Chronologie de l’apparition du concept de soins centrés sur le patient :
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BELLIOT Laurène
ÉMERGENCE ET ÉVOLUTION DU CONCEPT DE SOINS CENTRÉS SUR LE PATIENT :
ENQUÊTE DOCUMENTAIRE
RÉSUMÉ
Le concept de soins centrés sur le patient est reconnu actuellement sur le plan international
comme une compétence en médecine générale. Un long chemin a été nécessaire aux
médecins et aux patients pour l’accepter et l’utiliser au quotidien. Parce que cette
philosophie de soin n’est pas une évidence, il était intéressant de comprendre pourquoi,
dans quels contextes, et par quelle discipline est née l’approche de soins centrés sur le
patient jusqu’à son utilisation actuelle en médecine générale.
Pour ce faire, une méthode documentaire originale mais consensuelle, à la fois de
consultation de personnes ressources et de recherche bibliographique par mots clés de
proche en proche a été utilisée pour explorer un maximum de documents s’intéressant au
sujet.
L’approche centrée sur le patient est un idéal médical concernant les maladies chroniques
en médecine moderne. Tous les médecins et tous les patients ne sont pas prêts à cette
pratique qui prend du temps et qui nécessite une formation appropriée. Née de la
psychologie dans les années 1930, elle ne fait son apparition en médecine générale qu’en
1969 grâce au psychanalyste Michel Balint puis réellement par les médecins généralistes
américains et canadiens à partir de 1984. Actuellement la définition est universelle, mais
l’évaluation d’une telle approche reste difficile, touchant au subjectif de chaque patient. Elle
se distingue du concept émergeant de « médecine personnalisée » centrée sur les
caractéristiques biologiques et biographiques individuelles des patients.
Mots clés : approche centrée patient, relation médecin-patient, modèle biopsychosocial,
décision médicale partagée
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