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LA SOUVERAINETE DE L’ASSEMBLEE GENERALE
DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE
ANONYME
Ahmed OMRANE
Doyen de la Faculté de Droit
de Sfax
Le droit commercial et le droit constitutionnel sont a priori deux
disciplines juridiques que tout sépare et que rien ne rapproche. Le droit
commercial1 est un droit mercantile fondé sur la spéculation2. Le droit
constitutionnel, en revanche, est le droit qui régit le gouvernement de
l’Etat dépositaire de l’intérêt général. Et pourtant, les analogies sont
frappantes entre les deux disciplines juridiques. Partant d’une
constatation, devenue par la suite évidente, et selon laquelle « pour que
l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des
choses, le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu distinguait trois
pouvoirs autonomes, dont les fonctions sont nettement différenciées et
qui se contrebalancent et coopèrent au gouvernement des Etats, à savoir
le législatif qui vote la loi, l’exécutif qui veille à l’exécution des lois,
dispose pour ce faire de l’administration et peut édicter des mesures à
1 Le droit commercial est classiquement défini comme l’ensemble des règles de droit
privé applicables aux commerçants et aux actes de commerce. Cette définition fait
apparaître d’emblée l’une des ambiguïtés de la matière, tenant à la coexistence de
deux conceptions. Dans la conception subjective, le droit commercial est le droit
des commerçants : il s’agit d’un droit professionnel et dont l’application est
déclenchée par la qualité des personnes en cause. Dans la conception objective, le
droit commercial est le droit des actes de commerce, c'est-à-dire des opérations
commerciales : son application est conditionnée non pas par la profession de
l’intéressé mais par la nature de l’acte ou, plus largement, par la réunion de
certaines circonstances objectivement définies. D’une manière générale, on peut
définir le droit commercial comme étant une branche spéciale du droit privé qui
régit l’activité commerciale, c'est-à-dire le monde des échanges économiques.
2 Considérée par certains auteurs comme constituant le fondement même de la
commercialité (Lyon-Caen et Rénaud, Traité de droit commercial, Tome premier,
n° 103), la spéculation est l’opération qui consiste à profiter des fluctuations du
marché pour réaliser un bénéfice. L’article 2 du code de commerce en cite comme
exemples l’achat, la vente ou la location de biens quels qu’ils soient, les opérations
de change, les opération de banque et les opérations de bourse.
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caractère réglementaire, et le judiciaire chargé de l’administration de la
justice. Or, si ce modèle, qui a été repris par toutes les constitutions des
Etats qui se veulent démocratiques, visait dans l’esprit de Montesquieu,
les institutions publiques, il semble avoir influencé le droit des sociétés et
principalement l’organisation du pouvoir dans la société ou ce qu’il est
convenu d’appeler le gouvernement d’entreprise. C’est ainsi que la
société anonyme s’est progressivement orientée vers un mode qui
ressemble à un Etat notamment au niveau de son organisation.
L’exécutif est représenté par le directoire ou le conseil d’administration
et le président directeur général3, le juridictionnel est composé des
commissaires aux comptes institués dans le but de suppléer la défaillance
des actionnaires qui ne s’intéressent que de loin à la marche de la société
s’il n’existe pas dans la société anonyme un pouvoir juridictionnel
comme l’a envisagé Montesquieu pour l’Etat, il existe une institution
quasi-juridictionnelle qui est le commissaire aux comptes, et qui rappelle
la Cour des Comptes chargée de contrôler la régularité de la dépense
publique et de la commission consultative d’entreprise4 qui pourrait faire
3 Le code des sociétés commerciales renferme le choix entre trois formules
d’organisation des pouvoirs de direction pour les sociétés anonymes. Une formule
classique avec un conseil d’administration et un président directeur général, ou bien
un conseil d’administration et la possibilité de dissociation des fonctions de
président du conseil d’administration et celles de directeur général. Enfin, la
dernière innovation du législateur tunisien avec la formule de direction dualiste
avec un directoire et un conseil de surveillance.
4 L’article 157 du code du travail dispose qu’ « il est institué dans chaque entreprise
régie par les dispositions du présent code et employant au moins quarante
travailleurs permanents, une structure consultative dénommée « commission
consultative d’entreprise ».
L’article 158 du code du travail ajoute que « la commission consultative
d’entreprise est composée d’une façon paritaire de représentants de la direction de
l’entreprise dont le chef d’entreprise et de représentants des travailleurs élus par
ces derniers. La commission est présidée par le chef d’entreprise ou, en cas
d’empêchement, son représentant dûment mandaté ».
L’article 160 du code du travail précise que « la commission consultative
d’entreprise est consultée sur les questions suivantes :
a- l’organisation du travail dans l’entreprise en vue d’améliorer la production et
la productivité ;
b- les questions se rapportant aux œuvres sociales existantes dans l’entreprise au
profit des travailleurs et de leurs familles,
c- la promotion et le reclassement professionnel,
d- l’apprentissage et la formation professionnelle,
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figure de conseil économique et social. Le législatif est représenté par les
assemblées générales des actionnaires5 qui contrôlent l’action des
organes de gestion. Chaque organe a ses fonctions propres et influe sur
les décisions des autres.
En droit constitutionnel, cette branche juridique « dont l’objet est
l’étude des règles régissant l’organisation et l’exercice du pouvoir »6, le
concept de souveraineté fait l’objet d’usages multiples. La souveraineté
constitue l’élément caractéristique de l’Etat. Le vocable souverain peut
désigner soit le chef de l’Etat soit le peuple, et on parle aussi de la
souveraineté de la loi ou de la souveraineté du parlement7. Or, traitant la
question relative à la situation dans laquelle les pouvoirs ou les organes
de la société se trouvent placés les uns par rapport aux autres, la doctrine
commercialiste n’a pas hésité à parler de la souveraineté de l’assemblée
générale des actionnaires8 qui apparaît, au vu de la loi, comme « l’âme
e- la discipline et dans ce cas la commission s’érige en conseil de discipline et
applique la procédure fixée par les textes législatifs, réglementaires ou
conventionnels régissant l’entreprise ».
5 Il existe plusieurs sortes d’assemblées. En plus des assemblées constitutives qui
votent les statuts et nomment les premiers organes de la société, la loi distingue
trois catégories d’assemblées :
1- Les assemblées générales extraordinaires ont compétence pour modifier les
statuts.
2- Les assemblées générales ordinaires, assemblées de droit commun, prennent
toutes les décisions qui excèdent la gestion courante de la société sans pour
autant impliquer une modification des statuts (approuver les comptes de
l’exercice, statuer sur la répartition des bénéfices, nommer les administrateurs
et les commissaires aux comptes).
3- Les assemblées spéciales : Ce sont des assemblées extraordinaires réunissant
les titulaires d’actions d’une catégorie déterminée.
6 Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes
juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7,
spécialement n° 5.
7 Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes
juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7.
8 Au plan sémantique, le mot souveraineté n’a pas subi de mutation majeure depuis
son apparition vers la fin du treizième siècle. En tant que concept juridique, la
souveraineté a reçu plusieurs acceptions. La définition la plus classique est celle de
Jean Bodin pour lequel « la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle
d’une République » (Jean Bodin, Les six livres de la République, Livre premier,
Chapitre VIII, De la souveraineté…). Maurice Hauriou estime qu’il existe « une
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de la personne morale »9. La souveraineté de l’assemblée générale est
d’abord une souveraineté puissance apparaissant à travers l’importance
de ses attributions. En effet, si, comme l’affirme Paillusseau, « la
souveraineté consiste dans l’aptitude à détenir la plénitude des
compétences », c’est l’assemblée générale des actionnaires qui détient les
pouvoirs les plus importants dans la société. Elle détient ainsi la
puissance législative. Au même titre que l’Etat qui reste soumis au
respect de la législation et notamment aux dispositions constitutionnelles,
la société anonyme est également soumise à la même obligation. Tous les
actes accomplis par les organes de la société doivent être conformes aux
statuts. Or, ces statuts doivent être approuvés par l’assemblée générale
constitutive10, et peuvent être modifiés par l’assemblée générale
extraordinaire. A ce titre, celle-ci peut augmenter le capital social11 ou le
souveraineté de gouvernement, une souveraineté de sujétion (qui sera celle de la
nation) et une souveraineté de la chose publique » (Hauriou (M), La souveraineté
nationale, Recueil de législation de Toulouse, 1912, p. 96). Carré de Malberg a
identifié trois acceptions de la souveraineté. Dans son sens originaire, le mot
souveraineté désigne le caractère suprême de la puissance publique. Dans une
seconde acception, il désigne l’ensemble des pouvoirs compris dans la puissance de
l’Etat. Enfin, il sert à concrétiser la position qu’occupe dans l’Etat le titulaire
suprême de la puissance étatique et, ici, la souveraineté est identifiée avec la
puissance de l’organe (R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de
l’Etat, tome premier, p. 69 et s. La notion française de souveraineté. Paris, Sirey,
1920, Réimp. C.N.R.S. 1962 spécialement p. 79). Michel Troper a affiné la
troisième de ces acceptions et l’a analysée, elle-même, en trois moments : « la
qualité de l’organe qui n’a pas de supérieur parce qu’il exerce la puissance la plus
élevée, c’est-à-dire la puissance législative ou qu’il participe à cet exercice ; la
qualité de l’organe qui est au dessus de tous les autres, la qualité de l’être au nom
duquel l’organe qui n’a pas de supérieur exerce sa puissance ». On en déduit que
si l’on écarte les définitions spécifiques au souverain, au titulaire de la
souveraineté, pour ne retenir que celles relatives à la souveraineté elle-même, on
peut constater qu’il y’en a deux. La souveraineté désigne soit la qualité du pouvoir,
en d’autres termes la suprématie, soit le pouvoir lui-même, c'est-à-dire la puissance.
9 Thaller, note au D.P. 1883 -1- p. 108.
10 Article 172 du code des sociétés commerciales.
11 Articles 293 alinéa premier et 388 du code des sociétés commerciales. Remarquons
que si la société est soumise à une procédure de redressement judiciaire, l’article 39
de la loi n° 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en
difficultés économiques, tel que modifié par la loi n° 99-63 du 15 juillet 1999,
dispose que « l’administrateur judiciaire élabore le plan de redressement qui
comporte les moyens à mettre en œuvre pour le développement de l’entreprise y
compris, au besoin, le rééchelonnement de ses dettes, le taux de réduction du
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réduire12, changer la forme de la société13, décider, au cours de
l’existence de la société, du choix du mode d’administration fondé sur le
directoire et le conseil de surveillance ou sa suppression14, dissoudre la
société avant l’arrivée du terme15 ou lorsque les comptes ont révélé que
les fonds propres de la société sont devenus inférieurs à la moitié de son
capital en raison des pertes16, décider la scission des actions en certificats
d’investissement17 et en certificat de droit de vote18, décider que les
titulaires d’actions à dividende prioritaire sans droit de vote auront un
droit préférentiel à souscrire ou à recevoir des actions à dividende
prioritaire sans droit de vote qui seront émises dans la même
proportion19, décider la création d’actions à dividende prioritaire sans
droit de vote20, ou autoriser l’émission d’obligations convertibles en
actions21.
L’assemblée générale choisit aussi les principaux organes
sociaux. Partant du fait que le choix des personnes est l’une des
principales manifestations de la souveraineté, le législateur reconnaît à
l’assemblée générale des actionnaires le pouvoir de choisir les principaux
organes sociaux. Celle-ci désigne ainsi les commissaires aux comptes22,
et peut les révoquer avant l’expiration de la durée de leur mandat s’il est
établi qu’ils ont commis une faute grave dans l’exercice de leurs
fonctions23. Elle désigne et révoque aussi les membres du conseil
d’administration. Les premiers administrateurs sont nommés par
principal de ces dettes ou des intérêts y afférents. Il peut proposer le changement de
la forme juridique de l’entreprise ou l’augmentation de son capital ».
12 Articles 307 et 388 du code des sociétés commerciales.
13 Article 434 du code des sociétés commerciales.
14 Article 224 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
15 Article 387 alinéa 2 du code des sociétés commerciales.
16 Article 388 du code des sociétés commerciales.
17 Le certificat d’investissement représente les droits pécuniaires attachés à l’action. Il
est dit privilégié lorsqu’un dividende prioritaire lui est attaché.
18 Le certificat de droit de vote représente les autres droits attachés à l’action.
Article 375 du code des sociétés commerciales.
19 Article 366 alinéa 3 du code des sociétés commerciales.
20 Article 347 du code des sociétés commerciales.
21 Article 340 du code des sociétés commerciales.
22 Article 260 alinéa premier du code des sociétés commerciales.
23 Article 260 alinéa 2 du code des sociétés commerciales.
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