Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention : expérience et appréciation d’un médecin de santé publique Jean Martin * * Le Dr Jean Martin est médecin cantonal du Canton de Vaud, Suisse, et Privat-docent et agrégé à la Faculté de Médecine de l’Université de Lausanne. Jean Martin, “ Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention : expérience et appréciation d’un médecin de santé publique ”, RILS, 49, 1 : 177-202. [N° spécial La législation sanitaire à l’aube du XXIe siècle, Genève, OMS, 1998, XVII-289 p.] Remerciements – Ce document est mis en ligne avec l’aimable autorisation de l’OMS et de Madame Geneviève Pinet, Chef du Service de Législation sanitaire. ****** La prévention : besoins et potentiel — Itinéraire personnel Après des études et des stages cliniques en Suisse, j’ai découvert la médecine des pays 1 défavorisés . J’ai vu que la limitation des moyens exerce une forte pression sur ce que l’on peut faire et ce qu’il faut faire et ai compris l’importance déterminante de l’environnement dans ses dimensions tant physiques que biologiques, socioculturelles, politiques ou économiques. Marqué par une impression de “tonneau des Danaïdes” devant des situations pathologiques, souvent avancées et se manifestant de manière itérative, on réalise le besoin d’agir au niveau collectif d’une part (perspective de santé publique) et de façon préventive d’autre part, à l’endroit de problèmes qui semblent relativement simples quant à leurs causes et aux moyens d’y remédier. Même si l’expérience montre que des solutions rationnelles à nos yeux ne sont pas aisément acceptées ou comprises par ceux qui ont d’autres cadres de référence, il reste que la prévention, notamment par l’assainissement, la fourniture d’eau potable, les vaccinations, l’amélioration de la nutrition, l’éducation pour la santé et la planification familiale, est un champ prioritaire pour les raisons suivantes : elle est porteuse de progrès sensibles et idéalement rapides ; son coût est généralement modeste, alors que la prise en charge thérapeutique des situations graves, voire dépassées, est onéreuse, y compris pour les patients et leurs proches ; son côté pédagogique est attrayant et constructif et l’objectif d’autonomisation des personnes dans la gestion de leur vie et de leur santé est particulièrement pertinent. Après avoir travaillé dans un hôpital de brousse de l’Amazonie péruvienne de 1968 à 1970, une année passée dans une école de santé publique aux États-Unis m’a permis de prendre du recul par rapport à cette expérience de terrain et de mieux saisir les complexités des attitudes et pratiques. J’ai compris qu’aucun comportement, aussi irrationnel et nuisible soit-il, n’est dénué de sens ; il a toujours une raison d’être et répond à un besoin ou à une règle. La problématique des motifs et des circonstances qui font que “l’autre” peut se méfier de nous a donné lieu à des débats. Il faut être attentif aux enjeux éthiques de la volonté de faire le bien des gens contre leur gré (ou de vouloir la santé des gens malgré eux) et garder un recul critique. Cependant, les modalités d’action proposées par la médecine et la santé publique sont prometteuses. Les bénéfices attendus sembleraient parfois excuser que l’on “insiste” auprès des populations intéressées. Deux exemples : devant les morts nombreuses, “stupides” pourrait-on dire, dues au 1 Martin J., Médecin cantonal : pourquoi, comment, pour quoi. In : Pour la santé publique. Lausanne, Éditions Réalités sociale, 1987, p. 231 à 238 Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 2 tétanos du nouveau-né, on ne peut qu’être perturbé et se dire qu’une prise en charge même un peu autoritaire et des mesures préventives prises “d’office” seraient une bonne chose au vu de la simplicité des techniques de prévention (vaccination antitétanique de la femme enceinte ; section hygiénique et pansement propre du cordon ombilical). Devant l’épuisement physiologique de mères vivant, sans maîtrise sur leur propre vie personnelle et sexuelle, des grossesses répétées et devant la mortalité élevée de leurs enfants, la volonté d’améliorer la situation fait songer à des programmes incitatifs d’espacement et de prévention des naissances afin d’éviter ces drames et ces dommages. Il y a là des questions éthiques d’importance, étant entendu que les droits des personnes doivent être respectés. Revenus en Suisse en 1976, j’ai collaboré à de multiples activités relevant de la prévention, notamment dans le domaine de la santé scolaire avec la formation depuis le milieu des années 80, dans le Canton de Vaud, des animateurs de santé (enseignants chargés d’encourager et de mener des activités d’éducation sanitaire et la mise en œuvre d’équipes interdisciplinaires de santé dans 2 les écoles . Depuis trois décennies, nous devons faire face aux problèmes liés à l’usage de drogues illicites et à la toxicomanie, lesquels posent des questions complexes (bien plus complexes que ne le disent certaines argumentations simplistes empreintes d’idéologie) et dont tous s’accordent à admettre que les causes sont multifactorielles et relativement non spécifiques, à mettre en rapport avec le contexte de vie dans l’enfance et l’adolescence et avec les perturbations et traumatismes qui peuvent marquer ces périodes. Il est illusoire d’espérer une prévention efficace par la simple description rationnelle des effets nuisibles des drogues et ce d’autant moins si on se laisse aller à une “diabolisation” des produits tendant à faire croire qu’ils sont tout le problème, ce qui est incomplet et incorrect mais n’enlève rien au fait que les substances à effets psychotropes, licites ou illicites, représentent de graves préoccupations de santé et qu’il faut lutter contre ces usages. Après 1981, il y a eu la constellation des questions liées au sida, qui a d’abord constitué une énigme médicale à propos de quelques cas isolés, puis est réellement venu à l’ordre du jour des pouvoirs publics vers 1985, quand on a réalisé que, physiquement, psychologiquement ou socialement, l’infection à VIH était l’affaire de tous et de chacun. La prévention y est particulièrement cruciale puisque nous ne disposons toujours pas d’un vaccin ou de traitements curatifs. La prévention : au nom de quelles valeurs ? Les observations scientifiques et pratiques ont permis de mieux déterminer les enjeux et risques liés à la prévention et les justes milieux à trouver. On s’est distancé des démarches autoritaires jugées légitimes, voire indispensables, il y a peu encore. Le tableau 1 en annexe présente les valeurs principales qui peuvent fonder une démarche préventive (colonne de gauche), assorties de la justification y relative (colonne du milieu) et des risques de déséquilibre ou dérapage (colonne de droite). Plusieurs remarques sont indiquées. Ainsi, en ce qui concerne la santé de la famille, notamment les mauvais traitements, l’arbitrage est difficile entre la retenue (traditionnelle : ainsi, le pater familias romain a droit de vie et de mort comme il l’entend (“ charbonnier est maître chez soi ”) et les situations pitoyables illustrant que mieux eût valu en temps opportun “ se mêler de ce qui ne nous regarde pas ”. Cela demande quotidiennement des décisions ardues. La Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (1986) Adoptée en novembre 1986 dans le cadre d’une conférence coparrainée par l’OMS, Santé et Bien-être social, Canada (le ministère canadien de la santé et du bien-être social) et l’Association 2 Fontana E. & Nicod P.A. Prévention et santé dans les écoles vaudoises. Lausanne, Éditions Réalités sociales, 1996. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 3 3 canadienne de Santé publique, la Charte d’Ottawa constitue une référence importante pour ceux qui, dans le monde, se préoccupent de promotion et de prévention. Elle illustre une approche moderne, soulignant l’importance de l’environnement (milieu de vie) dans ses divers aspects, ainsi que les rôles respectifs des pouvoirs publics, de la collectivité, des professionnels de la santé et des services de santé. Il convient d’en mentionner les extraits suivants : “ La promotion de la santé exige, en fait, l’action coordonnée de tous les intéressés : gouvernements, secteur de la santé et autres secteurs sociaux et économiques, organisations non gouvernementales et bénévoles, autorités locales, industries et médias. Quel que soit leur milieu, les gens sont amenés à intervenir, en tant qu’individus, ou à titre de membres d’une famille ou d’une communauté. Les groupes professionnels et sociaux, tout comme les personnels de santé, sont, quant à eux, particulièrement responsables de la médiation entre les intérêts divergents qui se manifestent dans la société à l’égard de la santé. […] La promotion de la santé va bien au-delà des simples soins de santé. Elle inscrit la santé à l’ordre du jour des responsables politiques de tous les secteurs et à tous les niveaux, en les incitant à prendre conscience des conséquences de leurs décisions sur la santé et en les amenant à admettre leur responsabilité à cet égard. La politique de promotion de la santé associe des approches différentes, mais complémentaires ; mesures législatives, financières et fiscales et changements organisationnels, notamment. […] Par-delà son mandat qui consiste à offrir des services cliniques et curatifs, le secteur de la santé doit s’orienter de plus en plus dans le sens de la promotion de la santé. […] Les participants à la Conférence s’engagent : • à se lancer dans le combat afin de promouvoir des politiques pour la santé et à plaider en faveur d’un engagement politique clair en faveur de la santé et de l’équité dans tous les secteurs ; • à lutter contre les pressions exercées en faveur de produits dangereux, de la déplétion des ressources, de conditions et de cadres de vie malsains et d’une alimentation déséquilibrée ; à appeler également l’attention sur les questions de santé publique, par exemple, par la pollution, les dangers d’ordre professionnel, l’habitat et les peuplements ; • à combler les écarts de niveau de santé dans les sociétés et à lutter contre les inégalités dues aux règles et aux pratiques de ces sociétés ; • à reconnaître que les individus constituent la principale ressource de santé, ainsi que les soutenir et à leur donner les moyens de demeurer en bonne santé, ainsi que leurs familles et leurs amis, par des moyens financiers et autres, et à accepter la communauté comme principal porte-parole en matière de santé, de conditions de vie et de bien-être ; • à réorienter les services de santé et leurs ressources au profit de la promotion de la santé ; à partager leur pouvoir avec d’autres secteurs, d’autres disciplines et, plus important encore, avec la population elle-même ; • à reconnaître que la santé et son maintien constituent un investissement social et un défi majeur ; et à traiter le problème général que posent les modes de vie sur le plan de l’écologie ”. En rapport avec cette charte, il est approprié de donner encore une notation historique : À propos du droit à la santé, à un moment où ce concept n’était pas encore d’usage courant, Sigerist, historien de la médecine, suggère en 1941 qu’un élément essentiel manquait dans l’optique quelque peu dirigiste adoptée par les partisans des mouvements de santé publique au XVIIIe siècle, à savoir le désir conscient de chacun d’une amélioration de sa santé, ce qui était alors un but purement et simplement inaccessible. Ce n’est que plus d’un siècle plus tard que cette notion a été incorporée par l’OMS en 1981 dans la Stratégie mondiale de la santé pour tous 4 d’ici l’an 2000 dans les termes suivants : “ Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui 3 Organisation mondiale de la Santé. Promotion Santé — Charte d’Ottawa, Division de la Promotion de la Santé, de l’Éducation et de la Communication pour la Santé, Unité de l’Éducation sanitaire et de la Promotion de la Santé. Genève, OMS, Document WHO/HPR/HEP95.1. 4 Organisation Mondiale de la Santé. Stratégie mondiale de la santé pour tous d’ici l’an 2000. Genève, OMS, 1981, p. 33. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 4 lui sont destinés. La participation de la collectivité à la construction de son propre avenir aussi bien dans le domaine de la santé que dans le domaine socio-économique, et notamment la participation massive des femmes, des hommes et des jeunes, est donc un facteur clef dans la 5 stratégie ” . Prévention et législation : bases pertinentes Comme dans les autres domaines de l’action sanitaire et sociale, la législation a un rôle important à jouer en matière de prévention et de promotion de la santé. À cet égard, il convient de bien percevoir les différents stades et modalités d’action de la prévention (dans la suite du texte, “prévention” s’entend en général de la prévention et de la promotion de la santé) afin d’analyser dans chaque cas si une législation est souhaitable et de quel type elle doit être. Il y a lieu également d’étudier à quel niveau l’action législative est la plus pertinente, en particulier dans un système politique décentralisé. Dans certains cas, des dispositions normatives prises au sommet sont nécessaires, dans d’autres, un texte-cadre permettant une adaptation souple en fonction des caractéristiques locales est préférable. L’un des éléments essentiels à prendre en considération est que la plupart des troubles de santé ont des causes multiples (“étiologie multifactorielle”), au niveau de la personne, de la famille et de la collectivité. La question fondamentale est souvent de savoir si l’amélioration de la situation requiert une réglementation dans le domaine de la santé ou s’il s’agit plutôt de promouvoir une législation dans d’autres domaines de la vie socioéconomique. On peut rappeler la formule percutante suivante : “ Nous avons besoin non tant d’une politique de santé publique que d’une politique publique saine ”. Différents stades de la prévention Une action préventive peut être primaire (par l’élimination a priori des facteurs constituant une source de maladie ou d’accident, ce qui nécessite évidemment de connaître les causes ou facteurs du problème), secondaire (dans le but de dépister l’affection à un stade précoce symptomatique, avec la condition que le traitement précoce soit plus efficace et si possible plus aisé qu’à une phase plus avancée) ou tertiaire (à savoir la réadaptation dans le but de réduire au minimum les séquelles d’une maladie ou d’un accident (cet aspect de la prévention ne sera pas traité ici)). Différentes modalités Il est essentiel d’avoir conscience que, pour un problème donné et à un stade donné, on peut généralement envisager un éventail de possibilité plus ou moins autoritaire (normatives), où le rôle de la législation et des pouvoirs publics sera plus ou moins grand, et plus ou moins actives pour l’individu ou le groupe, où leurs propres facultés de compréhension et de choix seront plus ou moins sollicitées. On ne peut pas dire pour autant que les modalités dites actives soient forcément toujours meilleures. Dans certains cas, les mesures normatives (appelées aussi “passives”, du point de vue de l’individu) sont très appropriées, efficaces et économiques, telles les vaccinations, l’iodation et la fluoration du sel ou de l’eau ou l’interdiction de mettre dans le commerce des produits usuels dangereux. Dans d’autres cas, notamment ceux qui sont en rapport avec des consommations ou d’autres comportements “d’agrément”, l’accent doit être mis sur les actions des registres informatif, éducatif et persuasif qui tiennent adéquatement compte de la liberté fondamentale des individus. Les difficultés de la prévention On peut s’étonner de ce que la prévention, dans certains domaines, ne rencontre pas une adhésion concrète plus vigoureuse de la part de la population ou des décideurs, mais ceci s’explique par les raisons suivantes : en matière préventive, il n’est souvent pas possible de donner 5 Fluss S.S. International public health law : an overview. In : Detels R et al., réd. Oxford Textbook of Public Health. 3e édition, Oxford et New York, Oxford University Press, 1997, vol. 1, p. 371 à 390 (376 et 377). Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 5 des assurances catégoriques quant à la protection obtenue ; les effets positifs de la prévention s’observent à long terme, ses conséquences favorables étant peu évidentes au premier abord ; l’étiologie multifactorielle de la plupart des maladies rend nécessaire une action intersectorielle et multisectorielle, ce qui n’est pas chose aisée même pour un décideur qui doit convaincre un ou plusieurs de ses collègues d’agir également dans leurs propres domaines. Place de la législation dans différentes situations Protection de la santé Les mesures envisagées sous ce terme ressortissent à la prévention primaire que nous appelons “passive”. Il s’agit surtout de protéger les individus contre les risques sur lesquels ils ne peuvent avoir qu’une influence limitée et qu’ils ne peuvent maîtriser par eux-mêmes. Ainsi, 6 l’article 29 de la Loi du 29 mai 1985 sur la santé publique du Canton de Vaud dit : “ L’État prend ou encourage les mesures de prévention propres à maintenir et à améliorer la santé de la population. Il le fait en particulier lorsque l’individu, la famille ou la commune ne peuvent agir eux-mêmes avec efficacité ”. Cela touche aux problèmes de l’aménagement de l’environnement vital d’une manière très générale, à savoir : la pollution physique et chimique, y compris la radioactivité et le bruit ; l’urbanisme et le maintien des espaces naturels ; les aspects environnementaux de la prévention des accidents ; le contrôle de la production industrielle (s’entendant tant des modalités de production que de la qualité et de l’innocuité de ce qui est produit) ; la législation réglementant la fabrication de produits dont l’usage est potentiellement néfaste, ainsi que la publicité et les modes de commercialisation y relatifs (y compris la taxation) ; les mesures classiques du type hygiène collective, assainissement, qualité des logements, vaccination et contrôle de la qualité de l’eau et des denrées alimentaires. L’action gouvernementale, notamment par la voie législative, est spécialement appropriée dans ce domaine. De plus, elle peut souvent s’exercer de manière relativement centralisée. Prévention primaire active (Promotion de la santé) Il s’agit de toutes les mesures d’encouragement à modifier les attitudes défavorables à la santé et à adopter des comportements plus sains. Cela vaut pour la façon de s’alimenter, la consommation de diverses substances, l’exercice physique, la sexualité et la conduite dans la circulation automobile. Les professionnels de la santé, puis les hommes politiques (parmi les 7 8 9 10 documents précurseurs à cet égard, voir références / / / ) ont pris conscience que, particulièrement dans les pays industrialisés, des progrès supplémentaires concernant l’état de santé de la collectivité devraient passer par de telles transformations des habitudes. On peut s’interroger ici sur le rôle de la législation. S’agissant de décisions que chacun fait journellement sur sa façon de vivre et qui ne se décrètent pas, il est difficile de légiférer directement. Aussi néfaste que soient centaines pratiques usuelles de nos contemporains, le principe de la liberté de détermination individuelle doit être préservé. Néanmoins, des actes gouvernementaux peuvent très utilement contribuer à un progrès, par les prises de position des autorités sur une politique globale de prévention ou des thèmes particuliers et par l’allocation des moyens nécessaires, dans le secteur public ou par subvention d’initiatives privées. 6 Voir Recueil international de Législation sanitaire (R.I.L.S.), 36(4) :1007-1015 (1985). Lalonde M. Nouvelle perspective de la santé des Canadiens. Ottawa, Ministère de la Santé et du Bien-Etre social, 1974. 8 Département of Health and social Security (royaume Uni). Prevention and Health : Everybody’s business. Londres, H.M. Stationery Office, 1976 9 U.S. Department of Health. Healthy People — The surgeon General’s Report on Health Promotion and Disease Preention. 2 volumes. Washington, DC, U.S. Government Printing Office, 1979, DHEW (PHS) publications, n°s 79-55071 et 79-55071-A. 10 Ministère de la Santé (France). Propositions pour une politique de prévention. Rapport du Ministre de la Santé. Paris, la Documentation française, 1982. 7 Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 6 Prévention secondaire Certaines modalités de dépistage précoce sont de type actif, telle l’autopalpation des seins dans la détection du cancer. On peut y assimiler les contrôles périodiques de la tension artérielle ou le dépistage de glucose dans l’urine, quand ils sont effectués en milieu non médical. Des activités de ce type sont entreprises en particulier par des groupements d’auto-assistance. Comme dans le ces de la prévention primaire, la place de la législation paraît ici modérée. Il pourra s’agir surtout de législation en matière de mise en œuvre et de financement. Quant aux modalités de type passif, elles comprennent les examens de dépistage faits par les professionnels de la santé, ainsi que, le cas échéant, des mesures imposées. La législation peut apporter une contribution en prévoyant la prise en charge par les assurances maladie du coût des prestations ou en créant des services. La place d’une législation introduisant d’éventuelles obligations est en rapport avec des groupes à risque particuliers, par exemple dans le domaine des maladies transmissibles (tuberculose), dans la médecine du travail et dans quelques autres cas (tels l’obtention ou le maintien du bénéfice du permis de conduire). Le tableau 2, repris du rapport sur le Séminaire de législation sanitaire tenu à Montpellier en 11 1986 , présente de manière schématique, pour différents types de préoccupations, les places respectives d’une législation normative (contraignante) et d’une législation habilitante. L’interface prévention/liberté Traitant de législation et prévention, il est important d’aborder ce sujet (qui a reçu beaucoup d’attention en Suisse, en 1980, à propos d’un vote (référendum) sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité). La question doit être discutée de deux points de vue au moins, celui de la liberté de l’économie et celui de la liberté individuelle. Par rapport à la liberté du commerce et de l’industrie, on veut éviter que la santé soit mise en danger par des substances, des appareils ou des véhicules dangereux. Il n’y a pas lieu de cacher que des mesures à visées préventives peuvent aller à l’encontre d’intérêts économiques. Il y aura place pour la négociation, mais il reste qu’on cherchera à apporter des modifications au produit, au mode de production et à la promotion commerciale dont le produit est l’objet, ce qui n’ira pas sans difficultés. Il n’est que d’évoquer les obstacles rencontrés pour réglementer la vente des armes à feu aux États-Unis d’Amérique et les appuis politiques dont bénéficient la culture et le commerce du tabac dans différents pays, y compris par le canal des régies nationales. Pour ce qui est de la liberté individuelle, on peut penser que la prise de risque devrait rester un endroit plus ou moins inaliénable, mais on est vite amené à envisager des situations limites où non seulement l’individu ne doit pas représenter un risque pour son prochain, mais où il est extrêmement souhaitable qu’il ne puisse exagérément mettre sa propre santé ou vie en danger, cela compte tenu notamment des frais potentiels en cause, hospitaliers et sociaux, dont une large part est supportée par les deniers publics, même dans les pays à régime libéral. Soulignons que l’argument de la liberté individuelle ne saurait être utilisé uniquement contre les avocats d’une prévention plus rigoureuse. Il faut en effet aussi parler de la liberté de refuser : si on n’a pas le droit de forcer les gens à adopter des comportements sains, il conviendrait également qu’il n’y ait pas de pressions excessives dans l’autre sens, profitant indûment, par une information et une publicité partiales, de la crédulité du public. À propos de tabagisme, un progrès a été accompli par l’accent mis sur les droits des nonfumeurs. On a en effet “découvert” que le droit du non-fumeur de ne pas être soumis aux effets néfastes du tabac était au moins aussi grand que celui du fumeur d’enfumer son entourage. À noter cependant que certains “fumeurs passifs” ne peuvent faire valoir leurs droits. On pense en particulier aux fœtus que portent des femmes fumeuses et dont l’état de santé à la naissance sera nettement moins bon que celui des nouveau-nés de femmes qui ne fument pas. Par la suite, les 11 Organisation Mondiale de la Santé. Second séminaire international OMS en législation sanitaire (Montpellier, 25 août - 5 septembre 1986). Copenhague, Bureau régional de l’Europe, 1987, Document ICP/HLM 118. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 7 enfants qui doivent vivre dans une atmosphère tabagique souffriront plus et plus souvent que d’autres de diverses affections et allergies, respiratoires en particulier. Les droits de ces enfants à un environnement sain ne peuvent être négligés. Il est bon de rappeler que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Au terme de cette section, nous donnons deux illustrations en rapport avec l’interface prévention/liberté, l’une qui résonne aujourd’hui de manière très, voire trop, autoritaire, l’autre où le Tribunal fédéral, Cour suprême suisse, a admis la légitimité de mesures préventives d’office en milieu scolaire : 12 — Rédigeant la conclusion d’un livre sur l’histoire de la prévention , nous avons été frappé par l’attention limitée que le Dr Charlotte Olivier, pionnière éminente de la lutte contre la tuberculose en Suisse, portait à ce qu’on appelle aujourd’hui les droits de l’homme. Elle écrivait en 1917 : “ L’expérience d’un siècle a démontré que dès qu’il s’agit de santé publique, surtout de la santé de l’enfant, rien n’est plus funeste que la liberté. Seule la contrainte assure la salubrité publique ” ; et plus loin : “ Dans l’économie d’un État, l’enfant est un membre trop précieux pour que nous puissions continuer à abandonner entièrement aux parents son développement 13 physique ” . Pour le moins, on n’avait pas à l’époque les sensibilités actuelles ! — Le Tribunal fédéral suisse a récemment précisé la notion de santé en tant qu’intérêt public justifiant une limitation des libertés individuelles. Appelé à se prononcer sur la compatibilité de la Loi du Canton de Fribourg du 27 septembre 1990 sur la prophylaxie et les soins dentaires scolaires avec la liberté personnelle, le Tribunal fédéral a considéré que “ Les mesures étatiques de lutte contre les maladies ont comme but d’intérêt public l’amélioration de la santé des citoyens (“ santé publique ”). L’art. 8 paragraphe 2 CEDH [Convention européenne des droits de l’homme] réserve d’ailleurs expressément les mesures qui poursuivent ce but. Il s’agit de protéger le plus grand nombre de gens — si possible l’ensemble de la population — d’atteintes à la santé physique et psychique, et même parfois d’empêcher une personne de porter elle-même atteinte à sa propre santé ; ces mesures tendent ainsi à améliorer l’état de santé moyen de la population […] ”. Il est frappant de constater la difficulté rencontrée par le Tribunal fédéral pour tracer une limite entre intérêt public et intérêt privé dans le domaine de la santé. Premièrement, les mesures de santé publique s’avèrent aussi favorables à la santé individuelle. Une campagne de vaccination empêche la propagation de la maladie et protège aussi directement les personnes vaccinées. Deuxièmement, de telles mesures, si elles sont efficaces, permettent de prévenir une 14 explosion des coûts, ce qui est finalement dans l’intérêt de chacun ” . Promotion et cure : des contextes et des impératifs différents Ainsi qu’on vient de l’évoquer, promotion de la santé ne signifie pas “ embrigadement sanitaire ” et ne doit pas le devenir. Quoique médecin de santé publique, nous sommes conscient qu’une société qui ferait systématiquement de la santé sa première priorité (avant, par exemple, les droits fondamentaux de la personne) ne serait pas une communauté saine : une société du “ tout sanitaire ” peut devenir totalitaire. Une action de promotion implique donc que l’on reste attentif 15 16 17 18 à l’autonomie de sont interlocuteur / / . Dans ce sens, le tableau 3 rappelle les circonstances différentes de la relation thérapeutique, d’une part, et du conseil motivant, d’autre part. 12 Gotraux-Biancardi E. Air pur, eau claire, préservatif — une histoire comparée de la prévention. Lausanne, Éditions d’en bas, 1992. 13 Voir supra réf. 12, p. 75. 14 Guillod O. & Sprumont D. Le droit à la santé : un droit en émerge. In : De la constitution (en l’honneur de J.F. Aubert). Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 337 à 353 (341). 15 Bouvier P., Doucet H., Jeanneret O., Raymond L. & Strasser T. Aspects éthiques du dépistage : réflexions à partir de l’exemple du cancer du sein. Cahier médico-sociaux, 38(1) :1-118 (1994). 16 Doxiadis S. réd. Ethical Dilemmas in Health Promotion. Chichester, John Wiley & Sons, 1987. 17 Martin J. Engagement pour la prévention : l’importance d’un équilibre éthique entre des valeurs parfois contradictoires. Cahiers médico-sociaux, 40(3 & 4) : 237-246 (1996). 18 Martin J. nouveaux champs de la médecine — la promotion de la santé. In : médecine pour la médecine ou médecine pour la santé. Lausanne , Éditions Réalités sociales, 1996, p. 75 à 96. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 8 Dans leur résumé des notions principales d’éthique dans le domaine de la santé, Bouvier et ses collègues rappellent l’existence d e deux grandes orientations, l’une utilitariste/conséquentialiste, l’autre déontologique. Les approches déontologiques tendent à privilégier les obligations morales envers l’individu par rapport à l’intérêt de la communauté. L’un des défis du futur en matière de prévention est de rechercher obstinément des convergences meilleures qu’aujourd’hui entre ceux qui traitent des patients individuels, tous distincts et spécifiques, et ceux dont le mandat est plus de l’intéresser au “patient-collectivité”, à savoir la communauté considérée comme un patient. À l’égard de ce dernier, les responsables de santé publique ont également le devoir d’assurer que les ressources sont utilisées d’une manière correspondant aux priorités sanitaires dans la population et en fonction de critères d’efficacité et d’efficience (et non, par exemple, selon la proximité géographique ou sociale — ou le poids politique — des patients). Relevons ici un problème qui se pose souvent dans de nombreux endroits en matière d’initiatives préventives : ce sont souvent les catégories sociales les plus aisées qui profitent surtout des programmes offerts. Cela ne résulte pas forcément d’un propos délibéré, mais le fait que les professionnels qui conçoivent et mènent ces programmes appartiennent eux-mêmes à la classe moyenne joue un rôle dans la difficulté à atteindre d’autres catégories sociales. Cela étant, on devrait examiner de manière critique les décisions de financement, en fonction non seulement des qualités scientifiques ou techniques des programmes, mais aussi de leur capacité probable à obtenir l’adhésion et la participation de membres de groupes défavorisés ou marginaux. Ceci correspond à la notion de “discrimination positive” de l’OMS : ceux dont les besoins sont plus importants doivent avoir accès à plus de prestations. C’est la question de l’équité par rapport à l’égalité. Il convient donc d’insister sur le fait que, s’il y a une éthique de la manière dont les soins doivent être fournis à une personne souffrante, il y a aussi une éthique, à l’égard du patientcollectivité, de l’usage approprié (défendable) des moyens disponibles. Nous sommes condamnés à faire coïncider l’une et l’autre de la façon la plus satisfaisante possible. Médecine préventive et prédictive : des risques de discrimination À mesure que des techniques deviennent plus largement disponibles et appliquées, il faut être d’autant plus attentif aux conséquences secondaires défavorables. En plus d’effets indésirables physiques, on peut craindre à l’avenir la stigmatisation de ceux qui renonceraient à ces moyens et pourraient ensuite avoir besoin de soins coûteux qui auraient pu en principe être évités par le dépistage. Même si le spectre de tels blâmes est très peu plaisant, les situations ne seront pas toujours simples. Ainsi, s’agissant de moyens de prévention ou de dépistage dont la sensibilité, la spécificité et l’acceptabilité sont satisfaisantes, on ne peut exclure qu’une critique adressée à ceux qui s’y opposent puisse être justifiée. Ces problématiques sont certes encore hypothétiques, mais il est vraisemblable qu’elles surgiront. Aujourd’hui, l’important est d’y réfléchir, sans chercher immédiatement à formuler des réponses qui resteraient sujettes à caution et demanderaient des commentaires approfondis. De l’attitude des pouvoirs publics dans les cas où des personnes se trouveraient atteintes de maladies graves et coûteuses pour avoir refusé des mesures préventives La collectivité peut-elle limiter ou retirer son aide à des citoyens qui font un “mauvais” usage de leur liberté ? On a d’abord envie de répondre catégoriquement non. Toutefois, les questions qui se posent n’admettent pas de réponses simples. Il convient également de noter que la loi fixe de telles limites dans certains cas, tels les vitesses maximales, le port de la ceinture de sécurité ou la non-remise d’alcool et de tabac à des enfants. Un premier cas pourrait être celui de parents qui refusent un diagnostic prénatal dans une situation à haut risque de handicap (en rapport par exemple avec la trisomie 21). Si un moyen de dépistage efficace existe, la société en viendra-t-elle à critiquer les parents qui, en ne l’utilisant pas, entraîneraient, du fait du handicap de leur enfant, des frais évitables pour la collectivité ? Il existe des tests faits à la naissance, de façon simple, pour dépister une maladie héréditaire curable ou dont les conséquences peuvent être très atténuées par un traitement. Ainsi, le test de Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 9 Guthrie permet de dépister la phénylcétonurie, affectation dont les graves effets (arriération mentale) sont évités en donnant à l’enfant un régime diététique adéquat (pauvre en phénylalanine). Or les mesures de type dépistage ne sont pas toujours bien reçues des parents aujourd’hui. Que faut-il penser de parents qui refuseraient la prise de sang nécessaire au test de Guthrie et qui, ultérieurement, en plus de la peine d’avoir un enfant atteint de débilité mentale, requerraient des sommes importantes pour sa prise en charge ? Que peuvent faire le médecin, l’autorité sanitaire et la société ? Un cas analogue peut se présenter avec les vaccinations. À l’heure actuelle, les vaccinations obligatoires sont devenues rares dans nos pays. Certaines sont par contre vivement recommandées et les pouvoirs publics prennent en charge le prix du vaccin, les parents gardant le droit de refuser. Les maladies visées (rougeole, oreillons, rubéole, poliomyélite, diphtérie, coqueluche et tétanos) peuvent entraîner des complications graves. Les payeurs en matière médico-sociale seraient-ils autorisés, et sous quelles conditions, à se retourner contre les parents qui ont refusé la vaccination de leur enfant si ce dernier présentait une affection grave (qui aurait pu être évitée) et des séquelles subséquentes ? Mentionnons encore l’éventualité d’une réduction des rentes d’invalidité chez des patients qui s’avèrent incapables de renoncer à la consommation d’un produit (alcool ou tabac, en particulier) qui est la cause principale de leurs troubles. Du point de vue de la stimulation de la responsabilité individuelle, qui est un facteur important, de telles décisions peuvent sembler justifiées. Par ailleurs, même si leur responsabilité objective est claire, on doit admettre que ces individus ne sont pas libres de leur choix. Quels critères permettent de dire quand une telle réduction de rente pourrait être admissible ? La législation devra dire dans quelle mesure on a le droit de tirer profit de ses caractéristiques personnelles, notamment génétiques La connaissance détaillée du génome humain, qui entre dans le cadre de la médecine prédictive et dont les scientifiques attendent des bénéfices en termes de prévention, pose des problèmes multiples, auxquels on n’a pas réfléchi de manière exhaustive avant d’entreprendre des programmes de recherche tels que le Projet du génome humain, lancé aux États-Unis en 1989. Le danger contre lequel il convient de mettre en place suffisamment tôt des garde-fous est que l’investigation du génome contribue à la poussée vers une collectivité à plusieurs vitesses. En effet, selon le fonctionnement logique d’une société libérale, ceux dont on pourra penser dès leur jeunesse qu’ils seront moins malades (et auront par conséquent, statistiquement, une vie professionnelle plus productive et plus longue tout en coûtant moins cher à l’assurance maladie) ou seront plus intelligents ou bien encore seront moins susceptibles de montrer des comportements déviants ou perturbants, ceux-là seront préférés aussi bien par les responsables d’établissements de formation que par les employeurs ou les assureurs, en particulier. Une interrogation majeure se profile dans ce contexte : est-il acceptable de chercher à tirer un bénéfice économique de n’importe lequel de nos traits ? Une fois encore, l’enjeu est celui de la liberté individuelle (que l’on peut caricaturer comme “ faire tout et n’importe quoi ”) par rapport à une certaine convivialité ou solidarité. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où la question capitale du débat politique est : “ Combien de liberté(s) ? Combien de partage, de mise en commun ? ”. S’agissant de l’emploi que les individus pourront vouloir faire d’une bonne cartographie génétique, des limites devraient y être mises, par exemple par l’interdiction de l’utilisation de ces informations pour obtenir des conditions plus favorables dans l’assurance maladie de base ou en ce qui concerne les cotisations de l’assurance invalidité publique. Notons à ce propos que, théoriquement et dans la logique même que nous souhaitons écarter, on pourrait à l’inverse demander aux personnes qui devraient être peu malades dans leur vie de payer des cotisations plus élevées à l’assurance vieillesse dont, statistiquement, elles tireront avantage plus longtemps. Toutefois, comme pour beaucoup des interpellations éthiques que nous avons à gérer, il n’y a pas de réponse nette et catégorique à la question générale de savoir si l’on peut tirer profit de ses caractères biologiques ou en faire commerce. Prenons quelques exemples. Les champions d’athlétisme tirent avantage de ce qu’ils sont, physiquement et mentalement (sans vouloir prétendre que leurs performances dépendent seulement de leurs génomes, il reste que, en plus des éléments liés à l’entraînement et à la culture Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 10 au sens large, le bagage génétique joue un rôle certain). Abstraction faite de l’amateurisme pur, on considère généralement aujourd’hui que cela est légitime, de même qu’on juge normal que des artistes suscitant l’enthousiasme de leurs contemporains en tirent des conditions de vie matérielle supérieure à la moyenne. Plus près de Monsieur et Madame Toute-le-monde, un videur de bar est engagé entre autres à cause de ses caractéristiques physiques, lesquelles constituent un avantage évident pour l’emploi qu’il remplit. Cela vaut pour de nombreuses professions où la force physique, la taille ou l’acuité sensorielle (visuelle par exemple) ont une importance. Par ailleurs, personne ne saurait contester qu’un employeur tienne compte des compétences intellectuelles des candidats à un poste donné et que des responsables universitaires cherchent à attirer dans leur établissement les plus brillants sujets. Pour revenir au domaine de l’assurance, l’examen médical du candidat à l’assurance vie est une pratique bien établie, consubstantielle à cette branche. Apprécier les risques que l’on assume afin d’établir la bonne police et fixer la juste prime est l’essence du métier. Toutefois, des groupes d’assureurs ont renoncé à certains examens avant l’établissement de contrats jusqu’à des montants donnés (il y a une recommandation dans ce sens au Canada jusqu’à un montant de 100 000 dollars canadiens). En matière de tests génétiques, l’histoire assécurologique commence : début 1994, la Fédération française des sociétés d’assurance adoptait un moratoire de cinq ans ; semblable moratoire est appliqué aux Pays-Bas. Dans l’optique de maintenir une certaine solidarité et un caractère adéquatement humain à notre société, il conviendra d’écarter, y compris par les dispositifs légaux, la possibilité qu’une bonne carte d’identité génétique puisse faire bénéficier d’avantages qui seront au détriment de concitoyens biologiquement moins favorisés ; le maintien du principe de mutualité devrait être prioritaire dans plusieurs domaines. Un exemple : place de la législation dans la prévention de l’infection à VIH Cette pandémie a bouleversé des idées. Elle a apporté des éclairages nouveaux sur la constellation de problèmes qui peuvent être liés à une maladie infectieuse, notamment quand celle-ci touche les comportements intimes des personnes privées. Par ailleurs, elle représente un problème majeur de santé publique et la question s’est logiquement posée de la place d’actions des pouvoirs publics dans sa prévention, dans les registres informatif, pédagogique ou d’autorité. L’espace ne permet pas de présenter en détail ce sujet (que nous avons étudié durant la première 19 décennie de la pandémie et dont les principes généraux n’ont pas changé depuis lors), mais les éléments suivants illustrent la question. Situation appelant une législation précise de type police sanitaire Ces situations sont celles où, par une action définie, réalisable dans des conditions techniques contrôlées, on peut diminuer sensiblement ou éliminer un risque d’infection à VIH. Il s’agit par exemple de la réalisation d’une épreuve de détection du VIH pour tous les dons de sang et pour les donneurs d’organes, de tissus ou de cellules (y compris le sperme). Par ailleurs, une législation peut être promulguée pour assurer la qualité des préservatifs mis en vente. Dans plusieurs pays, on a également élaboré des textes législatifs ou réglementaires ou modifié ceux existant aux fins de faciliter la mise à disposition de seringues stériles (en vente libre en pharmacie ou remises dans d’autres lieux) à des toxicomanes, lesquels courent un risque élevé de s’infecter s’ils partagent ou échangent leur matériel. Situation pouvant justifier une action ou supervision officielle La question se pose de savoir s’il y a des cas, dans un État de droit, où il serait légitime d’appliquer une législation contraignante, autorisant par exemple des démarches contre le gré de l’intéressé. En général, le seul fait d’être séropositif au VIH ne représente pas une contreindication à l’exercice d’une profession de la santé. Dans notre propre contexte de travail, 19 Martin, J. Le sida et les pouvoirs publics — potentiel et limites de leur action. In ; Faire face au Sida, Lauanne, Éditions Favre, 1988, p. 103 à 122. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 11 l’autorité sanitaire n’est en principe pas informée de tels cas, mais le médecin cantonal (c’est-àdire le médecin responsable au sein du ministère cantonal de la santé) peut être consulté à propos de situations qui posent problème, comme le cas d’un professionnel séropositif travaillant dans un secteur à risque particulier (par exemple aux urgences, en salle d’opération ou aux soins intensifs). Selon les circonstances, on pourrait être amené à obliger cette personne, à choisir un secteur d’activité comportant un moindre risque de contact avec le sang et d’échange de sang. Une autre situation est celle de l’information du partenaire régulier (dans un cadre de mariage ou de concubinage stable) d’une personne diagnostiquée comme séropositive. En France, le secret médical a un caractère absolu qui ne permet pas aux professionnels d’informer ce partenaire. En Suisse, par contre, s’il le juge approprié, le praticien peut demander à être délié du secret médical par une autorité de surveillance désignée dans chaque canton. De telles requêtes peuvent intervenir si le patient séropositif refuse absolument que son partenaire soit informé et que le médecin juge qu’il ne peut pas, d’un point de vue éthique, ne pas renseigner ce partenaire (la situation est spécialement critique quand ce dernier est également le patient du médecin, lequel doit donc assumer un devoir de diligence à l’égard des deux membres du couple). Dans ces deux cas où il s’agit de faire œuvre de prévention en rapport avec une pathologie spécifique, on notera que ce sont des dispositions légales générales qui sont appliquées. Solution où une législation de police n’a que peu ou pas de place En vue de la prévention des risques d’infection à VIH par des relations sexuelles non protégées, on voit mal qu’une législation impérative puisse être utile, s’agissant de comportements très privés. On a souvent relevé que d’éventuelles intentions dans ce sens pourraient bien aller à l’encontre du but recherché en poussant plus encore dans la clandestinité les personnes qui prennent des risques. Ainsi, certains saunas sont fréquentés par des personnes qui ont des relations sexuelles dans des conditions où la prise de risque n’est pas rare. Il est arrivé qu’on ferme de tels établissements, mais une telle mesure ne fait que déplacer le problème. Nous privilégions le fait de prendre contact avec ceux qui gèrent de telles installations, afin d’y optimiser l’accès aux moyens de protection. Une mesure potentiellement efficace est celle d’une supervision exercée non par des pouvoirs publics mais par une association regroupant ces établissements. Si, comme en France, les saunas fréquentés par des hommes homosexuels s’efforcent d’assurer le respect de conditions précises, un certain contrôle peut être obtenu par l’attribution d’un label aux établissements se conformant aux “bonnes pratiques” requises (notamment en termes d’information et de mise à disposition de matériel pédagogique et de préservatifs). L’éducation pour la santé auprès des enfants et des jeunes, dans les écoles en particulier, sera développée de préférence en y incluant l’éducation sexuelle, la contraception et la prévention des autres maladies sexuellement transmissibles. La législation utile sera celle qui alloue des ressources appropriées, tant humaines que matérielles. Un autre pilier de la stratégie de lutte dans le domaine de l’infection à VIH et du sida est, comme c’est le cas en Suisse, la promotion de la solidarité afin de prévenir des réactions sociales délétères d’ostracisme et de rejet. Là aussi, ce n’est pas une attitude qui s’obtient par décret. Il est intéressant à ce propos d’évoquer la notion de lois anti-discrimination, dont l’éventualité a été discutée à propos des personnes vivant avec le VIH. Les dispositions de ces lois devraient éviter que ces dernières ne souffrent de désavantages en matière d’emploi, de logement ou d’accès à divers services. Le problème à garder en mémoire est qu’un texte légal, anti-discrimination, par le fait même qu’il doit définir le groupe à protéger, met celui-ci à part et peut donc aboutir à une discrimination. Traitement prophylactique en cas d’infection à VIH : volonté de prévention, autonomie du patient ou de ses représentants et droit À mesure que deviennent disponibles des moyens qui permettent d’être plus efficace en intervenant à un stade précoce de l’infection à VIH, la pratique du test et son éventuel refus, de même que l’acceptation ou non d’un traitement, prennent une importance accrue. Il s’agit alors de concilier la vocation de bienfaisance du soignant et le respect de l’autonomie du patient (si et Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 12 quand l’information et la persuasion restent inefficaces). Que faire dans le cas d’une mère dont la séropositivité au VIH est connue et qui refuse que son enfant nouveau-né soit testé et traité le cas échéant ? La question est d’autant plus délicate que la décision est prise non par la personne dont la santé est concernée, mais par son représentant légal. Quelques points méritent d’être soulignés. Tout d’abord, on notera que cette mère a donné antérieurement son accord pour être ellemême testée (les gynécologues proposent habituellement l’épreuve de détection du VIH à leurs patientes durant la grossesse et il semble que cette épreuve soit rarement refusée). S’agissant du nouveau-né (ou du jeune enfant) chez lequel existe une sérieuse présomption d’infection à VIH, on peut se demander s’il est possible de le tester puis de le traiter contre l’avis de sa mère (ou de ses parents ou de son représentant légal). La situation fréquemment citée à ce sujet est celle des parents. Témoins de Jéhovah, qui refusent toute transfusion sanguine et s’y opposent également dans le cadre de traitements dispensés à leurs enfants, alors même qu’une telle transfusion est jugée indispensable par le médecin. Dans un tel cas, il est envisageable, voire usuel, de demander à l’autorité tutélaire (la Justice de Paix dans le Canton de Vaud) de limiter temporairement l’autorité parentale des parents pour permettre la transfusion. On constate toutefois des différences importantes entre les deux situations. Ainsi, la renonciation à une transfusion sanguine a, dans les circonstances considérées, des conséquences quasi immédiates et dramatiques, jusqu’au décès par hémorragie massive, par exemple à la suite d’un accident. En cas de refus de l’épreuve de détection du VIH ou d’un traitement anti-VIH, rien n’est aussi urgent. On peut entre autres choses toujours espérer que, après quelques semaines ou au bout de quelques mois, les parents adéquatement informés donneront finalement leur accord. Si la limitation ou la suspension de l’autorité parentale se comprend bien lorsqu’il s’agit d’écarter un risque vital proche, il paraît difficile, au vu des opinions actuelles, qu’on puisse justifier de la même manière une suspension au motif du refus de l’épreuve ou d’une thérapeutique prophylactique anti-VIH, où les conséquences négatives, quoique probables, restent relativement aléatoires. Il convient aussi de se souvenir que des traitements efficaces impliquent toujours un potentiel d’effets secondaires indésirables, lesquels peuvent être importants. Cet aspect a un poids accru dans l’éventualité d’un traitement qui n’est pas souhaité par le patient. Cela étant, on est renvoyé aux dimensions essentielles de la relation thérapeutique que sont l’information, le dialogue et la possibilité de convaincre, en faisant comprendre l’ensemble des aspects de la situation. Enfants dont les parents négligent les suivi et traitement médicaux Sans qu’il y ait refus explicite, il s’agit de situations similaires au cas susvisé. Concrètement, l’enfant ne bénéficie pas des investigations ou des traitements que son état appellerait du point de vue médical. Il reste à considérer que, en principe, les parents ont le droit d’accepter ou de refuser des traitements pour leur enfant non encore doué de discernement, ceci s’appliquant également à des déterminations implicites. Dans des cas graves et menaçant la vie, il est envisageable de limiter ou de suspendre l’autorité parentale, dans un but spécifique et en principe pour une durée temporaire. Le fait de ne pas présenter son enfant pour un suivi en rapport avec le VIH pourrait-il être considéré comme motif d’une telle limitation ? Cette décision de l’autorité tutélaire serait d’autant plus sujette à caution qu’elle devrait vraisemblablement porter sur une longue période. Sauf éléments autres de maltraitance ou négligence, il serait disproportionné d’empêcher les parents de vivre avec leur enfant et, s’ils vivent avec lui, on voit mal comment les forcer à l’amener pour des consultations médicales. L’aspect du temps ne permet plus d’envisager de le faire par la force. La solution doit à nouveau être recherchée dans l’information empathique. Refus des parents ou des représentants légaux qu’un enfant doué de discernement soit testé, informé ou traité La situation nous a été décrite d’un adolescent d’une quinzaine d’années, originaire d’un pays étranger, qui rejoint sa famille en Suisse et chez qui une épreuve de détection du VIH révèle la séropositivité (sans que cet adolescent ait été informé de la nature de cette épreuve). La séropositivité de l’adolescent est annoncée au père, lequel s’oppose à ce qu’on en parle à son enfant. Que doit faire le médecin ? Il faut relever ici le caractère de droit strictement personnel, exerce librement par la personne douée de discernement et par elle seule, du fait d’accepter ou de Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 13 refuser des soins médicaux. En matière de discernement, il n’y a pas en Suisse de norme légale fixée, mais, selon la doctrine juridique prédominante, le discernement est présumé vers l’âge de 14-15 ans (voire moins selon les cas). Des mineurs peuvent donc demander ou décliner un traitement à l’insu de leurs parents ou contre le gré de ces derniers. D’un point de vue médicojuridique et médico-éthique, il en découle que le médecin traitant a le même devoir d’information (fixé par exemple par l’article 21 de la Loi du 29 mai 1985 du Canton de Vaud sur la santé publique ) à l’égard du mineur doué de discernement qu’à l’égard du majeur. Il est tenu donc de renseigner le jeune patient de manière compréhensible et suffisamment complète. Il s’ensuit également qu’il est habilité à accepter le mandat thérapeutique de ce jeune dans les mêmes conditions que celui d’une personne majeure. Il y a toutefois lieu de chercher autant que possible, aux plans humains et relationnel, les moyens de renseigner adéquatement les parents ou les représentants légaux, de manière que le suivi de l’enfant s’effectue dans une atmosphère de partenariat et de consensus. Une question ardue : peut-on limiter ou moduler l’information “ pour le bien d’autrui ” dans un but de promotion ? Cette tentation existe, là où l’objectif est de convaincre le public (ou tel groupe cible) de modifier des comportements nuisibles à la santé. Le principe général doit être celui de la transparence, mais cela ne va pas sans poser des questions. En ce qui concerne les relations sexuelles et le risque d’infection à VIH ou de sida, thème à propos duquel on s’adresse souvent à la jeunesse, les données scientifiques disponibles indiquent que, statistiquement, le risque d’être contaminé lors d’un rapport hétérosexuel non protégé avec une personne séropositive est de moins de 1 pour 100. Si l’on tient compte du fait que la probabilité qu’un nouveau partenaire mal connu soit séropositif est du même ordre, on voit que le risque d’être infecté par le VIH lors d’un rapport sexuel donné est bien faible. Dans une optique de prévention, on peut craindre que la motivation des jeunes à se protéger par le préservatif ne diminue singulièrement s’ils ont ces faits à l’esprit. s’agissant de tabagisme et sachant que tous les fumeurs ne développent pas un cancer des bronches ou un emphysème (même si tous voient leur condition physique être altérée), on peut se demander s’il convient de la souligner et de donner des pourcentages. En matière d’abus d’alcool, y a-t-il lieu de discuter le fait que les contrôles de police n’attrapent pas forcément tous les conducteurs en état d’ébriété ou que certains, au vu d’une tolérance acquise, ont pu conduire durant de longues périodes sans accident malgré des alcoolémies au-dessus de la limite légale ? Pratiquement, notre propre attitude est certainement de ne pas mentir, mais aussi de ne pas traiter spontanément en détail de telles probabilités statistiques. Nous avons la même position dans les contacts avec des représentants des médias. On peut du reste douter que l’effet préventif serait meilleur en fournissant des explications appuyées sur les points en question (compte tenu également, par exemple, des contraintes de temps disponible ou d’espace imprimé que les destinataires des messages sont susceptibles de lire attentivement). Conclusion La promotion de la santé et la prévention présentent un intérêt particulier du point de vue de la législation sanitaire dans la mesure où le rôle de l’action législative est variable. Dans sa forme normative ou contraignante, la législation a sa place quand il s’agit de protéger l’individu contre des risques qui lui échappent, particulièrement si ces derniers peuvent être écartés par des mesures techniques (par exemple contrôle de l’eau et des denrées alimentaires, lutte contre les pollutions et autres risques liés à l’environnement, plusieurs aspects de la prévention routière, vaccination ou examen de dépistage d’office dans quelques cas). À l’autre extrémité d’un continuum, il y a le domaine de la promotion de la santé (que l’on peut appeler “prévention active”, du point de vue de l’individu), où est utile surtout la législation habilitante, à savoir celle qui permet que des programmes soient établis (financement ou création de services). Il en va ainsi pour des actions d’éducation pour la santé, en matière de nutrition, de sexualité, de circulation routière ou de substances nuisibles à la santé. Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 14 Ces considérations sont spécialement pertinentes alors qu’on souligne de plus en plus l’importance du consentement éclairé du patient, préalablement à toute démarche de soins. Celui qui veut faire œuvre de promotion de la santé, qu’il s’agisse des pouvoirs publics ou de professionnels individuels, doit accorder une attention particulière à l’autonomie des personnes, personnes dont on rappellera que, souvent dans ce domaine, elles ne sont pas clairement demandeuses parce qu’elles ne sont pas malades (ou du moins ne se sentent pas malades). Ceci n’enlève du reste rien au besoin d’efforts accrus dans les domaines de la promotion et de la prévention. De tels efforts doivent simplement satisfaire à des conditions d’information, de dialogue et de partenariat avec ceux auxquels on offre des prestations. Nous avons abordé les questions que pose le domaine nouveau de la médecine prédictive, souvent conçue avec une intention préventive. À propos de l’étude du génome humain, certains développements pourront, si on n’y met pas des garde-fous (législatifs notamment), donner lieu à des discriminations tout à fait indésirables, voire inadmissibles. C’est là un exemple d’avancées biomédicales qui vont potentiellement en sens contraire à l’équité. une conférence du CIOMS retenue à Genève en mars 1997 sur l’éthique, l’équité et le renouveau de la stratégie de la santé pour tous de l’OMS, a débattu de ce thème majeur. D’une façon générale, la médecine a jusqu’ici considéré qu’il était judicieux de faire ce qui a des effets positifs, sans trop se préoccuper de savoir qui bénéficiait de ces effets. Bien que les médecins n’aient guère été préparés par leur formation à ces réflexions, il est aujourd’hui indéniable qu’il se peut fort bien que, suivant ce principe, on fournisse des prestations utiles à un segment seulement de la population, parce que ce segment est proche du système de santé et parce que les rapports avec lui sont faciles, pour des raisons d’homogénéité culturelle et sociale, tandis que d’autres groupes peuvent être laissés avec des soins inadéquats, voire sans soins, comme on peut le constater notamment aux États-Unis. Or, à notre sens, même si, dans une telle hypothèse, les ressources sont employées utilement et efficacement, il n’est pas admissible qu’elles le soient préférentiellement en faveur d’une partie de la collectivité seulement. Et même si l’efficacité globale devait être moins grande, il est éthiquement préférable de s’assurer que les ressources, et donc les soins de santé, sont distribuées équitablement à l’ensemble de la collectivité. Il n’en reste pas moins que l’on revient souvent, même dans un pays relativement prospère et homogène tel que la Suisse, à une situation où l’argent va à l’argent (étant entendu que l’on parle ici d’accès aux soins et non de revenus matériels). C’est à l’évidence une préoccupation sérieuse où la législation doit protéger de diverses manières, y compris à propos de promotion et de prévention, les défavorisés et les personnes risquant d’être marginalisées ou exclues. Tableau 1 : La prévention au nom de quelle valeur ? Valeurs/Objectifs Santé individuelle Commentaires Droit de se mettre en danger Santé de la famille Légitimité de prévenir des atteintes de ses membres, notamment des plus faibles But généralement admis et valorisé (bien-être collectif) Souhaitable, moderne Santé publique Société saine Autonomisation des personnes (Prévention active) Amélioration des chances “ Discrimination positive ” (OMS) des moins favorisés Équité, solidarité Souhaitable Économie (limiter les dé- Souhaitable, nécessaire en principe, penses liées à la maladie) mais parfois illusoire Enjeux politiques, éventuellement enjeux professionnels Demande populaire Chacun est favorable à la prévention (en principe) Risques Faire le bonheur des gens contre leur gré Ingérence dans la vie familiale Société du “ Tout sanitaire ” (tyrannie de la santé) “ Blâmer la victime ” (Lui faire porter la responsabilité de ses troubles de santé) Dicrimination négative Souvent c’est la classe moyenne qui profite surtout des offres faites Rationnement inéquitable/discriminant des soins en cas de maladie Actions non pertinentes, gaspillages Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 15 Tableau 2 Législation et santé Pas de législation (sauf exception) Législation habilitante (financement, organisation Législation contraignante Sphère privée Loisirs Sports Promotion de la santé Education pour la santé (y compris programmes dans la collectivité) Profession de la santé Etablissement de santé Produits pharmaceutiques Drogues illégales Auto-assistance Médecine du travail Santé scolaire/Soins maternels et infantiles Vaccinations-Maladies transmissibles Iodation/Fluoration Prévention Primaire active semi-active passive Substances potentiellement nuisibles (par exemple alcool, tabac) Production, taxation, commerce, publicité Denrées alimentaires Approvisonnement en eau Assainissement Toxiques Hygiène industrielle Protection de l’environnement Pollution (air, eau, sol) Bruit Rayonnement ionisants Aménagement du territoire-Urbanisme Circulation routière : limitation de vitesse, dipositifs de protection, contrôle des gaz d’échappement Prévention secondaire (autopalpation des seins par exemple) Dépistage et suivi biologique en médecine du travail - Dépistage des affections héréditaires et congénitales Prévention tertiaire Prise en charge personnelle (auto-assistance) Réadaptation médicale Internement involontaire (psychiatrie) Jean Martin, Du bon usage de la législation dans la promotion de la santé et la prévention... 16 Tableau 3 : Promotion et cure : des contextes et des impératifs différents La promotion de la santé — Veut agir en amont (alors que les dommages à craindre ne sont pas visibles) alors que la prise en charge de la maladie avérée — Répare en aval : le dommage est clair — A affaire à des personnes “debout”, indépen- — S’adresse à des patients “couchés” (au sens dantes, qui ne sont pas (encore) atteintes dans — propore ou figuré), dépendants, en dysfoncleur fonctionnement tionnement — Nécessite la participation de l’individu, des changements dans ses habitudes — La participation du patient est (souvent) secondaires ou même non requise (affections ou traumatismes aigus). — Accent non spécifique, global (style de vie) — Est dirigée sur un trouble/organe spécifique — Est multisectorielle et intersectorielle. À ce titre, peut toucher les intérêts de divers secteurs socio-économiques, d’où des enjeux politiques — À l’intérieur du secteur médico sanitaire — Prend place aussi dans la collectivité en général — Se fait dans une structure soignante (cabinet hôpital) ou à domicile — Cherche à créer un soutien socio-culturel large (attitudes du public) — Peut se passer d’un tel soutien — Pose parfois des questions éthiques en rapport avec la liberté individuelle — Pose moins de telles questions (patient clairement demandeur) Bibliographie complémentaire — Ablein, T. Health promotion. In : Holland, W. W., Detels, R. & Knox, G. Oxford Textbook of Public Health. 2° édition, Oxford, Oxfor University Presse, 1991, vol. 3, p. 557 à 589. _ Anderson, R. & Kickbusch, I. Health Promotion : A Resource Book. Copenhague, Bureau régional OMS pour l’Europe, 1990. — Chapman, S. et al. Pourquoi commence-t-on à fumer ? (Table ronde). Forum mondial de la santé, 16(1) : 1-30 (1995). — Dab, W. La décision en santé publique — surveillance épidémiologique, urgences et crises. Rennes, É ditions É cole nationale de la Santé publique, 1993. Analysé dans R.I.L.S., 47(1) : 117-119 (1996). — Downie, R. S., Fyfe, C. & Tannahill, A. Health Promotion — Models and Values. Oxford, Oxford University Press, 1990. — Roemer, R. L’action législative contre l’épidémie mondiale de tabagisme. 2° édition, Genève, Organisation mondiale de la santé, 1995. — Zeckhauser, R. J. & Viscusi, W. K. Risk within reason. Science, 248(4955) : 559-564 (1990).