Symptômes dépressifs et pathomimie 135
les plus fréquents sont les troubles psychotiques aigus fac-
tices et le deuil factice. Dans ce dernier cas, le patient
décrit une symptomatologie dépressive en lien avec le décès
d’une ou de plusieurs personnes proches, le plus souvent
dans des circonstances dramatiques et violentes. Les princi-
paux éléments permettant d’évoquer le diagnostic sont une
demande d’hospitalisation inhabituelle chez un endeuillé
récent et l’absence de symptomatologie dépressive consta-
tée une fois le sujet hospitalisé. On relève également une
particulière fréquence des antécédents de comportements
sociopathiques, de tentatives de suicide, d’hospitalisations
psychiatriques à répétition, de pathomimies somatiques, de
problèmes liés à la consommation d’alcool et/ou de drogue,
ainsi que de syndrome de Munchausen.
D’autres troubles psychiatriques peuvent s’avérer fac-
tices, qu’il s’agisse de troubles thymiques, dépressif,
maniaque ou encore bipolaire, mais aussi d’états de stress
post-traumatique [14]. Mais parmi les différents diagnostics
psychiatriques rencontrés chez les pathomimes, du fait de
leur plus grande fréquence et de la difficulté à établir leur
caractère authentique ou factice, les symptômes dépres-
sifs nous ont paru particulièrement intéressants à étudier.
L’objectif de ce travail est donc, à travers la description de
trois patients présentant une pathomimie ayant été hospi-
talisés dans un service de psychiatrie pour des symptômes
dépressifs, une réflexion sur les différents cas de figure pos-
sibles.
Premier cas clinique, Monsieur S.
M. S., alors âgé de 57 ans, a été adressé dans le ser-
vice de psychiatrie pour des troubles du sommeil décrits
comme majeurs et résistant aux différents traitements pres-
crits. À l’interrogatoire, le patient rapporte effectivement
des troubles globaux du sommeil (depuis deux mois il ne
dormirait plus que deux heures par nuit), associés à des
affects dépressifs, avec ruminations d’idées noires, senti-
ments de dévalorisation et d’incurabilité, idées suicidaires
récurrentes. Les différents symptômes sont décrits avec
un certain détachement et avec utilisation d’un vocabu-
laire sémiologique précis. D’emblée on est frappé par le
manque de souffrance et d’authenticité du patient, dont le
comportement constaté dans le service contraste radicale-
ment avec les plaintes alléguées.
Concernant ses antécédents psychiatriques, le patient
prétend souffrir d’un trouble bipolaire de l’humeur depuis
l’âge de 19 ans, avoir été hospitalisé plusieurs fois en psy-
chiatrie, et avoir bénéficié d’une cure de Sakel (coma
hypoglycémique induit). Il rapporte enfin être traité par
lithium depuis une vingtaine d’années, et nous montre
une ordonnance récente comprenant également deux ben-
zodiazépines, deux hypnotiques, deux neuroleptiques et
un correcteur antiparkinsonien. Il ne sera pas possible de
retrouver les différents comptes-rendus d’hospitalisation,
hormis un, qui fait état d’un «syndrome dépressif
d’intensité modérée ». De surcroît, la prise des médica-
ments paraît improbable, le dosage sanguin de lithium à
l’admission s’étant révélé négatif.
Le recueil des éléments biographiques et des antécé-
dents médicaux permit d’évoquer rapidement le diagnostic
de syndrome de Munchausen.
À côté d’une instabilité affective, professionnelle et
géographique confirmée par son entourage familial, les élé-
ments biographiques rapportés par le patient sont riches
en anecdotes rocambolesques, de nature volontiers dra-
matique, voire héroïque, mais aussi contradictoires avec
coexistence de faits réels et de faits manifestement inven-
tés, sans que l’on ne retrouve d’activité professionnelle en
lien avec le monde médical.
Les antécédents médicaux se caractérisent par la
richesse des éléments rapportés. La pathologie somatique
principale serait une maladie de Behcet diagnostiquée
en 1987, ayant débuté dix ans plus tôt et se manifes-
tant sous la forme de poussées d’aphtose bipolaire ainsi
que de multiples phlébites surales compliquées à deux
reprises d’embolie pulmonaire. Le patient rapporte égale-
ment plusieurs hémorragies digestives hautes, un cancer
sur un ulcère de la grande courbure traité par chimio-
thérapie et radiothérapie, des troubles visuels récurrents,
une hématémèse survenue en prison. Il aurait subi plus
de quinze fibroscopies oesogastroduodénales, deux colosco-
pies, une urographie intraveineuse, deux scanners et quatre
ou cinq IRM. Là encore, il a été impossible de confirmer
l’authenticité des différents troubles rapportés.
Dans ce premier cas, la symptomatologie dépressive
décrite par le patient s’est avérée factice, s’intégrant dans
le cadre d’un trouble bipolaire factice. Rapidement, a pu
être constatée l’absence de symptômes patents qui, en
complément des éléments biographiques, des antécédents
médicaux allégués et des contradictions entre les diffé-
rents entretiens réalisés, ont permis de poser le diagnostic
de syndrome de Munchausen. Le patient a très rapidement
demandé sa sortie du service.
Deuxième cas clinique, Mademoiselle D.
Melle D. est âgée de 22 ans lorsqu’elle est admise dans le
service de psychiatrie au décours d’une tentative de suicide
par phlébotomie. Il ne s’agit pas d’une première tentative,
Melle D. ayant fait une tentative de suicide médicamen-
teuse impulsive à l’âge de 17 ans, sans prise en charge
psychiatrique au décours. À son entrée, Melle D. exprime
une symptomatologie dépressive avec sentiment d’inutilité,
d’échec, associé à des troubles globaux du sommeil, ainsi
qu’une perte de poids. Ces symptômes semblent authen-
tiques à l’arrivée de la patiente, mais se montrent très
labiles et s’estomperont spontanément en 48 heures, appa-
raissant comme des variations émotionnelles associées à un
diagnostic de personnalité de type hystérique avec théâtra-
lisme et grande suggestibilité.
Ses antécédents psychiatriques comprennent : à l’âge
de 20 ans, hospitalisation sur demande d’un tiers pour
une symptomatologie hallucinatoire isolée qui, selon la
patiente, évoluait depuis trois années. Cette fois encore,
la qualité du contact, l’absence d’éléments dissociatifs,
d’anxiété, d’idées délirantes exprimées et de symptômes
thymiques amèneront à évoquer un trouble factice. Seront
par ailleurs notés des troubles du comportement alimentaire
avec restriction alimentaire et vomissements provoqués,
apparus alors que Melle D. avait justement une amie
anorexique. À l’âge de 22 ans, lors de deux autres hos-
pitalisations pour des épisodes d’agitation clastique avec