Analyse
LA LETTRE DIPLOMATIQUE n°82
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Rappelons ici que les fonds d’investissement publics
répondent à trois critères1:
- ils sont possédés ou contrôlés par un gouvernement
national.
- ils gèrent des actifs financiers dans une logique de
long terme.
- leur politique d’investissement vise à atteindre des
objectifs macroéconomiques précis, comme l’épargne
intergénérationnelle, la diversification du PIB natio-
nal ou le lissage de l’activité.
Ils ont, à ce stade, déjà injecté des liquidités consi-
dérables dans nos économies européennes. Et leurs
plus récentes interventions ont contribuées, à l’évi-
dence, à stabiliser les marchés financiers. Soulignons
qu’à ce jour, l’expérience de l’OCDE en matière de
fonds souverains, qui prévoit de publier sur la question
un rapport au printemps 2009, les fait d’ores et déjà
apparaître comme un élément positif.2
Si l’OCDE cherche de son coté à définir les meil-
leures pratiques pour les pays destinataires des fonds
souverains, en mettant en exergue quatre principes fon-
damentaux à savoir la non discrimination, la transpa-
rence, la proportionnalité des réglementations et la res-
ponsabilité, le FMI, pour sa part, élabore actuellement
un code de déontologie des fonds souverains, en coopé-
ration avec leurs détenteurs dont la vocation est de
répondre aux préoccupations liées au risque de voir les
opérations transfrontalières de certains fonds perturber
le fonctionnement normal des économies de marché.
Enfin, la Commission européenne a proposé en
février 2008 que les dirigeants européens adoptent
une stratégie commune visant à exiger des fonds
d’avantage de transparence, de prévisibilité et d’obli-
gations de rendre des comptes.
Pour conclure, gageons d’abord que les fonds souve-
rains d’investissement aillent résolument à la rencontre
d’un capitalisme aussi éthique que vertueux dans leur
volonté de promouvoir leurs investissements en se gar-
dant bien d’induire tout risque de dysfonctionnement
ou de réaction excessive et imprévisible des marchés,
anomalies qui seraient au fond de peu d’importance si
elles n’affectaient pas l’économie réelle au travers la
volatilité financière et la stabilité macroéconomique.
Gageons ensuite, afin d’éviter de désigner les fonds sou-
verains à la vindicte populaire, que ceux-ci s’interdisent de
manipuler les marchés ou de basculer dans un mimétisme
aveugle qui bien que consubstantiel à la vie des marchés,
en est aussi un facteur premier de leur volatilité.
Au législateur donc de mettre en place les textes
nécessaires pour encadrer l’activisme des investisseurs
souverains, si l’on veut éviter une démarche de simple
rejet ou dénigrement de leur rôle.Que le leitmotiv général
soit de faciliter la participation des fonds à un ordre inter-
national stable.
Et aux politiques, aussi, de faire en sorte de créer des
enthousiasmes et des synergies autour de leur présence et
d’en faire un atout essentiel dans le développement har-
monieux des valeurs que porte le système capitaliste dans
le contexte international de turbulences et de dissensions
que nous traversons et ce, au regard notamment du par-
tage odieusement inégal et déstabilisant de la rente écono-
mique que constitue les ressources énergétiques.
Je souhaite, pour ma part, réaffirmer ici ma convic-
tion que les fonds constituent un enjeu fondamental
du développement économique et social à l’échelle
planétaire au service desquels leur action bienfaisante
toute entière doit être destinée.
Tout indique que l’économie de marché en général et
en France en particulier a besoin des fonds souverains.
Un examen plus attentif encore révèle que l’économie de
marché et la France ont également besoin concomitam-
ment de bonne gouvernance et, en l’occurrence, de dispo-
sitifs de régulation adaptés pour accompagner le courant
d’investissements des fonds souverains afin d’éviter tout
désordre, tout risque, toute menace qui pourraient avoir
un retentissement systémique.
Ceci étant posé, la France doit rester ouverte aux
investissements étrangers, car l’économie française,
plus que jamais pliée au principe de réalité ne saurait
flotter à coté du réel, et cependant survivre.
Et à nos yeux le protectionnisme quand il est excessif
n’est jamais un bon outil politique. L’objectif est donc, sans
ignorer ni les turpides ni les excès éventuels des investis-
seurs souverains, de pouvoir bientôt leur décerner des lau-
riers ! Les fonds souverains ne sont pas le si « grand
méchant loup » posté à nos portes que la rumeur du café
du commerce voudrait colporter, et ce d’autant moins
qu’ils peuvent représenter un afflux important de capi-
taux frais nécessaires au développement de grands projets
industriels ou à la restructuration financière de groupes
insuffisamment capitalisés pour envisager de prospérer
sur leurs mérites propres.
Au final, il est bien difficile de ne pas admettre que la
France, compte tenu de l’expertise de ses « champions
», à tout à gagner à un rapprochement réfléchi avec les
gouvernements propriétaires des fonds souverains au
regard des besoins en infrastructure des pays qui les
hébergent, et notamment au Moyen-Orient.3Rendez-
vous est donc pris, car maintenant que les acteurs sont
en place et le modus operandi des fonds souverains en
phase de clarification, le spectacle à l’intérieur du nou-
vel ordre économique mondial qui se dessine sous nos
yeux va (vraiment) … commencer !... ◗❘
1 - Rapport sur les Fonds Souverains établi par M. Alain
Demarolle, Inspecteur des Finances, à la demande de
Mme Christine Lagarde, Ministre de l’Economie et des
Finances, mai 2008.
2 - Rapport du Comité de l’investissement de l’OCDE sur les
« fonds souverains et les politiques des pays d’accueil »,
4 avril 2008.
3 - Rapport d’information n°33, « Le nouvel âge d’or des fonds
souverains au Moyen-Orient », Commission des Finances
du Sénat, 17 octobre 2007.
La manne pétrolière majoritairement à l'origine
de la capacité d'investissement des fonds
souverain. Ici le projet E11 exploité par la
compagnie pétrolière Shell, dans le gisement
de Sarawak en Malaisie.
© Shell