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christiNe serVais
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le maleNteNdu comme structure
de la commuNicatioN
sumé.Danslesmoles télégraphiques,on consirequela communication
fonctionne si lesmessagesde départ etdarrivée sontidentiques.Sinon,celasignie
quelerécepteur amalcomprisou quelémetteur s’est malfaitcomprendre.
Dansce cadre, lapathologie de la communication est lincompréhension.Ceque
nous proposonsici, à partirde lanalyse de situationsde communication très
particulières (des rencontresenchantéesavec desdauphins sauvages), cest que,
àlinverse, lastructure fondamentale de la communication est lemalentendu. Or,
cest lerefus de reconnaître ce fait (dûnotammentausir vain etsastreux
de contrôlerlepartenaire) quiengendre des pathologies. Admettre aucontraire
qu’émetteur et récepteur disposentnécessairementde versionsdifférentesde
linteraction et qu’il n’y apasde version plus objectivequ’une autre, cest replacer
laltérité aucœur d’une communication quiest réussieparce qu’on accepte de
malse comprendre.
Mots clés. — Malentendu, communication inter-espèces,interaction, dauphins,
différend, mésentente.
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Si la communication peut être consirée commepathologique –
cest-à-direprovoquantdessordres, des souffrancesoudes
aberrations quand elle fonctionnetropbienpeut-on, à linverse,
consirer que, pour éviter qu’ellenengendre des pathologies,il faut
admettrequ’ellereposesur un malentendu ? Cest lathèsequenous
défendonsdansce texte.Avantnous, dautresontavanlidée que« la
compréhension tait]uncas particulierdumalentendu»1(Culioli,1990:
39). Toutefois, cette formuleneremet pasenquestion leprésupposé
selon lequelune bonne communication reposesur latransparence de
lintercompréhension : ellesuggèrejusteque celasurvient rarement. Le
faitest queles recherchesen information etcommunication sontencore
aujourdhui confrontéesà desdifcultésqui les travaillentdepuisleur
émergence et quisont relativesàunetension entrele champdu savoir
etceluide laction.Eneffet, dès qu’il yeût conscience de limportance
desactivitésde communication dansles sociétés, celles-cifurent
rapportéesà desenjeux quiterminèrent,pour partie, lapertinence
desmoles. La portée empirique des processus de communication a
directementconduità ce quemédiaset techniques soient prisdans une
visée dinstrumentalisation :lesmédiasde masse, relaisde lémancipation
desmassesou, aucontraire, de leur abrutissement ; les techniquesde
communication,relaisde tous lessirs de manipulations, etactuellement,
la culture, relaisd’uneresocialisation, d’unremaillage du tissu socialpar
le biaisde lamédiation culturelle...Toutescesconceptions reposent sur
lidée qu’il existeune bonne et unemauvaise communication :la bonne
étant une communication réussie, cest-à-dire débouchant sur deseffets
conformesàlintention de lémetteur ; lamauvaise échouantàlesfaire
coïncider.Une communication efcace est donc considérée comme
transmission etnon commevéritablemédiation,qui,quantà elle, suppose
unrapport plus compliqué à laltérité.Qu’on lapratiqueou qu’on s’en
offusque, la communication est unquasi-synonyme de manipulation et
renvoie à unemécanique de lactivitésymboliquequiprivele destinataire
de touteliberté etde touteparolepropre(dautant plus, bienentendu,
s’il nest paséduqué). Cest cetteidée, ainsiquelemole de la
communication commetransmission qui laccompagne, quenous voulons
questionner. Nous le feronsàpartird’undomaine empiriquepermettant
de mettre enrelief lillusion quicaractériselidée d’uneréussite de la
communication :létude de systèmesde communication homme-animal.
1Ilest singulier qu’A.Culioli (1990) fasseusage de ce qu’il indique êtreson « aphorisme
favori » au sujetd’une discussion sur lactivitésigniante développée dans une relation
avec unanimal(unchat).
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Parmi lesnombreux systèmesde communication homme-animal(chasse,
cirque, animaux domestiqueoude compagnie, animaux mangés,nuisibles,
aidants ouchasseurs),nous avons privilégiél’undes plus inhabituels: des
rencontresenchantéesentre deshumainsetdesdauphins sauvages. Celles-
ci sontqualiéesdenchantéescarlespersonnes y fontdesexriences
hors ducommun:parexemple, ellesentendentlesdauphinsleur parlerou
fontlexpérience de la dissolution desfrontièresdumoi oudu«sentiment
oanique»(Freud, 1929) quicaractériselesexpériencesmystiques2.Le
but nest pasdexpliquercommentces phénomènes surviennent,une
ébauche ena ététentée ailleurs (Servais,2005)3.Enrevanche, cescas
particuliers de communication entrehumainsetdauphinsnous intéressent
parce qu’ils posent problème à celuiquiveut lesdécrire.Premièrement,
il est impossible de supposer quils reposent sur uncode commun,
contrairementàla communication avec lesanimaux domestiquesoude
dressage.Ensuite, on setrouve enprésence de deux créatures qui,par
leurs dispositionsbiologiqueset,pour ce quiconcernelhumain,socialeset
culturelles, énactent4(Valera, 1989) ou spécientdesmondes radicalement
difrents.Ceciposelaquestion du rapport entre communication etmonde
partagé. Enn, leur analyse est compliquée parle faitque lidentication de
ce quiest transmis (unsignal ou un message)est ambiguë.Ces rencontres
entrehumainsetdauphinsontencore dautres propriétésdontcelle de
reposerlargement sur lémotion, de nepas pouvoirêtrereliée – sinon de
manièretrèsdélicate – à lintentionnalité(dumoins pour ce quiconcerne
lanimal)etde nimpliquer que de manière adjacentelesdimensions
socialesetinstitutionnellesde la communication.Pour toutesces raisons,
il s’agitde typesde relations quisont peu représentatifsdes processus de
communication faisanthabituellementlobjetdes recherchesensciences
de linformation etde la communication (sic).Cest làleur intérêtautant
queleurs limites.
2Expérience d’unenon-dualitéquisignelétatfusionnelavec « lUn ».La notion de
«sentimentocéanique»a été discutée parS.Freud en 1929dansLe malaise dans la
culture.
3Les témoignages quiseront utilisésici ontétérecueillisentre1990et1996dansle cadre
d’une enquête ethnographiquesur les typesde rencontresentrehumainsetdauphinsdans
trois pays :Australie, France etGrande-Bretagne.Ilscomportentdes témoignagesécrits et
des témoignages recueillisoralement.
4Dansladénition duneurophysiologisteF.Varela(1988), lénaction est laperception en
tantqu’action. Parleurs actionslesorganismes, humainsounon, spécientleurs mondes.
Ceux-ciconstituentalors leurs mondes propres. Danslathéorie de lenaction, ce sont
lesactionsconcrètesdes systèmes vivants qui instituentet spécientce à quoi ils sont
sensiblesdanslenvironnement,leur monde ouniche écologique(Gérardetal,2005). Cest
ce phénomène de spécication d’un monde à travers laction etlaperception que désigne
leterme denaction.
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Si nous avonschoisi cescas si particuliers, cest que lesdifcultés
méthodologiques qu’ils posent sont telles qu’ellesobligentà envisagerles
processus de communication endehors dumole de latransmission,
età concevoirla communication au sein desinteractionshumains-
dauphinscomme étant structurée par un malentendu. Cest ce quenous
tenteronsde montrerdanslapremièrepartie, à partirde témoignages
de rencontresenchantées. Ilest ensuiteintéressantde comparercette
structureinteractionnelle avec dautresmolesde mécompréhension :la
mésentente(Rancière, 1995)etle différend(Lyotard, 1983)5.Lesnotions
de mésentente etde différend – tellequ’ellesontété développéeset
utilisées parleurs auteurs – engagentà développerla discussion dans
de nouvellesdirections:lapolitiqueoùlepeuple(au sens platoniciendu
terme)nepeut prendrelaparole, faute de partagerlidiome dudominant
(Rancières,1995), d’unepart,limpossibilité de direle génocide ouden
transmettresimplementlexpérience (Lyotard, 1983,Coquio,1999),
dautrepart. Eneffet,e malentenduetle différendsont traités parcesdeux
auteurs enrapport avec laquestion dunocide ;laraison enest que,
tout commeles situationsde communication inter-espèce, ces situations
demandent une appréhension différente de larelation entre code commun
etcommunication.Lanalyse de situationsde communication inter-espèce
nous sert donc à mettre enévidence des structuresde communication
qui, enfait, dépassentlargementce cadrerestreint. En nous référant
aux questionnements plus philosophiquesde la communication que
proposentlesnotionsde mésentente etde différend, lobjectif est de
montrer quelemalentendu posede factounequestion politique, parce
qu’il est enrapport avec lhégémonie etle contrôle.Sices situations,
quoiquetrèsdifférentes parailleurs,peuventêtrerapprochées sur leplan
de leur structureinteractionnelle, il est envisageable de les rapprocher
également sur leplande lanalyse ducontrôle etde lapathologiequi
enest issue.Danslesinteractionshumains-dauphins,les tentatives pour
contrôler,parla force, le comportementdesanimaux, apparaissent
comme des tentativesde solution (Watzlawicketal,1974),responsables
de pathologieset sourcesde violence.Dansles situationshumaines
décrites, de mêmeque danslesinteractions quotidiennes qu’analysent
les thérapeutes, des pathologies proviennentdu refus daccepterle fait
que, d’une certainemanière, la communication est toujours structurée
par un malentendu. Il nous sembleque cetteperspectiveoffre des pistes
méthodologiquesintéressantes ; ellepermetégalementde se désengager
de laviolence symboliqueimplicitement présente danslesmolesde la
communication commetransmission d’un message.
5Ilest remarquableque, lorsquelemalendendu,le différendoulamésententesont
évoquésdanslalittérature, lesanimaux nesontjamaisbien loin.
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Dansce cadre, notre but nest évidemment pasde remplaceroude nierla
valeur danalysesoude modèlesalternatifs:nous navonsaucuneprétention
àlhégémonieouaufanatisme, qu’il soitdisciplinaireouméthodologique.
Dautresanalyses peuventêtre faitesàpartirde nos témoignages,
notammentdansle cadre dune anthropologie de la communication
(Hymes,1967). Notreobjectif est de développer un modèlepossible
pour lanalyse de situationsde communication où, en labsence d’uncode
partagé, lesmoles reposant sur le code sontinopérants.
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Avantdaborderladénition dumalentendudans son rapport audifférend
etàlamésentente, revenons sur lanecdote évoquée à proposdAntoine
Culioli.Le linguisteparle de malentenduàproposd’unequestion qui lui
est posée au sujetde lanition de lalinguistique.Antoine Culioli (1990:
39)ayantindiquéquelactivité de langage neselimitait pasà« léchange
dinformations univoques,stabiliséesetcalibréesentre deux sujets qui
seraient pré-ajustés pour queléchange soit uneréussitesansà-coups et
sansfaille»,lunde sesinterlocuteurs enainréquelinteraction entrele
proprtaire d’un chatetle chatpouvait releverd’une activitésigniante,
et se demande, dèslors,siellepourraitfairelobjetde lalinguistique.Le
linguiste corrige immédiatementenprécisant qu’il ne confondpasactivité
signiante etinteraction.Aucontraire de lactivitésigniante, linteraction ne
supposepas que« lesformes produites parlénonciateur soient reconnues
parle co-énonciateur comme étant produitespourêtrereconnues
commeinterprétables»(ibid.:39). Delapart desco-énonciateurs, ellene
suppose doncni intentionnalité, ni accordsur ce quiconstitueunsigne.Le
problèmeposé conduitdirectementaucœur dudébat: comment rendre
compte de linteraction,voire dune communication,sans supposer quele
chat reconnaîtles signescomme devantêtreinterprétés ? Cest toutela
question ducode commun, ainsique celle de la difrence entreréaction
et réponse, quisonten jeudanscette discussion autour de lanition de
lalinguistique.Selon AntoineCulioli,sicette dernière doitêtre en mesure
de prendre encomptelemalentendu (informationsnon univoques,pas
de réussitesansfaille de léchange, etc.),il est nécessaireque celui-cisoit
strictementlimitéparlexistence d’uneintercompréhension possible et
relative à lidentication des signes: le malentendu reposesur une entente
possible (mais, nous verronsque, en dénitive, cette position nest pas
tenable). Leverle malentendu signie, alors, découvrirlarègle commune
sur laquelles’élaboreléchange : dansle casde cette discussion,il sagitde
laccordsur ce qu’est unsigne et sur ce quil nest pas.
Cettequestion deslimitesetd’unerègle communenécessairesà
lintercompréhension est àlorigine dumalentenduentreAntoineCulioli
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