LES FRACTURES MALLEOLAIRES
C. Lecoq - G. Curvale
Hôpital de La Conception - 13385 Marseille Cedex 05
g.curvale@infonie.fr
LES LESIONS
Les fractures malléolaires sont en règle articulaires et donc génératrices d'arthrose. En effet, les malléoles interne et externe (qui associées au pilon tibial réalisent la mortaise tibio-
péronière) s'articulent par leurs faces profondes revêtues de cartilage avec les joues latérales du corps de l'astragale (ténon astragalien).
Les fractures malléolaires compromettent la stabilité transversale de l'articulation de la cheville et sont donc également arthrogènes par ce biais. Cette déstabilisation peut être
simplement osseuse par fracture des mors de la pince bimalléolaire que sont les malléoles. Elle peut être aussi ligamentaire par rupture des éléments de stabilisation de la
syndesmose péronéo-tibiale inférieure que sont les ligaments péronéo-tibiaux inférieurs (antérieur et postérieur) et la membrane inter-osseuse, et/ou des ligaments collatéraux.
Le mécanisme de ces fractures est le plus souvent indirect par un mouvement passif forcé associant diversement adduction ou abduction et rotation axiale. Le plus souvent, le pied
étant fixé au sol, le mouvement forcé du segment jambier détermine la fracture. Cependant pour la compréhension des lésions, il est préférable de considérer que l'astragale,
entraînée par un mouvement forcé du pied, soit responsable des fractures malléolaires par sa bascule dans la mortaise tibio-péronière. Les fractures bimalléolaires sont les plus
fréquentes. Les fractures unimalléolaires sont habituellement associées à une rupture du ligament controlatéral de la cheville réalisant un équivalent de fracture bimalléolaire.
DIAGNOSTIC CLINIQUE
Le diagnostic de fracture de cheville est évoqué devant un patient ayant présenté une chute en torsion violente de la cheville occasionnant une douleur intense du cou de pied avec
une impotence fonctionnelle totale, l'appui étant impossible, et souvent une sensation de craquement.
La déformation est fonction de l’importance du déplacement. La cheville peut être luxée, c’est le plus souvent par un mécanisme en abduction, la malléole interne fait alors saillie
sous la peau.
La fracture peut être ouverte, soit par degré ultime de luxation, soit par traumatisme de dehors en dedans.
Quoiqu’il en soit, il faut toujours apprécier l’état cutané et son degré de contusion.
DIAGNOSTIC RADIOGRAPHIQUE
Le diagnostic de fracture bimalléolaire repose sur deux clichés orthogonaux de la cheville, de face et de profil.
Il est convenu de classer les fractures bimalléolaires selon le siège en hauteur du trait péronier par rapport aux ligamentsronéo-tibiaux inférieurs ou, ce qui revient au même, par
rapport aux tubérosités tibiales sur lesquelles ils s'insèrent. Cela permet d'en déduire le mécanisme et donc les lésions ostéo-ligamentaires associées (Fig. 1).
Figure 1 :
1 : Fracture en adduction, sous-ligamentaire.
2 : Fracture en abduction, sus-ligamentaire.
3 : Fracture interligamentaire.
Figure 2 : Fracture bimalléolaire sous-
ligamentaire.
- Les fractures sous-ligamentaires ou sous-tubérositaires : elles sont les plus rares (5 %). Le trait péronier est horizontal, plus bas que l'interligne tibio-astragalien. Il s'agit
logiquement d'une fracture par adduction (ou varus forcé de l'arrière pied). C'est la mise en tension du ligament latéral externe (LLE) qui a arraché la malléole externe. L'astragale
a ainsi pu basculer en dedans repoussant la malléole interne (le trait interne est oblique en haut et en dedans partant de l'angle interne de la mortaise) (Fig. 2). Devant ce type de
fracture malléolaire interne, en l'absence de fracture péronière, il faut évoquer logiquement une entorse grave du LLE (Fig. 3). La syndesmose péronéo-tibiale inférieure est donc
sûrement intacte.
- Les fractures sus-ligamentaires ou sus-tubérositaires : elles sont moins rares (15 %). Le trait siège au-dessus des ligaments péronéo-tibiaux (fig. 4a, 4b). C'est la classique
fracture de Dupuytren. Pour produire une telle fracture, l'astragale a nécessairement subi une translation externe refoulant la malléole externe. Les ligaments péronéo-tibiaux
inférieurs sont donc déchirés, ainsi que la membrane inter-osseuse jusqu'au siège de la fracture du péroné. L'existence d'un diastasis (bâillement) tibio-péronier et d'une translation
externe de l'astragale peuvent en témoigner. Le mécanisme est donc une abduction (ou valgus forcé de l'arrière pied). Le trait de fracture malléolaire est horizontal, plus bas que
l'angle interne de la mortaise qui est respecté. C'est donc une fracture par arrachement de la malléole interne (Fig. 4a). Si celle-ci est intacte, il faut suspecter une rupture du
ligament latéral interne et craindre qu'il ne soit incarcéré dans l'articulation, entre la joue interne de l'astragale et la malléole interne. Parfois le trait péronier est très haut situé, au
niveau du col du péroné, c'est la classique fracture de Maisonneuve. Pour ne pas la méconnaître devant une fracture apparemment isolée de la malléole interne, il faut palper le
péroné sur toute sa hauteur et demander une radiographie de la jambe et du genou de face et de profil (Fig. 5).
Figure 3 : Fracture isolée de la malléole
interne.
Figure 4a : Fracture sus-ligamentaire
(radiographie de face).
Figure 4b : Radiographie de profil.
Figure 5 : Fracture de Maisonneuve.
- Les fractures inter-ligamentaires ou inter-tubérositaires (fig. 6a) : ce sont de loin les plus fréquentes (80 %). Le trait de fracture péronier est difficilement visible sur la
radiographie de face quand la fracture est peu déplacée (fig. 6b). Il est surtout visible de profil (fig. 6c). Il est en effet presque frontal, oblique en bas et en avant, passant entre les
deux ligaments péronéo-tibiaux inférieurs habituellement intacts. Le faisceau antérieur est inséré sur le fragment péronier supérieur, le faisceau postérieur sur le fragment
malléolaire inférieur. Ainsi après réduction parfaite de la fracture, la syndesmose péronéo-tibiale inférieure pourra être considérée comme normale. L'orientation du trait de fracture
péronier évoque une fracture spiroïde, par rotation externe du pied, autour de l'axe jambier vertical, souvent associée à un valgus forcé. D'ailleurs la fracture malléolaire interne est
une fracture par arrachement, horizontale, respectant l'angle interne de la mortaise, comme dans la forme sus-ligamentaire, mais volontiers plus antérieure (Fig. 6a, 6b, 6c). Elle
peut être remplacée par une rupture du LLI (Fig. 7). A l’extrême, la cheville peut être luxée (Fig. 8).
Figure 6a : Fracture interligamentaire.
Figure 6b : Fracture interligamentaire (radiographie
de face).
Figure 7 : Fracture équivalent bimalléolaire
(interligamentaire) avec entorse grave du LLI.
Figure 8 : Fracture interligamentaire avec luxation postérieure
tibio-talienne.
Les fractures associées sont fréquentes et il ne faut pas hésiter à prescrire des clichés de 3/4 pour les rechercher :
- Fractures des tubérosités tibiales équivalentes à des ruptures des ligaments péronéo-tibiaux inférieurs correspondants : fracture du tubercule postérieur dans les fractures inter-
ligamentaires ; fracture du tubercule antérieur qui associé à une fracture spiroïde de la malléole externe réalise la lésion d’Astley-Cooper (Fig. 9a et 9b).
Figure 9a : Radiographie de face en légère rotation externe. Il
existe une fracture de la malléole interne.
Figure 9b : Cliché en 3/4 interne. Il met en évidence
une fracture déplacée du tubercule de Tillaux.
- Fractures parcellaires du pilon tibial : fractures marginales postérieures (ou malléolaires postérieures), ne dépassant pas le tiers du pilon tibial, volontiers associés aux fractures inter-
ligamentaires par rotation externe et flexion plantaire (fracture tri-malléolaire) (Fig. 10a et 10b) ; fracture tassement discret du pilon tibial, interne ou externe selon le sens du déplaceme
initial de l’astragale, de sombre pronostic arthrogène quand il est méconnu.
Il faut également rechercher d’éventuelles lésions tendineuses, au niveau du jambier postérieur notamment.
Figure 10a : Fracture marginale postérieure associée à
une fracture de la malléole postérieure.
Figure 10b : Radiographie de profil. Noter la subluxation
postérieure de l’astragale.
DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
Les fractures du pilon tibial
Ce sont des fractures articulaires, donc très arthrogènes. Elles intéressent l’épiphyse inférieure du tibia et atteignent par au moins un de leurs traits la surface articulaire du plafond de la
mortaise tibio-astragalienne.
Leur mécanisme de survenu est indirect, par chute d'un lieu élevé et explique la fréquence des complications associées. Le type de lésion dépend de la position du pied lors de l'impact. U
n
fracture malléolaire externe y est très habituellement associée.
L'examen retrouve une cheville globalement douloureuse, augmentée de volume. La déformation peut faire évoquer une fracture bimalléolaire déplacée ; le plus souvent elle est globale,
n
caractéristique.
Des complications immédiates peuvent exister : ouverture cutanée ; lésions nerveuses ou vasculaires du pédicule tibial postérieur ; incarcérations tendineuses suivant l'importance du
déplacement initial ; lésions associées à distance selon la gravité de l'accident.
Le bilan doit comporter deux clichés orthogonaux de face et de profil. Il peut être compléter par des clichés en trois-quart interne et externe et des tomographies ou une tomodensitomét
r
pour préciser éventuellement l'indication et la tactique chirurgicale.
La classification permet de distinguer cinq types anatomiques différents :
- Les fractures marginales antérieures : elles emportent la partie antérieure du pilon tibial. Elles sont rarement totales, tuberculo margino-malléolaire antérieures ; plus souvent partielles,
fracture tuberculo-marginale antérieure étant la plus fréquente. Le déplacement se fait en haut et en avant, l'astragale pouvant se sub-luxer vers l'avant (Fig. 11A).
- Les fractures marginales postérieures : elles emportent la partie postérieure du pilon tibial. Elles sont rarement totales, tuberculo-margino-malléolaires postérieures ; plus souvent
partielles, la tuberculo-marginale postérieure étant la plus fréquente. Le déplacement se fait en haut et en arrière, l'astragale et le pied se plaçant en sub-luxation postérieure (Fig. 11B).
- Les fractures bimarginales : elles sont volontiers complexes et comminutives ; elles associent diversement les différentes formes des deux types précédents. Le déplacement peut se fai
r
soit vers l'avant, soit vers l'arrière avec souvent une composante d'ascension avec effet de perte de substance osseuse par tassement du tissu spongieux (Fig. 11C et 11C’).
- Les fractures supra-malléolaires à propagation articulaire (Fig. 11D).
- Les fractures sagittales :plus rares, elles séparent un fragment articulaire cunéen interne ou externe (Fig. 11E).
Figure 11:
A : Marginale antérieure
B : Marginale postérieure
C et C’ : Bimarginale
D : Supramalléolaire à propagation articulaire
E : Sagittale
Les entorses du LLE
Le diagnostic différentiel se pose essentiellement entre une fracture isolée de la malléole externe et une entorse de gravité modérée ou importante.
En cas de fracture, la douleur est retrouvée à la palpation du bord postérieur de la malléole.
C’est la radiographie qui posera le diagnostic.
DIAGNOSTIC DES COMPLICATIONS TARDIVES DES FRACTURES DE LA CHEVILLE
Cal vicieux et arthrose résument les complications des fractures de la cheville, l'arthrose compliquant habituellement un cal vicieux.
Les cals vicieux de la cheville
Cliniquement le patient se plaint parfois d'une instabilité, d'une désaxation, ou de troubles de l'appui au sol. Le plus souvent le syndrome douloureux mécanique est le plus
important d'autant plus qu'une arthrose apparaît progressivement.
Le bilan radiographique (podographie en charge : pied et cheville de profil en charge et incidence de Meary) permet de faire la part entre un cal vicieux intra-articulaire et une
désaxation extra-articulaire, souvent associées :
- Les cals vicieux articulaires modifient le dessin de l'interligne articulaire. Les surfaces du pilon tibial ou des malléoles peuvent présenter des "marches d'escalier". L'écart
intermalléolaire peut être élargi, devenu trop large pour l'astragale. Celui-ci peut être excentré en dedans ou en dehors sur le cliché de face, vers l'avant ou l'arrière sur les
radiographies de profil (Fig. 12a, 12b, 12c et 13).
- Les cals vicieux extra-articulaires traduisent une désaxation dans la composante supra-malléolaire des anciennes fractures, alors même que les traits articulaires peuvent avoir
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